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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
30 mars 2017

Guyane : le courroux de Kourou, sous le regard d'Ariane !

  Guyane : le courroux de Kourou, sous le regard d’Ariane !

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            Quelle honte pour la France ! Il faut vraiment ne pas avoir le sens de la dignité pour s’exposer effrontément dans la merde des nègres avec des bijoux en or ! Il faut avoir le colonialisme vissé au cœur pour braver ainsi le jugement de la terre entière en brandissant haut le sceptre de l’excellence alors qu’on a les pieds dans la fange.

            Kourou ! Même les Français métropolitains réputés pour leur ignorance en géographie associent ce nom à la Guyane. Bien sûr, certains croient que ce département français est une île africaine ; mais une chose est certaine : ils savent que cette cité, ce village ou ce hameau nègre abrite la base de lancement de la fusée Ariane qui fait notre fierté nationale.

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            Kourou, orgueil de la France ! Kourou, la prunelle des yeux de notre Ariane que nous confondons  inconsciemment ou consciemment – parce que cela fait du bien – avec notre chère et tendre Marianne. Après tout, au son, il n’y a que la lettre « M » qui les distingue ; la faute sûrement à un nègre du coin qui avait du mal à prononcer le nom de notre déesse républicaine.

            En effet, nous nous imaginions tous Kourou comme  le bled le plus magnifique de France ; le plus beau hameau, le plus beau village, la plus belle ville…. Qu’importe, un cadre de vie qui bénéficie des largesses de la reine Ariane, comme cela sied à tous les pauvres qui vivent à l’ombre des reines et des rois.

            Quelle ne fut pas notre stupéfaction à la vue des rues défoncées, inondées, les maisons aux tôles froissées… ! Que dis-je, la misère au pied de notre gloire républicaine, de notre instrument de conquête spatiale ! Mon Dieu ! Trois fois, j’ai dit « mon Dieu ! ». Trois fois, j’ai dit « non ! » Trois fois, j’ai dit « incroyable ! »

            Bien sûr, les habitants de Kourou ne sont pas des ingénieurs employés à la station spatiale. Bien sûr, cette population n’est pas blanche ; elle est nègre ou presque et descendante d’esclaves, et par conséquent digne du mépris habituel des dirigeants et décideurs de la République. Mais quand on est roi ou reine – ou que l’on croit en avoir les attributs – on prend soin d’habiller correctement ses domestiques nègres ou presque, ne serait-ce que pour faire bonne figure devant ses visiteurs et invités. Par cette attention singulière, on signifie à ceux-ci qu’on est suffisamment à l’aise pour prendre soin de sa valetaille au point de lui faire préférer notre domination plutôt que celle de n’importe qui d’autre.

            Eh bien, NON ! La France n’a même pas le sens de cet orgueil-là ! Quelle honte pour Ariane, pour Marianne, pour chacun de nous ! Kourou ou la Guyane, c'est toujours l'image du "Blanc-France"  en territoire conquis ! Nous comprenons donc que ces Noirs ou presque Noirs "lassés de manger leur âme en salade et de subir crachats, insultes, méprisations, ricanenements, claironnent qu'en terre créole, seule la folie est raisonnable, oui." (Raphaël Confiant, in Case à Chine).    

Raphaël ADJOBI

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28 mars 2017

Petit pays (Gaël FAYE)

                                           Petit pays

                                              (Gaël Faye)             

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                « De quel pays es-tu ? » Un jeune métis français n’échappe pas à cette « question banale, convenue, passage obligé pour aller plus loin dans la relation » à laquelle les Français blancs soumettent quotidiennement leurs compatriotes noirs. Et puisque « (sa) peau caramel est souvent sommée de montrer patte blanche en déclinant son pedigree », Gaël Faye a décidé d’aller plus loin en remontant lentement, posément, dans les moments les plus heureux et les plus terribles de son enfance.

            Petit pays est le récit de cette enfance menée dans un minuscule pays africain : le Burundi ; pays voisin d’un autre encore plus petit et dont le nom évoque dans la conscience collective le génocide des Tutsis, le Rwanda. On comprend tout de suite que cette enfance burundaise sera imprégnée des événements survenus dans le pays voisin ; surtout quand on découvre l'identité de la mère du narrateur.

            Toute la beauté du livre tient au fait que c’est le bonheur de la vie quotidienne d’un garçon immergé dans les différentes activités de sa bande de quartier qui domine le récit. En effet, Gaël Faye nous plonge dans le rythme infernal d’une enfance africaine faite de liberté, de chapardages de fruits, de tours pendables joués aux voisins ; une vie de grande camaraderie qui semble préserver les enfants de l’ambiance parfois pesante ou énigmatique de chacune de leur famille. Puisque c’est un univers d’enfants qui nous est donné et non pas celui des adultes, on finit par croire que le livre est destiné à de jeunes lecteurs. Et c’est à ce moment-là que se produit l’irréparable de manière crue, violente, inimaginable !

            On quitte alors le livre en se disant : « ce n’est pas vrai ! Non, ce n’est pas possible ! » Et pourtant… La guerre ne se vit pas seulement au front, dans une forêt lointaine, une tranchée lugubre et humide, une plaine immense aux collines menaçantes, une ville aux tours déchiquetées. La guerre semble encore plus effroyable quand elle est partout mais invisible, quand on la côtoie quotidiennement sans la voir vraiment jusqu’au jour où tout s’écroule.

            Ce premier roman de Gaël Faye est à la fois surprenant par son intensité – surtout dans les derniers chapitres – et très émouvant. On en ressort sans voix.

Raphaël ADJOBI

Titre : Petit pays, 216 pages 

Auteur : Gaël FAYE

Editeur : Editions Grasset et Fasquelle, 2016

17 mars 2017

Le travail et la colonisation selon le capital et le politique

                     Le travail et La colonisation

                       selon le capital et le politique

                                          (Réflexion)

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                Dans les discours des grands dirigeants d’entreprise comme dans ceux de nos hommes politiques, il y a une immuable cohérence dans leur vision du monde quand il est question du travail et de la colonisation. Et cette minorité s’arroge le droit incontesté d’imposer à la grande majorité des citoyens et même du reste de l’humanité sa manière de voir le réel qui n’est pourtant pas la vérité. En effet, le réel est souvent trompeur.

            Quand Madame Christine Lagarde clame « (qu’) on ne peut raisonnablement encourager le travail et prôner la taxe sur les grandes fortunes », elle laisse croire à tout le monde que ceux qui s’enrichissent sont ceux qui travaillent. Or, hier comme aujourd’hui, on a vu et on voit dans les entreprises des millions de personnes travailler et mourir éreintées sans jamais avoir connu la richesse. En clair, ceux qui travaillent pour le capital ou que le capital fait travailler ne sont pas ceux qui s’enrichissent. Ce sont ceux qui travaillent qui enrichissent le capital !

            Dans l’esprit des chefs d’entreprise, la notion de travail est intimement liée à l’argent et à son investissement. D’où chez eux l’usage courant de cette formule consacrée : « faire travailler son argent ». En d’autres termes, quand les riches et autres grandes fortunes parlent de travail – mis à part ceux qui ont été les initiateurs de leur société, donc les entreprises familiales – ils parlent de l’investissement financier ou de la rente à faire fructifier. C’est donc cette notion de travail que les chefs d’entreprise aussi bien que les hommes politiques manient à longueur de journée au point de laisser croire aux ouvriers et aux paysans qu’ils sont paresseux parce qu’ils ne parviennent jamais à amasser une grosse fortune. C’est cette valeur qu’ils confèrent à l’argent et à son investissement qui leur donne cette profonde conviction qu’ils sont les meilleurs dans le travail. Ce qui explique pourquoi le célèbre parfumeur Jean-Paul Guerlain s’est permis de dire, avec beaucoup d’arrogance, qu’il ne savait pas si les nègres ont beaucoup travaillé comme lui ; et cela en rappelant la formule « travailler comme un nègre » qui renvoie bien sûr à l’esclavage des Noirs. Il était clair pour lui comme pour tous ses pairs que son travail a été et est supérieur en intensité et donc en énergie dépensée par rapport à celui d’un esclave noir.

            Pour madame Christine Lagarde, monsieur Jean-Paul Guerlain et leurs amis politiques et financiers, l’idée de travail n’inclut pas la force humaine de l’esclave, de l’ouvrier, de l’employé. Et ils ont réussi à convaincre leurs compatriotes qu’ils sont riches parce qu'ils travaillent beaucoup et aussi que eux ne le sont pas parce qu'ils ne travaillent pas assez. C’est pourquoi cette catégorie de personnes peut nous lancer au visage : « il faut travailler plus pour gagner plus ! »

Les hommes politiques héritiers d'une conscience coloniale dépassée

            Puisqu'elle est convaincue que c’est le capital et son détenteur qui travaillent et non pas la main d’œuvre, on ne s’étonnera pas d’entendre cette élite héritière des idées des siècles de la suffisance absolue des nantis continuer à croire que l’esclavage des Noirs est un partage de culture et la colonisation des peuples lointains un bienfait pour l’humanité. En ce XXIe siècle où l’opinion publique nationale prône la fraternité et une meilleure égalité de traitement moral avec les autres peuples de la terre, voir cette élite politique et financière s’accrocher aux vestiges de la pensée aristocratique et bourgeoise du passé est tout à fait sidérant.

            Pour ces héritiers des temps anciens, les idées sont autant de patrimoines aussi immuables que les châteaux. Qualifier la colonisation de crime contre l’humanité passe chez eux pour un crime contre la conscience qu'ils ont de notre histoire coloniale et les pousse à exiger des excuses nationales. Combien ce fut rafraîchissant et réjouissant d’entendre un jeune homme politique à qui cette exigence a été faite adresser une cinglante mise au point à ces défenseurs de l’honneur du colonialisme français. Cet homme a officiellement et solennellement qualifié de dépassées les considérations de cette catégorie de personnes qui entretiennent la définition du colonialisme comme un moyen idéal de civilisation. Pour lui comme pour nous, notre époque de communication et d’échanges fraternelles ne peut se permettre de poursuivre l’affirmation de la supériorité d’une civilisation sur une autre et par voie de conséquence l’affirmation des bienfaits de la colonisation. Pourquoi donc nous érigerions-nous contre les pays qui, de nos jours, envahissent des territoires voisins ou lointains pour y installer leur loi si, nous Français, estimons que cette pratique apporte des bienfaits et mérite d’être enseignée et encouragée ?

            Nous pouvons croire que personne n’est prêt à accepter que soient enseignés parmi nous les bienfaits de la colonisation de la Gaule par les Romains. La Palestine et Israël enseignent-ils les bienfaits de l'occupation romaine ? Et nous, sommes-nous prêts à trouver des bienfaits à l’occupation de notre pays par les nazis et à les enseigner ? Pourquoi avons-nous combattu l’occupation et la tentative de colonisation de la France par les Allemands si nous voyons dans cette pratique des bienfaits ?

            Il est temps que certains cessent de s’accrocher à des idées révolues. Nous ne pouvons pas aujourd’hui continuer à voir l’autre avec les yeux du XVIIIe ou du XIXe siècle. La conception de l’autre par le peuple français a évolué parce que le regard que nous portons sur l’autre a changé. Aujourd’hui, nous avons le devoir de respecter davantage la différence de l’autre parce que notre connaissance de sa culture est beaucoup plus grande même si nous savons qu’elle sera toujours imparfaite.

Raphaël ADJOBI

14 mars 2017

La police française ouvertement raciste : une enseignante dénonce !

      La Police française ouvertement raciste :

                        une enseignante dénonce !

Elise Boscherel

La lecture du récit que je vous présente ici ne peut que vous conduire à cette réflexion : ou les valeurs que nous enseignons dans nos établissements ne sont pas les mêmes enseignées dans les écoles de police de la République, ou le niveau de recrutement des policiers est trop faible pour qu'ils soient capables de gérer la morale publique. Pourquoi pas les deux ? (Raphaël adjobi)

De retour d’un voyage scolaire, des lycéens ont subi contrôles et fouilles des bagages à la Gare du Nord, en présence d'Elise, leur prof. Quand cette dernière a voulu porter plainte pour ces contrôles abusifs, des policiers de St-Denis ont refusé.

C’était mercredi 1er mars à 20h à la Gare du Nord. On rentrait avec mes élèves d’un séjour de deux jours à Bruxelles où nous étions invités pour découvrir les institutions européennes. C’était l’occasion de faire prendre de la hauteur à mes élèves. Malheureusement à notre retour à Paris, la réalité française a été brutale.

Arrivés à Gare du Nord, on se prépare à descendre. Chacun récupère ses bagages. Un premier groupe commence à descendre. Mon collègue et moi étions avec le reste de la classe qui s’apprêtait à descendre.

À ma grande stupeur, en arrivant sur le quai de la gare, je vois un de mes élèves, Ilyas, en train de se faire contrôler par la police. J’accours à côté de mon élève pour montrer au policier qu’il est accompagné. Je lui explique que nous étions en sortie scolaire et que je suis sa professeure. Le policier me dit : « Je m’en fiche vous reculez ».

Je dis à mon collègue de rassembler le reste des élèves dans le hall de la gare.

                   Un contrôle au faciès, un racisme quotidien

Le contrôle se termine. Ilyas récupère ses papiers. Agacé il me dit : « Ils me contrôlent parce que je suis maghrébin c’est du racisme ». Je ne pouvais qu’abonder dans son sens tellement la situation était surréaliste.

Une dame qui marchait à côté de nous et qui avait assisté à la scène lui dit « vous savez, je suis blanche, je passe très souvent à Gare du Nord et je ne me suis jamais fait contrôlée. Oui tu as raison c’est du racisme ».

On se remet doucement de nos émotions. Je pensais retrouver le reste de mes élèves pour enfin rentrer chez nous tranquillement. Et là j’assiste à un nouveau contrôle sur deux de mes élèves. Je n’en crois pas mes yeux.

Comme si ce n’était pas assez, deux autres élèves se font contrôler

L’un, Zackaria a sa valise au sol ouverte. L’autre Mamadou a un échange tendu avec les policiers. Mes élèves m’ont expliqué que Mamadou a été saisi par le bras sans raison, sorti du groupe par un des policiers et a été directement tutoyé.

Je demande des explications aux policiers. L’un d’eux, particulièrement désagréable et menaçant, me dit qu’il fallait être avec mes élèves si je voulais éviter qu’ils se fassent contrôler. Cela aurait était le cas si un de mes élèves n’était pas, justement, en train de se faire contrôler quelques minutes plus tôt.

Je contiens ma colère. Étant enceinte, je crains pour mon bébé. Les policiers étant particulièrement tendus, je sentais que la situation pouvait déraper. Le policier se permet une dernière humiliation à l’encontre de Mamadou après avoir passé un coup de fil : « Vous voyez je fais bien mon travail, votre élève a un casier judiciaire ».

Une situation qui aurait pu mal tourner avec des policiers menaçants

De quel droit ce policier se permet-il de divulguer cette information devant le reste de la classe ? Je signale au policier qu’il n’avait pas à dire ça devant tout le monde. A ce moment le policier s’avance vers moi, ma classe sentant que la situation était en train de glisser s’avance devant moi pour me protéger. Immédiatement j’ai demandé aux élèves de prendre leurs affaires et nous sommes partis.

Le lendemain, j’ai voulu porter plainte contre les policiers au commissariat de Saint-Denis. Le fonctionnaire de police a refusé de prendre ma plainte : « On ne prend pas les plaintes contre les fonctionnaires de police ».

Cette situation est dure à gérer en tant que professeure. On fait face à la colère des élèves et leur sentiment d’humiliation.

Ces contrôles sont sans nul doute liés à leur apparence physique : Ilyas est d’origine marocaine, Mamadou d’origine malienne et Zakaria d’origine comorienne. Ce sont de jeunes garçons qui vivent à Épinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis.

Ils représentent donc à eux seuls ce que l’on nomme communément « les jeunes de cité ». Quelles autres raisons pouvaient justifier ces vérifications ?

La réalité que vivent certains de mes élèves est bien différente de la mienne qui suis une professeure blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de ma peau.

Ce n’est pas la première fois que je dois gérer ce genre de situation

Ce n’est pas la première fois qu’en tant qu’enseignante, je dois faire face à un contrôle d’identité ou à des comportements mal intentionnés de la part d’adultes dans les gares, dans le métro, dans le train, dans les musées.

Il y a deux ans, ça m’est arrivé avec une autre classe. Un élève nous attendait à Gare du Nord encore une fois. Quand on est arrivé il était en train de se faire contrôler par la police. En fait, il n’avait rien fait du tout. Il nous attendait simplement devant le portique.

Ils étaient 4 policiers à le contrôler. Ils ont continué de le contrôler et à le fouiller même lorsque nous sommes arrivés et que je leur ai expliqué que nous étions en sortie. Une fois le contrôle terminé, mon élève m’a dit que ça faisait la cinquième fois en deux jours qu’il était contrôlé.

Les valeurs de la République n’ont plus aucun sens pour ces jeunes

« Liberté, égalité, fraternité » leur apprend-on. Pas pour eux. Ces élèves que j’apprécie tant, ces « jeunes à casquette » que je vois encore comme des enfants, sont trop souvent maltraités, humiliés, malmenés par notre République.

Alors vous imaginez bien que les cours d’Education civique sonnent creux au regard de ces expériences. Sans nier la réalité de leur quotidien et du racisme dont ils sont victimes, je m’efforce de leur rappeler qu’ils vivent dans un Etat de droit et qu’ils peuvent être protégés.

Il est donc temps de dénoncer ces discriminations à chaque fois que nous y sommes confrontés. Ces contrôles ne doivent pas devenir une banalité.

C’est la raison pour laquelle j’appelle tous les personnels d’éducation à porter plainte, à chaque fois que nos élèves sont discriminés dans le cadre de sorties scolaires, auprès d’un commissariat étranger à l’affaire ou du procureur de la République, de l’IGPN et, en tout état de cause, auprès du Défenseur des Droits.

Je demande également à ce que soit organisée chaque année, dans les établissements scolaires, une journée de lutte contre le racisme et à ce que des associations de lutte contre les contrôles au faciès interviennent dans les classes. Nos élèves doivent pouvoir porter plainte, ils doivent pouvoir se défendre.

La violence n’est pas que policière. C’est la violence d’une société toute entière qui porte un regard beaucoup trop accusateur sur eux. Cette jeunesse ne demande pourtant qu’à être respectée et considérée.

Parce que l’école est leur dernière protection, je vous propose de relayer cet appel !

Elise Boscherel (Photo)

Professeure au lycée professionnel Louis Michel d'Epinay-sur-Seine (93)

Propos recueillis par Aladine Zaïane (Streetvox)

3 mars 2017

Le grand combat (Ta-Nehisi Coates)

                                               Le grand combat

                                                    (Ta-Nehisi Coates)

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            Raconter son histoire, surtout quand on ne s'attache pas à des rêveries et à des amours pour arrêter une leçon ou une philosophie quelconque destinée au monde, permet à ceux qui vous écoutent ou qui vous lisent de découvrir une période de la vie de la société dans laquelle vous vivez. C'est le cas avec cette œuvre autobiographique de Ta-Nahisi Coates, écrite en 2008, qui témoigne de la volonté de certaines familles noires de se construire une identité africaine-américaine par l’éducation et l’instruction dans une Amérique qui se cannibalisait.

            Durant les siècles de l’esclavage, parce que les enfants étaient vendus à 8 ou 9 ans, rarement les Noirs ont pu former des cellules familiales et encore moins des mouvements sociaux d'envergure. Enfin solidaires dans leur combat contre la suprématie de la mélanine blanche aux heures sombres de la ségrégation, voilà que dans les années 80 « l’absence d’ennemi précis transformait la plupart des gamins en barbares ». C’était une époque où « la chaude-pisse était le must […]. Les frangines fessues rendaient les mecs cinglés. […] Les grossesses adolescentes faisaient rage. Les maris étaient aux abonnés absents. Les pères des fantômes [alors que] le déferlement d’armes à feu bouleversait l’ordre naturel [à tel point que] si vous aviez le malheur de marcher sur une Puma en daim, c’était le jihad ».

            Et c’est à Baltimore, le microcosme de cette Amérique noire libérée de sa dernière infamie mais livrée à elle-même, c’est « en ces temps d’indignité chronique [où] les pères se vantaient d’abandonner leurs gosses » que celui de l’auteur – un ancien militant des Blacks Panthers – a juré de guider ses sept enfants à bon port. Pour son épouse et lui, non seulement les études revêtaient une très grande importance – « ils étaient allés assez loin pour voir ce qui était possible et ce à quoi ils n'avaient pas eu accès » – mais encore transmettre à leurs enfants la conscience de leur origine africaine et les exigences que cela impose faisait d'eux de vrais missionnaires. En effet, en « despote éclairé », le père organisait le temps libre de ses enfants autour des figures illustres du panafricanisme parce qu’il s’était voué à réhabiliter l’Histoire noire. 

            Si l'éducation est le fil conducteur de ce livre, tout le récit s'articule autour de trois portraits essentiels. Outre celui du père – que le lecteur découvre « voué à la paternité comme un pasteur dépravé à la prêtrise » – nous avons bien sûr celui de l'auteur lui-même et surtout celui, très passionnant, de son frère aîné Big Bill. Ce dernier qui « se voyait uniquement dans le rôle du sportif ou de rappeur » n'accordait aucune importance à ses capacités intellectuelles et encore moins au projet de « conscientisation » du peuple du père. Et comme entre six et quatorze ans l’auteur admirait ce frère aîné, on imagine bien que faire de ces enfants des « Hommes Conscients » sera pour les parents une entreprise laborieuse !

            Le grand combat est donc l'histoire d'une éducation à marche forcée pour ne pas sombrer dans la déchéance ambiante  ou pour ne pas voir sa vie happée par une balle. Un combat qui fait du livre, et donc du savoir, une arme : «une balle [peut] éliminer un ennemi, une grenade en tuer quelques-uns, en revanche, la machine à polycopier [= l'imprimerie donc le livre] peut toucher le cœur et l'esprit de milliers d'entre eux, et faire naître encore plus d'alliés». Belle note d'espoir !     

Raphaël ADJOBI

Auteur : Ta-Nehisi Coates

Tire : Le grand combat, 265 pages

Editeur : Autrement Littérature, 2017 (édit. originale 2008)

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