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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
16 octobre 2010

Aux Etats-unis d'Afrique (Abdourahman A. Waberi)

                                      Aux Etats-Unis d'Afrique

 

Aux_Etats_U            Voici un  livre déroutant, étourdissant même. Un livre que l'on lit avec le sentiment d'avoir la tête à l'envers. Cependant, à chaque pas, le lecteur retrouve la réalité de l'histoire actuelle du monde, de l'humanité. La seule différence, c'est que les choses ne sont pas à leur place selon nos connaissances et notre vie quotidienne. Les Etats-Unis d'Afrique, c'est la nouvelle société africaine à l'image de l'Europe d'aujourd'hui. Et l'on reconnaît, dans l'Europe pleine des maux qui nous sont familiers, l'Afrique et le reste du Tiers-monde actuels.

            Forcément, vu sous cet angle, cette fiction ne peut que susciter sourires et francs éclats de rire. Comment rester insensible devant certaines subtilités comme cette belle parodie du poème d'un célèbre poète africain :

 

 

               Femme blanche, femme pâle

 

               Huile que ne ride nul souffle, huile

 

               Calme aux flancs du marin, aux

 

                   Flancs des poivrots du Jura

 

        Bouquetin aux attaches célestes, les perles

 

                  Sont étoiles sur l'aube de ta peau...

 

                                              Mzee Maguilen Joal.

 

 

Oui, ici, ce sont les Européens qui clament leur « blanchitude » afin de rester debout face au mépris des Africains. Elle est en effet surprenante cette Afrique florissante avec ses gardes-frontières, ses gardes-côtes, ses sherpas du Kilimandjaro, lancés dans la chasse aux immigrés venus de l'hémisphère nord ; cette Afrique avec ses potières du Swaziland qui inondent le monde entier avec leurs créations industrielles bas de gamme ; cette Afrique avec ses écoliers organisant chaque année l'opération « Un bol de mil à la sauce gombo » pour nourrir toutes ces bouches affamées par les guerres ethniques qui sévissent en Europe comme celle « opposant le Mouvement patriotique pour la libération de l'Occitanie (MPLO) aux troupes républicaines de Paris. »

 

            Dans cette plaisante fiction, les personnages sont comme des ombres chinoises glissant d'abord imperceptiblement sur une scène encombrée d'éléments hétéroclites, puis devenant plus présentes grâce à leurs mouvements de plus en plus rythmés par les événements de leur vie. Dès lors le lecteur ne veut plus les quitter et il découvre que ce livre est parsemé de profondes réflexions sur les préjugés comme celle touchant les langues : « Contrairement à nos langues à tons, à accents et à clics, le français est une langue monotone, dépourvue d'accent et de génie [...] Une langue en mal d'écriture et de savoirs fixes. [...] Pas étonnant que le plus insignifiant de nos clercs se fasse passer pour linguiste expert en langues indo-européennes. » Le lecteur découvre aussi que ce livre est une profonde réflexion sur l'exil, sur les enfants adoptés par  des familles qui n'ont pas leur couleur de peau et étrangères à leur culture de naissance et qui, devenus grands, entreprennent la quête de leur origine ; une réflexion sur ceux qui partent loin, et qui reviennent un jour à leur point de départ.

 

            Ce livre peut être vu comme une invitation à l'humilité à l'adresse de l'Europe. Le parcours de Malaïka (Maya), cette petite blanche adoptée par des Africains oblige le lecteur à voir le monde autrement, et le lecteur blanc à découvrir le monde actuel dans la position des opprimés, des nécessiteux.

 

            Que de réflexions positives je retiens de la lecture de ce livre ! Pourtant, j'ai failli ne pas l'achever. Trop de longues descriptions ou digressions vers la fin du premier chapitre (le livre en compte trois) qui ressemblent à des monologues écrits pour ennuyer le lecteur ont failli avoir raison de ma patience. Dans cette partie du roman, le texte apparaît en effet comme une sorte de délire d'écrivain, une sorte de recherche de style particulier dans laquelle l'auteur baigne avec délectation sans se soucier de notre ennui. Avoir franchi cette étape me donne le sentiment d'être tout à coup devenu plus patient, plus sage ! Mais sans doute que cela a été possible parce que, même dans ces moments de digressions, le style de l'auteur reste agréable et enjoué.

 

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Aux Etats-Unis d'Afrique (188 pages)

Auteur : Abdourahman A. Waberi

Editeur : édition de poche Babel, 2008.

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Commentaires
O
Mon cher St-Ralph,<br /> <br /> <br /> <br /> Le film de Sylvain Amoussou dont je parle est « Africa Paradis », tandis que celui auquel tu fais allusion (avec les comiques/acteurs Fabrice Eboué et Thomas Ngijol) a été réalisé par Lionel Steketee et les deux acteurs principaux du film. Leur film s'appelle "Case départ", je crois. Non, celui d’Amoussou évoque une Afrique de grande prospérité qui à son tour reçoit des immigrés avec des policiers vigilants qui veillent au grain. Pas mal de parallèles avec le roman de Waberi.<br /> <br /> <br /> <br /> Qu'attendre d'un homme plutôt frustre, avec une culture ne dépassant pas son Nord-Pas-de-Calais natal? Rien, je ne suis ni surpris ni étonné par son propos. Si on pouvait lui expliquer ce que recouvre le mot civilisation...<br /> <br /> @+, O.G.
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S
Le film de Sylvain Amoussou ! N'est-ce pas ce film qui renvoie deux frères dans le passé, à l'époque de la traite négrière ? Quant au roman de Waberi, il ne peut qu'inciter à l'humilité. Aujourd'hui encore, Certains ignorent que les civilisations naissent, prospèrent et meurent, ; aussi, ils clament que leur civilisation est supérieure à d'autres.
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O
Bonjour tout le monde,<br /> <br /> <br /> <br /> J’avais pris un plaisir certain à lire ce livre, comme tous les autres d’A. Waberi. C’est un livre de rêve : rien que le titre, rien que le titre m’avait poussé à le lire. Les artistes ont le don de mettre en peinture, par écrit ce que certains politiques aimeraient faire ou n’arrivent pas à faire. En l’occurrence, Waberi m’a offert une des plus belles lectures romanesques de ces 6 dernières années. Je pèse mes mots. J’ai adhéré. Impossible de ne pas faire le lien avec le non moins excellent film de Sylvestre Amoussou (scénariste et réalisateur). Oui, la tête à l’envers. Tu l’as dit, St-Ralph…<br /> <br /> <br /> <br /> @+, O.G.
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G
:O)
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S
Je savais que tu serais content de lire mon billet sur ce roman. Aussi j'attendais ta visite. Tu vois que je prends goût aux romans africains !
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