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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
1 septembre 2009

Case à Chine de Raphaël Confiant

Case___chine_001   Case à Chine

 

(Raphaël Confiant)       

            La présidence d’Alberto Fujimori au Pérou (1990-200) m’avait beaucoup intrigué et suscité en moi des questions quant à l’histoire de la présence des asiatiques en Amérique latine. Plus tard, un passage de Chasseur de lions, un roman d’Olivier Rolin dont l’histoire se passe dans cette partie du monde, parlant de « voiliers en rade, par dizaines, chargés de guanos ou de coolies importés de Chine pour remplacer les esclaves sur les plantations » avait accentué ma curiosité. Curiosité que Case à Chine de Raphaël Confiant vient de satisfaire.

 

            C’est en effet ici l’épopée de cette « immigration » de Chinois et d’Indiens, de leur installation et de leur créolisation dans les Antilles françaises après la dernière abolition de l’esclavage en 1848. Raphaël Confiant choisit (mais aussi pour accomplir une vieille mission) de raconter l’histoire de trois familles, en remontant quant à la sienne jusqu’aux parents du premier immigré de la Chine lointaine. Mais le récit navigue constamment entre le passé lointain et le passé plus récent.

 

Très vite, le lecteur comprend que le contact des asiatiques avec cette terre du nouveau monde s’est passé dans la violence et le mépris comme l’ont vécu précédemment les nègres devenus libres. Outre cela, les relations entre les différentes communautés sont une véritable foire aux préjugés avec heureusement, parfois, des situations délicieuses magnifiquement racontées. C’est avec un style chatoyant, grâce à une multitude de mots créoles nullement gênants pour la compréhension du texte, et un réalisme sans complaisance et équitable à l’égard des différentes communautés que l’auteur parvient à donner à ce roman un équilibre parfait. On y découvre en effet des peintures absolument belles des querelles, des rivalités, des complicités et des préjugés entre les différentes communautés et sous-communautés de la Martinique post-esclavagiste : les Noirs, les Noirs-Congo, les Blancs créoles, les Blancs-France, les Chinois-pays, les Chinois-Chine et les Indiens. Tout ce monde baignant dans un créole savoureux où dominent parfois les taquineries des nègres à l’adresse des Yeux-Fendus. Le livre contient également des portraits magnifiques. Vous adorerez celui de la chabine Justina et surtout celui de la négresse Fidéline, l’arrière grand-mère de l’auteur, et ses joutes verbales avec son « chinois fou dans le mitan de la tête » dont l’histoire est absolument passionnante. Les colères de Poupée-Porcelaine sont également mémorables.

 

Ce livre se révèle aussi une véritable mine d’informations sur la manière dont les différentes communautés ont pu mêler leur sang : les chinois plus souvent avec les mulâtres (quand ils ne font pas venir du sang neuf de Chine), les Blancs-France sans le sou avec les « négresses charitables ou désireuses d’avoir une progéniture aux cheveux plats ». Mais les plus belles pages des histoires d’amour dans cette Martinique où se créolisent progressivement Chinois et Indiens - les souffre-douleur désignés des négrillons - et que relate l’auteur sont celles qui se nouent laborieusement entre les Noirs, les Indiens et les Chinois.

 

Tous ces éléments font donc de Case à Chine un roman historique, réaliste et drôle. Mais au-delà de la beauté du texte et des situations parfois amusantes ou charmantes, le fond social fait de violences et de mépris reste constamment présent. Aussi, ceux qui s’étonnent du peu de progrès accompli par les Noirs antillais dans les différents arts devraient se mettre à l’esprit que l’esclavage n’octroyait qu’une journée par semaine de liberté contrôlée aux nègres et que la colonisation s’est appliquée à sa suite à freiner par tous les moyens leur accession aux sciences et aux arts. La simple création d’un lycée ou de tout autre établissement d’enseignement ne manquait jamais de soulever des protestations de la part des Blanc-pays (Blancs créoles ou Békés). Bien au contraire, c’est miracle que nous devrions dire, si de cet univers de mépris, de suspicion, de frustration des ambitions individuelles, quelques-uns sont parvenus à se hisser parmi l’élite française dans certains domaines.  Rapha_l_Confiant

 

Ce livre vient donc à sa manière confirmer que l’élément déterminant de l’histoire des Antilles que tout le monde s’applique à ignorer ou à négliger est bien la volonté immuable des Blancs-pays - depuis l’esclavage jusqu’à ces jours du XXIè siècle - de ruiner tout espoir de changement de la condition des descendants d’Afrique et d’Asie pour maintenir la leur : la servitude pour les uns, la domination pour les autres. Dans un tel contexte, hier comme aujourd’hui, il semble donc juste que ces Noirs qui « lassés de manger leur âme en salade et de subir crachats, insultes, méprisations, ricanements, claironnent qu’en terre créole, seule la folie est raisonnable, oui. »

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Case à Chine (487 pages)

Auteur : Raphaël Confiant

Edition : Gallimard (collection Folio)

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Commentaires
A
ya quelque chose qui sent pas bon ici
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S
Merci de me signaler un autre grand dévoreur de livres. Très vite je découvrirai ce blog.<br /> <br /> Merci aussi de penser à moi quand tu entends parler les écrivains de leurs oeuvres. J'avoue que je connais très mal les auteurs africains. Ma culture littéraire est presque exclusivement française. Je vais tenter peu à peu de me rattraper. Je viens d'ailleurs de commander le livre de Dieudonné Gnammangou, le biographe officiel de Pouchkine. Je crois qu'il est camerounnais et non togolais. Je vais chercher l'auteur des "Pieds sales" sur Internet et je verrai bien.
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C
St Ralph, connais tu le blog de Liss dans la vallée des livres? Je voulais me rendre chez elle à partir de ton blog et je ne l'ai pas vu dans ton lien et je me dis, çà alors, quel dommage, que deux lecteurs comme vous ne se soient pas croisés. <br /> <br /> Autre chose, j'ai entendu à plusieurs reprises un auteur togolais dont j'ai oublié le nom mais qui a écrit les pieds sales et que j'ai trouvé intéressant à écouter, une vision un peu différente de ce que j'entends parfois alors j'ai immédiatement pensé à toi et je me suis demandée si tu l'avais lu ? Ton analyse est toujours passionnante à découvrir pour alimenter mon petit cerveau.<br /> <br /> Caroline
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C
C'est toujours instructif d'écouter Raphaël Confiant et lire ton analyse l'est aussi. Parfois je me demande ce qu'on pense la jeune génération antillaise ? ce qu'elle retient, ce qu'elle entreprend pour que l'avenir ne ressemble pas au passé. <br /> <br /> Caroline
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S
Bonjour gangoueus,<br /> <br /> Merci d'évoquer cet aspect de l'auteur. Dans "Case à Chine", la créolisation telle que je l'entends se limite au fait que la population chinoise immigrée s'adapte à des habitudes nouvelles qui sont celles du cadre antillais. <br /> <br /> Ces populations noires, asiatiques et blanches ont fini par constitué dans ce cadre une sorte d'entité nouvelle qui n'est nullement dominée par le mélange des races. Les communautés cohabitent en partageant une sorte de culture commune qui est celle d'une langue singulère et de l'éloignement de la mère patrie. Et c'est le début de cette difficile cohabitation (adaptation pour les asiatiques) que relate le roman. <br /> <br /> Quant à la fameuse théorie de "CREOLITE", les écrivains antillais que j'ai entendus la développer sur les ondes, ne m'ont pas convaincu. Ils m'ont semblés, comme tu dis, très flous. Je crois en effet qu'il y a chez eux une sorte de recherche de démarcation par rapport à l'idée de NEGRITUDE qui apparemment leur semble trop "généralisante" ou globalisante. <br /> <br /> Un ami internaute qui signe Alenya m'a adressé un mot sur les positions de Raphaêl confiant par rapport à certains auteurs comme Serge Bilé. Il serait très intéressant que les uns et les autres réagissent sur cette notion de "créolité" afin de savoir comment elle est perçue dans l'opinion publique.<br /> <br /> Pour revenir au roman, il est absolument passionnant. J'ai beaucoup apprécié le ton très équitable de l'auteur quand il parle des différentes communautés. C'est une peinture de la société antillaise que j'ai trouvée très réaliste. Les Noirs étant majoritaires, ils constituent vraiment le socle de la société créole à laquelle doivent s'adapter les Asiatiques. Et cela se sent très bien dans le roman.
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