17 février 2010
Côte d'Ivoire : Les rebelles pillent mais ne construisent pas
A Bouaké, les "com-zones" règnent en seigneurs sur le nord de la Côte d'Ivoire Enrichis, les ex-chefs rebelles bloquent la réunification d'un pays coupé en deux depuis 2002 (Article du journal Le Monde du vendredi 12 février 2010 n° 20234, par Christophe Châtelot)
Le drapeau ivoirien flotte de nouveau sur la préfecture de Bouaké, la "capitale" rebelle située à 350 km au nord d'Abidjan. Dans la chaleur. Dans la chaleur étouffante de ce début février, l'atmosphère est plombée et le bâtiment plongé dans la léthargie. <<l'important c'est le symbole, de montrer que l'état est de retour>>, reconnaît Traoré Vassiriki, secrétaire générale de cette préfecture fantomatique. Car trois ans après sa signature, l'accord politique de Ouagadougou (APO) qui devait réunifier la Côte d'Ivoire, coupée en deux par la rébellion née au nord en 2002, n'y est pas parvenu. D'Abidjan, le président Gbagbo ne contrôle que le sud. Au nord, les ex-rebelles des Forces Nouvelles (FN) sont enracinés. ce bicéphalisme persistant a provoqué le report - à cinq reprises déjà - de la présidentielle. Et plus personne ne croit en la tenue du scrutin en mars.
Officiellement, "la zone de confiance" qui séparait physiquement le nord et le sud a été officiellement démantelée. L'ex-chef de la rébellion, Guillaume Soro, a été nommé en 2007 premier ministre par son ancien adversaire Laurent Gbagbo. Mais dans sa préfecture de Bouaké, comme partout au nord, Traoré Vassiriki doit se contenter de "symboles". Le pouvoir réel se trouve à trois cents mètres de son parking désert, à l'Infas, un ancien centre de formation des professions de santé devenu le siège des Forces Nouvelles. Allers, venues, agitation, ballet de puissants véhicules tout-terrain... Ici, on travaille.
En ce dimanche 31 janvier, les dix "com-zones" du pays - sanglés dans leurs uniformes camouflés et repassés, coiffés d'un béret rouge, bleu, vert ou noir simulant une vraie armée - y sont réunis en conclave. Ces commandants des Forces armées des forces nouvelles (FAFN) qui menèrent la rébellion en 2002 contre le pouvoir central d'Abidjan sont avec leurs milices les véritables maîtres du terrain. Toute la partie nord-ouest (CNO) de Côte d'Ivoire (60% du pays, 30% des Ivoiriens) est sous la coupe du Cherif Ousmane dit "guépard", Ouattara Zoumana, allias wattao et autres seigneurs de guerre. Sous-officiés bodybuildés au début de la rébellion, les "com-zones" règnent aujourd'hui en maîtres, qui ne se lassent pas de piller leurs domaines. <<Ils contrôlent les précieuses ressources naturelles et le commerce>>, dénonce le dernier rapport d'évaluation de l'ONU, remis en décembre 2009 au Conseil de sécurité.
Les experts décrivaient notamment "une économie de type féodal" tenue par les "com-zones", sécurité, circulation des marchandises, coton, cacao, diamant, essence et armement, rien ne leur échappe. Pas une taxe ne rentre dans les caisses d'Abidjan. Tout comme les paris de la Loterie nouvelle de Côte d'Ivoire (Lonci), version nordiste de la Lonaci abidjanaise. "L'argent va au Burkina Faso, au Mali ou dans les paradis fiscaux", explique un haut responsable de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci).
"Les élections, la réunification, le désarmement, c'est du cirque. Les affaires sont trop bonnes" (Un cadre des Forces nouvelles)
Il n'y a guère que le slogan écrit sur les murs du lycée de jeunes filles fraîchement repeint et rouvert grâce à l'aide internationale pour proclamer "la Côte d'Ivoire, unie à jamais". <<Et non ! Nous avons braqué le nord et nous ne le lâcherons pas>>, rectifie en souriant un cadre du FN. <<Les élections, la réunification, le désarmement, tout cela c'est du cirque. les affaires sont trop bonnes>>, ajoute-t-il.
ce trentenaire gère l'un des corridors partant de Bouaké où passent plus de 500 camions par semaine. <<Cumulés, les péages aux différents barrages des FN me coûtent jusqu'à 100 000 francs CFA (environ 170 euros) par semi-remorque>>, calcule un industriel. <<Le coût de la tonne transportée est l'un des plus élevé au monde>>, confirme Jean-Louis Billon, puissant homme d'affaire ivoirien.
A quelques carrefours de la ville, des policiers des Forces nouvelles règlent tout aussi vainement qu'à Abidjan une circulation chaotique. Et rackettent les conducteurs pour moins cher que dans la capitale économique rongée par la corruption. Cherif Ousmane - et non les casques bleus pakistanais de l'Onuci déployés dans la ville - a aussi remis de l'ordre dans ses troupes de volontaires qui ne gagnaient leur vie qu'en terrorisant la ville. Mais on ne peut parler d'administration. Les fonctionnaires qui avaient fui les combats ne sont d'ailleurs revenus qu'au compte-gouttes.
Et surtout, le désarmement des milices - 6000 hommes, selon les Forces nouvelles - , leur casernement ou leur intégration dans le Centre de commandement qui associe l'état-major loyaliste et celui des ex-rebelles sont illusoires. <<Nous attendons l'argent d'Abidjan pour rénover les quatre casernes>>, se justifie le "com-zone" Wattao. <<Nous désarmons mais, en fait, nous avons encore nos armes>>, ajoute-t-il, elliptique, le regard dissimulé derrière ses larges lunettes de soleil. Le rapport de l'Onu dénonce, quant à lui, le réarmement des ex-rebelles (et aussi des forces royalistes) au mépris de l'embargo international.
Certes, à Bouaké, les habitants ordinaires ne regrettent pas de vivre dans une zone franche où l'eau et l'électricité sont gratuites. <<A Abidjan, c'est le désordre, mais à Bouaké c'est le non-droit et l'arbitraire>>, résume un militant des droits de l'homme. Le temps de l'union sacré est d'ailleurs révolu. <<C'est de plus en plus dure pour tous les Ivoiriens [49% vivent avec moins d'un dollar par jour]. Mais moi, je vis ici, et je vois les "com-zones" pleins aux as. Et nous, nous ne voyons pas la couleur de l'argent>>, se lamente Fanta.
Inscrite dans un programme de réinsertion des anciens combattants financé par la coopération allemande, la GTZ, cette ex-rebelle à la carrure de catcheuse est déçue. <<J'ai fait le coup de feu pour un idéal, confie-t-elle. Je suis allée à la baston>>. <<Mais cet idéal a disparu depuis longtemps>>, regrette-t-elle, une casquette kaki vissée sur la tête, relique de cette époque.
<<On voulait chasser le régime corrompu de Laurent Gbagbo [président en fonction depuis 2000], oublier le tribalisme en donnant aussi une chance aux gens du nord marginalisés. Pour ça, on a arrêté l'école, on a rejoint les "com-zones". Maintenant, on galère, alors qu'ils nous avaient promis une vie meilleure>>, lâche-t-elle. <<Aucune des parties n'a intérêt à reprendre les affrontements>>, juge un responsable de l'Onuci. Mais pour Fanta, malgré son amertume, <<si ça chauffe à nouveau, j'y retourne>>.
Christophe Châtelot (Le monde / 12/02/2010)
Commentaires
Ne jamais croire...
Quand des rebelles prennent le pouvoir en Afrique ou ailleurs disant qu'ils le font pour chasser la corruption, le tribalisme ou autres âneries, ce sont des slogans qu'ils récitent. Avec l'argent qu'ils récoltent, si les rebelles ivoiriens faisaient des réalisations concrètes pour la population qui est restée dans leur zone, ils auraient montré à la face du monde qu'ils avaient de réels projets pour ceux qu'ils disaient défendre en prenant les armes.
C'est pour de l'argent et les chose des blancs qu'ils prennent les armes
Saint Ralph,
Tu as raison, c'est pour de l'argent et les choses des blancs qu'ils prennent les armes. Il ne faut jamais les croire comme ceux qui viennent de prendre le pouvoir au Niger, ils promettent le retablissement de la démocratie, curieusement les populations civiles ne sont pas manifestées.
Pour revenir à l'article, je viens de remarquer la pertinence de la photo illustrant l'article, la moto en sorte de métaphore des bibelots occidentaux, comme aux temps de l'esclavage et de la colonisation, à la place des tissus c'est maintenant les motos et les 4X4, rien n'a changé.
Je t'avoue depuis le début de la crise, je n'ai jamais cru ni à Gbabo ni aux rebelles.Ex rebelles ?
Salut Ralph,
ces gens-là sont toujours armés et tiennent en otage la moitié du pays. Faut pas céder à la dictature intellectuelle des médias françafricains. Ex, est un synonyme de ancien. Sont-ils d'anciens rebelles ?
Ils sont toujours armés, ils tiennent toujours en otage et pillent la moitié du pays, ils défient l'autorité de l'état et on doit les appeler ex rebelles ?Toujours des rebelles !
Les rebelles ont toujours les armes à la main. Oui, Xada, on ne peut par conséquent parler de ex-rebelles !
@ Le pangolin
Moi aussi j'ai trouvé la photo illustrant l'article bien parlante ; le cadre et l'habit du chef rebelle trônant sur sa belle monture entouré de ses valets ! L'image même de voyous parvenus. S'ils mettaient leur nouvelle richesse à la constuction du nord du pays, je leur accorderais quelque crédit. Mais il semble qu'il y a des Ivoiriens qui sont en adoration devant eux.Comment peut-on espérer ?
Oui, mon cher Segou ! comment peut-on espérer dans ces conditions. Personne ne done la preuve de la bonne foi de son opposition au pouvoir en place. Si les rebelles réalisaient quelque chose avec ce qu'ils récoltent dans la zone qu'ils occupent, ils donneraient des signes d'hommes sérieux. Mais ce sont clairement des voyous !
@ Et comme dit Letsaa Lakosso, certains font semblant de ne rien voir ni rien savoir.Définition den "ex-rebelles" !!
Bonjour Kaoka,
Les rebelles qui occupent la moitié-nord de la Côte d'Ivoire sont et restent des rebelles jusqu'à ce qu'ils désarment et acceptent la réunification du pays, ou jusqu'à ce qu'ils proclament la zone qu'ils occupent indépendante du reste de la Côte d'Ivoire. C'est dans l'un ou l'autre cas qu'on pourra les appeler des "ex-rebelles".
Pour le moment, les journalistes et les partis politiques emploient cet mot à la place de "rebelles" pour ne pas fâcher ces hommes qui, armés, exploitent la deuxième moitié du pays. C'est ce qu'on appelle un "euphémisme". C'est-à-dire qu'on adoucit sa pensée en utilisant un terme moins fort à la place du mot qui convient pour ne pas mécontenter celui à qui on s'adresse. En ce qui me concerne, je les appelle toujours "les rebelles" parce qu'il faut appeler un chat un chat ! Le premier titre, "Côte d'Ivoire : les rebelles pillent mais ne construisent pas" est de moi.Une affaire d'ex rebelles!
Je vois!! C'est un procédé vieux comme le monde: quand on ne peut pas changer une réalité, on change le terme qui la désigne. Les exemples sont légions:
MPCI -----> Forces Nouvelles
Rebelles -----> Ex rebelles
Complices des rebelles -----> Forces d'interposition
Vaut mieux en rire pour ne pas en pleurer!!C'est cela !
C'est cela, Kaoka ! D'ailleurs, il semble que ce ne sont pas les rebelles quin ont eu l'intelligence de s'appeler Forces Nouvelles. Il paraît que c'est Konan Bédié, qui lors des réunions de Marcoussis, très embarrassé et ne sachant comment appeler ceux qui ont pris les armes, les a qualifiés de Forces Nouvelles pour éviter de les blesser en les appelant rebelles. Et les rebelles très contents d'entendre la formule ont décidé de s'appeler ainsi.
vraiment dommage
ce qui m'attriste au plus haut point, c'est que de jeunes intellectuels africains ont aussi pris fait et cause pour cette bêtise. ils n'ont pas encore compris qu'au délà de gbagbo, ce qui se joue en côte d'ivoire, c'est le type d'afrique qui leur sera leguée demain. il y a de quoi s'inquieter pour l'avenir de l'afrique.
Les rebelles en bande dessinée
Découvrez le pays des rebelles en bande dessinée :
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/51a652c2-de67-11dd-b87c-1c3fffea55dc/
C'est effrayant,
La lecture de cet article du monde fait frémir, depuis le début de cette crise je me suis toujours demandé "qui sommes-nous?" pour que l'argent devienne le dieu. Ce conflit est le résultat de l'ignorance, de la cupidité et surtout de la facilité.
Il revele aussi le degré d'absence de liberté individuelle de chacun des Africains.