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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
17 décembre 2017

La petite danseuse de quatorze ans (Camille Laurens)

                      La petite danseuse de quatorze ans

                                             (Camille Laurens)

La Petite danseuse de 14 ans

            "La petite danseuse de quatorze ans" nous renvoie précisément à la sculpture bien connue de tous d'Edgar Degas représentant une des jeunes filles de l'Opéra du palais Garnier communément appelées les "petits rats" dès l'âge de six ans, et qu'on appelle plus tard "les marcheuses" quand, à treize ans, elles apparaissent sur scène. En allant à la découverte de la vie de ce "petit rat" qui a servi de modèle à l'illustre artiste, Camille Laurens nous entraîne dans un douloureux voyage dans la vie parisienne de la fin du XIXe siècle ; siècle industriel où les enfants pauvres étaient souvent traités comme des esclaves ou des bêtes.

            A vrai dire, ce livre est l'histoire de l'Opéra de Paris vue du côté de ces nombreuses jeunes filles qui, à l'époque, ne rêvaient nullement de devenir danseuse étoile mais plutôt de gagner de quoi se nourrir et à nourrir leur famille avant de finir prostituées dans une maison close ou sur les trottoirs de Paris. Etat de chose qui confirme le sentiment des bonnes familles de l'époque pour lesquelles une femme qui travaille fait montre de sa dépravation, son célibat ou son veuvage. Quant aux mères - souligne Camille Laurens - si elles rêvent toutes de gloire pour leur progéniture, le plus souvent elles incitent très tôt leurs filles à trouver la protection d'un homme. Et dans ce siècle, où "les mœurs en usage sont une absence totale de mœurs", comme le dit si bien Théophile Gauthier, tout le monde savait ce que voulait dire la "protection" d'un homme.

            Au regard de cette peinture sociale, l'analyse de la sculpture de Degas devient à la fois passionnante et émouvante. L'image de "La petite danseuse de quatorze ans" nous apparaît alors non pas comme la représentation mythique de la danseuse d'Opéra, mais la travailleuse ordinaire ; ce n'est pas "l'idole sous les feux de la rampe, mais la besogneuse de l'ombre". Camille Laurens nous montre en quoi Degas, issu du mouvement impressionniste, se distingue de tous les autres, comment il "saisit la réalité sans filtre", comment "il appuie pour faire peur" alors que les autres suggèrent pour séduire malgré leur goût commun pour les scènes de leur époque ; goût qui les éloigne du style pompeux de leurs prédécesseurs attachés aux sujets historiques, mythologiques ou religieux.

            Au-delà des analyses artistiques de l'œuvre de Degas, permettons-nous de dire que ce livre est à conseiller aux enseignants des classes de lycée qui y trouveront non seulement une belle peinture sociale du XIXe siècle, mais encore une présentation claire et convaincante des mouvements littéraires comme le réalisme avec Balzac et le naturalisme avec Zola.

Raphaël ADJOBI       (Pour contacter l'auteur du blog, cliquer sur sa photo)

Titre : La petite danseuse de quatorze ans, 163 pages.

Auteur : Camille Laurens.

Editeur : Stock, 2017.

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4 décembre 2017

Le général Alexandre Dumas effacé de LA REVOLTE DU CAIRE, le célèbre tableau de Girodet

                            Le général Alexande Dumas 

                       effacé de LA REVOLTE DU CAIRE

                  le célèbre tableau de Girodet

166453 Girodet - Révolte du Caire

            L’été 1798, quand L’armée d’Orient dirigée par Napoléon - avec le général Alexandre Dumas qu'il avait nommé à la tête de la cavalerie - atteignit le Caire et mit en déroute les Mamelouks – ces anciens esclaves recrutés en Asie centrale qui dirigeaient depuis si longtemps l’Egypte – elle ne fut pas accueillie en libérateur. « Partout, au contraire, (elle) se heurta à la résistances des populations ».

            Malgré la politique de séduction mise en œuvre par les Français, quelques semaines plus tard, la révolte éclata. Du 21 au 23 octobre, « Le Caire fut mis à feu et à sang ». Les principaux groupes de rebelles s’étaient refugiés dans la mosquée Al-Azhar, dont ils avaient fait leur quartier général. C’est alors que le général Dumas « déboula à cheval dans la mosquée, dispersant les insurgés qui, croyant reconnaître dans le cavalier l’Ange exterminateur du Coran, s’égaillèrent en criant l’ange ! l’ange ! » (Récit d’Antoine-Vincent Arnault, 1766 – 1834 , repris par Tom Reiss dans Dumas, le comte noir, p. 291 éd. Flammarion, 2013).

            Selon Antoine-Vincent Arnault - qui a été le premier à rapporter ce récit dès le début du XIXe siècle - après cet exploit et une fois l’ordre rétabli, Dumas fut chaleureusement accueilli par Bonaparte. Le père des Trois mousquetaires, le fils du général, reprendra son récit dans ses mémoires avant Tom Reiss en 2012 (traduction française en 2013) :  

« Bonjour, Hercule ! lui dit-il ; c’est toi qui as terrassé l’hydre. Et lui tendit la main.

-Messieurs, continua-t-il en se retournant vers ceux qui l’entouraient, je ferai faire un tableau de la prise de la grande mosquée. Dumas, vous avez déjà posé pour la figure principale ».

            « Néanmoins, poursuit Tom Reiss, onze ans plus tard, lorsque Napoléon commanda au peintre Girodet sa fameuse Révolte du Caire qui dépeignait la mêlée épique à l’intérieur de la mosquée, la figure principale du général Dumas avait été effacée au profit d’un hussard blond aux yeux bleus s’élançant, sabre au clair, sur l’ennemi, dans une parodie de la bravoure héroïque de Dumas. Dans un autre tableau, le cavalier qui entre dans la mosquée n’est autre que Bonaparte lui-même ».

            Aujourd'hui, on évite de trop mettre en évidence cette deuxième version de La Révolte du Caire dont parle Tom Reiss ; sans doute parce que trop, c'est trop !

            L'été suivant la révolte du Caire, Bonaparte quitta discrètement la ville et s'embarqua de nuit pour la France avec quelques fidèles qu'il avait mis dans la confidence. Lorsqu'il reçut les instructions de Bonaparte par courrier, Kléber entra dans une violente colère et tonna : « Ce b...-là nous a laissé ici ses culottes pleines de... Nous allons retourner en Europe et la lui appliquer sur la figure !  » Malheureusement Kléber fut poignardé quelques mois plus tard dans une rue du Caire par un étudiant syrien (Dumas, le comte noir, p.291-292).

                        Napoléon, un usurpateur avant l'heure

            Déjà, en Italie - avant l'arrivée de l'armée d'Orient en Afrique - les prouesses d'Alexandre Dumas lors de la bataille de Mantoue furent minimisées dans le rapport officiel rédigé par l'aide de camp de Bonaparte pour que toute la gloire revienne à ce dernier. Selon Tom Reiss, "c'était Alexandre Dumas, à la tête de sa modeste force" qui a contraint les Autrichiens à hisser le drapeau blanc de la reddition sur leur principale place en Italie. Pourtant, A Paris, suite à ce rapport, «la bataille de Rivoli qui n'avait eu d'autre objectif que d'empêcher les renforts Autrichiens de sauver leur armée enfermée dans Mantoue», fut célébrée comme la plus grande victoire de la campagne d'Italie. Mantoue, la place forte prise par Dumas est oubliée, Rivoli, la voie qui y mène coupée par Bonaparte est fêtée ! 

            Quand il apprit dans le rapport du général Berthier que son rôle s'était borné à être «en observation», Dumas « prit aussitôt sa plume et adressa à Bonaparte une missive d'une telle insolence qu'elle sera plus tard citée en exemple dans tous les récits historiques à son sujet pour illustrer son légendaire caractère » :

                                                               18 janvier 1797

GENERAL

J'apprends que le jean-foutre chargé de vous faire un rapport sur la bataille du 27 m'a porté comme étant resté en observation pendant cette bataille.

            Je ne lui souhaite pas de pareilles observations, attendu qu'il ferait caca dans sa culotte.

            Salut et fraternité.              

GENERAL-DUMAS - 2

            Vingt-cinq membres du « 20e régiment de dragons, 1ere division du blocus de Mantoue » signèrent une lettre qu'ils adressèrent à Bonaparte dans laquelle ils soulignaient la bravoure et le grand sens de l'honneur de celui qui les avait dirigés dans les combats.

            «Quand Bonaparte envoya son rapport de janvier au Directoire - conclut Tom Reiss - il loua les mérites de tous les officiers qui avaient participé à la conclusion du siège de Mantoue. Pas une fois il ne cita le nom du général Dumas». Sans doute, cet homme était déjà trop célèbre en Europe, à son goût ; cet homme qui est entré dans les livres d'histoire étrangers depuis sa prise spectaculaire du Mont-Cénis ; cet homme que lui-même, Bonaparte, avait comparé à un valeureux général de l'empire romain ! Ce colosse de près de deux mètres que les Egyptiens croyaient être le chef de l'expédition - tant il les impressionnait - lui état insupportable depuis longtemps. Le premier jour de l'attaque des Mamelouks, «l'apparition de Dumas avait fait forte impression sur les Egyptiens. Que faisait ce géant noir en uniforme à la tête d'une armée de Blancs ? Leur saisissement n'avait pas échappé à Bonaparte qui, quelques jours plus tard, sut en tirer le meilleur parti». C'est en effet Dumas que Bonaparte chargea d'aller racheter les Français faits prisonniers :«Je tiens à ce que vous soyez le premier général qu'ils voient. Le premier à qui ils aient affaire» (J. Christopher Herold, cité par Tom Reiss dans Dumas, le comte noir, p. 263).

     Voici ce qu'écrivit dans ses mémoires René-Nicolas Desgrenettes, le médecin-chef de l'expédition en Egypte : «Les hommes de toutes les classes qui, parmi les musulmans, purent apercevoir le général Bonaparte, furent frappés de sa petite taille et de sa maigreur [...]. Celui de nos généraux dont l'extérieur les frappa fut celui du général en chef de la cavalerie, Dumas. Homme de couleur, et ressemblant par ses formes à un centaure, quand ils le virent franchir à cheval les tranchées pour aller racheter des prisonniers, ils croyaient tous qu'il était le chef de l'expédition» (Cité par Tom Reiss, p.263).

 Terminons en paraphrasant John Edgar Wideman (Ecrire pour sauver une vie, Le dossier Louis Till, p. 35) : les vérités et les mensonges se valent aux yeux du pouvoir et de ses historiens jusqu'à ce qu'ils choissisent ce qui peut servir leurs exigences, leur image à présenter à la postérité.    

Raphaël ADJOBI

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