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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
13 janvier 2007

Le chevalier de Saint-George, noir et célèbre sous Louis XVI

Chevalier_de_St_Georges

               Le chevalier de Saint-George

 

     Le noir oublié de l’histoire de France

 

 

En parcourant le journal français Le Nouvel Observateur, je suis tombé sur un article d’une demi-page intitulé « Le chevalier de Saint-George, un africain à la cour ». Je m’attendais à lire l’histoire d’un noir de peu d’importance qui ne pouvait retenir l’attention que par le pittoresque que sa présence à la cour de Louis XVI pouvait représenter. Bientôt surpris par le ton élogieux de l’article et des propos des contemporains de ce métis qui aurait connu la célébrité internationale au XVIII è siècle, je résolus de pousser plus loin mes investigations.

 

            Je tapai tout simplement « Le chevalier de Saint Georges » sur le moteur de recherches « Google » et une mine d’informations s’étala devant moi me faisant comprendre en quelques lignes que l’homme mérite assurément d’être connu des Français au même titre que ses illustres contemporains Jean-Philippe Rameau, Choderlos de Laclos, Beaumarchais, Voltaire,  et bien d’autres encore.

 

            Mais diable ! me disais-je, comment « … l’homme le plus accompli d’Europe pour l’équitation, la course, le tir, l’escrime, la danse et la musique » (John Adams, futur Président des Etats-Unis) est-il aujourd’hui inconnu des Français alors que le Chevalier d’Eon qui jouait les travestis a pris place dans la mémoire de ses compatriotes ? Comment ce métis français qui devint à 23 ans premier violon puis à 28 ans chef d’orchestre de la très prestigieuse société du « Concert des Amateurs », comment celui qui fut le préféré de Louis XVI pour diriger l’orchestre de l’opéra de Paris (L’Académie Royale de musique) – poste qu’il n’obtint finalement pas pour ne pas mécontenter certaines dames de la cour - passa-t-il inaperçu pendant tant de temps et reste aujourd’hui encore inconnu dans l’histoire de la France ?

 

            A ce moment précis me vint à l’esprit cette belle phrase qui orne la page d’accueil du blog d’un internaute :

 

            « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur. »                  

 

 

            Certes, certains diront que Le Chevalier de Saint Georges n’était que le meilleur fleurettiste européen unanimement reconnu par ses adversaires y compris ceux qui disent avoir eu le dessus un jour. Antoine la Boëssière, son ami d’enfance et fils de son maître d’armes – Nicolas Texier de la Boëssière – le considère comme « l’homme le plus prodigieux qu’on ait vu dans les armes ». Henry Angelo, Maître d’armes italien installé à Londres parla de lui avec enthousiasme le considérant comme « le Dieu des Armes ».

 

Mais l’homme était surtout un musicien, un virtuose du violon qui excellait également dans la composition musicale. C’est avec ses qualités de violoniste, compositeur et chef d’orchestre qu’il joua un rôle remarqué dans la vie musicale de Paris. Deux ans après avoir pris la direction du « Concert des Amateurs », grâce à ses nombreux concertos pour violon et ses symphonies concertantes, « l’Almanach Musical » qualifia l’ensemble qu’il dirigeait de « meilleur orchestre symphonique à Paris, voire d’Europe ». Aujourd’hui, ça et là, on exhibe des preuves historiques pour affirmer que celui que l’on appelle dans le milieu musical le « Mozart noir » a inspiré le musicien autrichien qui était son cadet.

 

            Devant tant de gloire qui pouvait passer à la postérité, un homme – le plus avide de gloire que la France ait porté - ne pouvait rester insensible : Napoléon 1er. Si le chevalier de Saint Georges – qui reconquit à 15 ans le titre de noblesse perdu de son père en devenant gendarme de la garde du roi - fut un Colonel exemplaire, ce n’était sûrement pas ses qualités de soldat qui pouvaient le faire passer à la postérité puisque ce sont elles qui lui attirèrent les ennuis et précipitèrent sa mort le 10 juin 1799.  Ses talents de musiciens, si.

 

            Aussi, Napoléon, après avoir rétabli l’esclavage aux Antilles le 20 mai 1802, fit brûler toutes les œuvres de Saint Georges le même jour comme pour l’ensevelir une seconde fois. Il interdit par la suite aux « noirs et gens de couleur » l’entrée à l’armée, l’accès au territoire métropolitain, et le mariage entre les noirs et les blancs (8 janvier 1803). Ainsi, la destruction de ses œuvres et les lois raciales qui l’accompagnèrent ont conduit à l’oubli total le nom de l’un des hommes les plus célèbres du XVIIIè siècle.

 

            Le retour en grâce auprès des romantiques du XIX n’a pas suffi pour faire du chevalier de Saint Georges l’un des hommes illustres de la France. Et le XXè siècle marqué par la fièvre de la colonisation n’a pas permis la mise en valeur du talent d’un homme dont la couleur évoquait ceux à qui l’on déniait quotidiennement des qualités de génie. Il ne fallait donc pas s’attendre à ce que les Français blancs ressuscitent la mémoire du chevalier de Saint-Georges. Sa résurrection ne pouvait venir que de ces compatriotes afro français et de quelques français blancs désireux de réparer une injustice qui frappe un homme qui a fait la gloire de la France.

 

            Aujourd’hui plus que jamais, il appartient aux afro français et aux noirs d’ailleurs de s’approprier l’histoire du chevalier de Saint Georges afin que sa renommée grandisse et rayonne dans les cœurs et dans les mémoires. Ils ne doivent pas attendre que d’autres leur disent ce qui est bon pour eux. Qu’ils choisissent d’élever au rang du « plus grand » celui qu’ils veulent, même si cette personnalité déplaît à d’autres. Qu’ils deviennent les historiens de leur propre Histoire !

 

            Ne voit-on pas chaque jour les communautés blanches multiplier les expositions, les projections de films, les activités théâtrales et musicales – et cela jusque dans les écoles - pour faire acte de mémoire ? Ne voit-on pas les communautés blanches baptiser les rues de leurs cités des noms de personnes qui furent parmi eux des riches négriers, des esclavagistes, et des apôtres de théories racistes ? Ne les voit-on pas occulter les traits négatifs d’un tel pour ne souligner que l’aspect de son visage qu’ils jugent digne d’être montré au monde entier ? Ne les voit-on pas élever des statuts à la mémoire de leurs ancêtres dont parfois le seul nom est une injure à la mémoire d’autres peuples ?

 

            Je dis donc que les noirs se doivent aussi de ressusciter et célébrer leur passé pour ne pas l’oublier. Ils ne doivent point attendre que les blancs se chargent de louer un passé qu’ils pensent ne pas être le leur pour en tirer gloire. Il est certain que si les autorités de la communauté blanche ne participent pas ardemment à la résurrection de la mémoire du chevalier de Saint-Georges, c’est pour ne pas jeter des fleurs à la communauté afro française et aux noirs en général. Puisque la République ne veut pas s’approprier la gloire du chevalier de Saint Georges, cette tâche revient aux afro français comme un devoir, et un devoir de mémoire.

 

Raphaël ADJOBI    

                                                      Ecrit les 9 et 10 janvier 2007      

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