01 décembre 2022
Quand le buste de Nefertiti la Blanche pollue l'histoire de l'Egypte ancienne (Raphaël ADJOBI)
Quand le buste de Nefertiti la Blanche pollue
l'histoire de l'Egypte ancienne
la supercherie de la Blanche Nefertiti dénoncée en 2009 est depuis couverte d’un long silence au point que ce buste est considéré comme l’exacte représentation de la femme de l’Égypte ancienne. Rappelons donc les faits afin que les jeunes générations ne suivent pas cette opinion commune sans se poser de question. En effet, quand on s’étonne des affirmations disant totalement le contraire de ce que l’on voit, la sagesse commande de suivre sa propre opinion ou de suspendre son jugement au lieu de suivre l’avis de la majorité :
https://www.facebook.com/100063722582543/videos/1151764652217375
La seule et unique statue au monde représentant une Égyptienne des époques pharaoniques qui ne laisse aucun doute à personne sur sa blanchité (sa peau blanche) est indiscutablement le fameux buste de Nefertiti brandi en 1912 par l’égyptologue allemand Ludwig Borchardt. Buste visible au musée de Berlin et décliné en une multitude d’objets d’art, souvent vendus à prix d’or. Malheureusement, presque tout le monde ignore en ce XXIe siècle qu’au printemps 2009, l’historien et égyptologue suisse Henri Stierlin avait publié les résultats de ses recherches mettant en cause l’authenticité de ce buste de Nefertiti. Aujourd’hui, nulle part dans les musées et les salles d’exposition où des copies de ce buste sont installées, il n’est fait mention de cette contestation de son authenticité. Il faut dire que ce silence qui s’apparente à de la complicité rapporte beaucoup d’argent. Alors, personne ne veut cracher dans la soupe.
Tant que ça rapporte gros, il faut faire comme si...
Et pourtant, selon Henri Stierlin, la statue que son prétendu découvreur allemand dit tombée d’une hauteur d’un mètre (quelle précision !) mais n’ayant pour toute égratignure qu’une oreille ébréchée n’est rien d’autre qu’un faux, une réalisation personnelle de Ludwig Borchardt pour idéaliser la femme blanche. Le contexte de l’époque prônant ouvertement la suprématie blanche dans toute l’Europe où l’on assurait que tout ce qui est grand et beau est l’œuvre des Blancs s’y prêtait parfaitement. Par contre, la statue de l’époux de Nefertiti trouvée juste à côté de la sienne est défigurée ! Pas de chance !
Le mercredi 28 décembre 2010, la chaîne de télévision France 3 a diffusé un documentaire faisant état des travaux de l’historien et égyptologue suisse. On y apprend qu’un contemporain de Ludwig Borchardt qui, le premier a vu la supercherie et a voulu la dénoncer, a été aussitôt nommé conservateur du musée qui a accueilli le fameux buste de Nefertiti. Une habile façon de le faire taire et étouffer la tromperie. En Égypte, assure Henri Stierlin et tous les autres intervenants du documentaire, les pierres et l’argile de l’Antiquité se trouvent en grande quantité sur les différentes ruines, jusqu’au centre du Caire. Avec ces matériaux, on peut fabriquer la statue que l’on veut accompagnée de l’attestation scientifique qu’elle est de l’époque pharaonique. Oui, si le matériau est d’époque pharaonique, la statue est de la même époque, même si on l’a fabriquée au XXe ou au XXIe siècle. Depuis le XIXe siècle, précise-t-on dans le documentaire, les nombreux faussaires n’ont jamais été inquiétés, puisque n’importe qui peut vous procurer un certificat d’authenticité justifiant le caractère antique de ce qu’il vous vend. Et un conservateur de musée d’ajouter : « tous les musées du monde possèdent de fausses sculptures antiques égyptiennes ». Édifiant n’est-ce pas ? Mais tant que ça rapporte, il faut fermer les yeux, en d’autres termes ne rien dire.
On apprend aussi dans ce documentaire que l’Égypte avait timidement réclamé la restitution du buste de Nefertiti du musée de Berlin. Devant la fin de non-recevoir qui lui a été signifiée, le pays se contente depuis de la statue de l’époque pharaonique, incontestable et incontestée, de Nefertiti : l’originale au nez cassé. Malheureusement, celle-ci ne constitue pas une manne financière extraordinaire parce qu’elle n’a pas la même éclatante blanchité que celle de l’Allemand Ludwig Borchardt dans laquelle les Européens se reconnaissent. Est-ce pour cette raison qu’une Nefertiti blanche a été érigée sur une place publique en Égypte ? Risible mais vrai ! Que ne ferait-on pas dans ce pays pour gagner de l’argent auprès des touristes blancs ! Aujourd’hui, ce pays majoritairement peuplé d’Arabes « aux traits gras et bedonnants » (selon les Africains) érige sur les places publiques des statues qui leur ressemblent mais dans la posture des pharaons. Déjà, des générations de visiteurs croient que les pharaons, ces gouvernants de l’Égypte ancienne et de Koush, étaient des Arabes. Oui, pour beaucoup, l’antiquité égyptienne est orientale.
Difficile de s’affranchir de ses préjugés !
Quand on visionne ou qu’on visite le musée égyptien de Berlin, il faut être absolument malhonnête pour ne pas constater immédiatement que la statue de Nefertiti de Ludwig Borchardt détonne dans cette galerie de portraits de l’ancienne Égypte. Mais tous les Européens des documentaires et des films préfèrent attribuer cela au fait que sa beauté est parfaite (!!). Personne n’ose relever sa couleur blanche trop évidente par rapport à toutes les autres statues du musée ! Mais il est certain que dans le for intérieur de tous les visiteurs européens, cette exception confirme la règle que l’Égypte ancienne n’est pas blanche. De même que de l’avis de nombreux voyageurs, celui qui visite le musée du Caire ne peut en aucune façon croire en une Égypte ancienne blanche ! Mais cet avis est tout à fait récent. Retenons tous cette vérité : avant 2021, aucune revue française n’a osé associer le nom pharaon et l’adjectif noir ! On se contentait de montrer ces gouvernants égyptiens et koushites sans oser parler de leur carnation puisque tous les Européens avaient accepté le fait qu’ils étaient blancs. C’était une évidence incontestable puisque les pseudo-scientifiques européens du milieu du XIXe siècle (période de l’invention du racisme) l’assuraient et les films européens à grands budgets le montraient depuis des décennies ! Heureusement, aujourd’hui il n’y a pas que les scientifiques qui disposent de documents pour donner un avis à suivre. Chaque citoyen est capable de regarder les objets et se poser des questions. Et cette nouvelle donne a sans doute contribué à une nouvelle façon de faire de la science, rendant obsolètes toutes les images de l’homme préhistorique toujours blanc, toutes les images des pharaons blancs régnant sur des peuples blancs constructeurs de pyramides dans le désert d’Afrique jusqu’au sud de l’actuel Soudan !
Oublions donc la science de ces préhistoriens et autres égyptologues du XIXe et du début du XXe siècle qui ont écrit l’histoire de l’humanité avec les vues racistes et sexistes de la société dans laquelle ils évoluaient. Aucune autre statue de l’ancienne Égypte représentant une femme indubitablement blanche (ou un homme blanc) n’est venue confirmer la Nefertiti européenne de Borchardt. Si aujourd’hui des revues françaises osent associer pharaon et noir, c’est parce que depuis une cinquantaine d’années, les préhistoriens et autres chercheurs ne se contentent plus de tirer des conclusions à partir des seuls éléments archéologiques qu’ils découvrent. Ils font désormais appel à l’ethnologie (l’étude des peuples). Une nouvelle méthode de recherche totalement différente de celles des deux derniers siècles est née : l’ETHNOARCHEOLOGIE !
L’ethnoarchéologie est une méthode scientifique qui prend en compte les peuples actuels pour mieux comprendre ceux du passé. Exemple, « L’étude des chasseurs-cueilleurs actuels peut [permettre de] mieux comprendre les modes de vie des populations du paléolithique », dit l’archéologue Sophie A. de Beaune. Effectivement, en 2018, des chercheurs ont fait appel à des chasseurs-cueilleurs Africains – précisément de Namibie – pour traduire ou expliquer des traces de pas dans la grotte de l’Aldène (Hérault), à leur grande satisfaction. Non seulement les Namibiens ont confirmé certaines de leurs hypothèses mais surtout ont révélé des comportements
insoupçonnés de celles et ceux qui ont laissé les traces il y a 8000 ans. Au XIXe et au XXe siècle, aucun Blanc n’aurait pensé faire appel à un « sauvage » africain pour l’aider à expliquer ce qu’il ne comprenait pas ! Et Sophie A. de Beaune d’ajouter : « [cette démarche] permet détendre le champ des possibles […]. Elle permet aussi d’écarter certaines hypothèses farfelues, jamais observées dans aucune population actuelle ou ayant existé » (Lady sapiens, 2020). En effet, parce qu’au XIXe et au début du XXe siècle ils ont négligé l’ethnologie, « les archéologues ont fait de l’Égypte ancienne un isolat, sans relation avec son environnement africain » (François-Xavier Fauvelle, Science et avenir, Hors-série juillet/août 2010). Si Nefertiti est blanche, son peuple blanc – aux usages si singuliers – qui aurait vécu durant des siècles ou des millénaires dans le désert d’Afrique devrait être reconnaissable sur ce continent. Malheureusement, on n’a jamais retrouvé sur terre un peuple blanc perpétuant quelques usages rappelant l’Égypte ancienne. Cette supercherie s’apparente à celle de l’affiche de propagande du XVIIIe clamant l’existence de marchés africains aux esclaves où les capitaines négriers allaient faire leurs courses ; image que les éditeurs français de manuels scolaires ont reprise sans discernement comme preuve d’une réalité africaine. Aujourd’hui, n’importe quel voyageur peut découvrir sur les côtes africaines les forts où les Européens tenaient captifs les Africains avant leur embarquement vers les Amériques mains et pieds dans les fers. Cette affiche de propagande du XVIIIe siècle comme Nefertiti la blanche de Ludwig Brochardt sont des exceptions qui confirment que la réalité est tout autre.
Raphaël ADJOBI
15 juin 2021
Origine et évolution de la fête des mères (Raphaël ADJOBI)
Origine et évolution de la fête des mères
Dans son magnifique ouvrage L’homme préhistorique est aussi une femme (Allary Éditions, 2020), Marylène Patou-Mathis montre comment à partir du XVIe siècle l’Europe a puisé dans les textes de l’Antiquité puis dans la Bible les éléments pour construire de manière solide et populaire l’image de la femme inférieure à l’homme ; construction ayant permis par la même occasion d’établir que depuis la préhistoire l’homme avait pour lui la force, le courage et l’intelligence à l’origine de toutes les inventions et la femme la faiblesse physique et intellectuelle, la maternité et les tâches domestiques. Puis, au-delà de ces stéréotypes défavorables à la femme, le XIXe siècle européen va s’appuyer sur la science pour proclamer de manière officielle que la procréation est son destin et sa finalité. « En elle-même, la femme n’a pas de raison d’être ; c’est un instrument de reproduction qu’il a plu à la nature de choisir de préférence à tout autre moyen », assure Pierre Joseph Proudhon en 1858 (De la justice dans la Révolution et dans l’Église, t.1). De ce fait, ce n’est que justice d’honorer les mères, de les célébrer.
Selon Marylène Patou-Mathis, « déjà dans la Grèce et la Rome antique, les mères des dieux et les matrones étaient célébrées au printemps, saison de la fertilité ». Si, dans l’Occident médiéval chrétien les fonctions de procréation et de gestion de la maison étaient aussi dévolues aux femmes, celles-ci pouvaient néanmoins exercer la médecine populaire ou être artisanes, ajoute-t-elle. « C’est à partir du XVe siècle que ces métiers vont leur être confisqués ». Et c’est à cette époque, en Angleterre, qu’apparaissent les premières célébrations de celles qui ont la charge quasi exclusive du travail domestique et de l’éducation des enfants qu’elles ont en grand nombre. Un dimanche par an leur était en effet consacré. Sur ce modèle, à partir du début du XXe siècle, plusieurs pays européens vont décréter « la journée des mères ». En France, contrairement à une idée commune qui fait du maréchal Pétain l’initiateur de cette journée de célébration, Marylène Patou-Mathis fait cette précision : « Les premières initiatives sont locales, elles reviennent à l’instituteur Prosper Roche, qui organisa, le 10 juin 1906, une cérémonie en l’honneur des mères de familles nombreuses à Artas, dans l’Isère, et à Lyon, ville qui, deux ans plus tard, consacra une journée aux mères ayant perdu un fils ou un mari à la guerre. » Il faudra attendre 1920 pour voir l’instauration, sur le plan national, de la fête des mères de familles nombreuses qui « sera élargie à toutes les mères en 1926 par le gouvernement républicain qui prônait une politique nataliste. »
Si l’image du maréchal Pétain émerge dès que l’on se plonge dans l’histoire de cette célébration, c’est parce que sous son impulsion cette fête a pris « une dimension politique affirmée ». En effet, « face à la peur de l’étranger, la natalité est au centre des préoccupations des hiérarques du régime de Vichy. Les mères, inspiratrices de la civilisation chrétienne (Pétain, 1942), sont mises sur un piédestal (Pascal Riché, L’Obs, 31 mai 2015) ». Marylène Patou-Mathis ne manque pas de préciser que « cette thématique sera maintes fois reprise par les mouvements d’extrême droite et par les nationalistes, pour qui, faute d’une démographie satisfaisante, la civilisation occidentale est vouée à disparaître ». C’est le 24 mai 1950 que la fête des mères sera inscrite dans la loi. Il appartient à chacun, selon nous, de réfléchir au sens de cette loi : celui qui éprouve une obligation morale à célébrer sa mère a-t-il besoin d’une loi pour le faire ? Est-ce un délit de ne pas fêter sa mère ? Quel bénéfice les mères tirent-elles de cette reconnaissance officielle ? Peut-être pourrions-nous suggérer, en signe de reconnaissance, une journée de congé payé à toutes les mères ?
Regard sur une tradition de l’Afrique de l’Ouest
Cette célébration de la mère est l’une des rares fêtes non religieuses que les Noirs de France semblent partager avec une certaine application. Et cela se comprend aisément : en Afrique noire, sauf peut-être chez quelques rares populations, la mère revêt une image presque sacrée. Là-bas, offenser une mère de famille peut entraîner un lynchage. Bref ! Ce qui nous importe ici est de nous appuyer sur une tradition africaine assez largement partagée pour éclairer cette inclination des Français noirs à célébrer la mère comme leurs compatriotes blancs. L’exemple vient du pays Akan constitué de différentes populations ayant un fond culturel commun et s’étendant de la moitié Est de la Côte d’Ivoire jusqu’au Togo. Les Akans fêtent « le dixième enfant ». Pratique qui rejoint la célébration des mères de familles nombreuses en Europe, mais avec une différence notable : si la tradition de ce groupe fait de la mère la figure centrale incontestable de la famille, cette fête célèbre surtout le groupe mère-enfants malgré la participation du père à la fête. En d’autres termes, cette fête présente de manière publique le couple et ses enfants, mais tout le monde a conscience que c’est la femme qui est principalement honorée. La présence obligatoire des enfants est la preuve que sa fécondité mérite reconnaissance comme en témoignent les cadeaux qui lui sont offerts ce jour-là. Dans cette région d’Afrique, cette cérémonie donne à tous la certitude que la femme est le centre de l’humanité et l’homme un être périphérique. Et de même qu’un jeune portant la main sur un vieil homme était un signe de malédiction, un homme qui portait la main sur une femme attirait des malheurs sur sa maison – à commencer par la perte de la considération publique.
Raphaël ADJOBI
23 février 2021
Des migrations au métissage suivi de L'image de la femme à travers 25 auteurs d'Afrique (Liss Kihindou)
Des migrations au métissage
et
L'image de la femme à travers 25 auteurs d'Afrique
(Liss Kihindou)
Des migrations au métissage et L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique sont deux conférences données par l’écrivaine Liss Kihindou en 2016 et en 2018 ; la première à Cozes, en Charente-Maritime (17), et la deuxième devant les étudiants de Sciences-Po Paris durant la semaine africaine organisée par cette institution. En clair, ces deux conférences montrent la dimension intellectuelle de l’écrivaine qui, avec patience et persévérance a indubitablement acquis, pour ainsi dire, ses lettres de noblesse en traçant les deux voies dans lesquelles elle excelle : le métissage sous toutes ses formes et la condition de la femme subsaharienne.
Le thème de la première conférence rappelle en effet son premier essai, donc une passion de longue date : L’expression du métissage dans la littérature africaine, ouvrage publié en 2011 et dont j’ai fait une analyse la même année. Ici, elle élargit ses vues ; elle parle de l’Europe pour montrer que le métissage qui l’a construite à travers les âges en fait un excellent microcosme d’un phénomène universel, pour ne pas dire propre à la nature humaine. Quant à la condition ou à l’image de la femme subsaharienne à travers les œuvres d’écrivains d’Afrique, objet de la plus longue des deux conférences, l’on peut dire que c’est une thématique qui révèle une qualité extraordinaire de Liss Kihindou. Avec ce sujet, elle démontre sa très grande connaissance des auteurs qui ont mis la femme subsaharienne au coeur de leurs productions littéraires. Un véritable travail d’érudition. La précision des nombreux textes de référence témoignent d’une longue expérience de lectrice mais aussi d’un esprit particulièrement soucieux de la condition de la femme.
Assurément, ces deux textes sont très intéressants. Le premier se présente comme une balade instructive sur les traces de cultures paraissant toujours en mouvement. Tous ceux qui oublient que la France, à l’image de la Grèce et de la Rome antiques, est non seulement diverse et métissée mais qu’en plus elle n’est pas uniquement européenne – parce qu’éclatée sur plusieurs continents – ont ici matière à réflexion. Le deuxième texte pourrait susciter quelques interrogations quant à la place que les littératures européennes accordent à la condition de la femme par rapport à la place que lui accordent les œuvres des auteurs d’Afrique. Les écrivains subsahariens auraient-ils, oui ou non, la plume plus critique sur le sort réservé à la femme que leurs homologues européens ? A l’heure où, en Europe, certains abus connus mais rarement dénoncés font l’objet d’attaques frontales, la question mérite d’être posée. Et pour y répondre, il faut lire le travail très analytique de Liss Kihindou en ayant à l’esprit quelques classiques de la littérature française ou européenne ainsi que les événements qui nous rappellent qu’ici comme là-bas la culture du mythe de la virilité – pour paraphraser le titre du livre d’Olivia Gazalé – n’est pas une vaine expression.
Raphaël ADJOBI
Auteur : Liss Kihindou
Titre : Des migrations au métissage suivi de L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique, 79 pages.
Editeur : L’Harmattan, février 2021
23 octobre 2020
Les Africains, la diaspora africaine et le livre : appel à valoriser les écrivains d'origine africaine (Liss Kihindou)
Les Africains, la diaspora africaine et le livre :
le vibrant appel d'une écrivaine à valoriser les écrivains
d’origine africaine
Lisons les nôtres ! Lisons les auteurs que nous apprécions ou que nous voulons soutenir ! Et pour manifester notre volonté de les encourager à poursuivre la quête littéraire entamée : achetons leurs ouvrages ! c'est le moins que l'on puisse faire. Je suis parfois surprise d'apprendre que tel(le) "ami(e)", que parfois je ne connais encore que de manière virtuelle, a fait l'acquisition d'un de mes livres. Je citerai par exemple le cas de Reine Poulain ou de Pauline Olivier, ou de Luce Macet. Je ne peux pas citer tout le monde, mais je veux dire que bien souvent ce sont des amis occidentaux, qui n'hésitent pas à soutenir (financièrement j'entends) les auteurs et toute la chaîne du livre (éditeurs, libraires, etc).
Par contre, bien souvent, dans le milieu africain, on a les sous quand il faut faire la fête, acheter des vêtements ou des chaussures de qualité, c'est-à-dire des articles qui coûtent un certain prix... mais quand il faut acheter un livre d'une vingtaine d'euros, ou même d'une dizaine d'euros, on hésite, on fait des calculs, on remet à plus tard... Heureusement, Ce n'est pas le cas de tous, c'est sûr. Il y a des Africains qui font cet investissement financier en livres, et qui donnent l'exemple à leurs enfants. Résider en Afrique n'est pas pour eux une excuse pour dire qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter, que c'est déjà difficile au quotidien. Quand je suis allée à Brazzaville, fin 2013, plusieurs amis auteurs ont acheté un de mes livres. Je citerai aussi, comme autre exemple, celui d'Eric Mavoungou (ancien camarade de Fac), qui depuis le pays avait passé la commande pour avoir "Mwanana la petite fille qui parlait aux animaux". D'autres au contraire se contentent de demander à ce qu'on leur envoie les livres, comme si l'auteur disposait d'une réserve infinie de ses propres ouvrages. Les gens oublient que si l'auteur lui-même veut avoir des exemplaires de son propre livre, il doit lui aussi les acheter, car l'ouvrage ne sort pas gratuitement de chez l'imprimeur…
Bref, je voudrais dire que acheter un livre, peu importe les moyens qu'on a, peu importe les temps qui sont difficiles, etc., cela reste une question de volonté, de priorité. En 1997, j'étais étudiante au Congo. J'étais boursière sans doute, mais déjà à l'époque la bourse ne tombait pas tous les mois. C'étaient 30 000 francs CFA (environ 45€) qui vous arrivaient de manière épisodique. Mais lorsque le défunt Léopold Pindy Mamonsono, animateur culturel et littéraire à Brazzaville, organisa une séance de dédicace au lycée Chaminade, je n'hésitai pas une seule seconde. Ce jour-là, j'achetai (entre autres) le livre de Dominique Ngoïe-Ngalla, "L'ombre de la nuit", à 2000 francs. Comme ma mémoire, c'est l'écrit, souvent je note sur le livre la date de l'achat et parfois aussi le coût. J'étais alors modestement vêtue parce que l'argent que je pouvais avoir, je m'en servais pour acheter des livres.
Mes plus grandes richesses : les livres et les photos…
Voici la photo prise le 10 avril 1997, à Chaminade. Dominique Ngoïe-Ngalla est en train de me dédicacer son livre. On peut reconnaître à gauche l'écrivain Matingou et à droite Léopold Pindy Mamonsono, l'organisateur de cette séance de dédicace.
Achetons les livres, les amis !
Liss Kihindou, écrivaine.
09 octobre 2020
Les racistes ne savent pas pourquoi ils sont racistes !
Les racistes ne savent pas pourquoi ils sont racistes !
L’ignorance donne souvent à certaines pratiques le visage de la religion dans son sens ordinaire. Elle les fait apparaître comme des habitudes familiales, sociales dont vous devez être le répétiteur soucieux de ne pas rompre une chaîne ancestrale. Ces pratiques ou habitudes, on y croit et on y tient sans se préoccuper de leur sens précis. Il en est ainsi du racisme, cette capacité à haïr une personne que l’on ne connaît pas, cette capacité à se convaincre que la création a fait de vous un être supérieur au reste de l’humanité et que vous avez le devoir de perpétuer cet ordre que vous considérez naturel. Dans un entretien accordé à Télérama (N° 3691, du 10 au 16 octobre 2020), le pianiste américain Daryl Davis montre comment en apprenant à mieux connaître l’Autre on parvient à respecter sa différence. En d’autres termes, c’est l’ignorance qui fait le raciste qui souvent s’ignore comme tel.
Entretien réalisé par Alexis Buisson
«Dans un bar du Maryland, en 1983. Daryl Davis n’a que 25 ans mais il est déjà un pianiste réputé, ayant joué avec les plus grands noms du blues. A l’issue de son concert, un inconnu l’approche pour le féliciter. De fil en aiguille, l’homme avoue au musicien noir qu’il est membre du Ku Klux Klan (KKK), l’organisation de suprématie blanche. «Je pensais que c’était une blague. Puis il m’a montré sa carte de membre.» Depuis ce jour-là, l’Afro-Américain s’est lancé dans une improbable croisade : rencontrer des «Klansmen» pour comprendre leur idéologie et les amener à remettre en question leurs croyances racistes. Trente-sept ans après, il dit avoir conduit plus de deux cents membres du Klan à quitter l’organisation. «On a dit de moi que j’étais dans une démarche d’évangélisation. Ce n’est pas vrai. Je ne fais que leur poser des questions pour les amener à s’interroger».
Fils d’un diplomate, Daryl Davis grandit entre plusieurs pays et cultures. Et c’est en revenant vivre aux Etats-Unis, dans les années 1960, qu’il découvre le sens du mot «raciste». A dix ans, il participe à un défilé de scouts. Seul noir de son groupe il est visé par des jets de pierres et des insultes. Sans comprendre. «Mes parents m’ont assis et m’ont raconté que certaines personnes n’aimaient pas les autres à cause de leur couleur de peau. Je ne pensais pas que c’était possible. Mes interactions avec les Blancs avaient été bonnes.» Cet épisode donne à Daryl la soif d’en savoir plus. «J’ai lu beaucoup de livres sur le racisme et le suprémacisme, noir* comme blanc, mais aucun ne répondait à cette question de base : comment pouvez-vous me haïr si vous ne me connaissez pas ?»
Cette question, il la posera à ceux qui propagent la haine, à commencer par Grand Dragon, alias Roger Kelly, chef du KKK dans le Maryland. Daryl Davis décroche un rendez-vous en prétextant écrire un livre. «J’avais demandé à ma secrétaire, Blanche, de l’appeler car il aurait reconnu à ma voix que j’étais noir.» Le jour J, «il y avait de la tension, d’autant plus qu’il est venu avec un garde du corps armé». Mais Kelly se prête au jeu. «J’avais fait mon boulot. Je connaissais le KKK parfois mieux que certains de ses membres.» L’entrevue se prolonge… tant et si bien que Roger Kelly finira par prendre Daryl Davis sous son aile. Il l’invite à des rassemblements dans le Maryland, l’introduit auprès d’autres «Klansmen» qui, eux aussi, deviendront ses amis.Quelques années plus tard, Grand Dragon a changé d’horizon politique. «Il m’a dit qu’il ne se rappelait même pas pourquoi il me détestait à la base !» En signe de renoncement au racisme, Roger Kelly lui remet sa tenu du Klan.
Avec les autres robes blanches et chapeaux pointus qu’il continue de récupérer, le musicien entend ouvrir un musée. «C’est un pan honteux de notre histoire, mais cela en fait partie.» Depuis la mort de George Floyd, Afro-Américain tué par un officier de police blanc à Minneapolis fin mai, un mouvement inédit pour la justice raciale s’est fait jour. Daryl Davis se veut optimiste : «Nous entamons un nouveau chapitre».
* Pour braver le suprémacisme blanc, des Noirs entreprennent çà et là de se construire une idéologie de race supérieure sans former pour le moment un mouvement reconnaissable socialement. Ils se disent : quelle «race » n’aurait-elle pas le droit de se considérer supérieure, l’élue de Dieu, si d’autres races y croient ?
25 avril 2020
Humour nègre autour du Coronavirus (Raphaël ADJOBI)
Humour nègre autour du coronavirus
La belle trouvaille africaine : En cette année 2020, durant cette longue période de confinement - pour cause de pandémie due au coronavirus - un chercheur malien et son confrère égyptien ont affirmé avoir une piste sérieuse menant à un vaccin contre le racisme. Aux dires du site legorafi.fr, les deux scientifiques ont échangé en direct sur leurs recherches à la télévision malienne et ont évoqué l’Europe comme terrain d’essai de leur traitement contre ce fléau sévissant sur la même aire géographique que le coronavirus. Un large échantillon des supporteurs italiens du football, des intellectuels et des politiques français originaires des pays de l’Est européen et de la méditerranée les intéresseraient beaucoup dans leur travail. Le site Internet précise aussi que «face au début de polémique [suscité par leur champ d’expérimentation], les deux chercheurs ont présenté leurs excuses sur les réseaux sociaux, se dédouanant ainsi de tout racisme en prétextant avoir de nombreux amis blancs».
Le Cameroun fait mieux que Madagascar : Toute l’Afrique a les yeux fixés sur l’insolente Madagascar qui préfère se soigner traditionnellement plutôt que de compter sur la science du gourou des Blancs communément appelé «OMS-de-Bill-et-Melinda-Gates», alors que le miracle nous vient du Cameroun. Le Cameroun, le grand espoir de l’Afrique ! Là-bas, le docteur La Légende et son équipe ont découvert, sur la fesse gauche des poules élevées sous les tropiques, une enzyme qui réagit au virus du coronavirus. Mais, n’étant pas certains des effets secondaires de leur vaccin, le docteur La Légende et son équipe préconisent des essais en Europe où la majorité de la population a la même chair que la poule. A l’heure où nous publions cet article, l’équipe de chercheurs camerounais n’a toujours pas reçu de suite de sa demande auprès des autorités de l’Union européenne ni auprès de l’ONG «OMS-de-Bill-et-Melinda-Gates».
La Côte d’Ivoire, championne d’Afrique de bouffe-la-Merde ? S’il y a un seul pays où les administratifs des douanes ne font pas la différence entre la crotte de chien et le riz ou les boules de mazout qui polluent les plages du golfe de Guinée, c’est la Côte d’Ivoire. Il y a un peu plus d’une décennie, un haut fonctionnaire de la douane a réceptionné des tonnes de déchets toxiques d’un navire en errance sur l’Atlantique. Fier de sa trouvaille, le haut fonctionnaire - qui vit toujours confortablement dans sa belle villa d’Abidjan - a nourri les communes d’Anono et de Bingerville de la merde des chiottes des Blancs qu’il a prise pour une nourriture des dieux. Il a fallu des mois pour désintoxiquer les populations.
En 2019, informé de la présence sur l’Atlantique d’un navire transportant du riz qu’aucun pays africain ne voulait recevoir, un autre haut fonctionnaire des douanes s’écria : «c’est ce qu’il faut à un pays comme le mien». Dénoncés par un jeune activiste qui pense plus à la santé de ses compatriotes qu’à son bonheur personnel, les tonnes de riz toxique furent brûlés. Mais le véreux fonctionnaire eut le temps de vendre 400 tonnes de cette affreuse marchandise sans jamais rien craindre : les morts seront comptabilisés dans le registre de ceux qui ont quitté cette vie à cause du coronavirus.
En avril 2020 : L’OMS-de-Bill-et-Melinda-Gates propose aux Africains des tests du coronavirus aux Africains alors que la France court un peu partout pour bénéficier de cette faveur. Les pays Africains voyant ses gesticulations disent à l’organisme cité plus haut qu’il serait tout de même plus humain que la France et l’Italie, en grande difficulté sanitaire, bénéficient de cet avantage. Eh bien, vous savez quoi ? Seule la Côte d’Ivoire s’est érigée contre cette proposition qu’elle a estimée injuste. Le pays de l’ami de Macron et de Sarkozy doit être servi avant tout le monde ! Le ministère de la santé reçut donc les équipements des tests et entreprit de l’installer dans le quartier populaire d’Abidjan, généralement favorable aux adversaires du pouvoir en place. Surprise : les jeunes détruisirent l’installation. Depuis, on n’a aucune nouvelle de l’OMS-de-Bill-et-Melinda-Gates dans ce pays. Il serait tout de même bon que les jeunes surveillent les hôpitaux où, aux dires de certains, on vaccine tous les nouveau-nés sans savoir de quoi. Mais çà, ça ne nous regarde peut-être pas ! Nous en parlons mais c’est aux Ivoiriens de voir. Nous leur présentons d’avance toutes nos excuses pour en avoir parlé.
Raphaël ADJOBI
10 février 2020
Maboula Soumahoro et les immigrés européens : histoire d'un débat autour de l'identité française (Raphaël ADJOBI)
Maboula Soumahoro et les immigrés européens
Histoire d'un débat autour de l'identité française
En novembre 2019, sur la chaîne de télévision nationale LCI, il a été donné au public français un spectacle édifiant quant à la place que de nombreux Français blancs assignent aux Français noirs dans leur conscience. En moins de deux minutes, deux envolées patriotiques de deux intervenants blancs dévoilèrent avec assurance la barrière que leur communauté avait dressée dans la société pour rendre toujours plus difficile l'épanouissement des Noirs sur le territoire français ; barrière toujours dénoncée par les Noirs mais dont l'existence était toujours niée par les officiels de la République et la grande majorité de la population blanche française.
Devant le discours critique de madame Maboula Soumahoro contre le racisme en France, Monsieur Francis Szpiner - fils d'immigrés polonais - sûr d'incarner la France qu'il n'a jamais imaginée que blanche s'écria à deux reprises : «Je n'aime pas que l'on insulte MON PAYS !» Oui, vous avez bien lu. Au regard de la réalité quotidienne, les Français noirs ont clairement conscience qu'ils sont pour leurs compatriotes blancs des étrangers, voire des immigrés qu’il faut rappeler à l'ordre, à qui il faut faire comprendre qu'il y a des limites à ne pas franchir. En ce mois de novembre 2019, cette vérité toujours niée venait d'être clamée et assumée sur la place publique ! Oui, en France, une personne blanche peut critiquer la République ; pas un Noir. Et ce jour-là, sur le plateau de la chaîne de télévision, nombreuses étaient les têtes - surtout masculines - qui avaient approuvé la franche indignation de Francis Szpiner ne supportant pas la critique de son pays par une Noire.
A peine Madame Maboula eut elle le temps de dire qu'elle avait le droit de dire ce qu'elle voulait de son pays - parce que la France est aussi son pays - qu'Alain Finkielkraut prit la parole pour lui dispenser une leçon d'intégration qu'il jugeait opportune : «Où avez-vous fait vos études ? lui lança-t-il. Je suis un enfant de parents immigrés russes et juifs. Je suis reconnaissant à la France.... Je suis heureux d'habiter un pays qui a à m'offrir une culture aussi admirable. C'est une gratitude que d'autres peuvent exprimer avec moi». Au regard des visages illuminés qui accompagnaient ce discours, on peut dire que le public était de cet avis. Seules deux dames virent dans les deux discours une insulte à l'origine africaine de Madame Maboula Soumahoro.
Cet événement public et médiatique mérite que l'on s'y arrête et l'analyse à l'aune de certains pans de l'histoire de France, parce que - répétons-le - il est l'expression publique d'une réalité quotidienne constamment niée. En effet, combien d'analyses écrites, de reportages sonores ou filmiques ont essayé de faire comprendre à tous - et surtout à nos gouvernants - que les jeunes Noirs et Maghrébins disent être rejetés par la population française blanche et par les responsables des institutions françaises parce qu'ils sont considérés comme des étrangers indésirables en cette terre de France ? Ce qui suppose bien entendu qu'ils sont différemment traités dans tous les domaines, et donc qu’il y a en France des injustices fondées sur la couleur de la peau. Et c'est exactement ce qu'Alain Finkielkraut et Francis Szpiner viennent de confirmer de façon très éclatante en novembre 2019 dans leurs propos rapportés plus haut. Quiconque nierait l'absence de lien entre le traitement infligé à certains individus et l'image que nous avons d'eux dans notre imaginaire collectif est un imbécile. Oui, la manière de voir l'autre influence notre comportement à son égard. Pour ces deux hommes blancs, cette femme noire est une éternelle étrangère parce que justement noire et donc ne pouvant avoir le droit de dire certaines choses sur la France. Pour Alain Finkielkraut, Maboula Soumahoro est une immigrée incapable de s'intégrer et par-dessus tout ingrate vis-à-vis de la France qui lui a permis de faire des études dans la belle langue française. Et pour Francis Szpiner, comme le fera remarquer une dame prenant conscience de la limite fixée à certains, «ici (en France), tout n'est pas dicible par tout le monde».
Comment en sommes-nous arrivés là ?
En ce début du XXIe siècle, ce moment de télévision nous a clairement montré l'esprit de la grande majorité des Français blancs à l'égard de leurs compatriotes noirs : ceux-ci sont pour eux d'éternels immigrés sommés de dire leur reconnaissance à la France lorsqu'ils parviennent à franchir les multiples barrières dressées sur leurs parcours scolaires et sociaux comme autant de bains purificateurs vers la nationalité française qu'ils n'auront, en définitive, jamais pleine et entière.
Devant ce triste constat, nous sommes en droit de nous poser cette question : comment en sommes-nous arrivés là ? Comment, malgré les discours clamant la cohésion sociale, comment après les prétendus programmes ou projets pour nous apprendre à mieux vivre ensemble, sommes-nous parvenus à la fin de la deuxième décennie de ce XXIe siècle avec une population blanche incapable de voir la population française noire comme partie intégrante de l'histoire de France ?
La réponse à cette question est simple : cette population blanche a manqué d'instruction sur des pans entiers de l'histoire de France ! Elle est victime de la culture de l'ignorance pratiquée par l'enseignement français sous la houlette de nos hommes politiques et des concepteurs des manuels scolaires qu’ils influencent. En effet, nos élus et nos gouvernants n'ont jamais pris en compte la dignité de l'autre dans leurs multiples projets et programmes pour une plus grande cohésion sociale entre les Français. Dans la prise des décisions concernant les populations noires, ils n'ont jamais tenu compte du fait que pour respecter la différence de l'autre, il faut apprendre à le connaître. Ils semblent tous avoir oublié que c'est l'étrangeté, l'inconnu, l'ignorance, qui suscite la crainte ou la peur de l'autre et conduit à son rejet. Pourquoi ces Noirs et ces Maghrébins sont-ils d'éternels immigrés aux yeux des Français Blancs ? Pourquoi sont-ils sur le sol français alors qu'ils ne partagent pas la même blanchité que les autres et la même parenté continentale ? Le fait que la République a laissé s'installer dans l'esprit de la très grande majorité de la population blanche l'idée que les Noirs et les Maghrébins sont des immigrés au même titre que les descendants des Hongrois, des Russes, des Polonais, des Italiens, des Espagnols et des Portugais est la preuve irréfutable qu'elle a failli à son devoir : le devoir d'informer, de former sa population de manière continue dans les savoirs historiques qui ont construit la France plurielle d'aujourd'hui.
C'est tardivement, seulement depuis 2008 - suite à la loi dite Christiane Taubira de 2001 reconnaissant l'esclavage des Noirs dans les Amériques et l'océan indien comme crime contre l'humanité - que l’Education nationale a daigné introduire le passé esclavagiste de la France dans notre enseignement ; et cela sans même mettre l'accent sur le fait que depuis 1848, nul ne peut se permettre de dire que la France est un pays de Blancs ! Or l'enseignement de l'Histoire n'est utile et nécessaire que lorsqu'elle permet de comprendre le présent. Déjà, en 1802, la citoyenneté française des Noirs des colonies américaines acquise en 1794 avait été remise en question par Napoléon Bonaparte. C'est dire qu'il y a plus de deux siècles que les Noirs, bien qu'appartenant aux terres de la France, ont une histoire houleuse avec leur pays par le caprice de certains Blancs.
On peut signaler aussi l'absence du passé colonial de la France dans notre enseignement. Jamais on n'a enseigné dans nos écoles, collèges, lycées et universités, qu'en participant aux côtés d'autres pays européens au partage des terres et des populations du continent noir, la France a fait - pendant près d'un siècle - de plusieurs millions d'Africains des sujets français. Oui, des territoires africains ont été des territoires français et leurs populations des Français ! Malheureusement, cette vérité de l'histoire n'a jamais été enseignée dans nos établissements. Cette carence de notre système pédagogique est donc à l'origine de l’ignorance de ces pans entiers de notre histoire ; une ignorance qui entretient à son tour de manière violente le rejet des Noirs aussi bien dans les discours politiques que dans l'espace public. Quelle honte pour la République de laisser les descendants d’immigrés européens dont les terres des aïeux n'ont jamais appartenu à la France, dont le sang des aïeux n'a jamais été exigé comme prix de leur fidélité à la mère patrie, déverser la haine que véhicule leurs clameurs patriotiques douteuses sur ceux dont les parents, les grands-parents et les arrière-grands-parents ont constitué la fondation de la France de la Ve République ! On peut dire que c'est l'ignorance de l'histoire de France avant les années 1960 qui conduit un immigré hongrois, russe, polonais, italien, portugais ou espagnol à se permettre de lancer à un Noir : «Pourquoi tu viens chez nous ? » ou «Je ne permets pas que l'on insulte mon pays ! ». A l'ignorance s'ajoute aussi une vérité sur laquelle l'attention de tous les citoyens doit être attirée : la prééminence de la couleur de la peau qui fonde la conviction de ces immigrés européens n'ayant aucun passé esclavagiste ou colonial avec la France ! Pour eux, la société française est blanche à l'image de leur propre blanchité. Cette caractéristique qui contribue à l'organisation de la société française laisse croire à n'importe quel immigré blanc de n'importe quelle époque qu'il est plus français que n'importe quel Noir !
Force est de constater que l'enseignement de l'histoire de France tel qu'il est pratiqué conduit inéluctablement au rejet des Noirs et apparaît donc comme un outil de division plutôt que d'acceptation mutuelle des différentes composantes de la nation. Si l'histoire de France incluant les Noirs est absente dans notre enseignement, cela veut évidemment dire pour chaque enfant - qui sera un adulte demain - que les Noirs sont étrangers à l'histoire de France. Notre pays ne peut à la fois enseigner l'exclusion - par omission - à travers les manuels scolaires et chanter l'intégration. Nier cette incohérence c'est manquer de bon sens. En s’appuyant sur le fait que «le modèle républicain, fondé sur l’égalité formelle des citoyens, refuse toute distinction», écrit Nicole Lapierre, nos gouvernants demeurent aveugles sur la différence et donc «aveugles aux injustices fondées sur la couleur de la peau ou sur tout autre signe de différence visible». Elle ne manque pas de leur rappeler qu’ils ne doivent pas oublier qu’ «il ne peut y avoir d’intégration réussie que si la promesse d’égalité est tenue» (Faut-il se ressembler pour s’assembler ? Seuil 2020). En d’autre termes, comme le dit si bien Simone de Beauvoir, «c’est du point de vue des chances concrètes données aux individus que nous jugeons nos institutions» et non du point de vue de l’idée parfaite que nous en avons.
Raphaël ADJOBI
28 mars 2019
Louer une exposition sur l'esclavage ou l'histoire des Noirs de France
Louer une exposition
pour animer sa ville ou son établissement
L'association La France noire, créée en 2015 pour promouvoir la contribution des Noirs à l'Histoire de France, dispose aujourd'hui d'une belle exposition pédagogique en deux parties pouvant constituer une excellente animation pour les municipalités.
Pour en savoir davantage, prenez contact avec nous. Prenez aussi le temps de visiter notre site pour juger de la qualité de notre travail. Les trois thématiques qui le composent peuvent être retenues séparément : a) Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ; b) Les Noirs illustres et leur contribution à l'histoire de France ; l'invention du racisme et la négation des traces de l'homme noir dans l'histoire de l'humanité.
Contact : 06.82.22.17.74/lafrancenoire@orange.fr/ www.lafrancenoire.com
01 mars 2019
Femmes noires, osez le chic des cheveux crépus ! (Raphaël ADJOBI)
Femmes noires, osez le chic des cheveux crépus !
Femmes noires, ne craignez pas de vous mettre en valeur ! Pour triompher des pudeurs qui vous assaillent, osez le naturel et accédez au chic, c'est-à-dire «à la distinction élégante des personnes libres, désinvoltes et raffinées» (Michel Pastoureau, L'étoffe du diable, Seuil 1991). Inversez le code social qui constitue à vos yeux un handicap ou une infériorité et faites-en une promotion.
Ces propos ont peu de chance d'être lus par beaucoup de femmes noires françaises, européennes et africaines qui portent des perruques aux cheveux raides, pour la simple raison que les Noirs qui lisent sont peu nombreux. En France, rares sont ceux qui fréquentent les librairies, les bibliothèques ou achètent des livres une fois qu'ils ont quitté les bancs de l'école. Aussi, femmes et hommes noirs sont inaccessibles aux campagnes de sensibilisation. Ce texte n'est en définitive qu'une "bouteille à la mer" parmi tant d'autres jetées sans jamais avoir rencontré une main pour en faire sienne.
J'ignore s'il y a des hommes qui apprécient de voir des femmes noires emperruquées, et particulièrement leur compagne. En tout cas, ce déguisement capillaire est affreux parce qu'il produit toujours quelque chose d'étrange sur le visage de celle qui le porte. Si ces femmes attirent souvent le regard, ce n'est point le fait de leur beauté mais celui de leur étrangeté. On se demande toujours ce que peut penser une tête noire cachée sous des cheveux raides qui, de toute évidence, ne lui appartiennent pas. Aucune femme noire portant une perruque avec des cheveux de personnes blanches n'est belle ! Elle est tout simplement étrange, une bizarrerie dans le paysage des êtres naturels.
Dans son livre Elever des enfants noirs ou métis chez les Blancs, Annick DZOKANGA se demande avec raison comment ces femmes emperruquées vivent-elles leur identité noire ? Et elle ajoute : «Quelle portion de dignité, de fierté pourront-elles donner à leurs enfants, quand elles seront, à leur tour, en âge de procréer ? Comment, en tant que mères, seront-elles capables de transmettre le sens de l'amour-propre, du respect de soi à leurs enfants si elles n'ont pas réglé leurs propres complexes ? Pourront-elles coiffer sereinement et avec amour les cheveux crépus de leurs fillettes si elles n'ont pas, elles-mêmes, pacifié leurs relations avec leurs propres cheveux ?»
C'est à vous, "beautés emperruquées", que la question est posée : où en êtes-vous avec votre identité noire ? D'autre part, en matière de beauté capillaire, l'inspiration, l'inventivité et la créativité ne seraient-elles pas noires ? Les images qui accompagnent ce texte suffisent pour démontrer que si.
Raphaël ADJOBI
25 février 2019
La France noire, une association pour apprendre le passé des Français noirs (un entretien réalisé par Liss KIHINDOU)
La France noire
une association pour apprendre le passé des Français noirs
(Un entretien réalisé par Liss KIHINDOU pour AMINA)
Comment est née l’idée de cette association ?
L'idée est partie d'un travail avec une classe de 5è en 2012. Suite à la lecture de Cannibale, le désormais célèbre roman de Didier Daeninckx, j'avais réalisé avec mes élèves une exposition sur «Les expositions coloniales» en y intégrant quelques figures noires françaises célèbres. Face au franc succès de ce travail présenté lors des portes ouvertes de l'établissement, je me suis dit que l'expérience méritait d'être poursuivie.
Qu’entendez-vous par « La France noire » ?
Le nom de l'association est choisi en réponse à toutes celles et tous ceux qui pensent que la France est blanche et catholique. Non, la France n'est pas blanche ! Elle ne l'est pas, de manière officielle, depuis 1848, date de l'abolition de l'esclavage. La France a aussi participé à la colonisation de l'Afrique et a fait des Noirs ses sujets jusqu'au début des années 1960. Les nouvelles générations doivent absolument savoir ces vérités. Quant aux adultes qui ne sont pas habitués à associer le nom France au mot «noir», nous leur offrons l'occasion de prendre une nouvelle habitude conforme à la réalité. Précision non négligeable : nous avons l'agrément académique - donc l'autorisation de l'Education nationale - pour faire ce travail.
Votre action est-elle bien accueillie ? Quels sont vos partenaires ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, militer pour l'enseignement d'une histoire qui ressemble à la réalité de la diversité de la population française est très bien accueilli dans les établissements scolaires. L'Education nationale prône l'enseignement de la citoyenneté. Cela nous encourage à nous appuyer sur la vérité scientifique pour amener les jeunes à changer leur regard sur eux-mêmes et sur les autres, à entendre un discours différent de ceux qui se veulent officiels. Pour consolider nos bases dans le paysage national, nous avons établi un partenariat avec la mairie de Joigny (89 Yonne) pour commémorer chaque 10 mai l'abolition de l'esclavage. Par ailleurs, nous avons le soutien du Conseil départemental et du crédit Mutuel. Mais nous ne pourrons rayonner qu'en établissant des partenariats avec d'autres associations comme Afrique sur Loire, par exemple.
Vous avez réalisé des expositions remarquables, que vous proposez aux établissements scolaires. Ceux-ci vous ouvrent-ils facilement les portes ? Quelle est la réaction des élèves ?
Nos expositions ainsi que les discours qui les accompagnent sont très appréciés des élèves et des enseignants. C'est très réjouissant. Par exemple, les élèves comprennent très vite la logique de l'esclavage des Noirs dans les Amériques qui consiste à terroriser par la violence des êtres habitués à la liberté. J'aime leurs applaudissements à la fin de mes interventions... Malheureusement, les établissements scolaires ne s'ouvrent pas aussi aisément aux intervenants extérieurs. Dans le système administratif de l'Education nationale, il n'est pas évident de savoir à quelle porte frapper. A vrai dire, il faut surtout compter avec la sensibilité de la personne qui recevra l'information concernant nos expositions. Il convient aussi de retenir que dans cet univers, le bouche-à-oreille fonctionne mieux que le courrier postal ou électronique.
Vous avez à ce jour noué plusieurs contacts, notamment avec des ambassades africaines, sont-elles toutes prêtes à vous accompagner ?
D'une façon générale, les ambassades africaines refusent d'aider les associations françaises. Est-ce une question de devoir de réserve ? En tout cas, les courriers que nous avons reçus disent qu'elles ne disposent pas de budget pour aider les associations. Seuls des hommes sensibles à l'idéal de fraternité que nous prônons à travers nos expositions acceptent de nous recevoir et nous aider. C'est ce qu'ont fait les ambassadeurs du Togo et de la Guinée, chacun à sa manière.
Quelle est votre plus grande fierté et quel est votre plus grand regret, depuis que vous avez commencé cette aventure ?
C'est chaque fois une grande fierté pour moi d'entendre les élèves me poser cette question : «pourquoi ne nous enseigne-t-on pas tout ce que vous nous dites ?» C'est la preuve qu'ils ont compris que les manuels scolaires n'ont pas toujours raison. Il est important d'apprendre à douter afin de sortir de l'ombre pour aller vers la lumière. Par ailleurs, avoir exposé à l'ambassade du Togo, sans avoir aucun lien avec ce pays, a été pour moi une belle conquête. Je n'oublierai jamais cette main tendue de Son Excellence M. Calixte Madjoulba qui nous a permis de rebondir alors que les demandes d'intervention étaient rares au premier semestre 2018. Un regret - qui ne doit pas en être un puisque le fait ne dépendait pas de nous - c'est de ne pas avoir pu exposer à l'Unesco, à Paris, alors que nous étions programmés pour le 19 novembre 2018 et que l'historien Pascal Blanchard avait accepté d'être le parrain de notre association pour plaider sa cause auprès des ambassadeurs africains. Mais nous n'avons pas renoncé à ce projet.