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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
14 août 2011

Inassouvies, nos vies (Fatou Diome)

                                       Inassouvies, nos vies

                                           (Un roman de Fatou Diome)

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            La beauté de l’écriture et le projet novateur qui rappelle - à certains égards - le film « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock sont les deux éléments qui retiennent l’attention dès les premières pages du roman. De son appartement, Betty, jeune dame célibataire, prend beaucoup de plaisir à scruter les fenêtres de l’immeuble d’en face pour deviner la vie de ses occupants. Aux différents étages, elle découvre des rituels auxquels elle s’accroche comme à des fils d’Ariane conduisant au cœur de la vie de ses voisins.

 

            On salive à l’annonce de ce projet adroitement accompagné de belles réflexions. Malheureusement, il tourne très vite à l’obsession d’aller au-delà de la devinette ou des fruits de l’imagination pour accéder à la réalité des faits et donc des vies. Dès lors, notre « loupe » - comme elle se surnomme – devient détective et sombre dans l’ordinaire. Et l’ordinaire, ce sont des vies inachevées, des passions et des désirs inassouvis. Certes, la vie de ces voisins n’est pas dénuée d’intérêt ; mais ces intrusions faites de savants calculs deviennent rapidement pesantes.

 

            D’ailleurs, les pages les plus belles, les plus poétiques et les plus touchantes du livre sont celles nourries par l’observation à distance. Quand l’imagination effleure le réel sans vouloir se substituer à lui, le texte reste léger comme un parfum traversant le temps. Assurément la passion de Betty pour les récits de guerre des anciens combattants blancs de la maison de retraite prend trop de place. Que ces récits soient l’occasion de tirer quelques singulières conclusions, on ne peut qu’applaudir. Mais qu’une Afro-Française fasse de ce lieu commun de la littérature hexagonale une passion détonne et apparaît superflu.

 

            D’autre part, le fait que l’auteur cherche absolument à aborder une multitude de sujets très éloignés les uns des autres et du projet initial crée chez le lecteur un sentiment de lassitude. Pourquoi vouloir absolument toucher à tout ? Que les vacances africaines de la « prof intello-écolo-bio » soit l’occasion de critiquer le tourisme « intelligent » ou « humanitaire », cela n’a rien d’étrange. Mais basculer dans une longue critique des dirigeants africains et du F.M.I. « affameur du peuple » donne clairement l’impression de vouloir régler des comptes inopportunément. Il en est de même des longues réflexions de l’épouse « sophistiquée » de l’avocat sur les joggers séducteurs qui dans les parcs publics semblent régler leurs foulées sur leurs désirs de conquêtes féminines.

 

            L’essentiel à retenir de ce roman, c’est que Fatou Diome a le sens de la formule pour traduire certaines impressions tirées de la vie des autres. Il est très plaisant de lire le portrait de la femme « sophistiquée » : « Dans son milieu, afficher des rotondités corporelles était aussi obscène que parler d’argent. Sa ligne contournait les plaisirs de la table et suivait ses délires plastiques. […] Son corps était son Atlas et sa géopolitique se limitait à son tour de taille. » (p. 57) Même pour parler des actes simples, ses formules sont éclatantes : « Offrir des livres ou donner un conseil de lecture est un exercice périlleux (…) Et il est facile de se tromper, car chacun se prosterne à l’autel de sa propre sensibilité » (p. 33)

 

On apprécie certes les qualités stylistiques de l’œuvre. Malheureusement, mis à part les belles formules littéraires, au terme du roman, la curiosité du lecteur  reste inassouvie.

 

Raphaël ADJOBI

 

Auteur : Fatou Diome

Titre : Inassouvies, nos vies (253 pages)

Editeur : J’ai lu (Juillet 2010)

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Commentaires
C
Bonjour St-Ralph,<br /> <br /> Le problème quand on arrive sur une discussion c'est que parfois ce qu'on a voulu dire a déjà été dit. J'y peux rien, je suis une tortue, toujours un peu lente à démarrer et qui prend son temps pour marcher et flaner, mais je suis de retour avec plaisir sur ta page. <br /> <br /> Je n'ai rien lu de Fatou Diome à part un recueil de nouvelles offert par ma soeur. Il y'en a une seule qui m'avait plu et marqué, celle de l'enfance avec sa grand-mère. <br /> <br /> Autrement, rien ne me tentait, j'ai vu des résumés dans les magazines, je l'ai entendu à la radio et à la télé et rien ne me parlait jusqu'à "celles qui attendent", je l'ai acheté mais pas encore lu. <br /> <br /> Celui dont tu parles ne me tente pas non plus mais je reconnais ta façon de faire le pitch et de critiquer et même si tu avais été plus enthousiaste, le résumé ne m'excite pas, n'éveille pas ma curiosité, une impression de déjà vu et pas envie de revoir. Parce que certains déjà -vus donnent envie d'aller voir quand même la plupart du temps, mais pas là, pas pour moi. <br /> <br /> Caroline.K
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S
Merci, mon cher Obambé, pour cette indication. C'est un auteur que je ne connais pas ; mais j'ai souvent vu son livre "Les belles choses que porte le ciel" en librairie. Ton enthousiasme m'incite à le découvrir. A vrai dire, je ne suis pas contre les digressions à la conditions qu'elles participent à la compréhension des personnages ou des actions du récit. C'est quand, dans les romans, elles conduisent à des impasses que je n'apprécie pas du tout ! Encore merci pour cette indication de lecture. <br /> <br /> Je suis en train de rédiger un article sur le dernier livre de notre amie Liss. Mais je suis devenu tellement paresseux ces derniers temps que que je suis loin de le terminer.
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O
Bonsoir,<br /> <br /> Au sujet des digressions, je suis en train de savourer le 2e roman de l’Américano-Ethiopien Dinaw Mengestu, « Ce qu’on peut lire dans l’air » (Albin Michel, 22€). Je l’ai « rencontré » par son 1e roman (« Les belles choses que porte le ciel », Albin Michel aussi). <br /> Ce garçon est très intéressant à lire, enfin, pour moi. Le très exigeant St-Ralph, je ne sais pas s’il appréciera. Dans son 2e roman, il adopte un style que j’aime bien : raconter alternativement, chapitres après chapitres, deux histoires en parallèles : celle de ses parents nés en Ethiopie et exilés aux USA d’une part et d’autre part, la sienne avec Angela une Américaine d’origine africaine.<br /> Les similitudes sont frappantes entre les vies des deux couples et les digressions ne manquent pas surtout quand l’auteur aborde la vie de ses parents, les difficultés de l’intégration de sa maman qui lorsqu’elle arrive aux USA suivre son mari est perdue, ne parle pas un mot d’anglais.<br /> Bon, je m’en tiens à cela, mais je conseille la lecture de cet auteur (journaliste et écrivain).<br /> <br /> @+, O.G.
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O
"Détective",<br /> <br /> voilà le mot que j'aurais du utiliser pour exprimer le caractère inassouvi du lecteur que j'ai été au fil de l'eau. Détective convient très bien et résume à merveille ce sentiment.<br /> <br /> @+, O.G.
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S
Cher Obambé, j'avoue que le début du livre m'a fait saliver mais finalement je n'ai pas aimé la manière dont il a été mené. Pour moi, il n'a pas atteint l'objecticf annoncé puisque le personnage principal est vite devenu une détective. D'autre part, le contenu des digressions n'ont souvent rien à voir avec le sujet.
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