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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
17 décembre 2009

Les autodafés et autres morts en spectacle

      Les autodafés et autres morts en spectacle

         

Dans mon précédent billet, je crois que ce fut une erreur d'avoir noyé la réflexion faite sur la mort en spectacle dans le commentaire que j'ai donné du livre de Jean Teulé. J'ai donc décidé de publier à nouveau cette réflexion indépendamment du livre qui l'a inspirée afin de rendre son accès plus aisé aux internautes.

                 La mort en spectacle, une culture Européenne

Autodaf__d_finitif            En lisant les pages monstrueuses de Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces personnes qu'on menait, partout en Europe, au bûcher dans une ambiance de kermesse. Je m’imaginais tous ces autodafés souvent organisés devant le parvis des cathédrales où les foules s’amassaient, hommes, femmes et enfants pour admirer dans des cris de joie les flammes emporter dan le néant les âmes accusées de je ne sais quelle peccadille ou crime imaginaire.

            Je comprends alors qu’une des profondes différences culturelles qui séparent radicalement l’Européen et l’Africain des siècles passés  se situe là, dans le spectacle de la mise à mort. Sans le savoir, cette pratique que l’on découvre dans tous les siècles de l’histoire de l’Europe a dû surprendre les peuples Africains quand de manière brutale ils ont été mis en contact avec les hommes blancs.

            En Afrique occidentale, en pays Akan, lorsque l’on sent sa vie menacée par un individu ou une colère collective, la première chose qui vient à l’esprit de celui qui se sent en danger est de courir se refugier auprès d’un vieil homme. Ce geste est reconnu par tous comme une demande de protection que tout agresseur se doit de respecter scrupuleusement. C’est un peu le drapeau blanc en cas de guerre pour les Européens ; à la seule différence que se refugier auprès d’un vieil homme annule immédiatement tous les droits de l’agresseur et place la victime sous l’autorité des sages. En Europe, aucun symbole protecteur n’existe dans la vie civile pour vous garantir une vie sauve en cas de lynchage, d’agression collective concertée. C’est ce qui a manqué à Alain de Monéys, le personnage principal du livre de Jean Teulé, à qui la présence du maire et celle du curé du village n’ont été d’aucun secours.

            En réfléchissant bien, en nous plongeant dans le passé de l’Europe, on découvre que celle-ci a, face à la mort, une conception qui n’existe pas dans les cultures africaines : la dimension du spectacle dans la mise à mort. Dans la mort que l’on inflige à l’autre, l’Afrique connaissait la dimension sacrificielle ; quant à l’Europe, c’est la dimension spectacle qu’elle a toujours cultivée.

            Au premier siècle de notre ère, Néron, soupçonné d'avoir incendié Rome, prit la décision de faire massacrer les chrétiens qu'il accusait à son tour d'être à l'origine de ce forfait qui menaçait son honneur et son pouvoir. Le peuple qui avait sans doute ses raisons d'en vouloir aux chrétiens avait alors applaudi cette décision. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était la mise en scène des supplices qui étaient devenus des spectacles publics où hommes et femmes flambaient comme des torches. Cette pratique spectaculaire de la mise à mort à donné partout - particulièrement dans les pays latins - naissance à l'édification d'arènes publiques immenses. Le jeu de la mise à mort fut donc pendant très longtemps un élément essentiel de la culture des pays Européens tournés vers la Méditerranée.

            Nous retrouvons cette pratique de la mort spectacle pendant les quatre siècles d'esclavage des Noirs dans le nouveau monde. Les parties de chasse aux nègres, les lynchages concertés de noirs après le culte du dimanche, ces noirs que les familles blanches rôtissaient tout en prenant la pause pour la photo qui sera ensuite envoyée à des amis, tout cela n'était que la survivance logique d'une pratique européenne très ancienne. Mais dans ce nouveau monde, pour certains, réduire au cercle privé des plantations cette façon spectaculaire de donner la mort était  insuffisante. Aussi, ont-ils parfois tenté d'instituer les grands spectacles des arènes du passé qui attiraient les foules.

            Certes, les autodafés étaient apparemment rares dans le nouveau monde. Le supplice le plus commun était le châtiment corporel public destinée à terroriser les esclaves. Mais pour distraire le public blanc, il fallait bien sûr quelque chose de plus grand. Nous en avons un exemple précis tiré des archives de l’histoire de France dans Le crime de Napoléon (p.150-151) de Claude Ribbe. « Louis de Noailles va chercher à Cuba, au mois de mars 1803, quelque six cents dogues avec l'intention de ne les nourrir que d'indigènes. Le ministre le la Marine en est informé par une lettre de l'Amiral Latouche-Tréville du 9 mars. Les bêtes et leurs nouveaux maîtres défilent en triomphe au Cap. Renouant avec la tradition des sévices imposés aux premiers chrétiens, Rochambeau a fait construire un cirque à l'entrée du palais national où il réside. Un poteau est destiné aux suppliciés. Des gradins munis de confortables banquettes sont dressés pour les spectateurs "blancs". Pour inaugurer ce spectacle d'un nouveau genre, le général Boyer livre un de ses jeunes domestiques [...]. On lâche les chiens affamés. L'assistance applaudit. [...] Il ne restera que des os ensanglantés. Finalement, le public est horrifié. Mais le spectacle recommence tous les après-midi. »

            N'allons pas plus loin dans cet historique de la mort en spectacle. On comprend aisément que la torture, la guillotine et la chaise électrique sont des inventions issues de la même culture. Terminons avec cette dernière image extraite du Nouvel Observateur du début du mois de décembre 2009. Il est certain qu'aucun journal africain ne peut se permettre de proposer un tel dessin humoristique à ses lecteurs. L'autodafé ne faisant pas partie de la culture africaine, le public n'y comprendrait rien. Par contre, le public français comprend très bien cet humour parce que l'image évoque un élément culturel de son passé ; il sait que les tableaux de peintres représentant cet élément font partie du patrimoine culturel national. La pratique de ce spectacle était si courante qu'aujourd'hui encore on dit à l'adresse de celui qui commet une faute grave qu' « il y a des gens qui ont été brûlés pour moins que ça ! »  

Autodaf__1

Raphaël ADJOBI

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12 décembre 2009

Mangez-le si vous voulez (Jean Teulé)

                               Mangez-le si vous voulez

Mangez_le

            Je ne me souviens pas du précédent livre dont l'histoire a autant troublé mes nuits.  Je ne parle point de ces sujets qui ne quittent pas votre esprit quand vous gagnez votre lit et qui parfois vous tiennent longtemps éveillé. Je parle bien de cauchemar nocturne. Le genre de ceux que, enfant, l’on redoute en allant au lit après avoir écouté un mauvais conte.

            Alain de Monéys, le nouveau premier adjoint de la mairie de Baussac (Dordogne), quitte un matin la demeure familiale de Bretanges pour se rendre à Hautefaye, à trois kilomètres de là. Appelé au front de Lorraine où la France mène la guerre contre la Prusse, le beau Alain de monéys tenait, avant son départ, à soulager ses concitoyens de leurs petits soucis et profiter de la foire de ce mardi 16 août 1870 pour saluer les uns et les autres.

            Sur son chemin, quand il saluait les paysans se rendant à la foire, tout le monde le reconnaissait et l’appelait avec affection et déférence « Monsieur de Monéys ». Sa beauté qui charmait les dames était la marque extérieure de sa bonté et de son dévouement. A une époque où c’était par tirage au sort que l’on rejoignait les troupes au front et où les miséreux qui ont tiré un bon numéro les dispensant de la guerre le revendaient à des garçons plus aisés ayant tiré un mauvais, Alain de Monéys a tenu a gardé le sien alors que le conseil de révision l’avait rejeté pour « faiblesse de constitution ». Non, malgré sa claudication, il ne voulait pas envoyer le fils de quelqu’un d’autre risquer sa vie à sa place.

            A l’entrée de Hautefaye, un malentendu sur l’honneur de la France va précipiter sa vie en enfer. Alain de Monéys va vivre en plein jour, le cauchemar que tout être humain redoute comme la folie soudaine. Tout à coup, plus personne ne le reconnaît. Il devient un objet que l’on fait rouler, un animal que l’on va ferrer, un Christ que l’on va clouer sur le bois, un gibier que … Mangez-le si vous voulez est un livre qui remue la conscience parce que basé sur les comptes rendus du procès d’un fait réel.

La mort en spectacle, une culture Européenne

            En lisant ces pages monstrueuses qui m’obligeaient souvent à m’arrêter, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces personnes qu'on menait, partout en Europe, au bûcher dans une ambiance de kermesse. Je m’imaginais tous ces autodafés souvent organisés devant le parvis des cathédrales où les foules s’amassaient, hommes, femmes et enfants pour admirer dans des cris de joie les flammes emporter dan le néant les âmes accusées de je ne sais quelle peccadille ou crime imaginaire.

            Je comprends alors qu’une des profondes différences culturelles qui séparent radicalement l’Européen et l’Africain des siècles passés  se situe là, dans le spectacle de la mise à mort. Sans le savoir, cette pratique que l’on découvre dans tous les siècles de l’histoire de l’Europe a dû surprendre les peuples Africains quand de manière brutale ils ont été mis en contact avec les hommes blancs.

            En Afrique occidentale, en pays Akan, lorsque l’on sent sa vie menacée par un individu ou une colère collective, la première chose qui vient à l’esprit de celui qui se sent en danger est de courir se refugier auprès d’un vieil homme. Ce geste est reconnu par tous comme une demande de protection que tout agresseur se doit de respecter scrupuleusement. C’est un peu le drapeau blanc en cas de guerre pour les Européens ; à la seule différence que se refugier auprès d’un vieil homme annule immédiatement tous les droits de l’agresseur et place la victime sous l’autorité des sages. En Europe, aucun symbole protecteur n’existe dans la vie civile pour vous garantir une vie sauve en cas de lynchage, d’agression collective concertée. C’est ce qui a manqué à Alain de Monéys à qui la présence du maire et celle du curé du village n’ont été d’aucun secours.

            En réfléchissant bien, en nous plongeant dans le passé de l’Europe, on découvre que celle-ci a, face à la mort, une conception qui n’existe pas dans les cultures africaines : la dimension du spectacle dans la mise à mort. Dans la mort que l’on inflige a l’autre, l’Afrique connaissait la dimension sacrificielle ; quant à l’Europe, c’est la dimension spectacle qu’elle a toujours cultivée.

            Au premier siècle de notre ère, Néron, soupçonné d'avoir incendié Rome, prit la décision de faire massacrer les chrétiens qu'il accusait à son tour d'être à l'origine de ce forfait qui menaçait son honneur et son pouvoir. Le peuple qui avait sans doute ses raisons d'en vouloir aux chrétiens avait alors applaudi cette décision. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était la mise en scène des supplices qui étaient devenus des spectacles publics où hommes et femmes flambaient comme des torches. Cette pratique spectaculaire de la mise à mort à donné partout - particulièrement dans les pays latins - naissance à l'édification d'arènes publiques immenses. Le jeu de la mise à mort fut donc pendant très longtemps un élément essentiel de la culture des pays Européens tournés vers la Méditerranée.

            Nous retrouvons cette pratique de la mort spectacle pendant les quatre siècles d'esclavage des Noirs dans le nouveau monde. Les parties de chasse aux nègres, les lynchages concertés de noirs après le culte du dimanche, ces noirs que les familles blanches rôtissaient tout en prenant la pause pour la photo qui sera ensuite envoyée à des amis, tout cela n'était que la survivance logique d'une pratique européenne très ancienne. Mais dans ce nouveau monde, pour certains, réduire au cercle privé des plantations cette façon spectaculaire de donner la mort était  insuffisante. Aussi, ont-ils parfois tenté d'instituer les grands spectacles des arènes du passé qui attiraient les foules.

            Certes, les autodafés étaient apparemment rares dans le nouveau monde. Le supplice le plus commun était le châtiment corporel public destinée à terroriser les esclaves. Mais pour distraire le public blanc, il fallait bien sûr quelque chose de plus grand. Nous en avons un exemple précis tiré des archives de l’histoire de France dans Le crime de Napoléon (p.150-151) de Claude Ribbe. « Louis de Noailles va chercher à Cuba, au mois de mars 1803, quelque six cents dogues avec l'intention de ne les nourrir que d'indigènes. Le ministre le la Marine en est informé par une lettre de l'Amiral Latouche-Tréville du 9 mars. Les bêtes et leurs nouveaux maîtres défilent en triomphe au Cap. Renouant avec la tradition des sévices imposés aux premiers chrétiens, Rochambeau a fait construire un cirque à l'entrée du palais national où il réside. Un poteau est destiné aux suppliciés. Des gradins munis de confortables banquettes sont dressés pour les spectateurs "blancs". Pour inaugurer ce spectacle d'un nouveau genre, le général Boyer livre un de ses jeunes domestiques [...]. On lâche les chiens affamés. L'assistance applaudit. [...] Il ne restera que des os ensanglantés. Finalement, le public est horrifié. Mais le spectacle recommence tous les après-midi. »

            N'allons pas plus loin dans cet historique de la mort en spectacle. On comprend aisément que la torture, la guillotine et la chaise électrique sont des inventions issues de la même culture. Terminons avec cette image extraite du Nouvel Observateur du début du mois de décembre 2009. Il est certain qu'aucun journal africain ne peut se permettre de proposer un tel dessin humoristique à ses lecteurs. L'autodafé ne faisant pas partie de la culture africaine, le public n'y comprendrait rien. Par contre, le public français comprend très bien cet humour parce que l'image évoque un élément culturel de son passé ; il sait que les tableaux de peintres représentant cet élément font partie du patrimoine culturel national. La pratique de ce spectacle était si courante qu'aujourd'hui encore on dit à l'adresse de celui qui commet une faute grave qu' « il y a des gens qui ont été brûlés pour moins que ça ! »  

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Raphaël ADJOBI

Titre : Mangez-le si vous voulez (129 pages)

Auteur : Jean Teulé

Editeur : édit. Julliard 2009.

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