10 juin 2008
Obama et l'ombre de Kennedy
Obama et l’ombre de Kennedy
Pour justifier sa persistance à poursuivre les primaires jusqu’en juin – ce qu’elle a fait – Hillary Clinton avait rappelé que Bobby Kennedy avait été assassiné en juin 1968. En d’autres termes, elle voulait que l’on comprenne qu’elle se positionnait comme l’alternative incontournable « au cas où ». Un tel argument de campagne avait glacé plus d’un.
Cependant, si du côté de l’Europe ces propos ont été perçus comme une maladresse, de l’autre côté de l’Atlantique l’éventualité d’une atteinte à la vie du sénateur de l’Illinois était depuis longtemps une réalité dans l’esprit des populations et dans les milieux politiques.
Dans son édition d’avril 2008, le luxueux magazine de mode « L’optimum » avait déjà repris le sujet sur la forme d’une interrogation : « Barak Obama le Kennedy noir ? » Le contenu de l’article de David Martin Castelnau est sans équivoque : Dans le style élégant et le charisme, Obama est, selon lui, le Kennedy Black. Et il ajoute : « a vouloir vivre, marcher, parler, promettre et vaincre comme Kennedy, Obama risque de finir comme lui. La cervelle sur le capot. »
Au début des primaires, cette éventualité m’avait à peine effleuré l’esprit. Mais depuis la lecture de cet article, je ne cesse de penser à John F. Kennedy, à son frère et aussi Martin Luther King. Il semble qu’en pensant à ces trois-là, je ne fais qu’imiter les supporters américains d’Obama qui, selon Philippe Coste (l’Express du 29 mai), représentaient les Kennedy et le célèbre pasteur noir en effigies fantomatiques au-dessus du candidat démocrate sur les pancartes de campagne, persuadés qu’un drame se prépare.
Quand les services de sécurité américaine ont attaché au service du candidat Obama une escouade comparable à celle de Georges Bush alors qu’il n’était pas encore le candidat officiel des démocrates, le camp Clinton a crié à la paranoïa. Et quand Hillary Clinton évoquait la mort tragique de Bobby Kennedy, elle ne faisait que surfer pour ainsi dire sur la vague d’une opinion qui jouait à un jeu macabre.
Loin de l’Amérique, chaque jour je redoute le drame. Ai-je tort ? Ce serait trop bête de gâcher tant de rêves, tant d’espoirs qui animent des cœurs en Amérique et ailleurs ! Devant cette hypothèse, il m’est difficile d’imaginer Obama vainqueur de McCain en novembre prochain.
Et puis, le 4 juin dernier sur Antenne2, en entendant Ted Stanger – l’auteur de Sacrés Français – je me suis dit qu’une autre sortie est possible. Ted Stanger pense que le rêve de beaucoup de gens, dont moi, va se heurter au mur du racisme. Il affirmait ce soir-là qu’en novembre, dans l’isoloir, c’est McCain qui aura la préférence des Américains. Car, selon lui, loin des yeux, dans leur for intérieur, la majorité blanche profondément raciste ne votera pas Obama. « Le racisme est encore très vivant dans mon pays », ajoutait-il. Je me suis dit que ce sera tout de même une sortie démocratique parce que les urnes auront parlé.
Mais que m’arrive-t-il ? voilà que tout à coup j’ai comme le sentiment que ce sénateur Obama est devenu un familier, un ami, un frère. Peut-être que vous êtes comme moi à croiser les doigts et à trembler pour lui. Même la presse française qui s’était jetée à corps perdu dans le soutien à John Kerry lors des dernières élections où celui-ci a échoué joue la prudence alors qu’elle est pro-Obama (sauf le journal chrétien La Croix). Elle ne voudrait pas lui porter malheur.
Comme beaucoup, je prie pour avoir tort de m’inquiéter, pour avoir tort de ne pas faire totalement confiance aux efforts faits par les Américains pour la réconciliation entre les noirs et les blancs. Je prie pour que la course au capitole soit loyale et non pas freinée par l’entreprise d’un raciste ou d’un malade rêvant de célébrité. Obama n’est rien pour moi. Mais si je tremble pour lui, c’est sans doute que j’ai le secret espoir que sa victoire servirait la cause des noirs à travers le monde et particulièrement en France où peu de noirs accèdent à de hautes fonctions administratives et politiques pour cause de racisme.
Raphaël ADJOBI