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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
29 décembre 2006

Cette main tendue qui fait de l'ombre

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             Cette main tendue qui fait de l’ombre

 

 

            N’est-elle pas surprenante cette confiance aveugle que les états continuent à placer dans les organisations internationales qui interviennent ça et là soit pour être juges dans les conflits nationaux ou pour proposer des solutions toutes faites aux belligérants ? Les expériences vécues dans d’autres contrées du monde par d’autres peuples ne nous sont-elles d’aucun secours ? Faut-il continuer à tâtonner dans le dédale des conflits intérieurs sans jamais tirer profit de l’histoire des nations ?

 

            Quatre ans déjà ! Quatre ans que la Côte d’Ivoire vit avec un seul poumon. Quatre ans qu’une zone de confiance ceint ce pays en deux : alors que sa partie Nord est presque complètement vidée de sa population, les villes du sud sont gonflées par un surcroît d’habitants plongeant les uns et les autres dans le dénuement presque total. Certes, malgré les contrôles fastidieux, les déplacements entre le Nord et le Sud se font de mieux en mieux même si personne n’envisage de façon définitive une reprise de sa vie dans le Nord où - aux dires de certains voyageurs - l’administration burkinabé occupe quelques bâtiments et aide les rebelles à gérer les villes avec les conséquences qui pourraient en découler à long terme.

 

            Si aujourd’hui les Ivoiriens sont nombreux à croire avec leur Président que la ligne de démarcation entre la zone trop pleine et la zone désespérément vide est caduque au vu des mouvements de population, le commun des hommes à travers le monde qui a suivi les débuts du conflit ivoirien ne sait absolument rien de ce qui se passe dans le Nord de ce pays pour se permettre de donner un avis sur le bien fondé de la réunification sans traité onusien préalable que demande le Président Gbagbo.

 

            Mais doit-on attendre absolument que l’Onu trouve la résolution miraculeuse qui feraitt des ennemis d’hier des amants pour décider de la paix et du rétablissement de l’administration sur l’ensemble du territoire avant tout autre chose ? Car comment voulez-vous recenser les électeurs si une grande partie de la population est loin de chez elle. Autant dire que les cartes d’identité et celles d’électeurs exigées par certains doivent être distribuées dans des pochettes surprises. Seule une administration nationale gérée par tous les partis peut s’atteler à une telle tâche.

 

            Une erreur a déjà été commise lorsque le processus de paix était entièrement entre les mains des énarques et grands diplomates parisiens : celle de ne pas avoir fait coïncider la réunification du pays avec la formation à Paris du premier gouvernement dit d’union. Il est temps donc que chacun regarde la leçon de l’histoire, avant de se fier aux multiples résolutions à venir. Il est temps de cesser la recherche de l’image de la paix dans les résolutions internationales dont les effets n’ont jamais eu de conséquence pacifique dans la cohabitation des peuples à l’intérieur des frontières.

 

Trois cas d’incompétence et de faux espoirs

 

            Que nous enseigne l’Histoire ? Il est à noter que du Liban au Kosovo, en passant par Chypre, les forces internationales et les résolutions qu’elles étaient chargées de faire respecter n’ont jamais résolu les problèmes des nations. Pire, elles semblent les avoir condamnées à les entretenir.

 

Le Liban : En 1970, suite aux événements de septembre noir en Jordanie, les milices palestiniennes se replient au Liban avec le feu vert de la Syrie. La coexistence difficile avec les Libanais va peu à peu se transformer en guère civile en 1975. En 1976, l’opposition chrétienne avalise l’intervention syrienne pour protéger la population chrétienne. En 1978, Israël envahit à son tour le sud du Liban après des attaques palestiniennes sur son territoire. Le 13 juin 1978, suite à une résolution des Nations unies datant de mars de la même année, la casques bleus (FINUL) s’installent au Liban.

 

            Cela fera donc bientôt trente ans que l’ONU et un corps de l’armée française sont en mission dite de paix au Liban. Bientôt trente ans que le contribuable français entretient son armée basée dans ce pays sans y apporter la paix entre Libanais et Palestiniens d’une part, et entre Libanais de différentes confessions d’autre part. Trente ans d’échecs de la diplomatie internationale. Aujourd’hui, plus de 3 millions de libanais vivent à l’étranger.

 

Chypre : Quant à l’Île de Chypre, c’est elle qui porte de manière plus significative l’inefficacité des résolutions internationales comme une balafre d’un extrême à l’autre du visage.

 

            Cette île est devenue une République indépendante dotée d’une constitution le 16 août 1960. En novembre 1963, l’archevêque président Makarios propose des amendements à la Constitution afin de réduire le poids des Chypriotes turcs qui, ne représentant que 18 % de la population, détiennent 30 % des places de la fonction publique et 40 % des forces de Police et de l’armée. La Turquie fait alors entendre sa voix au nom de la communauté chypriote turque en rejetant ces amendements et en demandant la partition de l’île. Commencent alors des affrontements violents entre les deux communautés, turque et grecque, qui provoquent des troubles sanglants et emmènent l’Onu à envoyer sur l’île une force de pacification en 1964 (UNFICYP.

 

            Malgré la présence des forces internationales, devant l’activisme des partisans du dictateur grec qui voulaient rattacher l’île à la Grèce, la Turquie occupe le 20 juillet 1974 le Nord de l’île qui devient, de facto, un Etat séparé appelé depuis 1983 République turque de Chypre du Nord.

           

            Disons donc que depuis 1974, 1400 casques bleus de l’Onu surveillent la ligne verte entre les deux secteurs. A cet effectif, il faut ajouter 4000 soldats et officiers accompagnés de 6000 civils britanniques qui depuis plus de trente ans y demeurent aux frais du contribuable sans trouver de solution à une hypothétique réunification de l’île ou tout simplement à une coexistence pacifique des deux communautés.

 

Le Kosovo : Le troisième exemple de conflit que les organisations internationales se proposaient de solutionner et dont l’échec fut fort retentissant est le Kosovo. Il suffit de l’évoquer pour que la terre entière se mette à rire de la vanité et de l’impuissance de l’Onu.

 

            Le Kosovo est une province serbe essentiellement montagneuse d’environ 2 millions d’habitants dont 90% sont des Albanais qui aspirent à l’indépendance et à peine 6% de Serbes qui, pour leur part, espèrent conserver l’appartenance du Kosovo à la République de Serbie, comme cela est affirmé dans la Constitution yougoslave de 1974 et proclamé par la Constitution serbe de septembre 1990.

 

            Inutile de s’attarder ici sur le massacre des Albanais perpétré par le dirigeant serbe Slobodan Milosevic. Suite à ces massacres et à la dispersion des Albanais, en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin 1999, le Kosovo est placé sous l’administration de l’Onu (MINUK, UNMIK en anglais). Une force de l’OTAN (la KFOR) de 17 000 hommes aujourd’hui, assure sa protection.

 

            Le Kosovo fut donc un état clé en main confié à l’Onu en 1999 avec un « Président » en la personne du français Bernard Kouchner.  Cette organisation avait enfin l’opportunité de démontrer à la face du monde aussi bien l’efficacité de ses nombreuses résolutions que celle de ses belles leçons de politiques et d’économies que les grandes puissances qui la manipulent dispensent avec beaucoup d’arrogance aux pays pauvres. Sept ans après, la Montagne a accouché d’une souris. Bernard Kouchner est parti en apprenant à ses dépens qu’on ne remplit pas des gamelles vides avec des tiroirs vides. Aujourd’hui, les troupes internationales sont perçues comme une force d’occupation par les Albanais et les Serbes. Et le contribuable français, anglais et autre continuent à payer pour entretenir leurs soldats qui n’apportent toujours pas la paix, la démocratie et la bonne gouvernance là où ils se trouvent.

 

            Voilà donc trois exemples de pacification qui s’éternisent et qui me font croire que l’espoir de la Côte d’Ivoire ne doit nullement être placé dans la diplomatie des grandes puissances via l’Onu. Ces exemples doivent susciter la réflexion quant à la manière de sortir de l’impasse matérialisée par la ligne de confiance qui rappelle étrangement la ligne verte chypriote. Ces espoirs déçus doivent permettre à chacun de considérer la main tendue du Président Gbagbo par-dessus la ligne de confiance et ses occupants comme une opportunité pour les Ivoiriens de prendre leur destin en main.

 

            Il appartient à tous les hommes politiques de ce pays de montrer leur volonté à privilégier l’intérêt national avant tout autre. Qu’ils démontrent à leur peuple qu’il y a des sujets de discorde qui peuvent et doivent attendre quand leur Nation court le danger de disparaître à jamais. Qu’ils ne perdent pas de vue que les grandes puissances ont les moyens de maintenir pendant un siècle, et au-delà si nécessaire, leurs soldats sur leur territoire.  Qu’ils n’oublient pas que la pérennisation de cette zone de confiances avec ses soldats étrangers, constituera à coup sûr pour le peuple ivoirien un traumatisme dont les conséquences seront difficilement quantifiables.

 

            Quelle belle occasion pour les hommes politiques ivoiriens de faire preuve d’une grande maturité politique en saisissant cette main tendue et devenant par voie de conséquence les acteurs principaux de la sortie de l’impasse de leur pays ! A moins que les fantômes qui s’agitent à l’ombre de cette main leur fassent peur au point de préférer demeurer à jamais ces africains que l’ancien colonisateur dit arrogamment connaître trop bien avec tous les sous-entendus que cela suppose.

 

            Raphaël ADJOBI

      

        Ecrit le 27 décembre 2006               

 

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28 décembre 2006

Cette Côte d'Ivoire que l'on veut ignorer

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Cette Côte d`Ivoire que l`on veut ignorer

Apparemment, il a suffi que M. Mbeki regarde la situation de la Côte d’Ivoire avec les yeux d’un président dirigeant un pays africain économiquement et politiquement indépendant pour que les chefs d’Etat francophones se mettent à réfléchir au sens de ce que la France exige de Laurent Gbabgo et à la valeur de la résistance loyaliste.

C’est dire que trop habitués à appliquer les volontés de la France, les gouvernants africains avaient fini par perdre le sens de l’orgueil. Trop habitués aux solutions toutes faites fournies par Paris, depuis 2002, Laurent Gbagbo leur apparaissait comme le cancre de la paisible classe, le mauvais élève que la France indiquait du doigt et qui pouvait être la risée de tous. Quand ils se retrouvaient dans le giron de la France pour des assemblées françafricaines, la seule absence du Président ivoirien semblait leur conférer gloire et considération aux yeux des officiels français. Quelle plénitude ! se disaient-ils. Jamais ils n’ont senti la France si proche d’eux, si amie, et eux-mêmes si français.

                  Mais cette danse macabre n’ébranle pas la détermination et les louvoiements de Laurent Gbagbo. Le renverser, le mettre en quartiers ? Paris l’aurait fait bien volontiers. Mais il fallait pour cela livrer bataille et ce diable de Gbagbo semblait bien défendu par le corps d’un peuple qui refuse que perdure la loi coloniale.

                  Et puis est arrivé Mbeki et le doute s’est installé dans les esprits. Comment en effet, se disent-ils soudain, ne pas reconnaître que Laurent Gbagbo est le seul Président africain à avoir obtenu publiquement et massivement le soutien d’une partie de la population de son pays contre les actions de la France d’une part, et celles des rebelles nordistes d’autre part ? D’abord, les Ivoiriens ont montré leur refus de Marcoussis qui visait à modifier leur constitution sans qu’ils aient leur mot à dire. Ensuite, les Ivoiriens ont empêché l’armée française de profiter du chaos qui s’était installé dans le pays en novembre 2004 pour renverser Laurent Gbagbo. Oui, sur ce dernier chapitre, la France nie avoir eu cette intention. Mais on peut aisément croire que sans ce mouvement de foule, Paris aurait accompli sa besogne habituelle sans vergogne.

                  Trop attentifs aux insolences des rebelles et aux idées de ceux dont ils sont le bras armé, Paris et les chefs d’Etat africains francophones n’entendaient guère le cri du cœur des autres Ivoiriens. Et pourtant des écrits apparaissaient ça et là pour dire publiquement que le nerf de la guerre est purement économique doublé d’une forte revendication sentimentale. C’est vous dire que je partage pleinement deux brèves analyses du problème ivoirien publiées par deux revues françaises.

                 D’abord l’analyse de Jean-François Bayart, parue dans le Nouvel Observateur n° 2093 du 16 au 23 décembre 2004 ( p.102 – 103 ), qui montre que les convulsions que connaît la Côte d’Ivoire témoignent de la soif d’une « seconde indépendance » . L’auteur de cet article fait des rappels historiques afin de mieux montrer les erreurs de la France dans la gestion des relations franco-ivoiriennes hier et aujourd’hui. Il reconnaît dans le cœur des Ivoiriens l’existence d’une véritable revendication nationaliste qui est celle d’une « nouvelle indépendance » rompant avec la « révolution passive » d’Houphouët qui a gouverné la Côte d’Ivoire avec les ministres français et africains francophones. Pour ma part, j’ajouterai tout simplement que quiconque ignore ou néglige ce sentiment, que des générations d’étudiants ont nourri en leur sein, se trompe sur la nature profonde des attentes des Ivoiriens.

                 Je retiens ensuite l’article « La Françafrique résiste » publié dans le magazine économique Challenges (n° 237 du 16 décembre 2004 au 5 janvier 2005, p. 29 ). Selon l’auteur de l’article, malgré la guerre et la misère, les affaires continuent en Côte d’Ivoire. Et « bien qu’en déclin, la Côte d’Ivoire reste la locomotive de l’Afrique de l’Ouest, où un groupe comme Bolloré réalise près du tiers de son chiffre d’affaires. » Oui, vous avez bien lu. Sans la seule Côte d’Ivoire, le groupe Bolloré se réduirait à peu de chose. Et il ajoute que « six des dix premiers groupes opérant en Côte d’Ivoire sont partiellement ou totalement à capitaux français et contrôlent des pans entiers de l’économie » du pays. Non, là encore vous ne rêvez pas ! Et l’auteur de l’article reconnaît, contrairement au discours officiel du gouvernement français, que parmi les revendications des jeunes patriotes il y a « la décolonisation économique » du pays.

                  La sagesse française voudrait que l’on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier. Cependant, les gouvernants français refusent à la Côte d’Ivoire le droit d’appliquer cette sagesse en diversifiant la nationalité des investisseurs sur son sol. Et demain, ce sera la France qui bombera fièrement le torse pour dire que sans elle la Côte d’Ivoire n’est rien ; qu’il lui suffit de retirer ses capitaux pour que ce pays s’écroule. Quel beau chantage en perspective ! Aussi, me semble-t-il légitime que cette forme de coopération inquiète les Ivoiriens au point de les pousser à souhaiter la diversification des sources des capitaux étrangers. Certes, il serait malhonnête de remettre radicalement en cause les contrats en cours. Mais il est également injuste de leur refuser de boire à d’autres sources que françaises.

                  Mais pour l’heure, ce ne sont point ces dernières considérations économiques qui retiennent l’attention des médiateurs africains et onusiens. Malgré une animosité tempérée par les actions du Président Mbeki, les chefs d’Etats africains médiateurs ne peuvent se permettre de donner raison à Ggagbo en demandant le désarmement des rebelles et créer ainsi les conditions nécessaires à de futures élections. Ils ne peuvent pas non plus s’attirer les foudres de Paris qui n’entend pas voir son autorité exprimée dans Marcoussis remise en question par un référendum démocratique qu’il n’a pas prévu. Ils ont certainement en mémoire la réaction épidermique du Président français après le bombardement du cantonnement militaire de son armée à Bouaké. Ils savent bien que le fait que la France crie à qui veut l’entendre qu’elle est l’amie des pays africains, cela ne l’empêche pas de faire l’économie de la réflexion avant de frapper. Et pourtant, ils savent qu’aujourd’hui la solution du problème ivoirien est là !

                  Et Puis Paris lui-même n’est-il pas dans l’embarras ? Laurent Gbagbo a montré qu’il n’a nullement l’intention de remettre en question les contrats des sociétés françaises. Il semble même leur avoir fait de nouvelles concessions. Je pense notamment à l’attribution de la gestion du port d’Abidjan. Alors, après avoir conféré autant de pouvoirs aux rebelles et à leurs commanditaires, comment sortir de ce bourbier sans perdre la face si ce n’est déjà fait ? Personne en Côte d’Ivoire ou en Afrique ne croit la France en mesure de jouer un rôle neutre dans ce conflit. Mais personne n’ose lui désobéir. La Côte d’Ivoire risque donc de se retrouver dans la situation de l’île de Chypre. Après avoir séparé les belligérants en s’interposant militairement, la communauté internationale n’a jamais trouvé une solution politique au conflit chypriote. Conséquence : la situation a perduré pour donner aujourd’hui deux chypre pour une même île. Si Paris, l’Onu et l’UA ne peuvent pas satisfaire les revendications des nationalistes ivoiriens, ils ne peuvent pas non plus ignorer que ceux-ci constituent une véritable force autour du président Gbagbo qu’ils refusent de voir sacrifié pour faire plaisir aux amis de la France. Après avoir commis l’erreur d’exiger la formation d’un gouvernement de réconciliation nationale sans réunification, la France ne doit pas se permettre de repousser, sous d’autres prétextes, le désarmement et le retour de l’administration sur tout le territoire et créer ainsi les conditions favorables aux élections qu’elle dit appeler de tous ses vœux.

Auteur : Raphaël ADJOBI

Texte publié en février 2005 par le journal La Croix.

 

25 décembre 2006

« Indigènes », la France n’est pas cartésienne

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           Dans l’esprit de nombreux intellectuels et hommes politiques français, la France est drapée dans le magnifique manteau de la pensée de Descartes. On se plaît à affirmer avec beaucoup d’orgueil que l’esprit français est rationnel, cartésien.

Et c’est la même fierté qui enfle le cœur du français lorsqu’il affirme à haute et intelligible voix qu’il vit dans un pays de liberté, d’égalité et de fraternité, oubliant totalement que ces trois notions ne sont point une réalité concrète mais plutôt un idéal à atteindre. Oui, c’est se tromper par excès d’orgueil que d’affirmer avec les hommes politiques et les journalistes prétentieux que règnent en terre de France la liberté, l’égalité devant la loi et la fraternité entre les citoyens. Nul ne doit douter qu’au moment du choix de cette devise, ce ne soit point l’idée qui animait ses initiateurs. Plus humblement, les pères de cette devise fixaient au peuple français un idéal vers lequel ils voudraient qu’il tende en toute circonstance ; un idéal qui se voulait le moteur des actions.

Il est donc temps que le Français quitte cet air prétentieux qui le porte sans cesse à affirmer ce qu’il n’est point. Il faut se garder d’être ridicule à force de s’envoyer des fleurs ou de se tresser des lauriers. Être français ne signifie point que l’on est meilleur ou pire que les autres ; et surtout il ne faut point croire qu’être français signifie que l’on est rationnel dan sa manière de concevoir l’égalité ou la justice sociale. Être français ne signifie en aucune façon que l’on est cartésien du simple fait que Descartes est français.

Il me suffit, pour illustrer ma pensée, de rappeler ici les conséquences  de la sortie du film « Indigènes ». Quel homme politique, quel journaliste français, quel citoyen français ignorait – avant la sortie de ce film – que les Africains ont été nombreux à venir se battre pendant la deuxième guerre mondiale pour la libération de la France ? Quel homme politique, quel journaliste, quel citoyen français ignorait – avant la sortie de ce film – que ces Africains, une fois la guerre terminée se sont retrouvés avec des soldes dérisoires alors que les anciens combattants français étaient gracieusement récompensés ? Quel homme politique, quel journaliste n’a jamais entendu le cri de détresse des anciens combattants africains demandant justice par le versement d’une solde égale à cellle des anciens combattants français.

Face à leurs cris, face à leur douleur, face à leur misère, le prétendu esprit rationnel français est toujours resté aveugle et sourd. C’était à croire que si la raison n’a point de cœur, elle n’avait point d’yeux ni d’oreille non plus.

Puis sortit le film « Indigènes ». Lors de sa première projection, l’épouse du président de la République aurait été émue aux larmes et aurait dit à son illustre mari : « Jacques, il faut faire quelque chose ». Sitôt dit, sitôt fait. Les élus du peuple proclamèrent en grande pompe l’avènement de l’égalité des soldes entre tous les anciens combattants de la dernière guerre qui ont défendu la France sous sa bannière. Voilà enfin les anciens combattants africains Libres et Egaux avec les anciens combattants français.

Il me plaît de souligner ici combien il est regrettable que la raison soit incapable de reconnaître l’injustice là où le cœur la sent profondément. Il a suffi qu’une reine émue demande à son prince de satisfaire un de ses désirs pour que le sort de milliers d’anciens combattants privés de l’égalité devant la loi ait changé.

Sincèrement, il me semble que l’effet produit par la sortie de ce film peut être vu tout simplement comme la volonté de satisfaire le caprice d’une princesse que comme la juste et rationnelle réparation d’une injustice longtemps consciemment ignorée.

 

Raphaël ADJOBI

 

(Jeudi 26 octobre 2006)

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