27 octobre 2010
Côte d'Ivoire, élections 2010 : les Ivoiriens espèrent un miracle !
Côte d’Ivoire, élections 2010 :
les Ivoiriens espèrent un miracle !
Ainsi donc à la fin de ce mois d’octobre 2010 la Côte d’Ivoire va tenter de mettre fin à une crise qui, durant huit ans, a fait vivre les Ivoiriens dans la peur puis dans l’angoisse et le dénuement. Tout le monde affiche son espoir ; même les sceptiques font bonne mine en cachant leur sentiment afin de ne pas provoquer les mauvais esprits prompts à gâcher nos rêves.
Si ces élections maintes fois promises et maintes fois reportées ont lieu à la dernière date annoncée, alors la Côte d’Ivoire réalisera une prouesse jamais connue nulle part dans le monde. Elle réalisera alors un vrai miracle, une leçon de politique que le monde entier aura à méditer.
Où, en effet, a-t-on vu une situation identique à celle que vit la Côte d’Ivoire se solder par la paix grâce à des élections présidentielles ? Nulle part ! C’est pourquoi, à ceux qui accusent Laurent Gbagbo de ne pas organiser les élections pour demeurer cramponné au pouvoir, j'ai toujours posé cette question : « avez-vous l’exemple d’un pays coupé en deux militairement ayant réussi à organiser des élections nationales et instaurer par voie de conséquence la cohésion politique et sociale ? » Non ! Jamais, une telle expérience n’a été vécue. La recette aurait déjà fait le tour du monde et Chypre ne serait pas aujourd’hui encore coupé en deux confirmant l’incapacité de l’ONU et des Européens à réaliser l’exploit qu’ils exigent de Laurent Gbagbo depuis 2002.
Le mince espoir de la normalisation
Mais depuis que, en août dernier, le Président ivoirien a dit qu’un accord est intervenu entre les rebelles et la partie loyaliste du pouvoir sur le chapitre épineux de l’entrée dans l’armée nationale d’une partie des jeunes désoeuvrés du Nord recrutés par les assaillants venus du Burkina, je me suis mis à espérer. Non pas que le recrutement de civils aux pieds nus dans l’armée nationale soit juste. Mais parce que c’est encore un prix à payer pour la paix civile. Cependant, rien ne nous dit qu’après des élections convenables, les rebelles joueront la carte de la loyauté en cessant toute action et tout propos belliqueux susceptibles d’enlever tout espoir de paix aux Ivoiriens. Rien ne nous dit non plus que le Burkina voudra cesser d’être un grand producteur de cacao depuis que ce plaisir lui est tombé du ciel. Rien ne nous dit, que les roitelets installés dans le Nord du pays voudront descendre de leur trône et fouler de nouveau la poussière d’où les a tirés la guerre et la partition du pays. De tout évidence, c'est donc un miracle que tout le monde attend.
Depuis qu’en 2002, à Marcoussis, la France a mis la Côte d’Ivoire dans l’impasse –oui, je dis bien la France ! – en ne faisant pas coïncider le premier « gouvernement d’union nationale » avec la réunification du pays, une deuxième situation exceptionnelle était née dans le monde, après Chypre. Jamais dans aucun pays coupé en deux militairement, les ennemis n’ont formé un gouvernement d’union pour gouverner une moitié du pays pendant que l’autre moitié demeurait entre les mains des amis des rebelles toujours armés. Seule la Côte d'Ivoire fait cette expérience depuis huit ans ! Cela a donné suite à des insolences et à un manque de savoir vivre inqualifiable de la part de ceux qui pouvaient se pavaner impunément en zone ennemie sans que leur adversaire ne puisse se permettre la même chose chez eux. Il a fallu du courage et du génie pour tendre la main par-dessus la ligne de séparation du pays - formée par la France et l'ONU - pour calmer les propos belliqueux permanents, les insolences incessantes et les multiples appels – pour un oui, pour un non - à la boiteuse ONU et autres malsaines organisations internationales aux mains des puissances européennes.
Depuis que cette main tendue a été saisie et a fait de l’ombre à l’ONU et à la France, les passions se sont apaisées de part et d’autre de la ligne de séparation sans apporter la confiance et le respect.
Or sans la confiance et le respect, les élections attendues par tous se solderont par un échec. Si le moindre soupçon de tricherie, doit donner suite à des mouvements de colère d’une ampleur nationale, si la victoire de l’adversaire ne peut être imaginée et acceptée, si les décisions des institutions ne peuvent être respectées et si elles ne peuvent avoir l’entière confiance des leaders politiques, alors tout espoir est d’avance perdu.
Les Ivoiriens, victimes de la cohabitation
Quant aux programmes des candidats, il est inutile de perdre son temps à les étudier pour choisir celui que l'on jugera le plus profitable au pays. L'heure n'est point aux promesses démagogiques. Ce qui nous importe, c'est de rêver ! Oui, faites-nous rêver messieurs. L'homme ne se nourrit pas seulement de pain. Il a fondamentalement besoin d'idéal pour rester debout. Déjà, certains par le passé ont cru faire le bonheur de l'Ivoirien en lui pourvoyant son pain quotidien. Il a suffi qu’il vienne à manquer pour que la panique s'empare de la maison. Ils avaient oublié de nous donner des symboles fédérateurs comme la démocratie pour nous permettre de nous défendre contre l'adversité. Faute de socle fédérateur, les aînés ont permis à la France et à ses valets Ivoiriens de commettre le sacrilège de tenter de toucher à nos institutions. Mon Dieu ! Comment des Ivoiriens peuvent-ils s'abaisser jusqu'à confier la révision de leur constitution à un pays étranger ? Celui qui n'a pas vu dans ce geste un crime contre la Côte d'Ivoire est indigne du respect de ses compatriotes, indigne de la moindre considération.
A bien regarder, cette élection est placée sous les signes de la dignité, du respect et de la confiance. Une dignité collective, un profond respect de nos institutions et par voie de conséquence de nous-mêmes, une confiance réciproque entre tous les citoyens. Il ne peut pas avoir de démocratie là où il n'y a ni respect ni confiance. Respect et confiance en nos institutions, respect et confiance entre les citoyens.
Aucun des principaux candidats ne sort indemne des huit années de troubles et de querelles. Les plus affaiblis dans leur capacité de représenter la cohésion nationale ne sont pas forcément ceux qu'on croit. A bien réfléchir, ceux qui ont su encaisser les coups sans laisser choir l'étendard national sont encore les plus méritants. Les Ivoiriens ne sont pas appelés aux urnes pour choisir un programme ou pour sanctionner un parti politique mais pour sceller la paix civile. Durant Huit ans, aucun parti n'a dirigé seul la Côte d'Ivoire avec un programme particulier. C'est donc à une cohabitation de huit années, que ce vote doit mettre fin. Huit années ou tous les partis, en entrant au gouvernement, ont travaillé à empêcher le président de diriger le pays selon son plan, selon le programme de son seul parti. C'est d'ailleurs la règle dans toute cohabitation : empêcher le Président de mener librement les actions qu'il veut ! Les anciens Présidents français, François Mitterrand et Jacques Chirac, ne diront pas le contraire. Voilà ce que les Ivoiriens doivent retenir des huit années de ce que tout le monde appelle « le gouvernement de Gbagbo ». Non, Gbagbo n’avait pas de gouvernement personnel formé par son seul parti, donc il n’a pas la responsabilité personnelle des actions de ce gouvernement ! Tous les partis et leurs leaders qui y ont délégué leurs hommes de confiance sont responsables de l’état de la Côte d’Ivoire. Qu'ils sachent que s'ils n'avaient pas mis le ver dans le fruit confié à Laurent Gbagbo, le fruit aurait fait des petits. Les Ivoiriens sont donc victimes d’un gouvernement fourre-tout formé au nom de la tranquillité nationale.
Le voeu qu'il faut formuler pour la Côte d'Ivoire, c'est de retrouver la paix nationale et sortir absolument de cette désastreuse inertie que constitue la cohabitation ! Il faut remettre le pouvoir entre les mains d'un seul parti qui dirigera le pays avec ses alliés. Il faut apprendre à reconnaître la victoire de l’adversaire, entrer dans l’opposition et constituer une alternative en cas d’échec du parti au pouvoir. C'est cela la démocratie qui doit être établie en Côte d'Ivoire. D’autre part, il faut apprendre à compter sur soi-même, sur ses propres moyens, ses propres institutions, ses propres connaissances pour instaurer cette démocratie et la paix. Il est tout à fait honteux, en effet, de voir les hommes politiques africains se comporter comme de grands enfants incapables de rien, toujours prêts à se jeter aux pieds des Européens pour solliciter leur arbitrage, pour se plaindre de ceci et de cela.
Raphaël ADJOBI
16 octobre 2010
Aux Etats-unis d'Afrique (Abdourahman A. Waberi)
Aux Etats-Unis d'Afrique
Voici un livre déroutant, étourdissant même. Un livre que l'on lit avec le sentiment d'avoir la tête à l'envers. Cependant, à chaque pas, le lecteur retrouve la réalité de l'histoire actuelle du monde, de l'humanité. La seule différence, c'est que les choses ne sont pas à leur place selon nos connaissances et notre vie quotidienne. Les Etats-Unis d'Afrique, c'est la nouvelle société africaine à l'image de l'Europe d'aujourd'hui. Et l'on reconnaît, dans l'Europe pleine des maux qui nous sont familiers, l'Afrique et le reste du Tiers-monde actuels.
Forcément, vu sous cet angle, cette fiction ne peut que susciter sourires et francs éclats de rire. Comment rester insensible devant certaines subtilités comme cette belle parodie du poème d'un célèbre poète africain :
Femme blanche, femme pâle
Huile que ne ride nul souffle, huile
Calme aux flancs du marin, aux
Flancs des poivrots du Jura
Bouquetin aux attaches célestes, les perles
Sont étoiles sur l'aube de ta peau...
Mzee Maguilen Joal.
Oui, ici, ce sont les Européens qui clament leur « blanchitude » afin de rester debout face au mépris des Africains. Elle est en effet surprenante cette Afrique florissante avec ses gardes-frontières, ses gardes-côtes, ses sherpas du Kilimandjaro, lancés dans la chasse aux immigrés venus de l'hémisphère nord ; cette Afrique avec ses potières du Swaziland qui inondent le monde entier avec leurs créations industrielles bas de gamme ; cette Afrique avec ses écoliers organisant chaque année l'opération « Un bol de mil à la sauce gombo » pour nourrir toutes ces bouches affamées par les guerres ethniques qui sévissent en Europe comme celle « opposant le Mouvement patriotique pour la libération de l'Occitanie (MPLO) aux troupes républicaines de Paris. »
Dans cette plaisante fiction, les personnages sont comme des ombres chinoises glissant d'abord imperceptiblement sur une scène encombrée d'éléments hétéroclites, puis devenant plus présentes grâce à leurs mouvements de plus en plus rythmés par les événements de leur vie. Dès lors le lecteur ne veut plus les quitter et il découvre que ce livre est parsemé de profondes réflexions sur les préjugés comme celle touchant les langues : « Contrairement à nos langues à tons, à accents et à clics, le français est une langue monotone, dépourvue d'accent et de génie [...] Une langue en mal d'écriture et de savoirs fixes. [...] Pas étonnant que le plus insignifiant de nos clercs se fasse passer pour linguiste expert en langues indo-européennes. » Le lecteur découvre aussi que ce livre est une profonde réflexion sur l'exil, sur les enfants adoptés par des familles qui n'ont pas leur couleur de peau et étrangères à leur culture de naissance et qui, devenus grands, entreprennent la quête de leur origine ; une réflexion sur ceux qui partent loin, et qui reviennent un jour à leur point de départ.
Ce livre peut être vu comme une invitation à l'humilité à l'adresse de l'Europe. Le parcours de Malaïka (Maya), cette petite blanche adoptée par des Africains oblige le lecteur à voir le monde autrement, et le lecteur blanc à découvrir le monde actuel dans la position des opprimés, des nécessiteux.
Que de réflexions positives je retiens de la lecture de ce livre ! Pourtant, j'ai failli ne pas l'achever. Trop de longues descriptions ou digressions vers la fin du premier chapitre (le livre en compte trois) qui ressemblent à des monologues écrits pour ennuyer le lecteur ont failli avoir raison de ma patience. Dans cette partie du roman, le texte apparaît en effet comme une sorte de délire d'écrivain, une sorte de recherche de style particulier dans laquelle l'auteur baigne avec délectation sans se soucier de notre ennui. Avoir franchi cette étape me donne le sentiment d'être tout à coup devenu plus patient, plus sage ! Mais sans doute que cela a été possible parce que, même dans ces moments de digressions, le style de l'auteur reste agréable et enjoué.
Raphaël ADJOBI
Titre : Aux Etats-Unis d'Afrique (188 pages)
Auteur : Abdourahman A. Waberi
Editeur : édition de poche Babel, 2008.
10 octobre 2010
Côte d'Ivoire : les fossoyeurs de la République
Côte d'Ivoire : les fossoyeurs de la République
La critique est permise à tous, et concernant la Côte d'Ivoire, il y a aujourd'hui matière à s'égayer. Mais la persistance d'une race de fossoyeurs qui rappelle étrangement les négriers africains collaborateurs de la traite atlantique européenne ou la traite arabo musulmane fait peur et exaspère à la fois. L'Afrique a eu ses collaborateurs de négriers, puis ses collaborateurs de colons, ses collaborateurs de néo-colons, et enfin elle produit ses propres ambassadeurs-négriers qui depuis l'étranger travaillent contre elle. C'est de cette nouvelle race qui n'est nullement commandée par une main étrangère dont il est question ici.
C'est avec stupéfaction et colère que j'ai lu sur le site de « Connection Ivoirienne » la lettre d'un certain Henri Tohou adressée le 23 juillet 2010, depuis Londres, au Premier Ministre anglais suite à l'arrestation en Côte d'Ivoire de trois journalistes. La lettre mentionne que le « sit-in organisé par les journalistes (...) devant le palais de justice a été dispersé avec une extrême violence. Certains journalistes qui ont couru se réfugier dans la cathédrale qui est juste à côté ont été pourchassés et battus par les policiers dans l'enceinte de la cathédrale. » L'auteur de cette lettre estime donc que « les médias ivoiriens ont besoin de l'aide des pays occidentaux pour obtenir la libération des journalistes emprisonnés et protéger la liberté de la presse en Côte d'Ivoire ». Selon lui, « la situation préoccupante des droits de l'homme et de la liberté d'expression en Côte d'Ivoire » doit retenir l'attention du Premier ministre anglais.
Les Ivoiriens ont-ils vraiment besoin des occidentaux pour protéger leur liberté d'expression ? Cette liberté d'expression que connaissent les journalistes ivoiriens est-elle l'oeuvre des occidentaux pour qu'ils s'en portent garants ? Assurément, certaines personnes ont besoin de réfléchir un peu avant de mener des croisades sous les ors des palais européens en vue de libérer les Africains. Qu'ils sachent que ceux qui se battent sur le terrain connaissent mieux que quiconque le prix de leur liberté. Il n'appartient pas à un Ivoirien vivant à l'étranger de courir au palais du prince des lieux pour lui demander de venir faire le pompier. Des manifestants pourchassés et battus, l'Occident les compte par milliers chaque année. Quel Africain se soucie alors de ces pauvres Européens privés de liberté d'expression, comme ce fut récemment le cas en Grèce lors des manifestations contre la crise dans ce pays ?
Cette lettre n'est donc pour moi qu'une imbécillité de plus à mettre sur le même pied que le comportement de ceux qui voyagent avec des coupures de journaux où l'on voit des corps criblés de balles et qu'ils présentent aux pays étrangers comme ceux de leurs parents afin de bénéficier de l'asile. Oui, c'est toujours pour des intérêts égoïstes que des Ivoiriens flétrissent l'image de leur pays pour tromper les Européens et aujourd'hui les Latino-Américains. Ils apprennent par coeur des récits à dormir debout afin d'attirer sur eux les faveurs des pays où ils se rendent. Je me souviens avec horreur, comme si c'était hier, des propos qu'un Ivoirien originaire du nord du pays m'avait tenus lors d'une rencontre à Dijon. Il jurait par ses grands dieux qu'il ne mettait pas les pieds en Côte d'Ivoire parce que l'origine de son nom ferait de lui une victime facile des populations du sud et du régime de Gbagbo (qui est pourtant également le régime de ses frères du Nord). Il est clair qu'un tel homme ne peut être qu'un mauvais ambassadeur auprès des Français qu'il côtoie quotidiennement. Il est à leurs yeux une pauvre victime des querelles ethniques qui décimeraient la Côte d'ivoire comme la peste. Mais pour moi, cet homme n'est qu'un égoïste qui se drape du malheur de l'Afrique pour légitimer sa vie en France.
Ce n'est point cette forme d'attaque faite de dénigrements menée par ses fils dont a besoin l'Afrique pour avancer. Ce ne sont point les leçons de morale importées des palais occidentaux dont elle a besoin. Elle a besoin de la manifestation de la volonté de chacun sur le terrain, de la lutte de chacun sur le terrain. Et dans ce domaine, les Ivoiriens vivant dans le pays pourraient donner des leçons aux fossoyeurs de la République vivant à l'étranger puisque ce sont eux qui ont bravé les armes de l'armée française au prix de leur sang quand il fallait sauver l'honneur du pays. Et récemment, ce sont ses journalistes qui ont fait front à l'abus d'autorité d'un homme pour faire reculer l'injustice.
Critiquer pour permettre aux Ivoiriens de voir d'autres aspects des choses qu'ils peuvent ne pas voir ou ignorer, c'est ce que l'on appelle une critique positive. Critiquer pour être bien vu de l'étranger et jouir de ses faveurs, c'est purement de l'égoïsme doublé d'un talent de fossoyeur de son pays.
Raphaël ADJOBI