Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

20 septembre 2010

Histoire de l'Afrique ancienne (VIIIè s. - XVIè S.), par Pierre Boilley et J-Pierre Chrétien

                         Histoire de l'Afrique ancienne

                                         (VIIIè - XVIè siècle)

 

Histoire_de_l_Afrique_Ancienne            Incroyable ! Mon Dieu, quelle nouvelle ! « L'Afrique a une histoire » ! Oui, vous avez bien lu : « l'Afrique a une histoire ». Ce sont les mots qui commencent ce dossier de la revue française La documentation photographique. On ne peut s'empêcher, en les lisant, de penser au fameux discours de Dakar.

 

            Ainsi donc les pages de la vie de l'Afrique noire ne sont pas vides ou plutôt remplies du ron-ron de l'éternel recommencement qui a fait que, selon certains, l'homme noir n'est jamais entré dans l'histoire de l'humanité. Mais balayons notre colère, puisque tous les Africains sont convaincus en leur for intérieur que « moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. » (André Gide, in Voyage au Congo).

 

            C'est pourquoi, la première des choses que reconnaissent les auteurs de ce document, ce sont les préjugés fortement ancrés dans l'inconscient collectif européen et au premier desquels ils retiennent le déni d'une histoire africaine. A quoi tient ce préjugé ? Au seul fait que l'Europe a parlé de l'Africain sans jamais l'écouter, sans jamais prendre en compte sa parole. « Pourtant (...), les sources, tant orales qu'écrites ne manquent pas pour écrire une histoire longue de l'Afrique », assurent Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien. Aussi tentent-ils de nous faire découvrir cette Afrique ancienne qu'ils évitent d'appeler « le Moyen-âge africain » ; le terme renvoyant trop à une conception européenne de l'histoire d'une époque.

 

            Reconnaissant que l'Afrique ne peut-être considérée comme « un vaste ensemble homogène » où les hommes ne connaissent qu'un destin commun, ils nous proposent de découvrir plutôt « des mondes africains » ou des histoires africaines. Pour ce faire, ils ont déterminé trois zones géographiques : une Afrique occidentale liée au nord de L'Afrique puis à l'Europe (Empire du Ghana, empire du Mali, Empire Songhaï), une Afrique Orientale ouverte sur l'océan Indien et le monde asiatique (outre les héritages antiques de Nubie et d'Ethiopie), et une Afrique centrale et méridionale de peuplement essentiellement bantou malgré sa diversité culturelle. Cependant, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture de cette Histoire de l'Afrique ancienne, on a le sentiment de plonger dans celle de l'humanité tout entière parce que les connexions avec les autres parties du monde se révèlent de manière tout à fait éclatante.Et on se dit que le goût des voyages ne date pas de notre époque !

 

             On finit par se convaincre que cet excellent travail sur l'histoire de l'Afrique ancienne de notre ère - un travail de vrais historiens au service de l'humanité - s'adresse avant tout aux Européens qui enseignent dans leurs écoles et leurs universités une l'histoire de l'Afrique qui n'est rien d'autre qu'une « histoire de leur conquête et de leur oeuvre coloniale ». Chacun devra en effet retenir qu'ils n'enseignent « en réalité (que) l'histoire de l'Europe en Afrique et non l'histoire des Africains eux-mêmes ». La soixantaine de pages de ce dossier, illustré de magnifiques photos et cartes à caractère pédagogique, suffit pour abreuver l'esprit du lecteur d'une multitude de connaissances qui bouleversent des croyances communément admises. Ainsi les chapitres consacrés à l'image des Africains dans l'Europe médiévale, la renommée mondiale de l'Empereur du Mali, la relation diplomatique entre les rois du Kongo et du Portugal ne pourront que l'étonner.

 

            Beaucoup de monde oublie ou ignore que les civilisations naissent et meurent, fleurissent puis s'étiolent, dominent puis sont soumises. L'Afrique noire a connu tout cela. Qui aurait cru que c'est en Afrique noire, dans l'actuel Mali (à Ounjougon) que les plus anciennes céramiques connues au monde (10 000 ans avt. J.C.) ont été retrouvées. Un détail matériel qui se révèle un grand pas dans l'histoire de l'humanité puisqu'il est une marque du génie humain. Mais l'Afrique, berceau de l'humanité n'a pas besoin de donner la preuve de son génie puisque c'est là qu'est né le génie humain. Ce qui fait dire à un historien anglais cette parole que chacun doit méditer pour éviter de dire des bêtises sur le génie africain : « Les Africains ont été, et sont toujours, ces pionniers qui ont colonisé une région particulièrement hostile du monde au nom de toute la race humaine. En cela réside leur principale contribution à l'histoire ». 

 

Raphaël ADJOBI

Titre : Histoire de l'Afrique ancienne (VIIIè - XVIè), 63 pages                                                                                        

Auteurs : Pierre Boilley & Jean-Pierre Chrétien

Editeur : La documentation française ; mai - juin 2010 ; dossier n° 8075  

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08 septembre 2010

L'amère patrie, Histoire des Antilles françaises au XXè siècle (Jacques Dumont)

                                        L’amère patrie

Histoire des Antilles françaises au XXè siècle

 

 

          L_am_re_patrie_1  Quiconque lira ce livre en fera son bréviaire chaque fois que le besoin de connaître un aspect des Antilles françaises se fera sentir. Son organisation en une multitude de chapitres permet de le consulter aisément, bien que son abord soit assez rebutant du fait des nombreux renvois aux notes regroupées en fin d’ouvrage. Dommage car c’est un texte passionnant où les documents de presse (antillaise) et de l’administration ainsi que les extraits de discours politiques prennent une grande place.     

 

            C’est la peinture de la longue et pénible marche des Antillais vers la pleine reconnaissance de leur citoyenneté française et de leur totale assimilation aux  enfants blancs de la France que Jacques Dumont nous donne dans ce livre. Car, « Si tous les habitants de Guadeloupe et de Martinique, comme ceux de Guyane et de la Réunion, ont été, avec l'abolition de 1848, déclarés citoyens français, ils sont néanmoins restés colonisés pendant encore un siècle ». Il aurait pu dire « plus d'un siècle » puisque les luttes se sont poursuivies au-delà des années soixante. Chacun pourra découvrir dans ce livre que la théorique égalité citoyenne instaurée avec l'abolition définitive a été régulièrement bafouée. D’abord avec la suppression du suffrage universel et la représentation des Antilles au Parlement. Ensuite avec le retard pris par la mise en place de la départementalisation pour les Antilles. Quant à la Sécurité Sociale, son application dans ces anciennes colonies donna lieu à des débats épiques. L’auteur nous présente ici une foule de situations administratives et de décisions politiques qui ne peuvent qu’étonner le lecteur.

 

            L’amère patrie montre de façon évidente que tout est flou concernant les Antilles, sur les plans juridique, administratif, social. Jamais rien ne semble urgent pour tout ce qui les concerne. Tout est fait avec beaucoup de retard, quand quelque chose est fait. Souvent ce qui est fait se limite à des décisions ou des décrets jamais suivis ou appliqués. Tout laisse croire que les Antillais ne sont jamais assez Français pour mériter le même traitement que les autres citoyens sans des discussions supplémentaires préalables.

Or, au sortir de l'esclavage, leur âme et leur esprit étaient tendus vers l'assimilation, prêts à se sacrifier pour « la mère patrie ». Les premiers chapitres du livre sont même émouvants : lorsque la guerre franco-prussienne éclata en 1851, les hommes refusant d'être assimilés aux autres Noirs des autres colonies, se montrèrent plus patriotes que les Français de la métropole en revendiquant leur participation à l’effort militaire. Mais cela leur fut refusé parce qu'il ne fallait pas enlever aux colons leur main d'oeuvre servile dans les champs de canne ! Et quand l'Etat cède, il ne cède qu'à moitié en créant en métropole « un contingent de troupes coloniales » pour les Antillais, comme pour freiner leur assimilation. D’autres revendications suivront et se heurteront toutes au silence, à la lenteur administrative.

            De temps à autres les revendications cèdent la place à la déception et à l'exaspération. Alors devant leurs mouvements, périodiquement, on voit les autorités de la République « agiter le chiffon rouge de l'abandon ». Celles-ci ne se rendent même pas compte, remarque l’auteur, que le simple fait de parler d'abandon c'est reconnaître que l'intégration des populations de ces anciennes colonies est incomplète.

            Dans l’histoire entre la France métropolitaine et les Antilles, Jacques Dumont note une période cruciale qui se situe entre 1960 et 1970. D’une part, la société antillaise qui était jusque là une société de plantations bascule dans la société de consommation. Les grands planteurs se reconvertissent dans l’importation massive de marchandises déséquilibrant les échanges avec la France. D’autre part, la politique de transplantation d’une multitude d’Antillais en métropole  qui fut entreprise durant cette période les fit découvrir brutalement « qu’ils étaient des Nègres comme tous les autres » (Aimé Césaire).  Le rêve d’assimilation s’envole !

            Mais comme durant les années de revendication d’une totale assimilation ils ont nié leurs caractères proprement africains, voilà que les Antillais se sentent désormais obligés de « s’employer consciemment à l’élaboration d’une culture originale » qu’ils ne veulent pas considérer comme la somme de l’Afrique, de la France et de l’Asie. C’est donc récemment qu’apparaît les termes « créolité » et « créolisation » dont les contours restent flous. Le lecteur peut se demander avec Michel Leiris si la culture s’invente avec « une pléiade d’intellectuels de couleur ». On ne peut donc qu’être d’accord avec Joël Nankin quand il dit « (qu’) en plaçant la politique au-dessus de la culture, (les Antillais) avaient mis la charrue avant les bœufs ».

            Il est donc clair que c’est l’échec de l’assimilation qui a poussé les Antillais à se raccrocher à ce qui ne leur rappelle pas l’Afrique et les singularise par la même occasion par rapport à la France colonisatrice : la langue créole. Maigre caractérisation certes, mais qui constitue un canal d’affirmation de soi parce qu’elle est considérée comme la naissance d’une ethnie, d’un groupe socio-politique. Mais, outre ce caractère linguistique auquel on s’accroche comme à une bouée de sauvetage, il reste à étoffer l’âme antillaise qui ne peut se limiter à la langue et aux rythmes musicaux. Une question demeure : peut-on renier à la fois ses ancêtres et sa mère adoptive et prétendre conserver son âme ?

Raphaël ADJOBI

Titre : L’amère patrie, Histoire des Antille

            françaises au XXè siècle, 351 pages

Auteur : Jacques Dumont

Edition : Fayard, mars 2010

Posté par St_Ralph à 18:33 - Littérature (Essais, romans) - Commentaires [10] - Permalien [#]