Les parias de l'art (un poème de Serge Moreau)
Les parias de l’art
(Un poème de Serge Moreau)
A Liss, qui a vécu d’espoir de lire ce poème promis depuis bientôt un an. Qu’elle trouve ici, non pas « le feu » (Baldwin) mais « Les parias de l’art » délicatement déposé au pied du lit de sa longue attente.
C’est pendant l’été 2009, lors d’une visite faite au musée de Noyers-sur-Serein dans l’Yonne (prononcez Noyère), que j’ai découvert ce magnifique poème. Pour ma part, c’est l’un des plus beaux sur l’image du poète. Dans l’imaginaire populaire, il semble que depuis l’Antiquité le poète a toujours été représenté comme ayant la tête aux nues et les pieds trébuchant sur la pierre du chemin. Baudelaire en a fait un albatros dont les ailes de géant l’empêchent de voler une fois installé sur la terre commune. C’est en effet un être des hauteurs, des rêveries, un être qui côtoie l’immensité céleste. Cette vision baudelairienne est encore très proche de celle que l’on prête à l’imaginaire populaire, avec l’aspect pitoyable plus accentué. Par contre, avec Serge Moreau, le poète devient douloureusement humain. Ce n’est point l’être aux dimensions célestes qu’il nous propose, mais l’artiste parmi les artistes, l’artisan parmi les hommes. Et l’on découvre que dans sa dimension sociale, le poète n’est pas moins à plaindre que lorsqu’il est présenté comme étranger parmi les hommes parce qu’ayant constamment la tête perdue dans « ces rêveries merveilleuses ».
Les parias de l’art
Les poètes sont les parias de l’art,
Dans la longue parade des artistes
Qui arrivent de toutes parts
Leurs chariots sont les plus tristes.
En tête, sur les chariots dorés, avancent les comédiens,
Les chanteurs, les jeunes premières,
Les bonimenteurs, les clowns, les musiciens,
On y voit même, parfois, des écuyères.
Voici les gens de plume, appelés écrivains ;
On dit que certains seraient très riches
Mais inutile de chercher en vain
Où sont les nègres de ceux qui trichent.
Puis suivent, en rangs serrés :
Architectes, peintres, humoristes,
Dessinateurs, illustrateurs inspirés,
Quelques acrobates, quelques journalistes.
Passent encore beaucoup de grands personnages
Qui n’ont généralement rien fait.
Cependant ils présentent si belle image
Qu’on les balade à grands frais.
Bons derniers, longtemps après
Sur des charrettes incroyables
Brinqueballent des êtres délabrés
Dans un anonymat pitoyable.
Ils progressent, malgré tout, ainsi
Dans leur misère orgueilleuse,
Depuis des siècles endurcis
Soutenus par des rêveries merveilleuses.
Personne ne salue ces pauvres illuminés
Pas même ces chamarrés vieillards
Qui regardent passer, comme des condamnés
Les poètes, qui sont les parias de l’art.
Serge Moreau
Serges Moreau est un poète bourguignon originaire de l’Yonne (89). Il a passé son enfance à Noyers-sur-Serein – classé parmi les plus beaux villages de France - puis à Joigny. Il vit actuellement à Laroche Saint-Cydroine où j’ai pu le rencontrer plus d’un an après mon coup de foudre pour son poème. L’homme est également un grand collectionneur de boîtes métalliques qui ne manquent pas de susciter la curiosité de ses visiteurs.
Raphaël ADJOBI