Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

27 octobre 2023

L'histoire coloniale de la France face à son récit national (Analyse de l'entretien de pierre Singaravélou - Télérama n° 3847)

                L'histoire coloniale de la France

                      face à son récit national

Blois - les Fontations texte OK

          Non, vous ne vous trompez pas. La France a deux histoires qui se font face. Parce que la première n’a pas de place dans notre récit national, la notion même de nation est à redéfinir par nos autorités politiques. Vous verrez pourquoi. « L’histoire linéaire à la papa » de nos manuels scolaires partant des conquêtes aux indépendances – lorsqu’elle évoque les terres étrangères – « comme si les peuples non européens n’attendaient que d’être colonisés par des Blancs pour accéder enfin à la modernité » (Introduction de l’entretien par Juliette Cerf), n’a jamais considéré notre passé colonial comme faisant partie de l’Histoire de France.

          En effet, « jusqu’à la fin du XXe siècle, la colonisation était considérée comme un phénomène extérieur à l’histoire de France, n’ayant pas droit de cité dans le récit national », confirme Pierre Singaravélou. Quoi de plus normal alors qu’à la fin de ce premier quart du XXIe siècle notre passé colonial ait tant de mal à se faire une place digne de ce nom dans notre enseignement ; une situation aberrante qui éclaire le constat de la fracture actuelle entre la France et les ressortissants de ses anciennes colonies. Fracture qui justifie l’existence et le combat de l’association La France noire. Et l’historien poursuit : « La France a pourtant été un empire avant de devenir un état-nation et l’hexagone a, dans presque tous les domaines, été profondément marqué par l’expansion coloniale ». En d’autres termes, la France d’aujourd’hui est le produit de son passé colonial. « Et cette histoire est vivante, présente à travers de multiples traces matérielles perceptibles en France et dans les anciennes colonies. Le passé colonial hante nos paysages urbains à travers les monuments ou des noms de rue dont nous avons parfois oublié le sens ». Autre grande trace incontournable laissée par ce passé : la géographie de la France d’aujourd’hui ne se limite pas à l’hexagone. Notre France est donc partagée par une diversité de populations. Aussi, continuer en ce XXIe siècle à enseigner une histoire française écrite par les seuls blancs colonisateurs est inadmissible, inacceptable.

Colonisations

          La France noire ne cesse de le répéter – après François Durpaire, auteur de Nos ancêtres ne sont pas gaulois (Albin Michel, 2018) : pour que notre histoire nous rassemble, il est nécessaire qu’elle nous ressemble. Et c’est tout l’enjeu du livre collectif dirigé par l’historien Pierre Singaravélou intitulé Colonisations. Notre histoire. Oui, l’histoire coloniale doit être intégrée à l’Histoire de France ! Pour ce travail qui concerne les nombreuses régions ayant appartenu un temps à l’empire français, Pierre Singaravélou a réuni « deux cent cinquante chercheuses et chercheurs dont près de la moitié vivent et enseignent à l’étranger, et pour beaucoup dans les colonies, en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud-Est, au Maghreb et en Amérique du Nord ». Des populations auxquelles on nie aujourd’hui encore – pour certaines – une civilisation propre avant la colonisation par les Européens. C’est sans doute ce qui justifie le chapitre du livre consacré à ces « sociétés à la veille de la colonisation ». Précisons que dans ce travail, un soin tout particulier a été pris pour éviter l’expression « sociétés post-coloniales » qui sous-entend que les peuples non européens ont attendu d’être colonisés pour entrer dans l’ère de la civilisation. Et chose absolument innovante qui nous satisfait pleinement, c’est que parmi les auteurs français, « on compte de nombreux historiens et historiennes des universités des Antilles, de Guyane, de la Réunion, de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie, qui sont généralement invisibilisés en métropole ».

                    Pour que l’avis des Noirs compte

          En effet – on ne le dit presque jamais sur les chaînes des radios et des télévisions – à force de ne pas prendre en compte l’histoire des Français non blancs, c’est-à-dire à force de négliger leurs voix dans notre récit national aux contours inévitablement monolithiques, nos compatriotes issus de la colonisation de l’Afrique et de nos îles lointaines se sont depuis longtemps tournés vers les universités américaines, australiennes, anglaises, canadiennes, sud-africaines, où on admet que les voix des colonisés côtoient celles des colonisateurs, où on tient compte du fait que l’histoire coloniale « s’est aussi racontée en iroquois, en wolof ou en quôc-ngu (vietnamien) » ; des pays où il n’est pas nécessaire d’avoir été choisi par un Blanc pour avoir droit à la parole, où ce ne sont pas toujours les mêmes qui parlent au nom de la nation et de son histoire. La France ne s’est jamais soucié de ce phénomène d’évasion qui prive sa jeunesse d’un grand nombre de ses chercheurs qui pourraient la nourrir de connaissances diverses.

          L’objectif de ce travail d’une histoire partagée par les différentes populations de la France d’hier et d’aujourd’hui que nous offrent Pierre Singaravélou et ses nombreux collaborateurs suppose le respect de l’Autre, de son histoire singulière qui est aussi celle de la France. Nous convenons donc avec la direction de cette équipe que « décoloniser » la société française ne signifie nullement effacer le récit national des Français blancs pour laisser la place à celui des Français non blancs – ce n’est pas le grand remplacement ! – « mais au contraire enrichir notre histoire en la repeuplant de multiples actrices et acteurs oubliés ». 

Raphaël ADJOBI

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28 août 2023

Les racistes et la couleur du sang (Réflexion)

Cliquez ici pour lire l'article : Les couleurs du sang humain et l'invention du racisme

La couleur du Sang

 

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24 août 2023

La mémoire esclavagiste et négrière de la Normandie enfin retrouvée !

La mémoire esclavagiste et négrière de la normandie

                  en trois expositions

Musée Dubocage Havre août 2023

Il est heureux de constater que les villes négrières et esclavagistes retrouvent peu à peu la mémoire. Je vous invite à découvrir trois villes normandes unies dans un même projet : Esclavage, mémoires normandes   

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10 juin 2023

La fabrique du petit colonisateur français raciste

         La fabrique du petit colonisateur raciste

               (Georges Sadoul : 1904 - 1967)

Le petit colonisateur 2

Comment, à travers la bande dessinée et les images quotidiennement publiées dans les revues durant tout le XXe siècle, la France à réussit à populariser l'image du colonisateur blanc et celle du Noir sauvage qu'il doit dompter et civiliser. Georges Sadoul nous peint l'enseignement français du mépris du Noir pour mieux asseoir la supériorité du Blanc : 

L’image du Noir dans l’instruction des Français au XXe siècle

Par Georges Sadoul - 1904-1967. Extrait de la traduction de "Sambo without Tears" dans Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1933, Londres. " [...] Je lis en ce moment des journaux rédigés spécialement pour les enfants français : Cri-Cri, l'Épatant, Pierrot, Le Petit illustré, qu'on tire chaque semaine chacun en de milliers...

http://lafrancenoire.com


 

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03 juin 2023

Le Noir dans l'imaginaire européen

            Le Noir dans l'imaginaire européen

Images noires les indigènes

Après un travail minutieux à partir des bandes dessinées américaines et européennes sur deux siècles (XIXe et XXe), Fredrik Strömberg (Images noires, PLG) distingue « au moins sept différents stéréotypes basiques de Noirs dans les histoires visant principalement le public blanc » ; en d’autres termes des histoires pour instruire les Blancs tout en les amusant. Et c’est la répétition de ces stéréotypes qui ont forgé pour longtemps dans l’esprit de ceux-ci l’image qu’ils ont majoritairement des Noirs aujourd’hui.

Stéréotype n° 1 : L’indigène : C’est « la description peu flatteuse des natifs d’Afrique comme des sauvages infantiles, à la fois stupides et dangereux ». C’est cette image de l’Africain que véhiculent par exemple les BD Tarzan, Zembla, Akim, Tintin au Congo

Stéréotype n° 2 : L’« oncle Tom » : C’est « l’éternel soumis, humble et magnanime, qui ne remet jamais en question la supériorité de la classe blanche dominante ». Nous signalons à ceux qui ne le sauraient pas que « Son nom vient de la lecture populaire traditionnelle, même si quelque peu incorrecte, du personnage éponyme dans le roman d’Harriet Beecher Stowe, La case de l’oncle Tom ».

Stéréotype n° 3 : Le coon : C’est la représentation du Noir comme « un chenapan comique connu pour ses tours espiègles et ses distorsions linguistiques » ; en d’autres termes un jeune voyou (petit nègre?) adepte du langage dit « petit nègre ». Remarque : retenez que ce langage est inventé par les Blancs eux-mêmes parce qu’ils croyaient naïvement qu’en vidant leur langue des tournures qu’ils jugeaient complexes – donc en appauvrissant leur langue – ils se faisaient mieux comprendre des « sauvages ». Or, on retient ce qui est enseigné ou montré. 

Stéréotype n° 4 : le piccaninny : Ce stéréotype est « une version enfantine du coon qui se laisse souvent emporter par son imagination et par son amusant enthousiasme débordant ». 

Stéréotype n°5 : Le mulâtre ou la mulâtresse tragique : « Particulièrement courant comme sujet de film : (il s’agit d’) une personne (le plus souvent de sexe féminin) sexuellement déchirée entre le monde des Noirs et celui des Blancs ; sa nature sensuelle faisant d’elle un objet acceptable du désir blanc tandis que son héritage noir la condamne à un destin tragique ». Remarque : ce rôle est souvent tenue par une femme métisse, ou une blanche ayant un(e) aïeul(e) noir(e).

 

Images noires 2 mammys

Sixième stéréotype : la mammy : Il s’agit d’ « une sorte d’oncle Tom au féminin, dotée d’un corps vaste, ingrat et asexué et d’une loyauté sans faille vis-à-vis de la maisonnée blanche pour laquelle elle travaille ».

Septième stéréotype : le buck : C’est « un mauvais nègre, fort, violent et à l’esprit rebelle, qui fonctionne le plus souvent comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire ».

Bien évidemment, comme le fait remarquer Fredrik Strömberg, ces stéréotypes entretiennent avec eux certains personnages de bande dessinée que le lecteur peu aisément retrouver dans ses souvenirs. C’est ce lien étroit entre images filmiques et images dessinées qui permet à tout le monde – Blancs et Noirs, citadins ou gens de la campagne – de reconnaître ces stéréotypes. De toute évidence certaines ont été inventées par les Américains. Une mondialisation de l’image du Noir essentiellement fabriquée par la culture américaine donc. Et quand on ajoute à cela, les stéréotypes que Georges Sadoul (1904 – 1967) pense être propagés par la France, nous avons une image singulière du Noir dans la culture européenne. Le texte de George Sadoul a déjà été publié sur notre site sous le titre « L’image du Noir dans l’instruction des Français au XXe siècle ».

 

Images noires la civilisation

Georges Sadoul :« Voici la conception du Nègre que [les] journaux veulent imposer aux enfants. Cette conception est celle que la bourgeoisie française a du Nègre »

“A l’état sauvage, c’est-à-dire avant d’être colonisé, le Nègre est un dangereux bandit. […] Le Nègre une fois pacifié a bien ses défauts. C’est un ivrogne fini. […] Le Nègre est aussi un serviteur effroyablement paresseux. Il faut le gourmander pour en obtenir quelque chose. 

Mais il a ses qualités : le Nègre est un bouffon destiné à amuser les Blancs. C’est le fou des rois français. Et c’est sans doute parce que le Nègre est un bouffon que les seuls d’entre eux qui soient réellement toujours admis dans tous les salons français sont les grooms et les musiciens de jazz destinés à faire danser les élégants messieurs et dames. [Vous pouvez donc comprendre pourquoi les clowneries de Joséphine Baker n’ont jamais séduit les Noirs].

Le Nègre a d’autres qualités. On peut en faire un soldat. […] On voit en lisant ces journaux d’enfants destinés à faire de leurs lecteurs de parfaits impérialistes quelle est l’idée que la bourgeoisie française entend imposer de l’homme de couleur. [...] ». 

Présentation : Raphaël ADJOBI

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25 mars 2023

Les tirailleurs de Thiaroye vus par Julien Fargettas, un historien gardien du temple (Raphaël ADJOBI)

Les tirailleurs de Thiaroye vus par Julien Fargettas, un historien gardien du temple

(par Raphaël ADJOBI)

Des soldats noirs face au Reich

          Dans l’ouvrage collectif publié en 2015 sous la direction de Johann Chapoutot et Jean Vigreux intitulé Des soldats noirs face au Reich, les massacres racistes de 1940, Julien Fragettas revient brièvement dans sa contribution sur les massacres des tirailleurs africains au camp de Thiaroye au Sénégal en décembre 1944. Il y accuse le réalisateur sénégalais Sembène Ousmane, qui a produit une reconstitution de la tragédie dans un film, d’un « parti pris certain » parce que – selon lui – il présente des « images en contradiction flagrante avec les éléments d’archives ». Cependant, en lisant son article qui se veut pourtant celui d’un historien, on ne peut s’empêcher de porter à son égard la même accusation pour son aveuglante fidélité aux archives qu’il savait falsifiées. 

          Julien Fargettas commence par situer le contexte de la tragédie en ces termes : « A la fin du mois de novembre 1944, le camp accueille un peu plus de 10 000 tirailleurs récemment libérés des camps de prisonniers allemands. Le détachement est difficile à commander et le processus de démobilisation se fait dans une situation de pénurie matérielle complète autant que d’imbroglio administratif ». Cette présentation est-elle celle des archives de l’armée ? Est-elle celle de la réalité ? Dans quel document administratif a-t-il lu que « le détachement était difficile à commander », que « le processus de démobilisation s’est fait dans une situation de pénurie matérielle complète », et enfin que le processus de démobilisation s’est fait dans un « imbroglio administratif » ? Nulle part ! Ce sont là des interprétations personnelles propres à un romancier mais indignes d’un historien ayant le devoir de s’attacher aux faits. De quel matériel des soldats démobilisés réunis dans l’attente de rentrer dans leurs familles avaient-ils besoin dans ce camp ? De quel imbroglio administratif pouvaient-ils se plaindre ? Le nombre de 10 000 tirailleurs a été choisi ou inventé exprès pour que le lecteur imagine la charge pesant sur le commandement blanc. En réalité, « De nombreux rapports mentionnent que, le 28 novembre 1944 [donc 4 jours avant le drame], cinq cents [500!] ex-prisonniers de guerre refusaient de partir pour Bamako » (Armelle Mabon, Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée, La Découverte, 2010, 2019). Voilà les choses plus précises et plus claires. 

          De toute évidence, à la manière d’un romancier et non d’un historien, ce chiffre et les trois arguments explicatifs inventés [relisez-les si nécessaire] ne sont qu’un prétexte pour que le lecteur accepte avec beaucoup de bienveillance l’origine du drame ainsi présentée. Une fois donc le contexte fictif créé, Julien Fargettas poursuit : « Révoltés par cette situation, les tirailleurs interpellent violemment un officier, qui voit dans ce mouvement revendicatif une mutinerie ». Avez-vous noté ? Il y a d’un côté la multitude (les tirailleurs) faisant preuve de violence (violemment) ; et de l’autre un seul homme blanc (un officier) ! Cette inégalité du nombre en présence ne justifie-t-elle pas l’usage de la force des armes, surtout lorsque Julien Fargettas prête à l’officier un sentiment de peur ? En effet, « [celui-ci] voit […] une mutinerie » ! Après avoir ainsi préparé le lecteur à la réaction de l’officier face à cette violente interpellation prise pour une mutinerie, il ajoute logiquement et simplement : « le commandement militaire décide de mater ce mouvement. La répression s’opère au matin du 1er décembre 1944 et son bilan est tragique : 35 morts parmi les mutins ». Là encore, retenez le chiffre avancé ; nous y reviendrons. Mais soulignons que le fait que Julien Fargettas n’ait pas remarqué dans sa propre formule la préméditation du crime – « le commandement décide de mater ce mouvement » – le disqualifie totalement dans sa démarche qu’il voudrait celle d’un historien !

          Le récit de Julien Fargettas est terminé. Nulle part il n’est fait mention de la revendication des pensions non payées ayant provoqué dans le cœur des tirailleurs un sentiment de grande injustice après le sacrifice accompli pour « la mère patrie ». Bien sûr, il n’a pas trouvé cette information dans les archives ; et ceci explique cela. La préciser parce que les tirailleurs l’assurent lui a semblé peu digne d’intérêt. Il passe alors en toute logique rapidement à la conclusion ou à la situation finale de son récit pour dire ce que sont devenus les protagonistes ou du moins ce que ressentent leurs descendants : « La révolte est étouffée mais, si en France l’événement a très peu d’écho, il demeure à vif dans les mémoires africaines et devient le symbole d’une ingratitude. […] La tragédie demeure aujourd’hui encore au cœur d’un conflit mémoriel et certains n’hésitent pas à remettre en cause le bilan de la répression ou bien encore à accuser les autorités françaises de cacher certains documents relatifs à l’événement ». Plutôt que de chercher les éléments qui expliqueraient le sentiment d’ingratitude éprouvé par les Africains – comme il l’a fait au début de son récit pour le commandement blanc éclairant son acte – il prend le parti de leur reprocher de « ne pas hésiter à remettre en cause le bilan de la répression », de « ne pas hésiter à accuser les autorités françaises » ! Il aurait voulu voir les Africains adopter un autre comportement. Julien Fargettas n’est même plus un romancier, mais un juge. Un juge partial ! 

          Intéressons-nous maintenant aux 35 morts annoncés. Nous constatons que notre auteur s’en tient strictement au nombre de morts indiqués par les archives françaises. Il ne précise pas, comme d’autres historiens, que dans cette affaire le nombre de morts reste une zone d’ombre. Justement, Armelle Mabo relève qu’un tract du consul général britannique de l’époque adressé aux autorités américaines à Dakar parle du triste assassinat de 115 « de vos camarades » (Prisonniers de guerre indigènes, La Découverte 2010, 2019). Dans la seconde édition de son livre, en 2019, elle mentionne ces propos du président François Hollande lors de son discours du 30 novembre 2014 : « Trente cinq tirailleurs trouvèrent la mort, d’après les rapports officiels de l’époque. Si l’on ajoute les victimes décédées de leurs blessures immédiatement après les faits, ils furent sans doute plus de soixante-dix ». Du simple au double donc ! Même si le livre collectif était déjà entre les mains de l’éditeur pour ne pas lui permettre de tenir compte du nouveau chiffre paraissant officiel, Julien Fargettas avait tout de même lu la première édition du livre d’Armelle Mabon et il savait très bien que celle-ci a montré sur près de 4 pages toutes les falsifications opérées par les autorités françaises sur les documents d’archives pour parvenir au nombre de 35 morts. Elle y montrait aussi que dans les actes de décès des dossiers consultés, il manque 300 hommes. Elle faisait donc voir que le chiffre de 380 morts annoncés par Sembène Ousmane est proche de la vérité. Au regard des falsifications, elle a titré ce chapitre de son livre « Thiaroye : un mensonge d’État ».

          Mais pour bien se rendre compte que c’est volontairement que Julien Fargettas a tenu à ne jamais remettre en question les chiffres et les rapports officiels – même quand les falsifications crèvent les yeux – et comprendre en même temps pourquoi il a montré un parti pris flagrant pour l’État français contre les tirailleurs, il faut lire ce que Raffael Scheck a écrit dans le même ouvrage collectif sur la conclusion des archives françaises concernant la tragédie de Thiaroye : « Quand un groupement de tirailleurs sénégalais, presque tous des anciens prisonniers de guerre, se révolta à Thiaroye le 1er décembre 1944, l’enquête française arriva à la conclusion que les Allemands avaient expressément gâtés les Sénégalais dans le cadre d’un plan pour déstabiliser l’empire français » ! La préméditation du crime n’est-elle pas suffisamment claire, au regard des archives elles-mêmes ? Et Raffael Scheck renvoyait le lecteur au travail d’enquête d’Armelle Mabon qui parle bien de massacre à Thiaroye. Il n’y a aucun doute : soucieux de l’inviolabilité du temple français, dont il s’est déclaré l’intrépide gardien, Julien Fargettas avait volontairement sauté ces pages des archives et du livre de cette chercheuse afin de rester fidèle à ses convictions. Certains historiens nous étonneront toujours par leur patriotisme qui les autorisent à se donner beaucoup de libertés avec la réalité ou la vérité quand la France bataille sur des horizons lointains ! Encore un mot : Julien Fargettas ne va pas nous dire qu’il ignore qu’en ce XXIe siècle, lors des manifestations autorisées, l’État ne donne jamais un chiffre proche de celui des syndicats et que ceux-ci n’hésitent pas à le contester.

Raphaël ADJOBI

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