Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

13 décembre 2013

Qu'avez-vous fait quand Nelson Mandela était en prison ?

      Qu’avez-vous fait quand Mandela était en prison ?  

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            Voilà la seule question à laquelle devraient répondre tous les gouvernants qui se sont pressés en Afrique du Sud pour rendre hommage à l’ancien prisonnier du régime racial de ce pays. C’est également la question à laquelle devraient répondre tous les hommes politiques africains ainsi que les journalistes européens qui ont oublié la ligne éditoriale de leurs maisons alors ouvertement contre la lutte du parti politique de Nelson Mandela avant sa sortie de prison en 1990.

Pour ma part, c’est en France, vers la fin des années 70, que j’ai découvert les mouvements de soutien au célèbre prisonnier politique devenu aujourd’hui un héros planétaire. Dans les années 70 et 80, en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, les hommes politiques francophones se gardaient bien de lui témoigner leur solidarité, laissant ainsi leur population dans l’ignorance de la souffrance des Sud-Africains et de la solidarité dont ils avaient besoin. Et comme la jeunesse francophone n’était absolument pas politisée, nulle part on n’a vu des manifestations publiques soutenant la lutte de l’ANC.

Aussi, au moment où Nelson Mandela nous quitte sous les hommages enflammés des chefs d’Etat européens et africains, c’est aux jeunes communistes français que va toute ma reconnaissance. C’est grâce à eux que je peux dire que j’ai soutenu son combat à une époque où pour les hommes politiques français – particulièrement pour Jacques Chirac et tous les leaders de la droite – il n’était rien d’autre qu’un terroriste. Rares sont les dirigeants français d’aujourd’hui qui peuvent affirmer sans mentir qu’ils avaient dans leur jeunesse activement milité pour la libération de Nelson Mandela. Avant 1990, seul le parti communiste brandissait dans ses différentes manifestations son portrait pour populariser son combat. Seule la jeunesse communiste placardait les photos du prisonnier de l’apartheid dans les universités françaises.

Aujourd’hui, les socialistes français, les mouvements politiques de droite, les journalistes de tous bords volent la vedette aux vrais amis de Nelson Mandela en France. Nicolas Sarkozy a-t-il signé une seule pétition demandant sa libération quand il était prisonnier ? Hollande a-t-il signé les pétitions que les communistes lui tendaient alors ? La France politique d’avant la libération de Mandela avait à l’égard de l’ANC et de son leader la même attitude et la même vision des choses que le pouvoir français d’aujourd’hui à l’égard de l’opposition ivoirienne et de ses prisonniers. Hier comme aujourd’hui, toute opposition à un pouvoir ami est considérée comme un acte terroriste. Et quand il ne soutient pas ouvertement un ami, le pouvoir français fait mine de ne pas voir ses crimes.

Depuis sa libération, c’est l’Europe qui a fait de Mandela un héros de la paix. Et les journalistes européens ont fini par nous faire oublier que l’homme partage son prix Nobel avec son ancien geôlier Frederick Declerk. Comme il fallait s’y attendre, à leur tour, les Africains reprennent les formules et les slogans européens sans même y ajouter leur perception personnelle de l’homme. Mais cette fois, ce mimétisme s’explique par le fait que bon nombre d’entre eux n’ont jamais connu l’action militante en faveur de Mandela ou de tout autre prisonnier politique noir.

Je me souviens qu’à l’université de Dijon, les Ivoiriens refusaient de lire les journaux et les tracts communistes que leur tendaient leurs camarades Français ; tout simplement parce qu’ils estimaient que bénéficier d’une bourse d’Houphouët-Boigny – c’était leurs propres termes – ne les autorisait pas à se mêler de politique. Mis à part quelques étudiants maliens et bukinabés très politisés, les Africains n’osaient même pas s’arrêter pour signer une pétition. Aujourd’hui, ces anciens étudiants devenus des dirigeants politiques ou de hauts fonctionnaires de l’Etat rendent hommage à Nelson Mandela alors qu’ils n’acceptent pas d’opposition au régime qu’ils ont installé dans leur pays.

La disparition de Nelson Mandela apparaît donc comme une belle occasion de rappeler à la jeunesse africaine qu’elle doit se garder de suivre les pas de cette génération qui rend bruyamment hommage à un homme dont elle n’a pas soutenu le combat. Qu’elle sache que nombreux parmi ceux qui se prosternent devant sa dépouille qualifiaient sa lutte de terroriste.

Oui, c'est à vous, jeunes africains de vous inspirer de la solidarité des jeunes communistes français pour ne pas laisser dans l’indifférence et l’oubli vos leaders qui défendent une Afrique libre de disposer d’elle-même.

Si les Européens ont oublié que l’apartheid a été le fruit de leur colonisation, vous ne devez pas manquer l’occasion de faire du combat de Nelson Mandela un bel exemple d’émancipation et de prise en main de la destinée de chaque pays du continent noir. Ce n'est pas l'icône aujourd'hui couverte d'encens qu'il faut regarder, mais le résistant au racisme érigé en système d'état que la colonisation avait rendu possible en terre africaine. N'oubliez surtout pas qu'en Afrique francophone, sous le couvert de gens qui vous ressemblent, le colonialisme continue de rendre encore possible d'autres formes d'humiliation. Que l'image de Nelson Mandela soit donc pour vous un repère sûr qui vous indique le chemin de la conquête de la dignité de chaque Africain. Quel bel héritage !

Raphaël ADJOBI

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08 décembre 2013

Anatomie d'un crime (Elizabeth George)

                                   Anatomie d'un crime

                                        (Elizabeth George)

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            A vrai dire, ce volumineux roman (762 pages) d'Elizabeth George n'est pas à ranger dans la catégorie policière ; et cela tout simplement parce que le récit ne suit pas le travail d'enquête mené par une autorité légale pour expliquer les causes d'un crime. Ce récit se veut clairement le fruit d'une peinture sociale, le « film » de la vie ordinaire d'une famille noire anglaise que Frantz Fanon reconnaîtrait comme les dignes représentants des damnés de la terre en plein Londres. En effet, dès le début du roman, il semble que le sort a réuni sur la tête de cette famille toutes les conditions pour lui pourrir la vie, pour la plonger dans des difficultés inextricables.  

            C'est pourquoi, très vite, le lecteur s'attache à Joel, ce jeune garçon de douze ans doué pour la poésie qui joue des coudes pour protéger son jeune frère Toby à défaut de pouvoir aider sa soeur aînée que personne ne peut contrôler vraiment. Comment ne pas aimer Joel qui, dans cette fratrie tombée du ciel - ou plutôt de l'enfer – chez tante Kendra, apparaît comme le seul point sûr susceptible de laisser croire que le salut est possible pour les plus démunis de la terre. Joel est tout, sauf « une arme vivante » comme le prétend la quatrième de couverture. Seulement, à un moment de sa jeune vie, d'autres semblent avoir choisi ce qu'il doit être.

            A travers le personnage de Kendra, cette jeune métisse de quarante ans et de sa relation avec ses neveux, on ne peut s'empêcher de voir dans ce roman une peinture très réaliste de l'éducation des enfants dans notre société de ce début du XXIe siècle. Une éducation parcellaire parce que rythmée par le silence et l'absence des adultes ; une éducation parcellaire parce que les tentations et les menaces extérieures échappent trop souvent à la vigilance des familles. Une éducation dans laquelle les enfants sont souvent obligés de choisir entre l'obéissance à la loi du quartier et l'amour des leurs qui oublient de les nourrir de valeurs solides face à l'adversité. Oui, on oublie trop souvent que c'est quand les valeurs extérieures triomphent que tout est perdu pour  les enfants.

            Cependant, comme dit la chanson, on ne choisit pas sa famille. Celle de Joel, de Toby et de Ness est avant tout ce qui les fait démarrer du mauvais pied dans la vie. Quelle éducation et quelle aide sociale peuvent sauver trois enfants qui n'ont jamais connu rien d'autre que l'absence et la douleur ?   

            Anatomie d'un crime est un livre passionnant qui vous oblige à jeter sur Elizabeth George un regard admiratif. Elle nous livre ici une peinture sociale très détaillée où chaque personnage a une facette séduisante qui laisse croire au lecteur que le pire peut être évité malgré son caractère inéluctable.

Raphaël ADJOBI

Titre : Anatomie d'un crime, 762 pages.

Auteur : Elizabeth George

Editeur : Presse de la cité, collection Pocket, 2008.

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