27 février 2009
Le phénomène Alain Mabanckou
Le phénomène Alain Mabanckou
L’écrivain congolais (du petit Congo !) Alain Mabanckou a réussi depuis quelques années à se faire une place dans les actualités littéraires françaises. Un succès indéniable que je lui souhaite long et étendu à d’autres contrées que la France. La gloire en quelque sorte. Car comme il le dit lui-même, « le succès est une étoile filante, la gloire un soleil ». Mais n’est-ce pas déjà la gloire que d’aligner deux ou trois succès ?
Afin de ne pas paraître un ignorant devant le flot du succès qui emporte mes amis internautes, j’ai décidé de plonger dans le bain « Alain Mabanckou » pour avoir un jugement personnel du phénomène. J’ai plongé en aval dans Black bazar pour remonter le courant par Verre Cassé.
Black Bazar
C’est l’histoire d’un jeune « ambianceur » congolais (du petit Congo ! l’auteur y tient) qui passe son temps à regarder la face B des jeunes femmes. Un de ces « sapeurs » Congolais dont l’habillement se rapprochait plus de celui du clown Zavata que de celui du cadre dynamique. Une histoire de la « négraille » parisienne en quelque sorte, avec des portraits savoureux et quelques pages poétiques quand l’amour s’en mêle. L’atmosphère du livre rappelle un peu celui du film Black Mic-Mac avec Josiane Balasko et Isaac de Bankolé.
Ce livre est une sorte de sommes des préjugés culturels que véhiculent les Noirs aussi bien sur eux –mêmes que sur les blancs. Si dans son entretien qu’il a accordé à la revue Nouvel observateur l’auteur parle de racisme des Noirs, je veux pour ma part distinguer préjugés culturels qui ne supposent pas de mise en place de moyens d’exclusion et le racisme qui contient la notion de rejet « épidermique » de l’autre, qui suppose une barrière de couleur qu’on aimerait infranchissable. Les préjugés n’empêchent pas la fraternité, le racisme si.
Le niveau de langue – le langage familier mêlé au langage soutenu – adopté par le roman ne m’a pas séduit. Tout porte à croire que le destinataire du roman est cette même « négraille » qui en est l’objet. D’autre part, cette profusion d’allusions culturelles m’a parut bien assommante même si quelques unes m’ont arraché le rire. Si ces allusions culturelles semblent justifiées dans Verre Cassé compte tenu du statut du personnage principal, ici elles deviennent souvent pesantes. On se dit souvent : « que va-t-il encore nous sortir ? »
Autre chose que je n’ai absolument pas aimé, ni dans ce roman ni dans Verre Cassé, c’est la peinture discourtoise que l’auteur fait des dirigeants africains qu’il assimile à de grands enfants gâtés qui font la queue chez les prostituées, prennent des décisions à la sauvette, nomment et chassent leurs collaborateurs selon leurs humeurs très changeantes. Ce rabaissement des dirigeants africains présentés comme à la limite de la débilité et se vautrant dans la fange m’a semblé coller de trop près à l’imagerie africaine ou à l’imaginaire africain des Européens.
Verre Cassé
Verre Cassé est indiscutablement un chef d’œuvre. Les prix décernés à ce roman sont, à mes yeux, fort justifiés.
Le livre est organisé comme une suite de nouvelles. C’est l’histoire d’ « un vieux con des neiges d’antan » qui a un faible pour le vin rouge et qui est fait écrivain public pour recueillir les tranches de vie des personnages pittoresques qui fréquentent le bar Le Crédit a voyagé. Ses digressions assez nombreuses et de plus en plus longues nous permettent de découvrir sa propre vie.
Le discours d’un ivrogne est toujours très agréable à suivre. On en rit, on ne le prend jamais très au sérieux même si, selon l’opinion publique, la vérité est bien souvent au fond du verre. Il fait partie du délassement public. On n’en fait pas un objet d’étude. Je parie que les femmes seront nombreuses à ne pas aimer le roman à cause de cela. Mais les hommes adoreront ! Alain Mabanckou est ici plein d’imaginations et grand joueur avec les dictons et les formules toutes faites. L’association des langages familier et soutenu (« y a pas mieux que ce stratagème ») ainsi que l’usage de la « virgule » comme unique signe de ponctuation rendent le texte d’un abord rebutant. Mais plus on avance et plus on se rend compte que ces éléments, joints aux images hétéroclites auxquelles nous renvoient les nombreuses allusions, sont la marque de l’inconstance du discours d’un ivrogne qui ne sait pas toujours où commencent ses pensées et où elles se terminent. On finit par avoir le sentiment qu’on comprend Verre Cassé parce qu’on a bu un verre de trop comme lui. J’avoue que j’ai parfois soupçonné l’auteur d’avoir trop levé le coude pour écrire certaines pages. Un délice !
Et vous, savez-vous « pourquoi l’oiseau en cage chante-t-il ? »
Raphaël ADJOBI
Black Bazar : Edit. Du Seuil
Verre Cassé : édit. Points