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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
13 janvier 2014

Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre (William Morris)

Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre

                                        (William Morris)

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            Inutile de vous démontrer la cohérence des trois essais qui composent ce livre. Je vous renvoie pour cela à la belle préface de Francis Guévremont qui, au-delà de leur unité, montre l'étonnante pertinence des propos et des préoccupations de William Morris à travers les trois conférences qui nous sont données ici. Cette préface vous permettra aussi de découvrir qui est William Morris (1834-1896).

            Je suppose que, comme moi, nombreux sont ceux qui ignorent tout de ce peintre, artisan, conservateur d'art, engagé dans la lutte pour le triomphe de la pensée socialiste au XIXe siècle ; celui qui n'a cessé de revendiquer « l'égalité de condition [...] jusqu'à ce qu'enfin nous franchissions la frontière et que le monde civilisé devienne le monde socialisé ».

            Des trois textes, c'est le second – qui a d'ailleurs donné son titre à l'ouvrage – que nous recommandons au lecteur de manière particulière. Nous sommes certains qu’il sera étonné par la modernité des propos de william Morris sur le spectacle du monde : le jeu des puissances économiques s'appuyant sur les puissances politiques pour dominer le monde à coup d'arguments fallacieux qui endorment les travailleurs devenus à la fois des machines et des esclaves du commerce.

            En effet, pour bien apprécier le texte, il ne faudra à aucun moment perdre de vue qu'il date du XIXe. Cela permettra au lecteur de comprendre que les forces économiques prédatrices d'aujourd'hui sont nées avec l'essor de l'industrie qui s'est fixé pour but la conquête de marchés par tous les moyens dans tous les coins du monde. C'est le développement industriel qui a permis la division du monde en deux catégories : d'un côté les travailleurs, « la seule partie essentielle de la société - la partie vitale », et de l'autre « les classes parasites, qui vivent à leur dépens ». Ces dernières qui sont une classe de profiteurs constituent également une classe de joueurs. Le commerce mondial est en effet un monde de jeux où l'on parie sur les conquêtes et les défaites.

            Parler de conquêtes et de défaites, c'est penser à la guerre. Et William Morris nous montre qu' « il s'agit bien d'une guerre, une guerre qui ne se fait pas entre nations rivales mais entre entreprises concurrentes, entre bataillons capitalistes » avec les mêmes effets qu'une vraie. Dans les deux cas, il s’agit de « couler, de brûler et de détruire ». Les industriels poussent les nations à lutter les unes contre les autres pour conquérir les marchés du monde ; les grandes sociétés se battent entre elles pour la moindre parcelle des profits de ces marchés. Et de leur côté, les travailleurs doivent lutter les uns contre les autres pour leur subsistance. 

            Ce spectacle désolant conduit l'auteur à cette analyse : Tant que [les travailleurs] devront lutter les uns contre les autres pour le privilège de travailler, ils appartiendront […] à ces entreprises en concurrence [...]. Ils ne seront pour ainsi dire que les pièces de ces machines à fabriquer le profit ». Ils « trimeront, geindront, mourront pour fabriquer le poison qui assassinera nos semblables » dans les coins du monde où les industriels organisent un véritable « brigandage impuni et infamant » avec la complicité de leurs gouvernants.     

            C'est pourquoi, dès le début du livre, William Morris affirme que les socialistes qui ont peur d'user du terme « révolution » pour parler de la société à proposer ont tort. Selon lui, ils ont tort de le remplacer par le mot « réforme » (ou « refondation », très employé dans certains pays en ce XXIe siècle). Car le mot « réforme » n'a pas le sens du mot « révolution [qui], dans son sens étymologique, suppose un changement touchant les fondements de la société ». Or, au regard du spectacle du monde, ce sont les fondements de la société qu'il faut revoir. Une véritable réorganisation du travail et de l'échange entre les peuples de la terre s'impose. Et même si cela fait peur à certains, il est indéniable qu'elle est porteuse d'espoir. Et la tâche de tout socialiste, dit l'auteur, c'est de donner espoir aux opprimés et faire trembler la minorité des oppresseurs. 

            Aujourd’hui où les termes délocalisation, achat à vil prix de terres étrangères et de course aux matières premières des pays non industrialisés sont devenus courants, ce livre apparaît tout à fait prémonitoire. Et même si les solutions que suggère son auteur peuvent paraître utopiques, c’est simplement parce que nous sommes encore trop nombreux à ne pas vouloir changer nos habitudes. Assurément n’importe quel lecteur conviendra avec lui que nous pourrions vivre autrement. 

Raphaël ADJOBI   

Titre : Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre, 40 pages (texte) ;  141 p. le livre

Auteur : William Morris (1834-1896)

Editeurs : Rivages poche / Petite bibliothèque, janvier 2013

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Commentaires
S
Ce petit texte nous montre clairement - en ce XXIe siècle - dans quelle société nous vivons. A son époque, la chose ne devait pas être évidente pour beaucoup.
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L
Je croyais que c'était un article récent, mais en fait il date de 2014, c'est-à-dire de longues années avant l'ère du Coronavirus ! Et le texte lui-même antérieur au XXe siècle, mais si actuel ! La "fabrique du profit" est bien à l'origine de ce que nous vivons aujourd'hui : une catastrophe sanitaire.
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