08 septembre 2010
L'amère patrie, Histoire des Antilles françaises au XXè siècle (Jacques Dumont)
L’amère patrie
Histoire des Antilles françaises au XXè siècle
Quiconque lira ce livre en fera son bréviaire chaque fois que le besoin de connaître un aspect des Antilles françaises se fera sentir. Son organisation en une multitude de chapitres permet de le consulter aisément, bien que son abord soit assez rebutant du fait des nombreux renvois aux notes regroupées en fin d’ouvrage. Dommage car c’est un texte passionnant où les documents de presse (antillaise) et de l’administration ainsi que les extraits de discours politiques prennent une grande place.
C’est la peinture de la longue et pénible marche des Antillais vers la pleine reconnaissance de leur citoyenneté française et de leur totale assimilation aux enfants blancs de la France que Jacques Dumont nous donne dans ce livre. Car, « Si tous les habitants de Guadeloupe et de Martinique, comme ceux de Guyane et de la Réunion, ont été, avec l'abolition de 1848, déclarés citoyens français, ils sont néanmoins restés colonisés pendant encore un siècle ». Il aurait pu dire « plus d'un siècle » puisque les luttes se sont poursuivies au-delà des années soixante. Chacun pourra découvrir dans ce livre que la théorique égalité citoyenne instaurée avec l'abolition définitive a été régulièrement bafouée. D’abord avec la suppression du suffrage universel et la représentation des Antilles au Parlement. Ensuite avec le retard pris par la mise en place de la départementalisation pour les Antilles. Quant à la Sécurité Sociale, son application dans ces anciennes colonies donna lieu à des débats épiques. L’auteur nous présente ici une foule de situations administratives et de décisions politiques qui ne peuvent qu’étonner le lecteur.
L’amère patrie montre de façon évidente que tout est flou concernant les Antilles, sur les plans juridique, administratif, social. Jamais rien ne semble urgent pour tout ce qui les concerne. Tout est fait avec beaucoup de retard, quand quelque chose est fait. Souvent ce qui est fait se limite à des décisions ou des décrets jamais suivis ou appliqués. Tout laisse croire que les Antillais ne sont jamais assez Français pour mériter le même traitement que les autres citoyens sans des discussions supplémentaires préalables.
Or, au sortir de l'esclavage, leur âme et leur esprit étaient tendus vers l'assimilation, prêts à se sacrifier pour « la mère patrie ». Les premiers chapitres du livre sont même émouvants : lorsque la guerre franco-prussienne éclata en 1851, les hommes refusant d'être assimilés aux autres Noirs des autres colonies, se montrèrent plus patriotes que les Français de la métropole en revendiquant leur participation à l’effort militaire. Mais cela leur fut refusé parce qu'il ne fallait pas enlever aux colons leur main d'oeuvre servile dans les champs de canne ! Et quand l'Etat cède, il ne cède qu'à moitié en créant en métropole « un contingent de troupes coloniales » pour les Antillais, comme pour freiner leur assimilation. D’autres revendications suivront et se heurteront toutes au silence, à la lenteur administrative.
De temps à autres les revendications cèdent la place à la déception et à l'exaspération. Alors devant leurs mouvements, périodiquement, on voit les autorités de la République « agiter le chiffon rouge de l'abandon ». Celles-ci ne se rendent même pas compte, remarque l’auteur, que le simple fait de parler d'abandon c'est reconnaître que l'intégration des populations de ces anciennes colonies est incomplète.
Dans l’histoire entre la France métropolitaine et les Antilles, Jacques Dumont note une période cruciale qui se situe entre 1960 et 1970. D’une part, la société antillaise qui était jusque là une société de plantations bascule dans la société de consommation. Les grands planteurs se reconvertissent dans l’importation massive de marchandises déséquilibrant les échanges avec la France. D’autre part, la politique de transplantation d’une multitude d’Antillais en métropole qui fut entreprise durant cette période les fit découvrir brutalement « qu’ils étaient des Nègres comme tous les autres » (Aimé Césaire). Le rêve d’assimilation s’envole !
Mais comme durant les années de revendication d’une totale assimilation ils ont nié leurs caractères proprement africains, voilà que les Antillais se sentent désormais obligés de « s’employer consciemment à l’élaboration d’une culture originale » qu’ils ne veulent pas considérer comme la somme de l’Afrique, de la France et de l’Asie. C’est donc récemment qu’apparaît les termes « créolité » et « créolisation » dont les contours restent flous. Le lecteur peut se demander avec Michel Leiris si la culture s’invente avec « une pléiade d’intellectuels de couleur ». On ne peut donc qu’être d’accord avec Joël Nankin quand il dit « (qu’) en plaçant la politique au-dessus de la culture, (les Antillais) avaient mis la charrue avant les bœufs ».
Il est donc clair que c’est l’échec de l’assimilation qui a poussé les Antillais à se raccrocher à ce qui ne leur rappelle pas l’Afrique et les singularise par la même occasion par rapport à la France colonisatrice : la langue créole. Maigre caractérisation certes, mais qui constitue un canal d’affirmation de soi parce qu’elle est considérée comme la naissance d’une ethnie, d’un groupe socio-politique. Mais, outre ce caractère linguistique auquel on s’accroche comme à une bouée de sauvetage, il reste à étoffer l’âme antillaise qui ne peut se limiter à la langue et aux rythmes musicaux. Une question demeure : peut-on renier à la fois ses ancêtres et sa mère adoptive et prétendre conserver son âme ?
Raphaël ADJOBI
Titre : L’amère patrie, Histoire des Antille
françaises au XXè siècle, 351 pages
Auteur : Jacques Dumont
Edition : Fayard, mars 2010
Commentaires
Merci Kinzy !
Je suis très touché par ce propos sortit du fond de ton coeur. La lecture de ce livre m'a permis d'approcher d'un peu plus près l'esprit des Antillais. Je comprends donc parfaitement comment les uns et les autres peuvent réagir à certains propos. Maintenant je comprends mieux Frantz Fanon qui disait dans l'introduction de son livre "Peau noire, masques blancs" que ses observations et ses conclusions ne valent que pour les Antilles. On d'autres termes, il ne parlait que des Antillais. Cela donne à réfléchir, et je vais d'ailleurs relire son livre.
Quand tu dis que ta propre mère a suffoqué quand tu lui as dit que vous étiez des descendants d'esclaves, maintenant que j'ai lu le livre de Jacques dumont, je te crois. Avant, j'aurais dit, c'est impossible.
Qui aurait formé la conscience des Antillais ? C'est une belle question que tu poses. Comme le pense Joël Nankin que cite Jaques Dumont et dont je reprends les paroles dans mon billet, les Antillais auraient dû commencer par affirmer leur culture (comme James Brown et les Américains qui chantaient "je suis noir et fier") avant de miser sur les retombées de la politique.
Merci de me signaler le livre de Guy Cabort.Amer sujet
Il faut dire les choses, mettre des mots sur les maux. Cette Amère patrie a le mérite de prendre ce sujet, combien amer, à bras le corps. C'est difficile en effet, être antillais, la question de l'identité est encore plus cruciale en ce qui les concerne. Et côté africain, comme européen, on n'arrange pas les choses par notre attitude.
Je comprends ton cri, chère Kinzy, peut-être pourrais-tu l'exprimer d'une manière universelle, comme tu sais si bien le faire, dans un poème ? Il importe de faire entendre la Voix des Antilles, et c'est encore mieux quand c'est par la bouche d'un natif des Antilles.
Merci pour le titre "Le petit Bodiel" que j'ai commandé.Hybrides
Hi
Comme le dit si bien Liss
Nous ne sommes ni Africain ,ni Français j'ajouterai que nous sommes aussi Hindous.
Cette particularité qui fait que nous sommes encore à la recherche de nous même.
Nous pouvons être partagés entre ces cultures mais pas divisés au point de nous éparpiller dans telle ou plus qu'une autre direction.
Comment pourrions nous continuer à nous construire si nous laissons caché une partie de nous ?.
Donc, nous devons être UN pour traverser ce labyrinthe ,d'où on distingue très mal la sortie
Pour ma petite expérience , c'est en parcourant un petit bout d'Afrique que j'ai aimé le plus profondément mon île.
Mais l'Afrique reste loin surtout si on doit passer par Paris et par Tripoli.
@Aîe
Ma Martinique est à mi chemin entre l'Europe et l'Afrique, pas tout à fait l'Afrique mais un peu quand même.
Une chose est presque sûr c'est que demain, l'Afrique ressemblera à la Martinique d'aujourd'hui
@ Liss
Si je te parlais de ma Martinique , je te dirai
L'école
La crise
L'illettrisme
Le chlore déconne
Les risques sismiques
La consommation à outrance
La vie chère
Le chômage
Le manque de perspectives
Maladies orphelines
Cancers et autres
Mais il est tard , je te fais un bô
FosPour une meilleure connaissance des Antillais
@ Alenya,
Parler des Antillais sous l'angle africain ou français-métropolitain, est toujours une démarche délicate. Certaines clefs sont absolument nécessaires. Aussi, ma conclusion s'est limitée à une brève analyse de la "creolité".
Ce livre permet de bien comprendre certains comportements des Antillais à l'égard des Noirs africains. Il permet aussi de comprendre leur histoire avec la France métropolitaine. Je comprends mieux leur profonde frustration et le besoin de certains d'avoir une référence culturelle comme tous les peuples de France ; comme les Bretons, les Alsaciens, etc.. Ce livre m'a permis de comprendre qu'après l'abolition, les Antillais ont négligé cet aspect des choses pour se fondre dans la nation française.
@ Kinzy,
J'espère que d'autres Antillais diront ici leurs sentiments sur le contenu de ce livre. Grâce à toi, j'apprends qu'il y a des Antillais qui aspirent à mieux connaître leur origine africaine. J'ai lu sur ton blog que tu as récemment effectué un voyage en Afrique.
@ Merci Liss de jouer l'accoucheuse ! Ainsi, Kinzy s'est davantage livrée.Merci à Alenya pour cette vidéo sur les Antillais.
Notre ami Alenya vient de me faire parvenir une video dont le contenu est très instructif. Pour mieux connaître les gens, il faut leur donner la parole. Cette video confirme les propos du livre "L'amère patrie".
http://latelelibre.fr/index.php/2010/06/guadeloupe-une-colonie-francaise/Bonjour Didi !
Comme je le dis dans mon analyse, les chapitres sont nombreux. J'ai voulu dans mon petit travail montrer l'évolution de l'esprit du livre.On passe de "La citoyenneté revendiquée" à la "départementalisation contestée" en passant par "Les années de l'entre-deux-deux-guerres : la quête de l'intégration" et "Mémoires de l'esclavage : 1948, la célébration du centenaire de l'abolition de l'esclavage". Je ne cite là que quelques chapitres.
Je te conseille vivement le livre pour avoir plus de détails sur les chapitres. Si je dis dans mon introduction que ce livre peut devenir un bréviaire, c'est justement parce qu'il contient une multitude de sujets dans lesquels chacun peut à tout moment trouver son compte.
Et l'Afrique dans tout ça ?
Pour qu'un mouvement naisse , il faut une conscience , il faut des gens qui éduquent et qui rassemblent.
Or , les hommes en qui nous avions foi se sont plus ou moins désolidariser du peuple en se créant un monde à part tout en s'appliquant à mettre en évidence les travers du nègre d'à côté.
Du jour au lendemain ils n'étaient plus nègres
Nos parents et nos grands parents ne sont quasiment pas aller à l'école et très peu savaient lire.
Qui nous aurait formé à la conscience de nous même ?.
Ma propre mère a suffoqué quand je lui ai dit que nous étions descendants d'esclaves !
Non ces choses là ne se disait pas.
Et ce fameux créole que certains s'appliquent à faire rentrer dans les petites classes.
Qui va enseigner le créole ? Les profs métros fraîchement débarqués ?
Nos jeunes profs sont embarqués pour la France et atterrissent en région parisienne , de là ils ne reviennent pas, préférant l'argot sans doute, au créole d'ici
Sur qui pourrions nous compter ?
L'état providence qui donne d'une main et qui reprend tout et même plus de l'autre? ces hommes politiques qui se remplissent les poches en plaçant leur famille dans l'espace ? ou, qui investissent en métropole et qui jurent de ne jamais travailler avec des nègres ?
Pouvons nous compter sur l'Afrique ? Qui sommes nous pour les Africains ?
Très peu savent qui nous sommes , et je peux comprendre que ce ne soit pas une question majeur pour un bon nombres de mes compatriotes et d'Africains surtout. Les priorités sont ailleurs et la survie passe avant tout.
En attendant un éventuel secours ou même délivrance.Il existe des hommes et des femmes qui revendiquent haut et fort leur origine africaine, mais pour la société ce sont des marginaux , des rétrogrades qui vivent dans le passé.
Je sais que tu as énormément à lire , mais je te conseille l'analyse de Guy Cabort Masson intitulé : Martinique Comportements et Mentalités ( créolisation, assimilation nationalisme ).
Fos