Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
28 avril 2011

Noires blessures (un roman de Louis-Philippe Dalembert)

  Noires blessures

                   (un roman de Louis-Philippe Dalembert)

 

Noires_blessures_0004            Dès le départ, c’est un châtiment physique artistique qui nous est donné. On devine aisément que le Noir - la victime - est l’employé ou le subordonné du Blanc, son bourreau. Mais on ne comprend pas pourquoi le châtiment lui est infligé au son de la musique et en exécutant des jeux de jambes à la Mohamed Ali alias Cassius Clay.

 

            Pour comprendre ce sadisme apparent, l’auteur nous fait remonter dans le passé des deux personnages comme on remonte par un long tunnel dans la conscience pour expliquer le présent. Et que découvre-t-on ? Je me contenterai de vous donner la couleur de la substance qui a conduit ces deux êtres nés sur des continents différents à se rejoindre et à sombrer dans ce que tout lecteur qualifiera de traquenard de la vie pour ne pas dire du destin.

 

            C’est Mamad, le Noir, qui le premier raconte sa vie faite de l’absence du père mort alors qu’il n’avait que sept mois ; une vie marquée par la faim qu’il s’évertuait à cacher pour ne point ternir l’image d’une mère courageuse mais dont la ténacité ne pouvait venir à bout de la pauvreté omniprésente. Benjamin d’une famille de sept enfants, dès la classe de sixième, il troque son rang de petit dernier jouissant de la protection de tous pour devenir « celui dont la mission consiste à sauver le reste de la famille, à la sortir de la gêne ». S'appuyant sur son extraordinaire mémoire qui laisse présager un avenir certain, il use de stratagèmes auprès de ses camarades pour s’offrir de maigres repas afin de ne pas abandonner ses études. Mais c'est en définitive l'image d'un enfant au cœur flétri par les humiliations auxquelles l’expose la pauvreté de sa mère qui ne peut s’acquitter de manière régulière du coût de sa scolarité qui s'impose à l'esprit du lecteur.

 

            Rarement la peinture de la pauvreté a été aussi poignante dans un roman ; rarement celle de la faim a montré un visage aussi douloureux. Et quand l’espoir se brise et que la faim aiguillonne l’imagination, l’appel de l’exil, même chargé d’images tristes, apparaît comme une solution. A ce moment du livre, l’auteur produit quelques belles pages d’analyse sur la tentation de l’exil. Mais comme dit Mamad, « on accroche souvent ses rêves plus haut que la réalité ». Il finira donc domestique chez un Blanc de son pays.

 

            Laurent, le Blanc, le parisien, n’a pas la stature élancée d’un athlète. Mais son père, un soixante-huitard passionné de jazz et grand admirateur des sportifs noirs - en particulier de Mohamed Ali  -  lui fait quotidiennement partager les passions que sa femme ne peut supporter. Assurément, Jean-Philippe Dalembert signe dans ce roman de très belles pages sur les conflits conjugaux vus sous l’angle de l’enfant. L’une des particularités de ce roman est d’ailleurs de traiter de manière très complète et convaincante certains sujets comme la place des Noirs dans le sport, la ségrégation raciale au sein de l’armée américaine lors de la dernière grande guerre, la multiplication très contestable des ONG que l’Europe destine aux pays pauvres sous le couvert d’action humanitaire. C’est d’ailleurs ainsi que Laurent va partir en Afrique et s’occuper de protéger des singes. Mais si comme Mamad, Laurent traîne dans son esprit la présence constante du père absent, lui a connu son père et n’a jamais pardonné à ceux par qui sa mort est arrivée. Et il porte plus douloureusement cette absence d’autant qu’elle lui semble exiger vengeance.

 

            En présentant ce roman comme un retour au passé pour expliquer le présent, on croit, dès les premières pages, se lancer dans la lecture d’une histoire aux contours lisses et donc sans grand intérêt. Erreur ! Ce roman est une œuvre très riche en réflexions sur le fonctionnement de notre société et son impact sur l’esprit des hommes. D’ailleurs, la profusion des thèmes qu’il contient et qui sont traités avec une extraordinaire justesse en fait plus qu’un roman ; c’est une sorte d’œuvre psychanalytique de certains maux comme la faim, la pauvreté, l’absence de la figure du mâle dans la construction de l’individu. Ce roman nous rappelle la fragilité des êtres qui nous entourent ; des êtres souvent brisés, porteurs de blessures de toutes sortes que nous ignorons et qui conditionnent les comportements que nous ne comprenons pas.

 

Raphaël ADJOBI

 

Titre : Noires blessures, 222 pages

Auteur : Louis-Philippe Dalembert

Editeur : Mercure de France

Publicité
Commentaires
S
Oui ! je le reconnais, chère Liss, de manière définitive : il y a du bon dans la littérature francophone. <br /> <br /> Merci de tout coeur de me faire connaître les problèmes d'accès à mon blog. J'espère qu'ils seront résolus avec le temps car je n'ai aucune prise sur le phénomène pour le contrôler. Depuis quelques semaines, en effet, je reçois moins de visites et moins de messages alors qu'au même moment mes articles sont vite repris sur d'autres sites. Habituellement, cette pratique suscite la curiosité des lecteurs. Du moins, c'est ce que je crois.<br /> <br /> Que vais-je devenir si tu ne pouvais plus me rendre visite ?
Répondre
L
Comme quoi, il y a du bon dans la littérature noire francophone ! J'ai tellement aimé ce roman que j'attends le jour où Africa Paris invitera l'auteur... Enfin j'espère que Gangoueus et ses partenaires d'Africa Paris le feront.<br /> Tu sais, St-Ralph, j'ai du mal, ces derniers temps à accéder à ton espace, ça beugue souvent, je me demande si je suis la seule ou si d'autres internautes ont rencontré les même difficultés que moi, parfois je suis même obligée d'éteindre le poste car ta page me bloque tout...
Répondre
S
Chère Liss, <br /> <br /> je me doutais bien que tu réagirais à cet article. Oh ! Ainsi donc la vue de mon billet t'a détournée de ton repas ! J'en suis flatté ! Et je le prends avec beaucoup de plaisir parce que je ne veux pas être modeste ! <br /> <br /> J'avoue que je ne m'attendais pas à trouver un roman aussi riche en réflexions. A partir d'une histoire qui pourrait paraître banale et l'explication assez rapide, on a droit à des pages très agréables que l'on n'a pas envie de quitter. Je ne suis pas déçu de m'être laissé tenter.
Répondre
L
Voici un bon déjeuner dominical, St-Ralph, il est midi passé à l'heure où je publie ce commentaire, mais je crois que je vais me passer de repas ce midi, car celui que tu nous offres me suffit amplement. C'était donc de Noires Blessures que tu parlais ! <br /> J'ai été comme toi touchée par la peinture de la pauvreté, les ravages de la faim, auxquels cette famille fait face avec tant de dignité. Tu décris de manière plus complète et précise les thèmes du livre. J'aurais bien aimé avoir écrit tes trois derniers derniers paragraphes, ce n'est pas que le début de ton article ne soit pas bon, mais ces paragraphes sont si justes et expriment ce que j'aurais aussi voulu dire. Bon, je peux être rassurée, tu ne regrettes pas d'avoir lu ce livre ?
Répondre
Publicité
Publicité