11 septembre 2008
Afrique : signes extérieurs de sous-développement
AFRIQUE :
Signes extérieurs de sous-développement
A vrai dire, il est aisé de distinguer un pays sous-développé d’un pays qui ne l’est plus. Mais avant tout, il faut que chacun chasse de son esprit le lien étroit ordinairement établi entre la richesse et le développement ; même si à un certain degré la richesse y est d’un bon secours.
Un pays sous-développé se reconnaît d’abord à l’inadéquation entre ses pensées et son comportement par rapport à son développement économique, industriel et social. Ainsi, l’on voit dans les contrées dites du « tiers monde » l’édification d’immeubles administratifs et de logement sans que l’on prévoie des places de stationnement pour les occupants et les visiteurs. Et pourtant, ces constructions avaient été entreprises pour satisfaire une population aisée disposant des moyens modernes pour se déplacer.
On constate aussi que lorsque les villes s’étendent, on ne prend guère le soin de modifier le mode d’identification des demeures. Résultat : nous avons de grandes métropoles où il est impossible de retrouver un habitant en se fiant à sa seule adresse. Les rues portent certes des noms (souvent étrangers), mais les maisons ne sont point numérotées pour permettre d’affecter à chaque habitant une adresse précise. De grandes villes fonctionnent encore sous le mode de boîtes postales rendant toute recherche des individus impossible autrement que par un courrier. Le développement des techniques modernes de communication ou d’enquête ne peut se faire que de manière anarchique.
Un pays sous-développé se reconnaît ensuite par son incapacité à prévoir et par conséquent à faire face à l’imprévu. La réactivité d’un pays face aux catastrophes de tout genre permet de juger de sa capacité à gérer l’avenir en emmagasinant des provisions suffisantes pour répondre aux catastrophes naturelles ou industrielles. Ainsi certains ont pu dire de l’attitude des Etats-Unis lors des désastres causés par le cyclone Catarina que ce pays a réagi à la manière d’un pays sous-développé parce que sa réaction n’était point proportionnelle aux moyens dont il disposait. Cette capacité à réagir nous renvoie aux premiers hommes au moment où ils ont cessé de ne vivre que de la cueillette et de la chasse et se sont mis à envisager des jours de grande famine en faisant des provisions de ce qu’ils trouvaient ou cultivaient grâces aux progrès techniques de l’époque. Plus un pays a les moyens techniques et scientifiques suffisants de résister ou de combattre l’imprévu, plus il démontre son degré de développement.
Pour comprendre ce qui est dit plus haut, il suffit d’imaginer où serait un pays africain si l’Amoco Cadiz avait échoué sur ses côtes déversant le flot de pétrole qu’avaient reçu en son temps les plages bretonnes. Tout récemment, la Côte d’Ivoire n’a pas été capable à elle seule de réagir techniquement à la pollution de ses décharges publiques. D’autre part, les côtes africaines sont jonchées de boulettes de mazout sans que les pays prennent des mesures pour les limiter ou mettre en œuvre les moyens pour garantir la propreté des plages. Ce qui nous permet de dire que le manque de réaction des autorités africaines face aux dégazages sauvages des navires croisant dans les eaux du golfe de Guinée ne relève pas seulement de l’incompétence ou de l’impuissance mais d’une forme d’inconscience propre à l’esprit du sous-développé.
En affirmant cela, nous abordons l’un des points les plus effrayants du sou-développement. Il y a en effet dans les pays sous-développés une sorte d’inconscience collective qui fait que ce qui paraît évident ne l’est pas. Pour mieux comprendre cette attitude, il convient de la rapprocher de la définition de l’Utopie selon l’écrivain français Stendhal : les utopies sont souvent des vérités prématurées, dit-il. Il semble en effet que devant la vérité brute, l’esprit humain qui la reconnaît refuse d’en faire sienne en appliquant les règles qu’elle impose. Tout le monde voit la vérité mais personne ne veut agir, dira-t-on. Une sorte d’inadéquation entre l’esprit humain et la vérité parce que le premier refuse de suivre la dernière qu’il admire. Ainsi tout le monde est d’avis que pour rendre la vie plus agréable et moins coûteuse, il serait nécessaire que chacun cède sa maison pour occuper celle qui est la plus proche de son lieu de travail. Mais devant une telle évidente vérité, chacun fera valoir des arguments flattant son égoïsme au point de rendre le projet utopique en le faisant tomber dans le domaine du rêve irréalisable.
C’est donc ainsi que cette inconscience collective produit des effets fort étonnants en Afrique : On voit des rues bordées d’arbres dans les grandes villes européennes mais pas dans les villes situées sous les tropiques où la végétation est bien dense. On voit des parcs publics immenses aux arbres gigantesques, mais pas sous les tropiques. On voit des pistes cyclables dans les villes riches du Nord mais pas dans les villes pauvres du sud où les populations ont du mal à s’offrir des voitures personnelles ou même les voyages en transport en commun. En Europe, les noms des rues évoquent la mémoire des hommes illustres de ce continent. En Afrique, ils rappellent toujours les immortels Européens. Le lecteur peut lui-même multiplier aisément les exemples illustrant cette situation aberrante que connaissent les pays sous-développés de manière plus aiguë que toute autre nation.
Nous voyons donc clairement que si certains éléments du sous-développement sont liés aux moyens dont il faut disposer, donc à une certaine richesse monétaire, technique et scientifique, globalement cet état tient plus à une certaine façon de fonctionner, de penser. En d’autres termes, le sou-développement n’est pas une fatalité puisque la volonté peut s’appliquer à réparer bon nombre d’aberrations sans porter atteinte aux libertés individuelles fondamentales.
Raphaël ADJOBI
Commentaires
Une réflexion incomplête?
Je partage dans l'ensemble cette réflexion mais je regrette cependant que tu abordes le sujet que d'un point de vue matériel en passant sous silence la question du tribalisme qui constitue une des principale source du sous développement africain et une des tares les plus visibles de nos insuffisances.
De mon point de vue, avant la maîtrise de toute sorte de haute technologie, le développement se définit par la capacité d'une société à s'auto-organiser pour assurer le bien être de chaque individu. Cela passe au préalable par la mise en place des services publics performants et pérennes et des infrastructures adaptées au contexte territorial.
Mais aussi (et peut être surtout) par une prise de conscience de l'individu sur son appartenance à une communauté nationale avant sa communauté ethnique. Le clientèlisme qui découle de cette vision étriquée de la citoyenneté est en partie responsable du retard pris par l'Afrique sur le chemin du développement. Avant toute chose l'africain doit s'affranchir de ses réflexes ethniques, pour ne pas dire tribaux, au profit de l'intérêt général de sa communauté nationale.
L'inconscience collective et les aberrations dont tu fais état se nourrissent également de cette incapacité qu'a l'africain à "penser collectif"...
D'autre part tu illustres ton billet par une vue d'Abidjan, une mégapole aujourd'hui effectivement saturée, polluée bref invivable. Pourtant, le géographe de formation que je suis ne peut s'empêcher d'être émerveillé par le schéma directeur d'origine de cette ville. Dans le cas précis d'Abidjan, je me permets donc de modérer tes dires sur l'inadaptation des infrastructures urbaines dans les pays sous développés. D'un point de vue urbanistique, l'Abidjan de mon enfance n'avait rien à envier aux grandes métropoles occidentales. Si Abidjan est aujourd'hui une vérue urbaine, c'est en grande partie due à l'anarchie généralisée qui prévaut dans notre pays. Anarchie souvent cautionnée par les municipalités du District elles mêmes.
Pour exemple, les trottoirs ne sont plus "la propriété" des piétons mais des commerçants qui y installent leurs boutiques (parfois en dur) et paient une taxe aux mairies. Les fameux quartiers résidentiels de Cocody eux non plus ne sont pas épargnés par le phénomène des ordures...
Il y'a peu, le parvis des tours admiistratives du Plateau qui abritent un bon nombre de nos ministères était, pardonnes moi l'expression, un "véritable cacadrome"...
Bref pour te dire que dans le cas d'Abidjan, la ville était très bien pensée à l'origine, les grands boulevards, les nombreux espaces verts,l'organisation de la ville autour de la Lagune (avec le Plateau au centre) les nombreux services publics (aujourd'hui défaillants)sont encore là pour en témoigner.
C'est l'explosion démographique conjuguée à la léthargie collective qui font que la Perle des lagunes n'est plus vraiment ce qu'elle était.
Un texte de ma mère sur la question:
http://y-voir-plus.ivoire-blog.com/archive/2007/10/04/de-la-perle-a-la-fange.html#moreLe tribalisme n'est pas un signe extérieur de sous-développement
Il faut prendre le temps de lire ce qui suit pour comprendre pourquoi. Mais avant tout, je voudrais rappeler que la question du sous-développement traité ici ne s’est nullement limité au matériel puisque j’ai parlé de « pensées » inadaptées au développement social, technique et scientifique. Des « Pensées » qui génèrent des comportements aberrants. C’est d’ailleurs cet aspect comportemental qui m’a permis de conclure que le sous-développement n’est pas une fatalité puisqu’il n’est pas seulement une question de masse monétaire ou de savoir scientifique. Beaucoup de choses peuvent donc changer en changeant de comportement sans attendre d’être riche.
Quant au tribalisme que tu estimes être « une des principales sources du sous-développement africain et une des tares les plus visibles », cher Djé, je n’en ai pas parlé précisément parce qu’au file de mes lectures, j’ai compris que c’est une image qu’il est injuste de coller à la seule Afrique sous-développée. Si elle est une tare comme tu dis, cette tare est humaine. Ailleurs, et particulièrement dans les pays développés, à la place du tribalisme, l’on trouve le clanisme ou les dynasties. Les clans et les dynasties fonctionnent de la même façon que le tribalisme mais avec en plus l’intérêt financier comme facteur de cohésion.
Dans le monde, 80 % des entreprises industrielles sont des entreprises familiales. Aux Etats-Unis, c’est un tiers des entreprises. Dans les pays émergeants comme en Inde et en Chine (et même en Russie), les grandes sociétés naissantes comme Tata ou Mital ont le rêve de perpétuer la pratique de grands industriels de génération en génération. Tout le monde a vu ou a entendu parler des films Dallas et Dynastie. Ce ne sont pas des mythes, mais des réalités. Dans les clans et particulièrement dans les dynasties, au-delà de la transmission des biens patrimoniaux, il y a un vrai lègue moral autour d’un certain nombre de valeurs qui ne sont pas celui du commun du peuple. Parmi ces valeurs, il y a la cohésion familiale (ce qui suppose que l’on ne se marie pas avec n’importe qui) et le culte de l’ancêtre commun. Sur ce sujet vient d’être publié un excellent livre : Le Capitalisme d’héritiers (édition du Seuil). Par ailleurs, La Radio France Inter a consacré une émission à ce sujet le 13 septembre dernier. Le titre de l’émission était : Familles Business.
La corruption non plus n’est pas un signe extérieur de sous-développement. Le livre de Tidiane N’diaye (Le Génocide voilé) que je suis entrain de lire confirme mon sentiment. Je crois Djé, que tu avais publié la couverture de ce livre. Il faudra le lire. Il est excellent. Dans les sociétés développées, cela s’appelle passe-droit, lutte d’influence, copinage… Des termes plus élégants que le mot corruption qui sent le sous-développement selon la pensée européenne.
Concernant la situation actuelle d’Abidjan et des autres villes du sud de la Côte d’Ivoire, je suis d’accord avec toi mon cher Djé pour dire qu’elle est principalement le fait de la guerre voulue par les rebelles, Alassane Ouattara et la France. L’occupation anarchique des espaces publics des villes du sud est le résultat de l’extrême pauvreté du peuple et non point une question de sous-développement. Dans tous les pays en situation de guerre ou sortant de la guerre on constate la même chose. Malgré tout, même au temps de sa splendeur, Abidjan n’était pas exempte des signes extérieurs de sous-développement dont j’ai parlé.Oui, mais...
Je rejoins ton avis sur le fait que les phénomènes de corruption et autres clanisme ne sont pas l'apanage des africains. La nature humaine est ainsi faite et l'africain ne fait pas exception à la règle. Là où le bât blesse c'est que nos sociétés, à la différence des sociétés occidentales n'ont pas encore vraiment réalisé leur unité nationale. Et dans ce contexte de crise économique perpétuelle, les phénomènes de tribalisme ne font qu'accentuer le sous développement africain.
Économiquement parlant nous sommes à des années lumière des pays que tu cites, sans vouloir les idéaliser, il y'a quand même un monde entre l'Occident et l'Afrique. Si les sommes détournées en Europe sont égales voir largement supérieures à ce qui se fait chez nous, l'effet est loin d'être le même pour leurs contribuables respectifs.
De plus de nos jours :
Quel occidental (de souche) peut aujourd'hui prétendre que dans son propre pays il n'a pas accès à tel secteur d'activité (ou politique) en raison de sa région d'origine?
Un dirigeant politique européen peut il développer de façon ostentatoire son village ou sa région d'origine au détriment du pays dont il a la charge?
Les ressentiments inter-communautaires en Europe (de l'ouest) conduisent ils systématiquement à des règlements de compte armé, voir des génocides?
Les frustrations générées par les phénomènes d'exclusion en Afrique sont très nocifs car elles se fondent souvent sur des considérations ethniques. En Occident c'est l'appartenance à une catégorie socio-professionnelle qui peut être source d'exclusion.
J'ai conscience que la comparaison de nos très jeunes républiques avec les nations occidentales n'est pas forcement équitables. On pourrait même considérer que l'Occident s'est "durablement" stabilisé seulement depuis la fin de la seconde guerre Mondiale.
Mais quand on observe l'évolution du continent africain sur ces 50 dernières années peut on dire que ces phénomènes de tribalisme s'estompent au profit du développement de nos indispensables cohésion nationales?Très intéressant
C'est très encourageant de constater qu'il existe bien au-delà des croyances des personnes qui pensent et œuvrent à la mesures de leurs moyens pour le développement de la région planétaire dite du Sud! Le sous-développement est en effet très souvent présenté comme une fatalité, une destinée inévitable, or ce n'est par tout malheur qu'une reconnaissance d'une incapacité à penser, voire de sa bêtise. Il est temps de sortir de cet état, bien que le chemin soit ardu et sévère.
Merci Alex...
Merci d'être passé Alex. Je me réjouis de savoir que le sujet ne t'a pas laissé indifférent.
J'ai pris le temps de visiter ton blog. Je le trouve très chargé. D'autre part, il laisse croire que tu es très doué en informatique. Il est d'une organisation extraordinaire. Bravo ! Tu vois, le mien est très sobre.@St-Ralph & dje -
Bonjour, merci pour ce billet il est riche et bien écrit – merci pour les commentaires. je suis un fan « d’apprendre » et vous me gâté... wooww ! Très riche tous
Je suis arrive a la même conclusion que st-Ralph. Après mettre longtemps cultive sur la corruption et ces effets. Je pense que ce n’est pas une tare spécifiquement africaine mais entrésiques a la nature humaine qui a des effets dévastateur chez nous mais qui seul n’explique pas notre sous développent.
Merci
Olivier N’da
http://dolindacafe.blogspot.com/Content de ta réaction
Bonjour Olivier,
Je suis content de ta réaction. Je suis content de savoir que tu apprécies mon anlyse et que tu es parvenu à la même conclusion quant au sous-développement des pays africains. Non, ce n'est point une fatalité. En changeant de comportement beaucoup de choses peuvent fonctionner correctement pour le mieux être des populations.
Merci Raphaël pour ce billet que vous nous signez.
Tout comme vous, je pense que le développement relève avant tout d'une "façon de fonctionner et de penser" qu'autre chose.Mais si vous me permettez,beaucoup de personnes cultivés et intellectuels africains adoptent aussi des comportements comme vous le dites si bien inadéquats avec leur pensée.je pense qu'ils n'ont pas le courage et l'audace de matérialiser leur pensée dans leur attitude comme vous le dites,là,dans ce texte.Et merci de finir en tordant le court à ce afropessimisme.la fatalité pour moi n'existe pas.