Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

02 janvier 2012

La France Noire, trois siècles de présence

                                                 L a   F r a n c e   N o i r e

                                              Trois  siècles  de  présence 

La France noire 0011            Enfin, voici un livre qui clame haut et fort, par son titre, que la France n’est pas blanche ! Tout en étant le pays européen qui a le plus multiplié les lois racistes, les reconduites à la frontière et les mises en garde contre l’invasion des Noirs, la France demeure paradoxalement, aux yeux des autres pays, la première nation nègre d’Europe. Il y a une raison à cela ; et c’est ce que La France Noire veut rappeler à tous, Noirs et Blancs. Cet ouvrage collectif réalisé sous la direction de Pascal Blanchard propose de visiter notre passé commun en retraçant les étapes oubliées d’une histoire noire française, les étapes où ces anciens esclaves, ces immigrés volontaires ou non, ces civils ou militaires ont mêlé leur destin à celui de la métropole. 

            Suite à la longue et riche introduction de Marcel Dorigny qui rappelle la place des Noirs dans l’histoire de l’Europe, le livre s’organise en huit chapitres abondamment illustrés. L’histoire de la France noire présentée ici commence en 1848 avec l’abolition de l’esclavage et les débuts de la colonisation et se termine à la fin du XXè siècle sur la question de l’identité nationale française au sein d’une société irrémédiablement métissée.  Dieudonné Gnammankou et Alain Ruscio, qui ont eu la charge du premier chapitre, nous montrent qu’après plus de cent cinquante ans de présence plus ou moins régulière des Noirs en métropole (quatre mille Noirs et Métis en 1738), la France n’est plus officiellement blanche entre 1848 et 1889. A cette époque en effet, outre les Blancs, sa population s’est enrichie d’esclaves affranchis - donc de citoyens noirs - et de sujets coloniaux. Malheureusement, c’est à cette même époque que les scientifiques font de l’idée de « race » une passion française et européenne suite à la parution de L’origine des espèces de Charles Darwin, en 1859. C’est à partir du milieu du 19 è siècle, en effet, que les hommes de science se lancent dans l’étude comparative des « peuples de couleur » avec les Blancs pour aboutir à une classification et une hiérarchisation des races. Cette science racialiste décrète de manière définitive l’infériorité de l’homme noir qui « gît au plus bas de l’échelle » parce que possédant un « caractère d’animalité » et le « cercle intellectuel le plus restreint » rendant sa civilisation impossible par l’Européen. Telle est l’image du Noir diffusée dans la société grâce à la littérature, à la presse populaire et aux discours politiques violents.

            Le lecteur comprend alors que les expositions coloniales de l'époque, les foires et les exhibitions ne sont qu’une suite logique de la volonté d’une élite : montrer le caractère sauvage des nègres et par voie de conséquence leur infériorité intellectuelle justifiant leur domination. Ces exhibitions qui attirent des millions de visiteurs contribueront évidemment à populariser l’image du Noir dans la publicité, les arts, le monde du spectacle, la littérature, et permettront au grand public d’assimiler l’image dégradante du Noir qui hante encore les esprits et provoque des dégâts inimaginables.            

            Quant au deuxième chapitre – œuvre d’Elikia M’bokolo et de Frédéric Pineau -, qui s’étale de 1890 à 1913, il montre l’achèvement de l’installation de l’empire français sur l’Afrique. Si les expositions coloniales et les exhibitions ont toujours du succès, on voit toutefois émerger un attrait pour l’esthétique nègre dans les arts et le sport. A son tour, le chapitre III (1914 – 1924 / par Catherine Coquery-Vidrovitch et Sandrine Lemaire) souligne la contribution de l’Afrique à la première guerre mondiale. Un chapitre important et passionnant à la fois. En effet, on lit avec émotion que l’arrivée massive de régiments d’Afrique habitue peu à peu le grand public à une image du Noir qui n’est plus associée au sauvage des exhibitions coloniales. Il découvre non seulement des soldats et des blessés noirs mais également des travailleurs noirs et des infirmières antillaises. Malheureusement, les politiciens ont une autre idée de la société qui se dessine. Par peur d’une trop grande proximité avec les populations métropolitaines, on prend ça et là des mesures de surveillance et de contrôle des mouvements des Noirs. Du chapitre IV (par David Soutif et Styler Stovall) qui couvre la période de 1925 à 1939, le lecteur retiendra combien l’image de l’Afro-Américain - et particulièrement celle de Joséphine Baker - a favorisé l’avènement de la Négritude. C’est l’époque des premières luttes pour « la race noire » et pour l’égalité républicaine alors que la France politique et affairiste organise l’exposition coloniale de 1931.

 gymnastes 1939 numérisation0001           Les quatre derniers chapitres qui courent jusqu’à la fin du XXè siècle constituent à mes yeux l’époque moderne parce qu'on y découvre que le destin des Noirs de France n’est plus dissociable de celui de la métropole malgré les interminables débats sur le "vivre ensemble". D’ailleurs, tout ce qui est fait durant cette période apparaît comme un jeu de passion et de dépit amoureux. Entre 1940 et 1956 (Ch. V / Romuald Fonkoua et Nicolas bancel), la France a besoin des Africains pour la guerre et pour ses industries mais s’inquiète de voir l’ordre des choses bouleversé par cette présence et multiplie les mesures en tout genre. C’est d’ailleurs à cette époque qu’est apparue une égalité « partielle » grâce à l’arrivée à Paris des premiers élus de l’Union française et qui a fait croire à une France sans « préjugés de couleur ». Entre 1957 et 1974 (Ch. VI / Françoise Durpaire), suite aux luttes pour les indépendances africaines, la France n’assumant pas ses couleurs popularise l’idée du Noir immigré, discréditant ainsi toute une partie de sa population. Enfin viennent la période des rêves et des illusions (Ch. VII : Bleus, Blancs, Blacks… / par Françoise Vergès et Yvan Gastaut) et celle de l’affirmation d’une citoyenneté noire dans une France métissée (Ch. VIII : par Achille Mbembe et Pap Ndiaye). La lecture de ces quatre derniers chapitres n’est pas inintéressante mais retient moins l’attention parce qu’ils apparaissent comme une histoire inachevée. En effet le Noir français vit avec l’idée que la question de sa citoyenneté est toujours versée au débat national.

            L’histoire de la France noire présentée ici n’est donc qu’une histoire partielle de la présence des Noirs en métropole puisqu’elle écarte intentionnellement la longue période où ceux-ci n’avaient d’autre statut que celui d’esclaves ou de meubles. On voit cependant  que 150 ans de statut de citoyen n’ont pas réussi à changer l’image que la France a scientifiquement et idéologiquement construite, et qui ne peut être détruite que si elle s’applique à faire la démarche contraire. En procédant de quelle façon ? En s’appliquant avec le même soin à défaire par l’éducation et l’enseignement ce qu’elle a construit. Quand sera-telle capable d’une telle volonté politique ?            

°Photo : Défilé de gymnastes lors des célébrations du 14 juillet 1939 (p. 171)

Raphaël ADJOBI

Titre : La France noire ; trois siècles de présence

Ouvrage collectif sous la direction de Pascal Blanchard ;

La préface est d’Alain Mambanckou

Editeur : La découverte, 360 pages

Posté par St_Ralph à 13:52 - Histoire - Commentaires [4] - Permalien [#]

Commentaires

  • Voici un livre qui a de très forts liens de parenté avec les deux que je viens de lire : Les Damnés de la terre et Galadio, un livre qui mériterait une bonne presse dans le paysage audio-visuel français, mais comme tu le dis si bien dans ta conclusion, les Français (les politiques) sont-ils prêts à déconstruire cette image rétrograde du Noir qu'ils se sont ingéniés à monter de façon savante ? Ils ne sont pas prêts non plus à soutenir les initiatives qui contribuent à démolir cette image.
    Mais il y a une chose qui devient de plus en plus manifeste : ce que les politiques, les scientifiques s'acharnent à présenter comme l'opinion générale des Français, eh bien les Français s'en démarquent de plus en plus, comme s'il y avait un éveil des consciences ou une volonté de faire comprendre qu'ils en avaient assez de ces polémiques inutiles, alors que les Noirs, ils les côtoient au quotidien, ils font partie du paysage français, ils leur apportent du positif... Cela a été souligné par les invités de l'émission "Ce soir ou jamais" de Taddei, hier soir sur la 3, en particulier Alain Mabanckou, lorsqu'il a fallu commenter le classement des personnalités préférées des Français : Yannick Noah, Zinedine Zidane et Omar Sy, tous les trois viennent d'ailleurs !
    Qu'ils le veuillent ou non, les Français doivent faire avec les immigrés, ce sont eux qui sont allés les chercher pour qu'ils les aident, maintenant il faut assumer. Bon, je m'arrête là !

    Posté par Liss, 04 janvier 2012 à 16:42
  • J'ai pris le temps de visionner l'émission que tu évoques, Liss. Nous avons effectivement, en France, un problème avec les hommes politiques. En particulier, ceux de droite qui pensent qu'en montrant toujours indistinctement du doigt les Noirs - assimilés aux immigrés - ils sont sûrs de défendre les Français. En agissant de la sorte, ils excluent les Noirs du titre de français ; ils contribuent à la fracture sociale. Cela m'a fait plaisir de l'entendre dire dans l'émission.

    Le comportement des politiques est donc non seulement loin des aspirations des Français qui ne demandent qu'à vivre dans un climat de fraternité, mais encore il les oppose. Heureusement, je constate que de plus en plus de livres sont publiés pour montrer le vrai visage de la France. Une France où Noirs et Blancs savent s'apprécier les uns les autres. Comme tu le dis dans ton analyse sur Galadio, c'est par l'enseignement que nous parviendrons à faire peu à peu pénétrer la vérité dans l'esprit du plus grand nombre. Il y a dix ans, il y avait peu de livres sur l'esclavage ou sur l'histoire des Noirs en France. Grâces aux publications, nos compatriotes blancs découvrent peu à peu les mensonges de nos politiques.

    Posté par St-Ralph, 06 janvier 2012 à 09:18
  • La France,trois siècles de présence.

    Pour rappel 3 ....!!!

    Posté par kacou, 20 janvier 2012 à 15:33
  • trois siècles??

    300 ans affirme Pascal Blanchard??? il me semble pourtant qu'il a fallu arrêter les Maures à Poitiers bien avant ça! Evidemment, on a l'habitude de dire que ce sont les arabes qui ont été stoppé,pourtant il s'agissait bien de négro-africains dirigés par des arabes, avec un rapport de 300 arabes pour 7000 hommes afin de coloniser l'espagne,en 711 ap JC!! Les villes de Lyon,Macon et Châlon sur Saône faisait partie de cet empire. Donc, on peut déterminer avec certitude au moins 14 siècle de présence africaine en France, et ce au minimum!! diviser par 4 dans un roman qui se veut bien documenté,l'ancienneté de la présence noire en France dénote-t-elle du laxisme, de la négligence ou une volonté politique réductrice de l'influence africaine en France??

    Posté par samayone, 24 mai 2012 à 01:28

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