21 août 2014
La vie sans fards (Maryse Condé)
La vie sans fards
(Maryse Condé)
Disons tout de suite notre reconnaissance à Maryse Condé pour cette autobiographie qui nous livre les premiers pas chaotiques de l'Afrique sur le chemin des indépendances. En effet, quand on a eu la chance de vivre ces événements, qui ont profondément marqué les peuples africains, et quand on a eu l'opportunité de côtoyer les hommes qui sont devenus aujourd'hui des références historiques, donner son témoignage revient à faire un précieux cadeau aux générations à venir.
Reprenant à son compte la formule de Jean-Jacques Rousseau au début de ses Confessions, Maryse Condé déclare : « je veux montrer à mes semblables une femme dans toute la vérité de la nature et cette femme sera moi ». C'est en effet sa « vie sans fards » qu'elle nous offre. Son récit autobiographique nous montre clairement que c'est autour de sa sexualité – plus qu'autour de sa vie amoureuse – que s'est construite sa vie de mère et de femme de lettres. Même si elle a connu les premiers pas de la Guinée de Sékou Touré et ceux du Ghana de Kouamé N'Krumah – alors le berceau des réfugiés politiques africains – même si elle a fréquenté des hommes illustres comme Hamilcar Cabral, Richard Wright et son épouse Ellen, Wole Soyinka, et assisté à des conférences de Malcom X et de Che Guevara à Accra, on ne peut pas dire que Maryse Condé fut une militante.
Ce ne sont donc pas des convictions politiques que vous trouverez dans ce livre. Ce n'est pas pour elles qu'elle est partie en Afrique en 1959, à une époque où triomphait la négritude et où Conakri et Accra étaient les deux foyers africains du militantisme révolutionnaire et du panafricanisme. Une époque où « le Ghana [...] appartenait aux Afro-Américains. Ils y étaient aussi nombreux que les Antillais en Afrique francophone, mais considérablement plus actifs et plus militants ».
Enseignante à Bingerville, en Côte d'Ivoire, puis dans un collège de jeunes filles à Conakry, c'est au rythme de ses enfants nés rapidement - comme par accident - qu'elle va tenter d'organiser sa vie entre l'Afrique, la France, l'Angleterre et de nouveau l'Afrique. Les trente premières années de sa vie nous montrent qu'elle a été l'objet du jeu de sa vie sexuelle.
C'est un récit éblouissant de vérité et de lucidité sur sa vie et celle des sociétés où elle a vécu. Son style agréable nous permet d'apprécier de belles pages sur la société antillaise, sur les communautés d'Antillais en Afrique, sur la vie quotidienne à l'époque de Sekou Touré et de Kouamé N'Krumah, sur les sociétés musulmanes africaines.
Deux réflexions
Au regard des relations de Maryse Condé avec les hommes, nous nous permettons deux réflexions : l'attitude de son premier compagnon témoigne du sentiment de supériorité que les métis antillais éprouvaient à l'égard des Noirs. Eux aussi avaient intégré en leur for intérieur la hiérarchie des races et défendaient ingénieusement le palier qui leur revenait contre les occupants du rang inférieur. Concernant les Africains, il convient de dire que toutes les femmes européennes doivent se méfier de tous ceux qui se disent très respectueux de leurs traditions. Ces hommes sont à fuir ! Ce sont indubitablement des dictateurs qui leur promettent l'enfer dans la vie conjugale. Dans le même ordre d'idée, il est prudent de ne jamais épouser une personne dont les convictions politiques sont opposées aux vôtres.
Raphaël ADJOBI
Titre : La vie sans fards, 285 pages
Auteur : Maryse Condé
Editeur : Jean-Claude Lattès, 2012.