17 août 2010
Ourika (Madame de Duras)
Ourika, la première grande héroïne noire
de la littérature occidentale
L’esclavage étant interdit sur le territoire français, une mode étrange se répandit dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle : des négrillons arrachés d’Afrique, qu’on sauvait pour ainsi dire de l’esclavage des colonies, étaient offerts ça et là à de riches aristocrates et à des bourgeois qui en faisaient les délices exotiques de leurs demeures ou de leurs salons (1). C’est ainsi qu’une fillette emmenée du Sénégal (tout ce qui venait du Sénégal, alors le point de rassemblement des captifs africains, était faussement baptisé sénégalais) recevra une éducation aristocratique et finira sa vie comme religieuse dans un couvent parisien au début du XIXè siècle.
C’est de son couvent que la religieuse Ourika, malade, confie à son médecin le chagrin qui a ravagé sa vie et l’a conduite au bord de la tombe. N’est-il pas toujours vrai que pour nous guérir, les médecins ont besoin de connaître les peines qui détruisent notre santé ?
Ourika raconte donc son arrivée en France à l’âge de deux ans, son éducation et sa formation intellectuelle auprès de Madame de B. qui « s’occupait elle-même de ses lectures, guidait son esprit, formait son jugement ». Mais, à quinze ans, elle prend brutalement conscience de sa couleur comme le signe par lequel elle sera toujours rejetée, le signe qui la séparait de tous les êtres de son espèce, « qui la condamnait à être seule, toujours seule ! jamais aimée ! » La voilà donc une étrangère parmi ses semblables. Dans sa douleur, la douce compagnie de sa maîtresse et de ses deux fils ne lui sont d’aucun secours.
Quand éclate la Révolution, elle pense un moment que dans le grand désordre des événements de 1792, elle pourrait trouver sa place en se lançant dans l’action et en montrant quelque qualité qui serait appréciée et ferait oublier la couleur de sa peau. Pensée vite chassée, car « bientôt leur fausse philanthropie cessa de l'abuser, et elle renonça à l'espérance, en voyant qu'il resterait encore assez de mépris pour elle au milieu de tant d'adversités. » Elle se replia donc sur son chagrin, se persuada qu’elle mourra sans laisser de regrets dans le cœur de personne, elle qui ne sera jamais « la sœur, la femme, la mère de personne ! » Il ne lui restait que le couvent ! Mais la vérité, c’est que le chagrin qui ruinait sa santé était encore plus profond que celui que lui causait la couleur de sa peau.
Il semble que ce court roman (50 pages) eut un formidable succès au moment de sa parution en 1824. Il y eut même une mode Ourika en France : rubans, blouses, colliers, pendules, vases « à l’Ourika ». Le roman arracha des larmes à Goethe, fut salué par Châteaubriand qui hissa son auteur, Madame de Duras, au même rang que Mme de Lafayette et Mme de Staël, figures emblématiques du classicisme et du romantisme. Sainte Beuve et Stendhal saluèrent également le talent de l’auteur. Pourtant, Ourika est tombé dans l’oubli. Notre siècle verra-t-il sa résurrection ? Il est vivement conseillé de lire l’ensemble du dossier très instructif - réalisé par Virginie Belzgaou - qui accompagne le roman afin de saisir tout le retentissement de l’œuvre et ses qualités littéraires.
Ourika n’est nullement une apologie du Noir au XIXè siècle. Ce roman ne semble pas non plus écrit pour servir d’étendard aux abolitionnistes de l’époque. Ourika n’est pas non plus une sorte de Lettres persanes permettant de voir la société française sous un regard étranger. Ourika n’est rien de tout cela parce que le personnage est une aristocrate noire avec les préjugés de l’aristocratie blanche au sein de laquelle elle a été élevée. Mais ce n'est pas pour autant que les lecteurs noirs devront hâtivement la qualifier de "peau noire, masque blanc", pour reprendre l'expression de Frantz Fanon. Le charme d’Ourika, c’est que pour la première fois dans la littérature européenne – comme l’a déjà remarqué un romancier anglais – un écrivain blanc pénètre dans une conscience noire avec élégance et sincérité au point de permettre à des lecteurs blancs de s’identifier au personnage. Quant à moi, j'ai vu en Ourika une Princesse de Clèves noire.
(1) Du XVIIè au début du XXè siècle, Le salon n’est pas une simple pièce, mais un des lieux essentiels de la vie mondaine et culturelle : femmes de la noblesse et de la grande bourgeoisie y reçoivent les élites sociales, intellectuelles et, à partir du XIXè siècle surtout, les élites politiques de leur époque.
Raphaël ADJOBI
Titre : Ourika (50 pages)
Auteur : Madame de Duras (Claire de Duras)
Edition : Gallimard, 2007 (Collection : Folioplus classiques)
Commentaires
Oui, un très beau texte !
Oui, Liss, Mme de Duras que je découvre grâce à ce roman a une écriture magnifique ! La beauté de la langue jointe à la pureté des sentiments de l'héroïne font de ce roman une merveille. Pour moi, Madame de Duras fait un sang faute en mettant en scène une héroïne noire. Non, je n'ai pas relevé de mauvaises intentions de la part de l'auteur. Rire !
Ourika? Eureka!
Bonjour St-Ralph,
C'est une très belle découverte que tu nous proposes. Je suis tenté de te demander comment tu es tombé sur une telle perle. La littérature m'intéresse quand les auteurs prennent autant de risque à pénétrer l'univers d'un autre à priori inconnu.
William Styron l'a fait avec beaucoup de succès dans les confessions de Nat Turner qui a soulevé l'indignation de l'intelligentsia afro-americaine en plein mouvement pour les droits civiques. Ce bouquin que tu as forcément lut est une merveille et j'ai un total respect pour Styron d'avoir été en mesure de le faire.
J'ai commenté un bouquin d'Henri Lopes où son personnage central est une femme et qu'il écrit à la première personne. La justesse du propos, des émotions, de la sensibilité féminine que son personnage véhicule est étonnante. La marque des très grands.
Donc, Madame de Duras, m'intéresse.Bravo St Ralph
Une fois encore St Ralph tu viens de démontrer ton talent de chercheur des perles de la littérature.
J'ai été saisi par tout ton texte et je te remercie d'avoir encore arrosé mon jardin afin que je me cultive encore. Comme tu as su bien le dire, ce roman sans le savoir a fait comprendre à ses lecteurs ce qui est primordial pour un être humain " l'amour" et la considération des siens. C'est en ça que la littérature a toute sa place dans notre vie elle nous fait passer des émotions.
Je vais dès lundi acheter ce livre et le recommander, d'ailleurs si tu le permets je vais le publier sur mon blog et sur un site d'un ami.
MerciUne belle découverte, oui !
@ Oui, Ganguéus,
je crois avec toi que c'était un risque que Mme de Duras a pris en peignant l'âme d'une noire. Mais comme tu le dis, ainsi que Mouélé dans son commentaire, elle a laissé parler "la sensibilité féminine", elle n'a cherché que "la justesse des émotions", elle a peint ce qui est "primodial en l'être humain : l'amour". Quand une femme voit une autre femme et la considère comme telle, elle peut être juste dans le rendu des sentiments.
Vois-tu, je n'ai lu William Styron ! Tu viens d'alourdiste ma pile de livres à lire !
Comment ai-je découvert ce livre ? Une amie sait que je lis tout ce qui touche aux Noirs. Elle a trouvé un petit article dans Télérama parlant du livre. Je n'ai pas hésité un seul instant ; surtout pour 7 ou 8 euros. Et puis le livre ne compte qu'une cinquantaine de pages. On ne peut pas traîner.
@ Oui, Mouélé,
Comme je le disais à Gangouéus, vos propos sont justes concernant ce livre quand vous parlez de sentiments humains, d'émotions. Bien sûr que je te permets de reprendre mon article sur ton blog. Oui, tu prendras beaucoup de plaisir à lire ce roman. Comme je le disais à Liss, en plus de la pureté des sentiments qu'elle a su rendre, Mme de Duras a une écriture magnifique.Tu sais quoi, St-Ralph, j'ai vu Ourika dans la sélection de livres dans la rubrique "l'Afrique écrite au féminin à l'époque coloniale" sur le site des écrivaines africaines. Voici le lien : http://aflit.arts.uwa.edu.au/indexcolonialfr.html
Mais où? Où donc?
St-Ralph va-t-il dénicher ce genre de pépites? Je me demande bien. En tout cas, pour un lecteur lent comme moi, 50 pages, c'est une très bonne chose dans mes trajets de train, dès que je reprendrai le boulot. Ourika... rien que le nom me fait rêver et donne envie de découvrir cette héroïne. Voilà une drogue qui ne doit pas faire de mal...
Merci, ObambéTerminus!
Saint-Ralph,
Le matin, quand je vais au boulot, le 1e train que je prends fait environ 1h20', et je descends au terminus, puis-je lire ces 50 pages en 1h20' et écouter mes radios en même temps? Si oui, je ne risque pas de rater ma gare. Sinon, après, oui, il y a d'autres trains et là...
@+, O.G.Salut Ralph
Oh là là, c’est merveilleux tous ces beaux sentiments, mais vous semblez tous oublier que ce livre retranscrit d’abord la souffrance et le chagrin d’une femme, arrachée à son monde donc à l’affection des siens depuis sa tendre enfance. Cette histoire est d’abord un drame humain et l’expression de la bêtise humaine.
Ourika, c’est l’ancêtre de Surya Bonaly. Cette extraordinaire patineuse, fut consécutivement, huit fois championne de France en 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996, ouf !!! Cinq fois championne d’Europe en 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995. Trois fois, deuxième aux championnats du monde en 1993, 1994 et 1995. Toutefois, si sa suprématie fut incontestable, il lui manqua manifestement quelque chose, pour obtenir la première marche du podium mondial : une peau blanche.
Ourika recherchais l’amour que sa condition raciale lui interdisait malgré son éducation aristocratique, tandis que Surya ne demandais que la reconnaissance de son talent. Deux époques, deux vies et deux destins conditionnés par l’implacable condition raciale de ces êtres, à la sensibilité toute humaine.
Comme Ourika, cette jeune femme extraordinairement talentueuse, fut élevée par des blancs, dans un milieu de blancs. Elle découvrira, elle aussi, la profondeur de la bêtise humaine, car ni son talent, ni son génie et sa suprématie mondiale, incontestable, dans le domaine du patinage artistique ne viendront à bout des juges, prisonniers de leur racisme primitif. Pétrie de chagrin, mais soutenue par l’amour de sa mère adoptive, elle se retirera de la compétition en 1998.
A l’eurovision, un chanteur noir d’origine congolaise je crois, et son groupe, représentant la France, a été privé de la première place, uniquement, parce que certains membres du jury de l’Europe de l’est, les trouvaient trop noir lui et sa musique, pour être français…
Par ailleurs, si les américains ont élu Barrack Hussein Obama, c’est tout simplement parce que, pragmatiques, ils ont voulu "soigner le mal par le mal". En élisant un président, descendant d’un musulman et portant un nom musulman, ils avaient pour objectif, après le 9/11 et le désastre irakien, de calmer ou du moins d’atténuer la haine dont ils étaient l’objet – et pour cause - de la part des arabes.
Obama, est talentueux et intelligent. Il est, certes, doté un parcours professionnel et politique remarquable mais, soyez en sûr, aux Etats-Unis, des personnes comme lui ne manquent pas. Ce qui fait surtout sa particularité en plus de ses qualités indéniables, ce sont ses origines métisses : grand parents irlandais baptistes, père noir et musulman. Le parfait candidat qui pouvait contenter tout le monde, ou du moins la majorité, et réconcilier l’Amérique avec les arabes, dont ils ont tant besoin du pétrole. Il faut reconnaitre que ça a marché, puisque la tension dans le monde a baissée depuis son élection, qui fut d’ailleurs très bien accueilli dans le monde musulman. Il s’appelle quand même Hussein, comme Saddam, cela, les musulmans ne l’oublient pas. Et, sa prise de position sur la polémique concernant la future construction d’une mosquée près de grounds zéro, paraissait quelque peu surprenante. Mais, quand on y réfléchit bien, cela va de soi, il est dans son rôle : Calmer la fureur des arabes.
N’est-il pas étrange qu’il ait fallu que l’Amérique soit humiliée, discréditée et ruinée (11/9, Guantanamo, armes de destructions massives, Abou Graïb, subprimes etc.etc) pour tolérer l’entrée d’un nègre et d’une négresse à la maison blanche ? Il est en outre certain, que le père fondateur des États-Unis d’Amérique, George Washington, qui signa le décret de construction de la maison blanche et qui fut aussi un esclavagiste, se retourna dans sa tombe le soir de l’élection de Barrack Hussein Obama, ce… « fils d’une blanche indigne et d’un affreux nègre ».
Les voies du seigneur sont en effet vraiment impénétrables.
Tout ceci pour dire, qu’au-delà du talent de l’auteur, des qualités littéraires de l’œuvre et des beaux sentiments, l’histoire d’Ourika est celle de tous les noirs dans le monde occidental, qui ont été méprisés à travers les siècles, à cause de la couleur de leur peau. Quels sont donc les enseignements que l’ont devraient tirer de cet œuvre ?Salut Xada !
Franchement, ne crois-tu pas pousser le bouchon un peu trop loin, comme on le dit en France ? Ourika s'est auto-censurée ; ce n'est point le cas de Surya Bonaly qui était en compétition avec d'autres.
Le fait d'être une minorité dans un grand ensemble ou différent dans un milieu implique forcément des interrogations et des souffrances. Cela, des milliers de gens en font l'expérience tous les jours. C'est en fait cette expérience universelle qu'a vécue Ourika. Mais dans son cas, l'élément déclencheur était sa couleur de peau. Pour d'autres, c'est la pauvreté, l'infériorité de la classe sociale, le statut d'étranger, ou même la confession religieuse.
Mon cher Xada, je crois qu'il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Ne limitons pas le drame d'Ourika aux seuls Noirs.Salut Ralph
J'ai pêché par ignorance car je n'ai pas encore lu ce merveilleux livre que tu m'as fait découvrir. J'irai faire un tour à la librairie de France voir s'il est disponible.
Je suis donc entièrement d'accord avec toi, mais sache que j'ai fait une partie de mes études en France. Je connais ce pays comme ma poche. J'y ai moi même été confronté à certaines expériences.
De nombreux africains y occupent des emplois sous qualifiés à cause de la couleur de leur peau. Tu ne me contrediras pas...
Les pratiques qui avait cours à l'ANPE à l'époque continuent aujourd'hui, n'est ce pas ? Etre noir en Europe est un handicap, tu le sais et je le sais!
Ne nous voilons pas la face...C'est tout à ton honneur...
Cher xada, c'est tout à ton honneur de reconnaître que tu as été excessif dans ton jugement. Tu fais bien de désirer lire Ourika. Livre au sujet intéressant et très bien écrit. J'espère de tout coeur que tu le trouveras à la librairie de France. sinon, tu pourras le commnder par leur intermédiaire. Bonne lecture. Après tu me diras ce que tu en penses.
Merci!
Bonjour,
St-Ralph, j'avais acheté ce livre quelques temps après ta critique et j'avais apprécié. Quand on est Africain, sans plus d'éléments sur la vie des Africains sous l'esclavage, on a du mal à imaginer une histoire d'amour entre des gens qui se retrouvent des côtés opposés de la barrière. Ce livre est petit, mais que d'intensité là-dedans!!!
C'est une pépite!
Encore merci.
@+, O.G.je reprends...
Je reprends un peu le commentaire de Xaba, les bons sentiments ne sont pas interdits pour nous, mais en politique, comme dans la finance, il n'y en à pas, dans ces milieux, les sentimentaux ou les idéalistes ne font pas long feu, à condition que l'on ne les tue pas avant qu'ils ne se fatiguent. Peut-être le peuple lui-même n'est-il pas assez mature? notre évolution n'est pas terminée et nous sommes impatients, l'histoire se déroule dans le temps, le changement des consciences est au moins aussi lent...
Je comprends fort bien les "bons sentiments" auxquels Xada et toi faites allusion. Mais il faut vraiment lire ce livre pour comprendre que Madame de Duras n'avait nullement l'intention de prendre la défense des Noirs ; ce qui équivaudrait à de "bons sentiments" à leur égard. Aussi bien à son époque comme aujourd'hui, le lecteur comprend qu'il s'agit tout simplement de l'histoire universelle de l'amour impossible.
Heureux de lire tes commentaires sur mon blog.Quel plaisir de relire tes billets !
Cher Saint-Ralph,
tu te souviens sans doute que j'ai redécouvert Ourika parce qu'une édition scolaire avait été mise sur le marché, que j'ai d'ailleurs proposée à mes élèves durant l'année scolaire qui vient de s'achever. Mais j'avais complètement oublié que tu nous en avais parlé en 2010, et que j'avais même laissé des commentaires ! Tu devrais de temps en temps partager sur les réseaux tes anciens billets ! Quelle joie de relire tes articles, de relire les échanges qu'ils ont suscités. Internet, quelle bibliothèque ! Quand nous, nous oublions, lui, conserve la mémoire de toute chose.Belle suggestion. En regardant de temps à autres la liste des articles consultés par des Internautes, je redécouvre certains de mes écrits avec beaucoup de plaisir. Mais j'avoue que je ne pense jamais à les republier. Promis, je suivrai ton conseil. c'est vrai : Internet est une excellente bibliothèque.
Beau texte, semble-t-il.
Ourika, je ne connaissais pas. Cela semble un texte qui a marqué l'histoire, et c'est vrai que c'était plutôt nouveau, à l'époque, un "écrivain blanc qui pénètre dans la conscience d'un Noir". A lire donc, surtout qu'on ne relève pas, dans ton billet, une remarque suspicieuse sur les intentions de l'auteur. "Elégance et sincérité" ? Si St-Ralph le dit, il faut lui faire confiance.
Et puis, cher St-Ralph, que des références littéraires dans ton billet ! Et avec ça, tu te prends pour un historien ? Un pur littéraire plutôt ! De toutes les façons, les deux sont des chambres d'une même maison.