Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

02 novembre 2010

Les parias de l'art (un poème de Serge Moreau)

                             Les parias de l’art

                             (Un poème de Serge Moreau)      

A Liss, qui a vécu d’espoir de lire ce poème promis depuis bientôt un an. Qu’elle trouve ici, non pas « le feu » (Baldwin) mais « Les parias de l’art » délicatement déposé au pied du lit de sa longue attente.

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C’est pendant l’été 2009, lors d’une visite faite au musée de Noyers-sur-Serein dans l’Yonne (prononcez Noyère), que j’ai découvert ce magnifique poème. Pour ma part, c’est l’un des plus beaux sur l’image du poète. Dans l’imaginaire populaire, il semble que depuis l’Antiquité le poète a toujours été représenté comme ayant la tête aux nues et les pieds trébuchant sur la pierre du chemin. Baudelaire en a fait un albatros dont les ailes de géant l’empêchent de voler une fois installé sur la terre commune. C’est en effet un être des hauteurs, des rêveries, un être qui côtoie l’immensité céleste. Cette vision baudelairienne est encore très proche de celle que l’on prête à l’imaginaire populaire, avec l’aspect pitoyable plus accentué. Par contre, avec Serge Moreau, le poète devient douloureusement humain. Ce n’est point l’être aux dimensions célestes qu’il nous propose, mais l’artiste parmi les artistes, l’artisan parmi les hommes. Et l’on découvre que dans sa dimension sociale, le poète n’est pas moins à plaindre que lorsqu’il est présenté comme étranger parmi les hommes parce qu’ayant constamment la tête perdue dans « ces rêveries merveilleuses ».     

                    Les parias de l’art

            Les poètes sont les parias de l’art,

            Dans la longue parade des artistes

            Qui arrivent de toutes parts

            Leurs chariots sont les plus tristes.

            En tête, sur les chariots dorés, avancent les comédiens,

            Les chanteurs, les jeunes premières,

            Les bonimenteurs, les clowns, les musiciens,

            On y voit même, parfois, des écuyères.

            Voici les gens de plume, appelés écrivains ;

            On dit que certains seraient très riches

            Mais inutile de chercher en vain

            Où sont les nègres de ceux qui trichent.

            Puis suivent, en rangs serrés :

            Architectes, peintres, humoristes,

            Dessinateurs, illustrateurs inspirés,

            Quelques acrobates, quelques journalistes.

            Passent encore beaucoup de grands personnages

            Qui n’ont généralement rien fait.

            Cependant ils présentent si belle image

            Qu’on les balade à grands frais.

            Bons derniers, longtemps après

            Sur des charrettes incroyables

            Brinqueballent des êtres délabrés

            Dans un anonymat pitoyable.

            Ils progressent, malgré tout, ainsi

            Dans leur misère orgueilleuse,

            Depuis des siècles endurcis

            Soutenus par des rêveries merveilleuses.

            Personne ne salue ces pauvres illuminés

            Pas même ces chamarrés vieillards

            Qui regardent passer, comme des condamnés

            Les poètes, qui sont les parias de l’art.

                          Serge Moreau

            Serges Moreau est un poète bourguignon originaire de l’Yonne (89). Il a passé son enfance à Noyers-sur-Serein – classé parmi les plus beaux villages de France - puis à Joigny. Il vit actuellement à Laroche Saint-Cydroine où j’ai pu le rencontrer plus d’un an après mon coup de foudre pour son poème. L’homme est également un grand collectionneur de boîtes métalliques qui ne manquent pas de susciter la curiosité de ses visiteurs.

Raphaël ADJOBI

Posté par St_Ralph à 12:11 - Arts, culture et société - Commentaires [10] - Permalien [#]

Commentaires

  • Note de l'auteur du blog :

    Ce poème est normalement organisé en quatrains. Il est donc composé d'un total de huit strophes. Malheureusement, la technologie n'a pas voulu voir les choses comme je le voulais dans le respect du texte de l'auteur.

    Posté par St-Ralph, 02 novembre 2010 à 12:21
  • Pour marquer les quatrains

    Bonjour St-Ralph,
    Tu dois avoir quelque part dans les boutons où tu as écrit ta note la formule "html". Tu l'actionnes, tu repères le poème dans le script qui apparaît, puis entre chaque quatrain tu colles cela : ; ça te devrait te faire un double espace....

    Posté par delugio, 02 novembre 2010 à 17:38
  • Oups...

    Je vois que le script que je t'indique n'est apparu !
    c'est br deux fois : br br et les deux fois entre ces signes : pour fermer.

    Posté par delugio, 02 novembre 2010 à 22:46
  • Décidément

    Ce sont les signes "plus petit que" pour ouvrir et "plus grand que" pour fermer. Je résume : "plus petit que" "br" "plus grand que". Le tout deux fois.

    Posté par delugio, 02 novembre 2010 à 22:50
  • Merci Delugio !

    Bonjour Delugio !
    Je retiens ton conseil. Je tâcherai de l'appliquer la prochaine fois. Encore merci !

    Posté par St-Ralph, 03 novembre 2010 à 13:03
  • Voici donc le concurrent de Baudelaire !

    Oui, j'avoue, St-Ralph, ton poème mérite largement tout le bien que tu en as depuis... depuis combien de siècles déjà ? Il est rassasie toute la faim que tu m'as fait endurer depuis si longtemps, et j'ai comme une envie de ne pas te pardonner du tout cette longue attente : est-ce qu'on garde pour soi un trésor découvert inopinément ? Quand tu gaggneras au loto, je veux bien que tu gardes pour toi tous tes sous, mais tomber sur un si beau texte, et philosophique,qui retentit de justesse et le garder aussi jalousement... Je dis que tu es un vilain garçon, je t'assure que je ne te pardonnerai que sous certaines conditions, tu connais lesquelles.

    Bon, ce texte, par quel bout commencer à le commenter ? Il y a tellement de choses à dire, j'aime d'emblée la façon dont il est construit, en boucle. Et puis cette manière de distinguer les poètes des autres écrivains, derrière lesquels se dissimulent parfois des nègres. Beaucoup d'artistes cités, les uns plus célèbres que les autres, mais dont la valeur, souvent, n'égale pas celle des poètes, méconnus malheureusement, ou incompris, comme dirait Baudelaire. La misère du poète est en partie due au public, qui a tendance à préférer ou à être ébloui par le clinquant plutôt que par la profondeur, celle-ci rimant souvent avec discrétion...
    Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la place des comédiens dans les chariots dorés : ils étaient des parias, eux aussi, enfin à une certaine époque : Molière dut être enterré de nuit parce qu'il était comédien. Mais peut-être Serge Moreau pense-t-il aux comédiens d'aujourd'hui, qui parviennent à avoir une vie dorée ?

    Bon, je n'ai pas encore effectué des recherches, mais dis-moi ce que tu sais : peut-on se procurer ses ouvrages ? Ce poème figure-t-il dans un recueil ? On aurait envie de le proposer en commentaire de texte à des lycéens, ou à des 3e.

    Texte admirable en tout cas sur le monde des arts et sur la condition du poète. Merci pour ce cadeau.

    Posté par Liss, 03 novembre 2010 à 16:42
  • tu pardonneras les coquilles, je ne me suis pas relue, et je vois qu'il y en a beaucoup : que tu en AS dit / "il rassasie" et non il est rassasie etc.

    Posté par Liss, 03 novembre 2010 à 16:43
  • Content de t'avoir fait plaisir !

    Chère Liss,

    C'est vrai que j'ai été très, très long à m'exécuter. Et je sais ce qui me reste à faire pour être totalement pardonné : un aperçu de....

    En ce qui concerne le texte de Serge Moreau, tu as raison de faire remarquer que l'image qu'il donne des comédiens renvoie plutôt à ceux de notre époque. Les comédiens n'ont pas toujours eu la fortune qu'il souligne. Comme toi, j'ai apprécié la présence dans ce défilé de quelques figures qui semblent des intrus ou qui sont des intrus : les écrivains derrière lesquels se cachent des nègres et les "grands personnages qui n'ont généralement rien fait" mais que "l'on balade à grands frais" parce qu'ils présentent si belle image ! Ces derniers m'ont tout de suite fait penser à nos peoples !

    Quant au livre de Serge Moreau intitulé "Chants des rues et poèmes des champs", il me semble qu'il l'a fait imprimer à ses frais. Il m'a fait cadeau d'un exemplaire de cette collection de ses poèmes. Je trouve qu'il fait preuve de beaucoup d'esprit quand il parle du monde littéraire !

    Posté par St-Ralph, 04 novembre 2010 à 20:16
  • Rien que le titre est déjà d'une telle saveur ! Je le veux, ce recueil, je l'achète ! A toi de me dire comment je dois faire.

    Posté par Liss, 04 novembre 2010 à 22:20
  • Bon ! je vais voir ce que je peux faire, Liss. Je prendrai contact avec l'auteur pour savoir si un exemplaire de son livre est disponible rien que pour toi.

    Posté par St-Ralph, 05 novembre 2010 à 20:55

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