Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

06 mars 2011

Une année chez les Français (un roman de Fouad Laroui)

                        Une année chez les Français

                                 (Un roman de Fouad Laroui)                              

 

Chez_les_Fran_ais_0006_crop            Ne vous attendez pas à trouver sous ce titre une version africaine des Lettres persanes de Montesquieu. Non, Fouad Laroui ne place pas ici la société française sous le regard inquisiteur ou critique de l’étranger venu d’Afrique. Sous ce titre trompeur se cache en réalité l’histoire d’un petit garçon marocain amoureux de lectures qui, grâce à une bourse, entre au lycée français de Casablanca. Un boursier de la République française, on en prend soin forcément ! Mais, pour le bonheur du lecteur, la présence sans interruption à l’internat du petit Mehdi va déranger le « bon ordre de l’univers français ».

 

Au début des indépendances, les Africains qui avaient la chance de faire leurs études parmi les Français étaient généralement remarqués surtout pour la manière admirable dont ils maniaient la langue française. N’ayant auparavant jamais côtoyé d’autres milieux français que le monde des livres, donc la langue littéraire ou soutenue, ils ne savaient s’exprimer que par imitation des ouvrages lus. C’est le cas du jeune Mehdi qui, dans son village natal avait pour consigne familiale de ne s’exprimer que dans la langue de la Comtesse de Ségur, même quand ses parents s’adressaient à lui dans la langue dialectale. Et lorsqu’il entre au lycée français de Casablanca, - que le parler populaire a baptisé « Le lycée des français » - il  va confronter le talent acquis grâce à cette expérience à la réalité du terrain où s’entrechoquent argot, langage familier et expressions populaires de tout genre. Un cocktail hilarant magnifiquement servi par Fouad Laroui. Un vrai régal !

 

            Le monde des adultes que côtoie Mehdi est en effet très varié en personnalités. Une série de portraits pittoresques qui sont pour l’enfant un véritable laboratoire où il trouve les éléments nécessaires à la vérification de ses connaissances ou plutôt des images livresques qui constituent son savoir. Des essais drôles parce que souvent malheureux. On lit ce livre en ayant constamment en tête l’exacte vérification de l’expression « un chien dans un jeu de quilles ».

 

            Mais rassurez-vous. Si on rit beaucoup en lisant ce livre, Mehdi n’est jamais ridicule. Il reste un enfant attentif, désireux d’apprendre et de faire bon usage de la belle langue française, mais aussi un enfant capable de mentir. Si les premiers chapitres du livre – les cinq premiers sont organisés dans un mouvement cyclique - expliquent la raison de sa présence et son intégration au « lycée des français », les derniers chapitres le présentent dans un univers insolite parce qu’il a été capable de mentir comme tous les enfants savent le faire quand ils veulent se tirer d’affaire.       

   

Quel plaisir de retrouver, en lisant ce livre, son âme d’enfant ; une âme vagabonde qui fait et défait le monde à souhait, surtout quand elle a le malheur de se trouver dans des situations inextricables. Ce livre est une véritable fontaine de fraîcheur sans doute liée à la candeur du personnage de Mehdi. L’usage constant du style indirect libre permet d’entrer dans sa conscience, d’y lire ses doutes et les solutions qu’il imagine pour résoudre les énigmes qui se forment comme des nœuds dans la chaîne de ses savoirs. Pauvre petit, se dit-on ! Pourtant, on ne peut s’empêcher de rire aux larmes.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Une année chez les Français (304 pages)

Auteur : Fouad Laroui

Editeur : Julliard, 2010

Posté par St_Ralph à 19:51 - Littérature : romans - Commentaires [5] - Permalien [#]

Commentaires

  • C'est tout a fait diffent de ma lecture. Je pense que c'est dû au fait que je suis trop versé dans ce monde et que la transcription de l'enfant me depasse !

    L'enfant dans le roman pense comme un nessrani alors qu'il ne vit que par ses livres.

    Bonne lecture pour les autres

    Posté par agharass, 07 mars 2011 à 11:37
  • C'est exactement cela Agharass : l'objectif de l'enfant est de toujours bien faire, réussir à mettre en évidence ses connaissances, ne pas décevoir.

    Posté par St-Ralph, 07 mars 2011 à 17:07
  • Je me retrouve tout à fait dans l'ambiance de ton commentaire et de ton billet, à part, sans doute, dans mon appréciation plus modeste de la drolerie du livre.

    Il est vrai que l'humain, presque comme ataviquement, transporte avec lui sa cohorte de défauts, du mensonge à l'ignorance, du mépris à la condescendance, de la haine à la volonté d'opprimer; il apporte aussi (symbiotiquement? mais alors, il n'y aurait plus d'espoir) le respect, la tolérance, la justice, l'amour, la générosité, la vérité.

    Mehdi et les autres personnages de ce livre, passent par nombre de ces sentiments; une sorte de roman de la vie.

    Ravi d'avoir eu l'occasion de me balader sur ton blog; je reviendrai.

    Posté par Tioufout, 07 mars 2011 à 22:08
  • Laroui est bon, il est drôle!

    Fouad Laroui a beaucoup d’humour. La lecture de chacun de ses billets dans l’hebdo Jeune Afrique était un plaisir, renouvelé régulièrement.
    Quand j’avais vu le titre de ce livre, j’avais vraiment pensé à un Marocain ou un Maghrébin passant une année en France. Quelle ne fut pas ma surprise en lisant la 4e de couverture que j’étais loin, alors là, très loin du compte, même si on peut toujours considérer cette école comme une extension du territoire français.
    Mehdi est passionnant et, Mon cher St-Ralph, je me retrouve bien dans ta narration, dans ta description. Et ce roman m’avait d’autant plus que, si je raconte avoir connu la même chose en 1960, évidemment, personne ne me croira. Mais il est vrai que même au Congo, on a connu ces comportements entre les parents qui tenaient à ce que leurs enfants soient plus Français que français, en parlant exclusivement le « français de France ». Et la chose au Maroc est encore plus complexe car il faut pour Mehdi jongler entre l’arabe classique et le dialectal.
    Les Africains, du Nord au Sud du Sahara sont de vrais polyglottes (« polylingues », pour utiliser ce néologisme que j’aime tant). Au moment de taper ces lignes, je suis un film qui se passe au Sénégal et les gens parlent indifféremment en français comme en valaf.

    @, O.G.

    Posté par Obambé GAKOSSO, 07 mars 2011 à 22:13
  • Le livre et la pratique des langues

    @ Je me réjouis de ton passage, Tioufout. J’avoue que j’ai beaucoup ri en lisant ce livre. Mais il se peut que je sois trop bon public pour ce genre d’histoire. Tu as raison de parler de roman de la vie au regard du rôle des différents personnages dont les menus défauts sont ceux de la nature humaine. C’est pourquoi aucun d’eux ne suscite vraiment le dégoût du lecteur ; même pas le jeune pion révolutionnaire. Et c’est heureux.

    @ Je vois, mon cher Obambé, que tu as l’habitude de lire les écrits de Fouad Laroui. Quant à moi, je le découvre grâce à ce livre et j’ai été très sensible à ses drôleries en le lisant.

    C’est vrai que pendant les premières années des indépendances, les Africains rejetaient le bilinguisme – ou même le « polylinguisme » comme tu dis – qui s’imposait à eux avec la pratique obligatoire du français. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît – du moins en Europe – que c’est une chance de pratiquer plusieurs langues, internationales ou non. En Afrique comme ailleurs, la pratique simultanée de plusieurs langues n’a jamais nuit à la qualité de l’une ou de l’autre. Ce qui a détruit la qualité de la langue française parlée dans les écoles africaines d’aujourd’hui, c’est l’environnement pollué par un français populaire. Les élèves ne savent plus distinguer la bonne langue de la mauvaise ; comme en France d’ailleurs. Par contre, aux débuts des indépendances, il y avait la bonne langue française qui était seule dans un environnement de langues locales qui ne pouvaient pas l’influencer. La formation en français ne pouvait donc qu’être de très bonne qualité littéraire. C’est ce qui se remarquait et c’est le témoigne que porte Fouad Laroui dans « Une année chez les Français ».

    Posté par St-Ralph, 08 mars 2011 à 16:18

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