Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

08 janvier 2009

La traite des Noirs et ses acteurs africains

La_traite_selon_Tidiane_DLa traite des Noirs et ses acteurs Africains

 

 

            Le livre de Tidiane Diakité arrive au bon moment du débat sur la traite négrière atlantique. Depuis la publication de celui de Pétré-Grenouilleau qui a fait de lui le maître incontesté de ce thème dans la conscience des français, la traite des Noirs est apparue pour beaucoup comme un événement anodin dans l’histoire de l’Europe. Celle-ci a en effet accueilli le livre et les entretiens accordés par l’auteur français comme le baume qui vient soulager sa conscience ployant sous le poids de la culpabilité d’un commerce éhonté. Désormais les Européens se satisfont de l’idée qu’ils n’ont fait que prolonger une pratique ancestrale africaine les dispensant donc du sentiment de culpabilité et des dédommagements que certains africains s’évertuaient à demander.

            Très vite, afin d’éviter les amalgames, Tidiane Diakité présente le vrai visage de l’esclavage tel qu’il était pratiqué sur le continent jusqu’au XV è siècle. Les témoignages des Portugais, les premiers commerçants européens en Afrique, attestent les récits oraux transmis de génération en génération recueillis sur le terrain.

Ce préalable clairement expliqué, l’auteur s’attache à nous présenter dans une démarche détaillée les premiers pas des particuliers portugais qui vont initier les premiers rapts et razzias sur les côtes africaines et l’introduction régulière des Noirs en Europe. Puis vient le temps de l’intérêt de l’état du Portugal pour ce commerce, et à partir de la deuxième moitié du XVI è siècle ses luttes contre les autres pays européens qui manifestaient à leur tour un grand appétit pour le commerce des esclaves.

La rentabilité de ce commerce supposait une vraie organisation de la part des Européens. Devant les premières résistances africaines aux rapts, vols et razzias qui causaient des dégâts dans leurs rangs, les négriers ont trouvé bon d’imposer aux rois africains des traités dans lesquels ceux-ci ont le sentiment de trouver leur compte mais en réalité fort avantageux pour les pays européens. Dès lors, les rois africains devinrent des acteurs actifs de la traite en entrant dans un commerce de troc : des êtres humains contre des produits européens. Ainsi, comme le démontre très bien l’auteur, pendant que, grâce à la traite négrière, les industries et les villes européennes se développent déversant des produits hétéroclites sur le continent noir, l’artisanat africain, florissant jusqu’au XV è siècle, allait être délaissé au profit de la chasse à l’homme. Quatre siècles et demi d’inactivité artisanale finiront par ruiner le génie africain, parce que « pour les générations nées dans ces siècles, la traite apparaissait comme la norme, l’unique référence ».

Dans ce livre, Tidiane Diakité s’applique d’une part à montrer l’ordre de succession des Européens sur les Côtes de l’ouest africain ; comment à la suite des Portugais et des Hollandais, les Français puis les Anglais ont mené la traite négrière à son apogée au XVIII è siècle. D’autre part, l’auteur nous fait apparaître des rois africains de plus en plus intéressés et se montrant des ardents défenseurs de l’esclavage et des habiles commerçants avec les négriers. Pouvoir insupportable à ces derniers qui, pour obtenir davantage d’esclaves sans trop de frais suscitaient des conflits interafricains en exploitant la jalousie ou l’animosité des camps adverses, sachant que les vainqueurs leur vendraient les vaincus.

Le livre présente enfin un historique très intéressant des luttes pour l’abolition de l’esclavage au XVIII è siècle avec la Grande-Bretagne, alors première puissance négrière devenue fer de lance de ce combat libérateur. Et chose extraordinaire, dans cette histoire douloureuse, le lecteur constate que malheureusement les moins réceptifs au sentiment d’humanité et au plaidoyer en faveur de la cessation de la traite furent les Africains eux-mêmes. Des siècles de pratique d’un  commerce essentiellement humain avaient fait d’eux des ardents et fiers défenseurs de l’esclavage au point de faire de l’Afrique le dernier bastion de la résistance à l’œuvre abolitionniste des Anglais.

J’aime les livres qui laissent parler les documents d’archives. Et celui-ci en est un. En cédant très souvent la place au narrateur de l’époque, l’auteur nous plonge dans la dure réalité des faits et l’on comprend mieux le présent. Il est certain que ce procédé est le plus sûr moyen de ne pas souffrir la contestation. Il y a dans cet essai quelque chose d’absolument pittoresque quant au comportement des Africains devant l’appât du gain que représentait la présence d’un navire négrier sur leurs côtes. Certaines pages de ce livre peuvent d’ailleurs permettre aux Africains d’aujourd’hui, et particulièrement les acteurs politiques et économiques, d’analyser leur comportement dans nos sociétés en pleine mutation et subissant la convoitise des Européens. D’autres pages encore éclairent cette facilité qu’ont certains à prendre les armes contre leur pays, le trafic des armes, le choix des productions économiques tournées vers la satisfaction du marché européen. Tout lecteur trouvera à travers ce livre de précieux éclairages à beaucoup d’autres problèmes de la vie moderne et notamment la difficulté des Africains à établir des perspectives d’avenir. Cependant, s’il est vrai que la « chaîne » de l’esclavage a deux bouts (africain et européen), on peut se demander si celui que tenaient les Africains - trop souvent façonné par les Européens pour coller à leur goût -  peut être considéré comme une œuvre essentiellement africaine.          

                                         

Raphaël ADJOBI         Une conférence sur les réparations

 

Auteur : Tidiane Diakité

Titre : La traite des Noirs et ses acteurs africains

Editeur : Berg International

Posté par St_Ralph à 10:05 - Littérature (Essais, romans) - Commentaires [16] - Permalien [#]

Commentaires

  • Vérité ou mensonge?

    Ce livre une fois de plus vient peser dans la "balance déjà équilibrée" à mon sens de la co-responsabilité des Africains dans cette histoire de l'esclavage que malheureusement beaucoup semblent ne pas accepter. Et le dernier paragraphe de ton texte me soulage quand tu interpelles les Acteurs politiques Africains et autres rebelles à d'ores et déjà s'interroger sur leurs agissements et de leurs lourdes conséquences pour ce continent.
    Mais le problème est qu'il y a toujours une raison pour justifier une attitude mais encore faut-il se demander si l'attitude en question prend en compte l'intérêt général du peuple dans toute sa dimension nationale et ce jusqu'à son "plus faible" de ses citoyens.Là est l'un des gros soucis de l'Afrique dans cette nouvelle Organisation des affaires de la Cité dont nous héritons de l'esclavage et de la colonisation.Autrement dit de l'Occident.

    Pour la controverse L'historien Guadeloupéen Jean-Philippe Omotunde dont les recherches traitent aussi du même sujet.
    http://jpomotunde.blogspot.com/

    Posté par mohamed billy, 08 janvier 2009 à 15:40
  • Nous ne pouvons pas nous cacher la vérité

    Grâce à Tidiane Diakité, j'ai enfin le sentiment de voir l'horizon du passé de l'Afrique limpide, du moins du 15è siècle à nos jours. J'avais besoin de savoir qui étaient mes ancêtres, comment ils vivaient et ce qu'ils ont fait.
    Certes, comme le reconnaît l'auteur lui-même, cet éclairage de notre passé qu'il apporte est fait à partir de documents et de témoignages européens. Il manque cruellement à cette investigation la parole, les réflexions et les sentiments des africains des siècles concernés par la traite atlantique. Malgré tout, on sort de ce livre avec le sentiment que le comportement des acteurs politiques et économiques africains n'a guère évolué par rapport aux rois parle le livre de Tidiane Diakité.
    J'ai franchement le sentiment que les africains perpétuent des comportements hérités de la période de l'esclavage. Prendre en compte l'intérêt général, comme tu dis, ne faisait pas parties des habitudes africaines depuis plus de quatre siècles et s'avère donc être un idéal à atteindre pour tous les Noirs africains. Oui, ce qui manque à l'Afrique ce sont des idéaux à déterminer et à atteindre. L'Afrique est passé de l'esclavage à la colonisation puis au néo-coloniamisme depuis les annéesz 60. Ces changement n'ont pas permis d'asseoir des idéaux propres aux peuples africains pour se réinventer hors du sillon européen. Aussi, les africains continuent à ne pas savoir proposer au reste du monde des produits manufacturés depuis plus de cinq siècle.
    Je crois que l'Afrique doit commencer par connaître son histoire, puis se fixer des idéaux et enfin se réinventer.

    Posté par St-Ralph, 09 janvier 2009 à 13:46
  • Merci mohamed billy pour...

    Merci pour l'adresse du site de Jean-Philippe Omotunde. Je ne manquerai pas de découvrir ses oeuvres. Ses propos et les titres de ses ouvrages me donnent envie de le connaître.

    Posté par St-Ralph, 09 janvier 2009 à 13:51
  • manuels d'histoire

    Salut Ralph! Je ne suis pas spontanément porté sur les textes historiques mais ton compte rendu m'a donné envie de lire ce manue.
    Paix à toi!

    Posté par segou, 09 janvier 2009 à 22:38
  • Salut St Ralph,

    Meilleurs voeux et merci pour l'excellente synthèse que tu as fait récemment chez moi.

    rien à dire sur le bouquin si ce n'est qu'un Tidiane qui fait encore parler de lui en bien. Je me le mets sous le coude, gangoueus & toi faites exploser mon budget littérature...c'est la crise les gars, arrêtez vous lol.

    Que la paix soit avec toi.

    Posté par Djé, 10 janvier 2009 à 00:35
  • A Segou & à Djé

    @ Segou,
    merci d'être passé. C'est vrai que les prédilections des uns ne sont pas celles des autres. Cependant, bien souvent, en prêtant attention à ce que font les autres, on finit par ouvrir une petite fenêtre sur un autre monde qu'on n'est pas mécontent de découvrir.
    Je suis donc heureux que ce commentaire t'ait plu au point de t'inciter à découvrir le livre. C'est Tidiane Diakité qui va être content !

    @ Salut Djé !

    Merci pour tes voeux. Bonne Année à toi aussi ; qu'elle te soit surtout fructueuse en productions !
    Je peux t'assurer que le livre de Tidiane Diakité est très instructif. Ce sera un bon investissement que tu feras ! Avec toute la pub que je lui fais, il faudra peut-être que je pense à lu demander une petite rémunération.
    A bientôt !

    Posté par St-Ralph, 10 janvier 2009 à 11:42
  • A propos de l'analyse du livre

    La pertinence du propos, la fidélité à l'esprit du livre et la profondeur de l'analyse sont particulièrement appréciées.
    Je me propose de lire d'autres articles de votre blog dès que j'en aurai le temps car très pris actuellement.
    Cordialement
    TD
    http://ti.diak.over-blog.com/

    Posté par T.D., 10 janvier 2009 à 17:50
  • Merci d'être passé !

    Votre passage me fait plaisir, Tidiane Diakité. J'avoue que je l'attendais avec cette pointe de curiosité de voir votre réaction. Aussi je suis heureux de lire que j'ai respecté l'esprit de votre livre.
    Merci à vous de porter à la connaissance des africains cette page de l'histoire de leur continent, de leurs ancêtres, de leurs parents.
    Cordiales pensées.

    Posté par Raphaël ADJOBI, 11 janvier 2009 à 16:35
  • L'Afrique n'a pas inventé l'esclavage.

    Je suis tout à fait d'accord avec cet auteur et ton analyse. Je pense que l'esclavage n'a été inventé ni par les noirs, ni par les blancs car il a toujours existé dans toutes les sociétés. Tout le monde sait que même en Europe et en Asie aussi les tribus et l'esclavage ont existé au Moyen age et même bien après sous une autre forme avec le règne de la bourgeoisie occidentale. Donc le fait qu'il y' ait des rois Africains qui ont participé à cette traite n'a rien d'exceptionnel et ne doit aucunement reléguer au second plan la responsabilité ,très lourde,de l'Europe qui l'a industrialisé, et l'a développé à grande échelle en tuant du coup l'artisanat,l'agriculture et les bases même du développement Africain, en développant les guerres ethniques et tribales, la famine par des razzias, dans des sociétés qui au départ étaient bien organisées sur le plan social. Maintenant il y' a une part de responsabilité de certains rois Africains et de certaines ethnies et ça on ne peut pas le nier. a la lumière de ce qui se passe aujourd'hui, l'histoire est en train de se répéter au vu de ce qui se passe en Afrique malheureusement. et cela continuera comme cela, tant que nous Africains nous ne prendront pas nos responsabité en enseignant à nos enfants notre histoire commune pour espérer des valeurs et idéales qui nous rendrons solidaires les uns des autres. L'enseignement de l'histoire vraie de la colonisation, et de l'esclavage, la valorisation de l'histoire de l'Afrique montrera à nos enfants le chemin d'une Afrique unie et forte et créera les bases d'un panafricanisme réel qui est notre seul espoir pour espérer être entendu au concert des nations et ne pas disparaître.

    Posté par Aïda, 13 janvier 2009 à 00:17
  • Bonjour Aïda !

    J'ai beaucoup apprécié ton intervention. Je t'ai trouvée très inspirée. Cela fait plaisir.
    Nous sommes d'accord pour dire qu'il nous faut nous approprier notre histoire et la faire entrer dans nos programmes d'enseignement. Il ne reste plus que les volontés politiques pour que cela soit mis en oeuvre.
    Quant au contenu du livre, il éclaire bien des comportements que nous déplorons sur le continent. Il faut le conseiller au plus grand nombre d'Africains.

    Posté par St-Ralph, 14 janvier 2009 à 07:56
  • Aida m'arrache les mots de la bouche

    Elle a dit ce qui me montait aux levres pendant que je lisais le texte parlant de ce livre. Allez un livre de plus a ajouter a la liste que j'ai decide de faire pour avoir enfin une bibliotheque avec des livres serieux.

    Posté par Caroline.K, 10 février 2009 à 14:01
  • Une relecture

    Saint Ralph,

    Il y'a un moment qe je n'ai pas ouvert la porte de ton palais de reflexions mais c'est vrai que comme je ne suis pas une intellectuelle, il me faut toujours lire deux ou tros fois les textes brillants avant de comprendre (quand je comprend, ce qui n'est pas toujours vrai) et comme en plus les textes sont longs, tu imagines le desastre.
    Bonne semaine a toi et merci de nourrir un peu mon cerveau

    Posté par Caroline.K, 10 février 2009 à 14:06
  • Moi aussi....

    Bonjour Caroline,

    Moi aussi je procède de la même façon. Souvent, je ne réagis pas tout de suite aux textes des blogs que je visite. Je prends le temps de les relire (surtout quand ils sont longs !)avant de laisser un commentaire.
    L'essentiel c'est de tirer profit des productions qui sont publiées. Et je suis très content de savoir que mes travaux t'apportent quelque chose ; et merci de le dire.
    Je t'inscris dans mes liens afin de te visiter plus souvent et apprécier tes dessins.

    Posté par St-Ralph, 11 février 2009 à 09:37
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    Posté par TR Jeans, 03 avril 2011 à 08:46
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