06 mars 2016
Notre mal vient de plus loin, penser les tueries du 13 novembre (Alain Badiou)
Notre mal vient de plus loin
penser les tueries du 13 novembre
(Alain Badiou)
Maintenant que nous avons tous séché nos larmes et consolé les nôtres, maintenant que nous avons moins les nerfs à fleur de peau, prenons le temps de nous parler les yeux dans les yeux, à cœur ouvert, raisonnablement.
Au lendemain des attentats qui ont endeuillé Paris et la France entière, quiconque aurait exprimé son désir de comprendre ce qui nous arrivait serait apparu aux yeux de beaucoup comme celui qui excusait le crime. Maintenant que la vie a repris son cours, il faut réellement chercher à comprendre pour ne pas paraître un sot pour qui l'expérience n'est jamais une leçon pour l'avenir.
Souvenons-nous que c'est notre président qui, d'un air martial avait lancé « il faut châtier Bachar el Assad ! » comme on disait jadis « sus à l'ennemi ! » Nous avions alors commencé à lancer des bombes sur la Syrie. Et quand la Russie a pris la décision d'engager à son tour ses avions dans les combats dans ce pays, nos autorités n'ont pas manqué de dire, d'un ton moralisateur, qu'il serait bon de vérifier si les Russes bombardaient bien Daech et non les autres opposants à Bachar el Assad ; ceux que l'Occident soutient. Et lorsque l'avion commercial russe s'est écrasé dans le désert du Sinaï, les médias français avaient immédiatement rattaché l'accident à l'intervention de ce pays en Syrie. Les enquêtes leur ont totalement donné raison.
Chose surprenante, voire choquante, a été de constater qu'après les attentats du 13 novembre 2015, personne n'ait osé montrer du doigt les actions de nos autorités politiques en Syrie ! Nous sommes prompts à voir la paille dans l'œil de l'autre mais incapables de voir la poutre qui nous crève les yeux ! Tels nous sommes, en France. C'est bien connu : tout le monde nous en veut ; tout le monde jalouse notre démocratie, notre liberté ! Et pour cette dernière, nous sommes prêts – à ce qu'il paraît – à autoriser l'Etat à la gérer, à la contrôler.
La question que quelques rares personnes se posent désormais est celle-ci : les vagues de mesures prises pour protéger nos libertés sont-elles les bonnes pour prévenir le type d'attaque que nous avons connue ? Et quand bien même nous céderions toutes nos libertés entre les mains de l'Etat, serions-nous pour autant en totale sécurité ?
A vrai dire, ce que nous avons de mieux à faire est d'ouvrir les yeux pour analyser avec une grande lucidité ce qui nous est arrivé le 13 novembre 2015. Et c'est exactement ce que nous propose le philosophe Alain Badiou dans ce petit essai au ton franc et sans doute dérangeant pour beaucoup. Il n'y a pas de fumée sans feu, dit l'adage. Disons que c'est souvent le cas. Les Anglais ont manifesté pour s'opposer à la décision de leurs autorités d'envoyer des avions en Syrie. Qu'avons-nous fait en France ? Comment pouvons-nous bêtement croire que les bombes que nos dirigeants décident de lâcher sur les villes syriennes ne tuent que les sataniques barbus armés jusqu'aux dents ? Comment pouvons-nous ne pas avoir l'intelligence de comprendre que les Syriens qui arrivent chez nous fuient la même chose que nous avons subie le 13 novembre 2015 ? Comment pouvons-nous nous croire avisés ou sages quand nous regardons indifférents nos pays occidentaux défaire allègrement des états en Afrique et dans le monde arabe et y installer la désolation pour des intérêts économiques ? Comment peut-on s'arroger le droit de dire que tels humains doivent être défendus et tels autres doivent recevoir des bombes sur leur tête ?
Alain Badiou nous appelle à être moins ignorants de la géopolitique – la grande faiblesse des Français – et des enjeux actuels qui agitent le monde. Les gouvernants européens ne gouvernent plus rien, ni ici ni ailleurs. Ils ne sont que les agents du jeu de la géopolitique dont les rênes sont entre d'autres mains. Ce petit livre vient nous ouvrir les yeux sur les causes du délitement des sociétés occidentales et des méfaits du capitalisme mondialisé aux allures outrageusement impérialistes. Lire ce livre, c'est voir plus loin et mieux découvrir ce qui nous entoure pour agir efficacement sur le monde, au lieu de demeurer dans l’affect et prôner l’édification de barrières de protection mentales et physiques !
Raphaël ADJOBI / Vidéo d'Alain Badiou
Titre : Notre mal vient de plus loin, Penser les tueries du 13 novembre, 63 pages
Auteur : Alain Badiou
Editeur : Ouvertures Fayard, janvier 2016, 5 euros
Commentaires
Aujourd'hui toute l'Europe est débordée par le problème des "migrants" syriens. Les pays occidentaux croient mettre de l'ordre dans le monde lorsqu'ils se donnent le droit d'intervenir ici ou là, en employant les armes lourdes, seulement ils ne semblent pas prévoir les conséquences et semblent dépassés par les événements. Lorsqu'on intervient de manière objective, oui, cela peut avoir des effets bénéfiques, mais lorsqu'on intervient dans le sens de ses propres intérêts sans se préoccuper le moins du monde du peuple du pays dans lequel on intervient, alors il faut s'attendre à ce que le feu que l'on a allumé là-bas nous touchera aussi, d'une manière ou d'une autre. C'est exactement ce qui se passe au Congo, comme dans d'autres pays où la France a droit de veto, je veux dire droit de Veto sur les richesses du pays, pactisant avec tel dictateur qui leur donne carte blanche sur ces dites richesses, au détriment des aspirations du peuple et de la démocratie. Et c'est ainsi que le massacre des civils se poursuit au Congo avec la bénédiction des autorités françaises....
Bonjour St Ralph,
Juste de passage pour te manifester mes encouragements pour cette belle initiative que tu entreprends avec beaucoup de bravoure. Saches que tu as tout mon soutien et ma solidarité pour la réussite de ce combat noble.
Courage, à bientôt