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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
18 mars 2007

L'esclavage dans Beloved de Toni Morrison

                  De l’esclavage à la torture gratuite

 

                                                                                                                                                                                Raph_sans_c_cile

 

            Ce que les noirs ont vécu dans certaines contrées du nouveau monde où ils ont été transportés ne peut pas s’appeler de l’esclavage mais tout simplement de la torture gratuite. Les traitements dont ils ont été les victimes ne leur étaient pas infligés pour obtenir de meilleurs rendements dans les travaux qu’ils effectuaient. En d’autres termes, le sort qui les frappait n’était pas celui de l’exploitation gratuite par le travail qui est le propre même de l’esclavage. 

Forcer deux êtres à faire l’amour et surveiller la gestation de ce coït jusqu’à son terme pour s’approprier l’enfant et le vendre comme un bien quelconque dépasse toutes les pratiques esclavagistes communément admises. D’autre part, il faut avoir perdu le sens de l’humanité pour ligoter un homme et le jeter vivant dans les flammes et se faire prendre en photo le sourire aux lèvres à côté de ses propres enfants pendant que la pauvre victime crie à la mort. Est-ce encore de l’esclavage cela ? 

            Chose ahurissante : après avoir déplacé des millions de noirs dans le nouveau monde dans le but de les soumettre en esclavage pour en tirer un bénéfice financier, les blancs sont bientôt devenus allérgiques à leur présence sur cet immense territoire. On réffléchit alors dans de nombreux cercles à la manière de se débarrasser d’eux. On vide certaines villes de la population noire que l’on parque loin de la communauté blanche. Des organisations de quartier, des groupes d’amis, des associations anti-noirs organisent des mises à mort en toute impunité. On se fait photographier avec ses victimes fumant sur un bûcher sommaire. On organise des pendaisons de noirs pour bien terminer le dimanche ou pour fêter une bonne récolte. Organiser une chasse aux nègres et jouir du plaisir de voir ses chiens mordre à pleines dents la chair frétillante des malheureux est un plaisir que l’on s’ogffrait régulièrement dans les campagnes des Etats-Unis. Il est certain que ces agissements ne s’inscrivent pas dans ce que l’on appelle l’esclavage. C’est une invention des blancs pour se débarrasser de ces noirs dont ils ont tiré profit mais qui sont devenus trop encombrants parce qu’ils détonnent dans le beau paysage de leur nouvelle nation. Longtemps, on a fait circuler l’information selon laquelle le KU KUX Klan était la seule organisation blanche a pratiquer la mise à mort des noirs. Aujourd’hui, le monde entier peut découvrir à travers des cartes postales que - outre l’œuvre des 84 factions du KKK dispersés sur tout le territoire des Etats-Unis - ces lynchages étaient le fait de gropuscules sans nom, des gens désieurx de s’offrir une partie de plaisir.

            Je suis tout honteux de découvrir seulement en 2007 une telle vérité historique touchant les noirs. Cette découverte me permet de saluer l’avènement d’Internet qui est pour moi la plus grande bibliothèque du monde.      

            

Site à visiter pour voir en cartes postales les sévices infligés aux noirs, jusqu’en 1961, aux Etats-Unis : http://les.traitesnegrieres.free.fr/index2.html (cliquer sur « illustration )

 

 

Je présente ici une liste de quelques sévices infligés aux esclaves que j’ai relevés dans Beloved de Toni Morrison.

 

                  Beloved ou le vrai visage de l’esclavage

 

 

1. Être fouetté sans broncher par des gamins blancs de dix ans (page 193)

2. Être prisonnière d’une famille pour servir de divertissement sexuel (p.193-195). Jouir impunément de la puberté des négresses est l’un des grands plaisirs que s’offraient les maîtres blancs (p.353).

3. Les enfants étaient enlevés à leur mère et vendus vers 9 ou 10 ans. Cela revenait moins cher que d’acheter des esclaves adultes (195-196). Ainsi, rarement les enfants connaissaient leurs grands-parents.

4. Les maîtres blancs accouplaient de force les esclaves bien battis afin d’obtenir des enfants sains et robustes pour les travaux des champs ou pour la vente (p.315). Les fermiers faisaient de leurs « garçons » des reproducteurs, des « étalons » dont ils louaient les saillies à d’autres fermes (p.135-136 ; 198 ; 315)

5. Le viol des négresses était monnaie courante. Et souvent de ces unions violentes naissaient des enfants (p.198) auxquels certaines mères préféraient donner la mort.

6. Un métier très lucratif : chasseur d’esclaves. Les tentatives de fuite étaient très courantes.

8. Les esclaves étaient tenu d’avoir autant d’enfants que le désiraient leur maître (p. 291).

9. De temps à autres, une famille en difficulté financière vendait un esclave pour pouvoir continuer à faire tourner la maison (p.274).

10. Les esclaves qui avaient de nouveaux-nés donnaient leur lait aux bébés blancs. ; soit elles les allaitaient, soient elles livraient leur lait. Bien souvent les mamans esclaves manquaient de lait pour leur propre enfant.

11. Les jeunes mères ne bénéficiaient presque jamais de l’expérience de leurs aînées car souvent la jeune mère était loin de sa propre mère qu’elle finissait par ne jamais voir (p.224). Ainsi, la transmission des savoir-faire des noirs était impossible. 

12. Les lynchages étaient des amusements réguliers des blancs : 87 en 1874 dans le seul état du Kentucky ; soit plus de 7 lynchages par mois, environ 2 lynchages par semaine dans ce seul état. 

13. Régulièrement, on épurait les villes des noirs.

14. Les écoles des noirs étaient régulièrement brûlées avec les enfants à l’intérieurs (p.250-251 ; 345-350)

15. Souvent, pour punir un esclave, on plaçait un mors dans sa bouche de manière à l’empêcher de parler, de crier ou de communiquer avec quiconque (voir image ci-dessous / h)

 

Raphël ADJOBI 

 

Instruments de torture / http://les.traitesnegrieres.free.fr/index2.html / h : muselière avec mors.

Esclavage_torture

 

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1 mars 2007

Beloved de Toni Morrison

Beloved_de_Toni_Morisson

                         Beloved

 

                 l’histoire d’un amour déchirant

                                     ou

  Un documentaire sur les sévices de l’esclavage ?

                                                                  

            Nous avons tous découvert dans des manuels d’histoire des planches représentant des navires de négriers montrant les conditions de vie des esclaves à bord. Nous avons tous lu ça et là le nombre élevé d’esclaves morts jetés dans l’océan durant les traversées. Des scènes de noirs travaillant dans des champs sous le commandement de leurs maîtres blancs nous sont également familières. Enfin, nous avons tous vu des images de nègres fouettés et ruisselants de sang dans quelque manuel d’histoire. Eh bien ! avec Beloved, vous allez découvrir que l’esclavage ne se limitait pas seulement à l’achat et à la vente des noirs et à leur réduction en bétail travaillant durement dans des champs avec les aléas liés à ces états de fait. Ce livre se propose de vous tenir par la main et vous faire vivre chaque instant de l’âme d’une esclave. Ce récit est très loin de ceux écrits par les historiens européens qui inondent les bibliothèques et qui font autorité parce que synonyme de vérité. Ici c’est le regard de l’esclave porté sur sa propre âme qui vous fait parcourir les étapes douloureuses d’une vie qui ne dépend pas de lui.

 

            Jamais, en effet, l’univers des esclaves dans le nouveau monde n’a été peint avec autant de délicate crudité. Jamais les documents que vous avez pu lire sur l’esclavage ne vous ont peint avec justesse les sentiments des esclaves : comment ils vivaient leur sentiment amoureux, leur sexualité, l’éducation de leurs enfants, etc. Ce livre m’apparaît donc à la fois comme un documentaire sur les sévices de l’esclavage et un roman qui peint la voix de l’âme noire criant son humanité à l’adresse de son tortionnaire blanc. A travers l’histoire du fantôme d’une fillette à qui sa mère esclave a donné la mort pour lui éviter de tomber sous le joug de son maître, c’est toute l’histoire de l’inhumanité de l’esclavage que Toni Morrison nous met sous les yeux. Après la lecture de ce roman, jamais vous ne parlerez de la traite des noirs avec légèreté.                       

            Si la lecture à 16 ans de Pleure ô pays bien-aimé d’Alan Paton m’avait bouleversé en me découvrant le visage de la discrimination raciale en Afrique du sud, Beloved m’a fait connaître la réalité des sévices qui constituaient l’esclavage dans le nouveau monde. C’était absolument une pratique nouvelle qui n’avait rien à voir avec la forme traditionnelle de l’esclavage pratiquée jusque là en Afrique, en Europe, en Asie, et qui avait pour seule fin l’exploitation de l’autre, en d’autres termes la jouissance gratuite du fruit du travail de l’autre. C’est donc un visage inconnu ou ignoré de l’esclavage que ce livre nous découvre.            

Lors d’un entretien sur la chaîne de la radio française France Inter, le 10 novembre 2006, Toni Morrison a dit clairement, et avec raison, qu’il n’appartient pas aux anciens colonisateurs d’écrire l’histoire des anciens colonisés. L’ancien colonisateur s’est approprié ce droit, mais il appartient aux anciens colonisés de le lui arracher, et s’il le faut sous la forme de la rébellion ou de la désobéissance. Il faut, dit-elle, saboter les écrits du conquérant. Aussi, je me réjouis de l’engagement de ces noirs passionnés de l’histoire nègre tels que le Français d’origine antillaise Claude Ribbe, le Béninois Dieudonné Gammankou, et l’Américain Runoko Rashidi. C’est j’en suis sûr, grâce à des recherches comme les leurs que demain le vrai passé des noirs sera inscrit dans les manuels d’histoire et y occupera la place qui lui revient. 

                                                                                        Toni_Morrisson

            Que l’on ne perde pas de vue que toutes les recherches menées par les Européens ont toujours minimisé l’importance des découvertes qui soulignent la gloire passée des noirs. Intentionnellement, historiens et chercheurs européens ont entretenu dans l’esprit du monde que le passé des noirs commence avec leur mise en esclavage. Aucun manuel d’histoire n’enseigne la gloire puis la disparition des civilisations nègres en Afrique, en Asie et en Amérique des millénaires avant la mise en esclavage des noirs d’Afrique. Et pourtant, les vestiges de leur passée millénaire existent. Ainsi les têtes négroïdes d’immenses statues découvertes en Asie, n’ont jamais laissé supposer aux chercheurs et historiens européens que des noirs auraient pu avoir vécu sur cette partie du monde plusieurs milliers d’années avant les peuples actuels.

    

            Retenons donc que les recherches sur le passé du peuple noir ne font que commencer. La vérité de leur histoire ne viendra que des noirs eux-mêmes. Désormais, ce sont les historiens noirs qu’il faudra lire quand vous voudrez apprendre l’histoire du peuple noir. Que les blancs qui se sont approprié le droit de parler d’eux sachent que c’est faire beaucoup de tort aux autres que de toujours penser et parler à leur place, et souvent même sans les regarder ; c’est sans doute la meilleure façon de s’éloigner d’eux. 

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Beloved

Auteur : Toni Morrison

Edition : 10/18

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