Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

01 avril 2021

La désinstruction nationale (René Chiche)

                 La désinstruction nationale

                                      (René Chiche)

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          « Il est dramatique que tant de jeunes gens soient munis d’une carte d’étudiant alors qu’ils ne sont pas capables d’écrire correctement trois lignes en français ni de déchiffrer autre chose que des tweets ou des hiéroglyphes que les concepteurs d’application leur fournissent à profusion afin de remplacer les mots ». Vous avez compris : l’auteur s’indigne du niveau de langue des jeunes Français qui frappent aux portes des universités. Comment des élèves presqu’illettrés ont-ils réussi à parvenir à ce stade des études pour prétendre entrer à l’université ? Comment peuvent-ils comprendre quelque chose des textes complexes si la langue dans laquelle ils sont écrits n’est pas suffisamment maîtrisée ? Il faut que les adultes qui organisent une telle catastrophe soient absolument inconscients pour ne retenir de la langue que sa fonction de communication et laisser de côté sa qualité d’instrument à penser. C’est aussi le constat que je fais et qui motive mes analyses et propositions dans Il faut remettre le français au centre de l’enseignement (éd. Les Impliqués, 2021). 

          Pour remonter aux causes de cette catastrophe, René Chiche s’appuie sur son expérience personnelle de professeur en lycée et nous montre l’esprit animant les proviseurs qui ne sont plus issus du monde enseignant mais de celui de la grande administration où le souci de la carrière est la chose la plus importante, la flèche bleue de la boussole qui leur indique qu’ils ne doivent pas perdre le Nord en veillant à la qualité de l’instruction des jeunes gens qui sont à leurs pieds. De la direction des lycées au Ministère de l’Education nationale, en passant par les rectorats, le résultat catastrophique de leurs réformes et de leurs injonctions aux enseignants a peu d’importance ; le bon fonctionnement des rouages du système semble suffire. D’où, chez eux, ce leitmotiv : pas de vague ! Par ailleurs, avec la complicité des « nouveaux pédagogues » ainsi que de nombreux « experts » - avec leurs « nouveaux programmes » - les « nouveaux manuels » scolaires et « parascolaires » se sont multipliés et ont fini par faire des éditeurs les conseillers et les confidents de chaque ministre de l’Education nationale ; une insidieuse dépossession des professeurs de leur autorité intellectuelle. Après cela, chefs d’établissement, inspecteurs et recteurs peuvent les infantiliser par une relation administrative malsaine faite de notations, menaces, sanctions pour « détruire le coeur de leur identité professionnelle ». Il ne reste plus qu’à l’élève de tenter de leur marcher sur le corps. 

          Selon l’auteur, les enseignants ont aussi leur part de responsabilité dans ce qu’ils déplorent et subissent : nombreux parmi eux distribuent des notes pour qu’on leur « fiche la paix », serrent les dents et les fesses, en attendant de quitter le navire avec grand soulagement. Pour reprendre leur place et leur rôle, il faut que les professeurs fassent savoir aux administratifs de l’Education nationale et aux parents que les seules connaissances qu’on doit exiger d’eux sont « les connaissances disciplinaires parfaitement maîtrisées » mais aussi le respect qu’elles méritent. Alors l’école pourra être sauvée parce que la pédagogie du professeur ne visera plus à s’adapter à l’enfant mais à l’élever. En effet, la pédagogie croit en l’intelligence de l’enfant et s’adresse à elle en toute circonstance pour l’aider à grandir.

Raphaël ADJOBI

Titre : La désinstruction nationale, 247 pages

Auteur : René Chiche

Editeur : leseditionsovadia, 2019

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23 mars 2021

Il faut remettre le français au centre de l'enseignement (lu par Electre et Liss Kihindou)

   Il faut remettre le français au centre de l'enseignement

                           Une autre révolution est possible

Je vous invite à découvrir ma première publication papier : un livre sur l'enseignement du français. Tous les collègues qui l'ont lu sont enthousiastes en y découvrant ce qu'ils déplorent et subissent. Faut-il croire que pour eux aussi une autre révolution est possible si on remet le français au centre de l'enseignement ? "C'est aux familles et aux enseignants [que je m'adresse] ; autant dire à tout le monde. Le grand oeuvre commun de notre vie, c'est l'instruction de nos enfants et petits-enfants. Cette entreprise mérite toute notre attention et tous nos soins".

Les impliqués 1

© Electre 2021 (réseau de librairies)

« Un essai sur l’importance de l’apprentissage de la langue française et comment l’Education nationale échoue à l’inculquer, nuisant ainsi aux valeurs culturelles que la langue véhicule et aux réflexions qu’elle permet. L’auteur insiste sur le rôle des enseignants, critique l’enseignement personnalisé et évoque le surdiagnostic de la dyslexie et de l’hyperactivité ».

Extrait de l’analyse de Liss Kihindou

« Il faut remettre le français au centre de l’enseignement […] est un livre dont la lecture sera éminemment édifiante et profitable à tous, enseignants (ceux du primaire et du collège en particulier), parents, chefs d’établissement, aussi bien que décideurs politiques. […] Dans l’ensemble, ce livre fait écho à bon nombre de discussions entre collègues, en salle des profs ou pendant les réunions de l’équipe pédagogique, par exemple lorsque l’auteur dénonce l’intervention intempestive des parents dans un milieu désacralisé ou désanctuarisé. En outre, il est écrit dans une langue savoureuse qui ne se prive pas d’images ni d’humour, pour ne pas dire d’ironie... » / Accédez à l'article de Liss Kihindou : valetsdeslivres 

° 10 euros, chez votre libraire ou à la Fnac.

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16 mars 2021

Les Oeuvres littéraires étudiées au collège et au lycée sont l'expression de l'idéologie dominante (Raphaël ADJOBI)

Les œuvres littéraires étudiées au collège et au lycée

       sont l’expression de l’idéologie dominante

Manuels scolaires

          En 1748, dans L’esprit des lois (L. IV), Montesquieu assurait que le citoyen d’une nation doit être instruit dans l’esprit de sa constitution et de ses « lois fondamentales ». En d’autres termes, la forme de gouvernement sous laquelle l’on vit détermine l’éducation que chacun doit recevoir. Conformément à ce principe dirigiste, les livres conseillés par les instructions officielles de chaque pays pour nourrir les thématiques qui jalonnent son système pédagogique illustrent merveilleusement le parti pris politique de l’idéologie dominante – sauf dans les pays subsahariens francophones arrimés à la France. Ce qui veut dire que la seule conscience du caractère politique du choix des livres et surtout du contenu des manuels scolaires doit nous obliger à être prudents et nous inciter à boire à d’autres sources que celles indiquées par la tutelle ministérielle. Faute de ce travail d’investigation volontaire, l’enseignant se condamne – ici ou ailleurs – à n’être qu’un répétiteur des directives de l’idéologie dominante. Heureusement, en France, si la thématique est contraignante, la liberté de choix du livre, du texte ou de l’image qui doit l’illustrer est totale pour l’enseignant. Mais trop souvent, nous cédons à la facilité et n’étudions que les livres suggérés par les officiels de notre enseignement ; et surtout, nous sommes trop fidèles aux manuels scolaires distillant leurs discours forcément tendancieux.

          Au collège où les pièces de Molière font figure de monuments incontournables depuis des décennies, qu’étudie-t-on ? Les Fourberies de Scapin, L’avare, Le bourgeois gentilhomme, Le malade imaginaire, Tartuffe et Le médecin malgré lui. Et qu’apprenons-nous de toutes ces pièces du célèbre dramaturge du XVIIe siècle ? Evidemment les caractères des hommes de la société de son époque et non les caractères de la société elle-même. Or, s’attaquer aux traits de caractères des hommes qui rendent la vie infernale aux autres, c’est laisser intactes les structures de la société et éviter les foudres du pouvoir en place. En effet, en n’étudiant que ces pièces de Molière – excepté la féroce critique des médecins dans Le malade imaginaire, donc critique d’un corps social – nous finissons par entretenir dans notre esprit et dans celui des jeunes l’image d’un artiste qui a passé son temps à tourner en dérision les mauvais caractères de ses contemporains qui vivaient dans une société où tout était bien dans l’ordre naturel des choses. En d’autres termes, on retient que la société était belle mais ce sont les hommes qui étaient mauvais. Et pourtant, Molière n’était pas qu’un amuseur public ; il était aussi un critique de la société, un critique de la difficile relation que les différents éléments qui la structuraient entretenaient entre eux. Sa pièce Georges Dandin en est la preuve.

          Pourquoi ne privilégie-t-on pas l’étude de Georges Dandin dans nos collèges ? Trop difficile pour les jeunes ? Non ! La seule raison est que cette pièce est éminemment politique : elle est la critique de la société française, ou européenne, dans laquelle les bourgeois – les riches commerçants des villes – se heurtaient à la ligne de démarcation ou plafond de verre des normes et valeurs instituées par l’aristocratie. Plafond de verre qui finira par voler en éclats un siècle plus tard – en 1789 ! Avant cette date, seul l’achat d’une charge nobiliaire conférait au bourgeois la considération due à un aristocrate. Le mépris ouvertement affiché des derniers à l’égard des premiers, mis en évidence de manière éclatante par Molière, ne semble pas être le bienvenu dans nos établissements. Cela pourrait permettre aux jeunes générations de comprendre l’esprit des siècles qui ont précédé la révolution ; un esprit dont ils pourraient aisément reconnaître les traces dans la société française de ce XXIe siècle. C’est pour la même raison politique qu’Aimé Césaire et son Discours sur le colonialisme ont été exclus du concours d’agrégation.

          Par ailleurs, dans les lycées, dès que l’on aborde certains sujets comme les grandes causes défendues par les penseurs du XVIIIe siècle, le poids politique apparaît tout de suite clair dans le choix des textes proposés. La critique de l’esclavage des Noirs dans les Amériques est le sujet qui récolte la palme du dirigisme de l’État français à travers le contenu des manuels et des livres proposés aux élèves et enseignants. Voltaire et Montesquieu y apparaissent auréolés du titre de défenseurs ou de pourfendeurs de l’esclavage et donc comme des frères des Noirs. Or, non seulement l’un et l’autre étaient convaincus de la supériorité de leur race, mais encore leurs discours proposés aux élèves méritent d’être élargis à ceux qu’on ne lit jamais afin de mieux juger si oui ou non ils sont des défenseurs des Noirs déportés et soumis à l’esclavage dans les Amériques. Concernant le fameux texte de Montesquieu censé être une critique de l’esclavage – le seul étudié par tous les lycéens de France et d’ailleurs depuis près d’un siècle – il suffit de dire qu’il ne fait pas l’unanimité des critiques quant à son esprit. Le fait que ce même texte a servi d’argument pro-esclavagiste au XVIIIe et au XIXe siècles est une raison suffisante pour susciter l’attention et des interrogations chez ceux qui en font un discours anti-esclavagiste. Oui, ce texte a servi à soutenir et à justifier l’esclavage des Noirs à l’époque de Montesquieu ! (Voir Regards sur l’esclavage au XVIIIe siècle – Montesquieu, Bernadin de Saint-Pierre, collection BT2, PEM). Concernant Voltaire, il convient de dire que le fait de désapprouver une mauvaise action ne veut pas dire prendre la défense de la victime. Les enseignants doivent prendre soin de ne pas pousser les jeunes à passer aussi allègrement de l’un à l’autre ; car la différence est très grande. De nombreux textes de Voltaire montrent son racisme à l’égard des Noirs qui sont à ses yeux des êtres inférieurs. Par ailleurs, contrairement à Condorcet, il tient les Africains pour les premiers responsables de la déportation des leurs et non point les esclavagistes européens. Je renvoie tous les collègues professant dans les lycées à l’excellente présentation des Réflexions sur l’esclavage des nègres de Condorcet réalisée par Jean-Paul Doguet (Edit. Flammarion, 2009), pour reconnaître entre les penseurs du XVIIIe siècle ceux qui déplorent, ceux qui critiquent et enfin ceux qui combattent. Ce travail est absolument nécessaire pour ne pas faire de tous ceux qui ont écrit sur l’esclavage des combattants. C’est au risque que l’on prend par rapport à la pensée dominante que l’on mesure la force de notre engagement.

          Retenons tous que l’humanisme des penseurs du XVIIIe siècle, tel qu’il nous a été enseigné durant des décennies, est aujourd’hui fortement remis en question. Contrairement à ce qui a bercé notre jeunesse – et que beaucoup reproduisent sans travail de recherches supplémentaires – il convient de retenir désormais que « l’humanisme du siècle des Lumières n’est pas un humanisme accueillant des autres et de la diversité des cultures » (Corinne Pelluchon, Comment réinventer les Lumières – France inter, janvier 2021 – auteure de Les Lumières à l’âge du vivant, édit. Du Seuil). C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi, selon Jean-Paul Doguet, Condorcet – président de la société des amis des Noirs – voue une hostilité foncière à Pascal et au pessimisme janséniste. En effet, « le pessimisme pascalien est précisément le genre de philosophie qui déplore et justifie à la fois la violence et l’oppression en s’interdisant d’y remédier positivement » (Jean-Paul Doguet). Parce que ses Réflexions sur l’esclavage des nègres était une critique très explicite et très analytique par rapport à toutes les productions du XVIIIe siècle sur le sujet, Condorcet a dû le publier sous pseudonyme. Ce fait est la preuve irréfutable qu’au siècle des Lumières on ne pouvait pas se permettre de critiquer aussi frontalement avec maints détails une pratique qui alimentait les caisses du royaume de France. Lire Condorcet, c’est donc toucher la limite de la liberté d’expression et de la prétendue vaillance de certains penseurs au siècle des Lumières.

Raphaël ADJOBI

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23 février 2021

Des migrations au métissage suivi de L'image de la femme à travers 25 auteurs d'Afrique (Liss Kihindou)

                          Des migrations au métissage

                                                         et 

L'image de la femme à travers 25 auteurs d'Afrique

                                             (Liss Kihindou)

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         Des migrations au métissage et L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique sont deux conférences données par l’écrivaine Liss Kihindou en 2016 et en 2018 ; la première à Cozes, en Charente-Maritime (17), et la deuxième devant les étudiants de Sciences-Po Paris durant la semaine africaine organisée par cette institution. En clair, ces deux conférences montrent la dimension intellectuelle de l’écrivaine qui, avec patience et persévérance a indubitablement acquis, pour ainsi dire, ses lettres de noblesse en traçant les deux voies dans lesquelles elle excelle : le métissage sous toutes ses formes et la condition de la femme subsaharienne.

         Le thème de la première conférence rappelle en effet son premier essai, donc une passion de longue date : L’expression du métissage dans la littérature africaine, ouvrage publié en 2011 et dont j’ai fait une analyse la même année. Ici, elle élargit ses vues ; elle parle de l’Europe pour montrer que le métissage qui l’a construite à travers les âges en fait un excellent microcosme d’un phénomène universel, pour ne pas dire propre à la nature humaine. Quant à la condition ou à l’image de la femme subsaharienne à travers les œuvres d’écrivains d’Afrique, objet de la plus longue des deux conférences, l’on peut dire que c’est une thématique qui révèle une qualité extraordinaire de Liss Kihindou. Avec ce sujet, elle démontre sa très grande connaissance des auteurs qui ont mis la femme subsaharienne au coeur de leurs productions littéraires. Un véritable travail d’érudition. La précision des nombreux textes de référence témoignent d’une longue expérience de lectrice mais aussi d’un esprit particulièrement soucieux de la condition de la femme.

          Assurément, ces deux textes sont très intéressants. Le premier se présente comme une balade instructive sur les traces de cultures paraissant toujours en mouvement. Tous ceux qui oublient que la France, à l’image de la Grèce et de la Rome antiques, est non seulement diverse et métissée mais qu’en plus elle n’est pas uniquement européenne – parce qu’éclatée sur plusieurs continents – ont ici matière à réflexion. Le deuxième texte pourrait susciter quelques interrogations quant à la place que les littératures européennes accordent à la condition de la femme par rapport à la place que lui accordent les œuvres des auteurs d’Afrique. Les écrivains subsahariens auraient-ils, oui ou non, la plume plus critique sur le sort réservé à la femme que leurs homologues européens ? A l’heure où, en Europe, certains abus connus mais rarement dénoncés font l’objet d’attaques frontales, la question mérite d’être posée. Et pour y répondre, il faut lire le travail très analytique de Liss Kihindou en ayant à l’esprit quelques classiques de la littérature française ou européenne ainsi que les événements qui nous rappellent qu’ici comme là-bas la culture du mythe de la virilité – pour paraphraser le titre du livre d’Olivia Gazalé – n’est pas une vaine expression. 

Raphaël ADJOBI

Auteur : Liss Kihindou

Titre : Des migrations au métissage suivi de L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique, 79 pages.

Editeur : L’Harmattan, février 2021

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22 février 2021

AFROPEA - Utopie post-occidentale et post-raciste (Léonora Miano)

AFROPEA - Utopie post-occidentale et post-raciste

                                                (Léonora Miano)

Afropéa - Léonora Miano

          Voici un beau projet pour la fraternité ! Un projet apparemment utopique, certes, vu son ampleur ; mais comme le dit si bien Alphonse de Lamartine, « les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées ». Il faut donc y croire et s’y attacher fermement pour qu’il devienne réalité.

          En 2014, l’Assemblée générale de l’ONU a décrété la décennie 2015 – 2024, Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, demandant que des programmes divers soient mis en place par les Etats membres pour les mettre en valeur et contribuer ainsi à les inclure dans tout discours portant sur l’identité de chacun des pays. Nous savons que la France est membre de l’Onu, et qu’elle fait partie de l’instance appelée Communauté internationale. Nous savons aussi que non seulement la France n’est pas exclusivement européenne – parce qu’éclatée sur plusieurs continents – mais encore qu’elle compte, au nombre de ses citoyens, une bonne quantité de personnes d’ascendance africaine du fait de son histoire esclavagiste et coloniale. On s’attendrait donc, en toute logique, à ce que l’État français dévoile un programme à mettre en œuvre dans le cadre de cette décennie. Mais voilà : sur cette terre « polluée par le racisme, angoissée à l’idée d’être envahie par des hordes de Subsahariens », dans cette France où « le simple fait d’indiquer qu’il existe des personnes d’ascendance africaine apparaît une provocation », mettre en place un programme à leur intention semble inconcevable à nos autorités. Celles-ci oublient toujours que « leurs choix déterminent le climat social ». En tout cas, elles ont décidé de faire la sourde oreille. Ne rien faire ! Ne rien changer à nos habitudes ! Et çà et là, dans l’indifférence totale, on continue de fermer la porte aux associations porteuses de projets permettant de cheminer les uns vers les autres pour mieux se connaître et respecter nos différences.

          Puisque nos compatriotes du groupe majoritaire, les privilégiés de notre système, ne veulent pas faire le premier pas vers la construction de la fraternité, Léonora Miano demande aux Afro-Européens (Afropéens) de faire ce pas vers eux. Elle pense que les Afropéens ne doivent pas s’interdire de prendre cette initiative sous prétexte qu’il revient aux autres de le faire, sous prétexte qu’ils ont le pouvoir et sont les inventeurs de l’occidentalité, cette « sorte de cannibalisme symbolique, stylisé » qui se repaît sans beaucoup d’émotion des vies humaines à travers la planète au point qu’elle a fini par la dégrader considérablement. Alors, la première, l’écrivaine franco-camerounaise se lance dans l’entreprise par le biais de cet essai. 

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          Depuis un peu plus de vingt ans, des Subsahariens descendants de colonisés et descendants de déportés se désignent sous le terme « Afropéens », mettant ainsi en évidence leur besoin de se construire dans un espace européen où leur situation minoritaire les confine à l’invisibilité et à l’étrangeté. « Il faut imaginer ce que c’est de n’avoir de soi aucune représentation, sinon caricaturale, dégradante ». Or, dit Léonora Miano, leur terroir, c’est le sol où ils ont poussé ; et ils veulent assumer leur vécu d’Afrodescendants en Europe. Se saisissant de cette ferme volonté qu’elle voit s’exprimer partout en Europe où les pays membres de l’ONU ne leur proposent rien de significatif, l’écrivaine demande aux Afropéens de « s’occuper de leurs affaires » sans « se laisser impressionner par les accusations de communautarisme ». En effet, le groupe majoritaire se réfugie dans son patrimoine qu’il ne cesse de vanter, dans son régionalisme, dans son pouvoir. Les Afropéens, eux, ont tout à construire, en commençant par leurs histoires françaises qui font leur singularité, c’est-à-dire en commençant par être soi ; car « l’on ne voit pas bien vers où aller s’il est question, pour s’y rendre, de déposer son bagage mémoriel […]. On aurait l’impression de se présenter nu devant ce monde à faire... » Elle conclut d’ailleurs son texte par ces mots que personne ne doit négliger : « C’est à partir de soi et de son lieu que chacun est invité à oeuvrer pour transformer le monde ». Et les pistes qu’elle propose méritent que le lecteur y prête une grande attention. L’essentiel, pour réaliser ce grand projet fraternel, dit-elle, c’est de prendre garde de ne rien construire sur l’amertume et la frustration.

          Afropéa est un essai éblouissant, fait d’analyses séduisantes parce que pertinentes. Le projet qu’il propose pour transformer une situation sociale où l’Afrodescendant a été longtemps ignoré va forcément déranger « le confort des ayants droit proclamés ». Cependant, ceux-ci doivent comprendre que, après avoir envahi les terres et les autres populations qu’ils ont baptisées selon leur imagination et leur mépris – alors que « la première marque de respect à témoigner aux peuples devrait consister à les désigner comme ils le font eux-mêmes » – de sérieuses révisions s’imposent. Et sur un plan plus large encore, les Français d’ascendance européenne unique doivent réaliser que pour les autres, « il est problématique et forcément préjudiciable d’établir sa demeure dans les formes choisies par des tiers pour exprimer leur mépris ».

Raphaël ADJOBI

Titre : Afropéa, 223 pages.

Auteur : Léonora Miano

Editeur : Grasset, 2020

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08 février 2021

L'éducation des enfants blancs dans les colonies à l'époque de l'esclavage des Noirs (Raphaël ADJOBI)

    L'éducation des enfants blancs dans les colonies

                     à l'époque de l'esclavage des Noirs 

                                          (Raphaël ADJOBI)

 

Education coloniale - texte

          A ma connaissance, l’éducation des enfants blancs dans les colonies est un sujet jamais étudié par les historiens. Par exemple, aucun historien français ne s’est intéressé à la vie que menaient les émissaires des royaumes européens, administrateurs des nombreux forts servant de prisons aux captifs africains avant leur déportation vers les Amériques. Une étude aurait montré comment étaient élevés leurs enfants dans ce cadre. On ignore tout de ces hommes – jamais des femmes ? - jusqu’à leur nom. Alors que le seul Noir qui a géré un « barracon » - de très moindre importance qu’un fort – sur la côte de Guinée est connu : il s’agit du Brésilien métis Chacha. Rien non plus sur la vie de famille des colons européens dans les Amériques. Or, il nous semble important d’aborder ce thème pour bien comprendre comment le système esclavagiste du « colonat » - ou d’occupation d’une terre étrangère et son exploitation par un peuple pour son profit personnel – a pu se perpétuer durant des siècles. En effet, savoir comment on éduque un colon – pour ne pas dire comment on le fabrique – c’est étudier un élément clef du mécanisme de la domination de l’homme blanc qui, depuis qu’il a quitté l’Europe pour s’implanter sous d’autres cieux, ne s’est jamais intégré aux populations locales. Jouissant de la supériorité que lui conférait la force des armes à feu, il n’a jamais envisagé sa relation avec l’Autre qu’à la seule mesure des canons. Etat de chose qui a abouti à cette réalité sociale partout où l’Européen s’est établi : « deux peuples différents, deux mondes vivent près d’un siècle l’un à côté de l’autre sans vraiment se rencontrer » (Emmanuel Dongala, Le feu des origines).

          Avant d’aller plus loin, disons tout de suite qu’il y a deux principes fondateurs de la vie coloniale : 1) ne jamais s’intégrer aux autres, dits sauvages, du fait évidemment de la supériorité de sa « race » ; la carnation différente des peuples d’Europe étant synonyme de la raison s’oppose aux autres carnations renvoyant à la nature, donc à la sauvagerie. 2) chercher constamment les moyens de maintenir sa domination en la rendant incontestable.

          Reconnaissons cependant qu’il y a une réelle difficulté, depuis les siècles passés, à trouver des récits sur la vie des colons. De toute évidence, les historiens d’hier et d’aujourd’hui sont plus attachés à leur travail de cabinet plutôt qu’à prêter attention à ce qui se dit autour d’eux. Or, souvent, la vérité de l’histoire n’est pas dans les récits officiels mais dans la vie des hommes. Au XVIIIe siècle, Condorcet conseillait à ceux de ses contemporains qui voulaient avoir une idée de ce qui se passait dans nos territoires des Amériques de ne pas interroger les colons sur leur mode de vie avec les esclaves qui les environnaient. « Faites-vous la violence de vous taire, disait-il, […] alors vous entendrez d’eux la vérité. Ils vous raconteront sans y penser, ce qu’ils n’auraient osé vous répondre » (Réflexions sur l’esclavage des nègres, note du ch. XII, Flammarion 2009). Le lecteur comprend donc que seules la patience et la persévérance dans la quête des traces laissées çà et là nous ont permis d’avoir un tableau de l’éducation des jeunes colons. En effet, les marques des soins pris à les former se retrouvent dans de nombreux romans et essais. Il suffit donc de prêter attention à ces écrits pour être éclairé sur le sujet.

Esclave nourricière

          Il y a un point commun entre la structure éducative de l’enfant blanc des colonies du XVIe siècle au XXe siècle. Durant tous ces siècles, les enfants étaient élevés par des esclaves ou domestiques noires. Et c’est ce caractère commun qui semble expliquer la permanence de la dureté des sentiments aussi bien que les valeurs ou les comportements que les parents exigent de leur progéniture au fur et à mesure qu’elle avance en âge. Nous pensons donc que pour mieux comprendre l’éducation du jeune colon, il convient d’avoir à l’esprit la catégorie de la population européenne qui s’installait dans les colonies pour y prendre racine.

                     Les caractéristiques de la population coloniale

          Si des indésirables ont été envoyés en Australie et ailleurs pour préserver la pureté de la race blanche en Europe à l’heure où l’eugénisme y faisait fureur, très souvent c’était la volonté de chaque royaume de s’approprier des territoires lointains qui l’a poussé à encourager l’installation de ses populations pauvres sur ces terres. Constituer des colonies, c’est aussi concrètement indiquer aux autres royaumes la marque de sa présence, donc le signe que le territoire vous appartient. Le discours de Victor Hugo à l’adresse des Français en mai 1879 au banquet anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France en est un très bel exemple. « Versez votre trop-plein dans cette Afrique, leur dit-il, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires ». Et dans les colonies des Amériques vouées à l’esclavage depuis le XVIe siècle, outre les aventuriers en quête de fortune rapide, ce sont également des familles pauvres qui acceptaient de gérer les plantations pour le compte des nobles et des riches bourgeois. « D’ailleurs, dit Condorcet, les habitations sont gouvernées par des procureurs, espèces d’hommes qui vont chercher la fortune hors de l’Europe, ou parce que toutes les voies honnêtes d’y trouver de l’emploi leur sont fermées, ou parce que leur avidité insatiable n’a pas pu se contenter d’une fortune bornée. C’est donc à la lie de nations déjà très corrompues, que les nègres sont abandonnés » (Réflexions sur l’esclavage des nègres, Ch. XII.). Ce sont donc presque tous des gens quelque peu lettrés – qui savent lire et écrire - et de moralité douteuse qui avaient la gérance des plantations des colonies. Et parce que « moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête » (André Gide, Voyage au Congo), il fallait s’attendre à ce que la volonté de puissance du colon soit plus aiguë et déraisonnable que chez le négrier-financier de la métropole. A cela, il faut ajouter le fait que jusqu’au XVIIIe siècle, les colons étaient presque partout minoritaires par rapport à la population servile et étaient donc animés d’un profond sentiment d’insécurité permanente. Et ce sentiment justifie la présence de deux autres catégories de la population européenne largement illettrée et inculte : les soldats des royaumes et les milices des planteurs. En effet, on ne peut passer sous silence la présence des militaires que les royaumes destinaient à la protection de leurs colonies à la fois contre les autres puissances et et aussi pour réprimer les éventuelles rébellions serviles. Enfin, « la surveillance du territoire et la poursuite des marrons (esclaves fugitifs) exigent la mobilisation coûteuse de milices de Blancs » (Aline Helg – Plus jamais esclaves, éd. La découverte, 2016) à la solde des colons.

          Sur les gravures que les artistes européens ont léguées à la postérité, on constate que ce sont presque toujours des esclaves noirs qui sont chargés d’infliger les supplices à l’esclave à punir. Cette popularisation de l’esclave bourreau à un objectif clair : montrer la sauvagerie de l’homme noir. Et pourtant, les nombreuses plaintes enregistrées dans les colonies visent les maîtres blancs et leurs milices blanches dont les fameux chasseurs d’esclaves marrons. Ces bourreaux blancs, presque absents dans l’iconographie de l’esclavage, sont omniprésent dans les récits des voyageurs et les comptes rendus des tribunaux.

                                              L’éducation à la violence

          Mais une chose est indéniable : partout dans les colonies, la proximité des Blancs avec les Noirs était permanente puisque les domestiques étaient quotidiennement sous les toits de leurs maîtres. Ainsi, depuis la naissance de l’enfant blanc jusqu’à son adolescence, et souvent même jusqu’à son mariage – pour les filles – une personne noire était attachée à son service. Si la domestique noire avait un enfant, celui-ci était élevé en compagnie de l’enfant blanc et lui servait de compagnon ou de compagne de jeu en grandissant. De nombreux écrivains ont fait de cette intimité des enfants blancs et noirs grandissant ensemble dans un cadre colonial un sujet de roman. Nous pouvons citer Philida d’André Brink, Les montagnes bleues de Philippe Vidal, et Un autre tambour de William Melvin Kelley. Il est à remarquer que ces amitiés d’enfance se sont presque toujours mal terminées. Et cela n’est pas étonnant parce que partout minoritaires, les Blancs tenaient à la perpétuation de leur pouvoir et donc à l’esprit sécuritaire qui les animait ainsi qu’aux techniques de leur domination sur les Noirs.

          Dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres, publié en 1781 sous le pseudonyme de Joachim Schwartz – un soi-disant pasteur biennois (Suisse) – Condorcet explique de façon très claire l’état d’esprit des colons qui dirigeait l’éducation des filles, des garçons, et même des épouses : « Souvent les nègres sont mis à la torture en présence des femmes et des filles des colons, qui assistent paisiblement à ce spectacle, pour se former dans l’art de faire valoir les habitations (les plantations) ». Et il ajoute : « la jeune Américaine assiste à ces supplices ; elle y préside quelquefois : on veut l’accoutumer de bonne heure à entendre sans frémir les hurlements des malheureux : on semble craindre qu’un jour sa pitié ne tente de désarmer le coeur de son époux ». Comme l’assure Jean-Paul Doguet dans son étude critique de cette œuvre de l’auteur, c’était effectivement un usage attesté chez les planteurs de faire assister épouses et enfants aux supplices d’esclaves, pour se prémunir du danger que représenterait une certaine sensibilité féminine et enfantine. Donc « les Blancs se permettent de tuer les marrons, comme on tue des bêtes fauves. […] Plus d’une fois on en a fait brûler dans des fours. […] Ces actions infâmes ne les déshonorent point entre eux, ils osent les avouer, ils s’en vantent, et ils reviennent tranquillement en Europe parler d’humanité, d’honneur et de vertu ». Cette absence de scrupule à donner publiquement la mort aux Noirs devant femmes et enfants s’exprimera par des photographies que les familles blanches échangeront à travers l’Europe du milieu du XIXe siècle jusque dans les années 1950.

          Il y a un aspect de cette éducation coloniale qui, apparu tardivement, mérite de retenir l’attention de toutes les familles de ce XXIe siècle : la relation entre l’enfant colon et sa poupée. Bien sûr, jouer à la poupée fait partie de toutes les cultures humaines. Il est seulement à noter qu’entre le XVIe et le milieu du XIXe siècles, les enfants noirs n’ont jamais connu cette complicité avec cet objet qu’on humanise au gré de son imagination ; l’une des spécificités de l’esclavage des Noirs dans les Amériques étant l’absence de cellule familiale sur une longue durée – particulièrement dans les colonies françaises, anglaises et hollandaises où le rachat de la liberté est chose exceptionnelle. Seuls des esclaves des colonies portugaises et espagnoles ainsi que les marrons ayant fui cette condition ont pu jouir d’une vie de famille devenue un privilège aux yeux des colons européens des Amériques. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que c’est seulement au milieu du XIXe siècle – vers 1848 – que sont apparues les premières poupées noires. Et elles ne seront fabriquées en série qu’à la fin des années 1960. Quant à l’enfant du colon, ont peut aisément croire qu’il a toujours tenu une poupée dans ses bras ; poupée souvent fabriquée par des domestiques noires. Mais voilà qu’au XIXe siècle, apparaît dans les sociétés d’Amérique du Nord une pratique qui vient compléter l’éducation de l’enfant colon.

          On note en effet que dans cette Amérique où le racisme et la ségrégation ont été longtemps érigés en principe social, au XIXe et au XXe siècles, les Blancs avaient coutume d’offrir à leurs enfants des poupées noires afin qu’ils apprennent à « les mutiler, les égorger, les couper entre les jambes, et aller jusqu’à les pendre ou les brûler » (Britt Bennett, Je ne sais pas quoi faire des gentils Blancs, édit. Autrement, 2018). Comme le disait si bien Bernstein, «l'amour et la violence n'étaient pas antinomiques, mais fréquemment interdépendants» (cité par Britt Bennett, idem). Cette pratique était même très vite devenue une mode et s'était diversifiée à travers tout le territoire américain : des poupées noires à abattre avec des balles de base-ball dans les foires, des effigies de bébés noirs servant d'appâts aux alligators, des publicités vantant les «poupées de chiffon Nigger» qui supportent bien la maltraitance.... Oui, il y a de la créativité dans la cruauté raciste !

          Il est donc clair que de même qu'à l'époque de l'esclavage les Blancs dressaient des chiens spécialement pour s'attaquer aux Noirs et les mettre à mort, de même au XIXe et au XXe siècles ils apprenaient à leurs enfants à mépriser les corps noirs afin de passer plus aisément à leur mutilation ou leur mise à mort. Raison pour laquelle n'importe quel Blanc qui tue un Noir dit toujours : « je croyais bien faire ».

          Quand de génération en génération on a été éduqué dans la haine du Noir, quand de génération en génération on a été éduqué à participer gaiement à des parties de chasse au nègre le dimanche après le culte, quand depuis l'enfance on a été éduqué à assister à des flagellations et à des pendaisons, quand on a appris à mutiler, égorger et pendre des poupées noires, à l'heure de la démocratie que fait-on de tout ce bagage culturel que l'on aimerait voir se perpétuer ? Eh bien, on s'engage dans la police pour accomplir légalement ce qui est interdit aux citoyens ordinaires. On comprend donc aisément, par exemple, que les partisans du Ku Klux Klan n'arborent plus des cagoules blanches coniques mais plutôt l'uniforme de la police pour poursuivre en toute impunité leur volonté d'éradiquer les Noirs du sol américain. Séduits par cette pratique de dissimulation, les suprématistes français semblent également avoir choisi cette voie pour s'exprimer impunément.

Raphaël ADJOBI         

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28 janvier 2021

Le "premier-né" de Raphaël ADJOBI est un essai sur l'enseignement du français

               Le "premier-né" de Raphaël ADJOBI

Les impliqués 1

Les impliqués 2

 

                                 © Electre 2021 (réseau de librairies)

« Un essai sur l’importance de l’apprentissage de la langue française et comment l’Education nationale échoue à l’inculquer, nuisant ainsi aux valeurs culturelles que la langue véhicule et aux réflexions qu’elle permet. L’auteur insiste sur le rôle des enseignants, critique l’enseignement personnalisé et évoque le surdiagnostic de la dyslexie et de l’hyperactivité ».

                    Lire l'article de Liss kihindou : valetsdeslivres

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17 janvier 2021

Un autre tambour (William Melvin Kelley)

                             Un autre tambour

                                   (William Melvin Kelley)

Un autre tambour - William Melvin Kelly

          Selon l’auteur, le titre du livre – Un autre tambour – fait référence à quelques vers d’un poème de l’Américain Henry David Thoreau disant « Quand un homme ne marche pas du même pas que ses compagnons, c’est peut-être parce qu’il entend battre un autre tambour » ; et les vers complétant cette pensée sont un encouragement à celui qui se trouve dans cette situation : « Qu’il accorde donc ses pas à la musique qu’il entend, quelle qu’en soit la mesure ou l’éloignement ». Le lecteur peut donc deviner à quoi il doit s’attendre s’il ajoute à ces vers le contenu de la quatrième de couverture précisant que dans ce livre « toute une population déserte une ville » après le geste d’un seul homme qualifié de fou. Aussi, plutôt que de donner ici une analyse de ce roman de William Melvin Kelley, nous nous limitons à dire tout simplement qu’il peut être dédié, avec beaucoup de reconnaissance, à deux catégories de personnes :

- A tous les Blancs qui, conscients de la différence de leur carnation, n’acceptent pas que les lois et autres mesures de l’État valident les injustices que soutiennent et revendiquent certains à l’égard de ceux qui n’ont pas leur couleur de peau. En effet, dans ce monde, nombreux sont les Blancs qui, devant les injustices, les humiliations, le refus de la prise en compte par l’Etat des spécificités des minorités visibles, se taisent, refusent de s’engager, ou parfois même poussent l’ignominie jusqu’à dire que les choses ont toujours été ainsi et que l’on ne peut rien y changer. Dans une société à majorité blanche, où femmes et hommes sont accrochés à leurs certitudes comme des moules à leur rocher, voir certains de cette communauté considérer les choses sous un autre angle et se dire « non, les choses ne peuvent pas continuer ainsi », cela mérite assurément un hommage appuyé. Car dans certains pays, ces Blancs sont « blacklistés », c’est-à-dire classés comme des traîtres de leur propre communauté.

- A ceux qui, continuellement exploités, humiliés et méprisés, décident un jour de briser la chaîne des injustices qui les frappent comme un sort éternel. Mais dans cette catégorie, il s’agit presque toujours d’un seul homme ou une seule femme osant poser le premier acte qui amorce le mouvement d’un autre, puis d’un autre encore jusqu’à ce que la chaîne brisée donne à la société un autre visage. Dans ce livre, c’est justement l’action incompréhensible – parce que brutale et inhabituelle – du premier modèle qui sert de fil conducteur au récit et tient le lecteur en haleine jusqu’au dénouement final. Ce modèle fait partie de ces héros qui permettent à d’autres personnes – Blanches ou Noires – de dire « sans votre acte de défi […], je n’aurais peut-être pas fait ce que j’ai fait » (Le feu des origines, Ch. V, Emmanuel Dongala), ou encore « Il s’est libéré : cela a été capital pour lui. Mais il m’a libéré aussi, d’une certaine manière » (propos d’un personnage blanc d’Un autre Tambour).

          Nous appuyant sur une conversation entre un jeune homme blanc d’ Un autre tambourdéçu par le jugement de sa mère sur les Noirs – et son père, nous disons ceci : à l’heure où Blancs et Noirs se côtoient quotidiennement dans les mêmes écoles et les mêmes universités, devant les propos méprisants et les choix injustes de certains adultes, il serait très agréable que les jeunes Blancs soient plus nombreux à dire à leurs parents « Je trouve assez injuste de votre part de m’envoyer à l’école fréquenter des Noirs, puis de me demander de rester un bon petit Blanc » avec des idées racistes. Et ce serait aussi très réjouissant d’entendre les parents répondre : « Tu as raison. Nous ne pouvons nous attendre à ce que tu sortes de l’école pareil à ce que tu as toujours été » parmi nous (p. 215 et 217). En effet, si l’école et la compagnie des autres ne nous changent pas, qu’est-ce qui peut faire grandir notre humanité ?

Raphaël ADJOBI

Titre : Un autre tambour, 283 pages.

Auteur : William Melvin Kelley

Editeur : Delcourt, 2019.

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13 janvier 2021

Trop de Raphaël ADJOBI en Côte d'Ivoire : une histoire d'usurpation d'identité (Raphaël ADJOBI)

               Trop de Raphaël ADJOBI en Côte d’Ivoire :

                      une histoire d’usurpation d’identité

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          Jusqu’à la fin des années 1990, Bonoua était une commune où presque tous les jeunes se connaissaient. J’étais indiscutablement le seul Raphaël ADJOBI connu dans cette ville. Donc normalement, il ne peut exister sur cette terre deux Raphaël ADJOBI né à Bonoua et ayant plus de 55 ans ! Mais chose extraordinaire, aujourd’hui, il y a une dizaine de Raphaël ADJOBI dans le monde ayant à peu près mon âge – au regard de leur physique repéré sur Internet (4 aux Etats-Unis !).

          De l’ethnie abouré, le nom ADJOBI est déjà rare. Cette ethnie peuple les villes de Bonoua et Bassam, et les villages de Moossou, Yahou, Adiaho, Ebra et Vitré. Tous mes amis qui ont fait leur scolarité à Bassam m’assurent n’avoir jamais connu un autre Raphaël ADJOBI. D’ailleurs, le prénom Raphaël était aussi très rare en Côte d’Ivoire, à mon époque. Mis à part l’ancien ambassadeur français Jacques Raphaël Leygues et un camarade de classe en sixième, durant toutes mes années passées en Côte d’Ivoire, jamais je n’ai rencontré et n’ai entendu parler d’un autre Raphaël. Comment est-il donc possible de trouver aujourd’hui une dizaine d’Ivoiriens s’appelant Raphaël ADJOBI et ayant à peu près mon âge ? C’est cette question sans réponse qui justifie ce billet. Mais j’ai des raisons personnelles de m’inquiéter et soupçonner certains d’usurpation d’identité.

          En 1978, après deux années d’études en France, je bénéficie d’un billet de vacances en Côte d’Ivoire. Je profite de l’occasion pour aller retirer l’original de mon diplôme de baccalauréat qui m’était exigé pour une inscription à l’université d’Abidjan. En effet, j’avais alors la ferme intention de poursuivre en Côte d’Ivoire mes études de lettres modernes que je menais en France parallèlement à celles de l’espagnol.

          Parce que je bénéficiais toujours de ma bourse pour mes études en espagnol en France, et aussi parce que la fin de validité de mon billet approchait, j’ai finalement pris la décision de rentrer en France ; mais sans prendre la peine d’aller retirer mon dossier d’inscription à l’université d’Abidjan. Depuis cette date, j’étais certain de trouver en Côte d’Ivoire plusieurs personnes – physiquement proche de mon âge - portant le même nom et le même prénom que moi. Le vol de diplôme ainsi que la falsification des actes de naissance sont choses courantes en Côte d’Ivoire (et dans un autre pays réputé que je ne nommerai pas). Et immanquablement, ce qui était attendu est arrivé.

          Retenez que si vous connaissez un autre Raphaël ADJOBI que moi né le 10 mai à Bonoua, c’est une preuve indubitable que c’est un usurpateur. (Cliquez sur ma photo pour m’écrire)

          Si vous connaissez un autre Raphaël ADJOBI ayant obtenu son baccalauréat en Côte d’Ivoire en 1976, c’est sûrement un usurpateur. (Cliquez sur ma photo pour m’écrire).

          Une chose est certaine, tous ceux qui ont changé de nom sont connus dans leur famille, dans leur village et parmi leurs connaissances. Changer de nom et prénom à l’âge adulte, cela ne peut pas se cacher trop longtemps. Les gens finissent par se poser des questions. Si vous volez un diplôme de baccalauréat, personne ne peut dire qu’il a été votre camarade de classe dans le primaire, au collège ou au lycée. Testez tous les Raphaël ADJOBI autour de vous et vous verrez. Commencez par leur demander leur date de naissance et l'année d'obtention de leur baccalauréat et vous verrez leur comportement. Il n'y a pas deux Raphaël ADJOBI ayant obtenu le bac en 1976 !  

          Mon parcours scolaire est le suivant : collège Voltaire - collège saint-Simon - Collège de Cocody - Lycée classique d'Abidjan. Si vous avez connu un camarade de classe qui s’appelait aussi Raphaël ADJOBI, dites-moi dans quel établissement et en quelle année. Merci. (Cliquez sur ma photo pour m’écrire). 

° Vous vous appelez aussi Raphaël ADJOBI, vous devez m'aider à éclaircir le problème. Vous avez le devoir de vous poser des questions.

Raphaël ADJOBI
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Posté par St_Ralph à 10:32 - Actualités ivoiriennes - Commentaires [2] - Permalien [#]

10 janvier 2021

Le feu des origines (Emmanuel Dongala)

                           Le feu des origines

                                             (Emmanuel Dongala)

Le feu des origine - Emmanuel Dongala

          N’est-il pas vrai que nous convenons tous, au regard de nos connaissances actuelles, que l’Afrique est le berceau de l’humanité ? Alors lire Le feu des origines c’est découvrir comment l’homme est apparu sur ce continent, comment il a évolué dans les premières sociétés jusqu’à sa rencontre avec son lointain descendant se disant Blanc. Pour réussir le récit de cette évolution de l’homme, Emmanuel Dongala prend à rebours l’annonce de la naissance divine de Jésus, conçu dans la virginité de Marie ! On assiste alors à un vrai chemin de croix du héros. Une belle fiction d’un pan de l’histoire de l’humanité qu’il convient de découvrir sous l’angle du regard d’un Africain pétri par les récits de sa terre natale.

          Au commencement des sociétés humaines, à l’image de Jésus, le héros du récit comprend – en cherchant la puissance qui se cache derrière les choses – que « pour construire, il faut détruire. […] et qu’ il faut souvent partir pour mieux revenir ». En effet, la personnalité de Mankunku bouscule les habitudes séculaires que son clan veut maintenir immuables quand bien même ces habitudes froissent terriblement certains individus. Pour lui, les choses sont claires : « entre préserver ce qui nous est commun et se soumettre aveuglément à des ancêtres morts, il y a quand même une grande marge ». Il choisira donc ce qui peut préserver et nourrir le présent plutôt que la soumissions au passé. Belle réflexion à méditer par les Français blancs accrochés à des certitudes et aux statues de quelques ancêtres comme des moules à leurs rochers.

          D’ailleurs, aucune société ne vit indéfiniment repliée sur elle-même. Un jour où l’autre, une jonction s’établit avec un peuple inconnu. Et c’est ce qui se produit quand des hommes rouges débarquent avec la ferme volonté de coloniser la terre du clan de Mankunku. Ces hommes recrutent des miliciens parmi les ethnies soumises et entreprennent d’étendre leur domination en terrorisant les populations pour obtenir d’elles une matière qui semble avoir une très grande valeur à leurs yeux : le caoutchou ! Parce que la vie de tout le monde était entièrement consacrée à la récolte de ce produit, les femmes n’avaient « plus le temps de cultiver le manioc, les arachides ou les ignames » nécessaires à l’alimentation de la famille. Partout, l’administration de l’étranger rouge n’avait qu’une solution à toutes les situations qui se présentaient : la force, la violence ! Bientôt, les étrangers apprennent au clan de Mankunku que tous font partie de leur pays appelé la mère patrie et qu’ils doivent aller la défendre. C’est ainsi que les populations africaines accompagneront les Français sous tous les cieux pour défendre leurs intérêts. Puis, un autre jour, on les couvrit de médailles et on leur annonça « l’indépendance ». Mankunku ne vit pas la différence. Il était alors temps pour lui de se demander ce qu’il pourrait attendre de cette Afrique dite traditionnelle qui semblait être une « société dont l’idéal était sa propre perpétuation ».

          Emmanuel Dongala signe ici un récit magnifique que les enseignants – et tous ceux qui veulent avoir une idée précise de la colonisation – doivent lire pour apprécier la magnifique démonstration de puissance de l’Européen sur le continent africain, grâce aux armes à feu. Mais il laisse aussi croire au lecteur que les Africains postcoloniaux – comme ceux d'avant la colonisation – sont condamnés à se battre contre certaines traditions qui les empêchent de prendre leur envol. En effet, ils sont obligés de se répéter que entre préserver ce qui leur est commun et se soumettre aveuglément à des pratiques qui bafouent la liberté de chacun de vivre avec qui il veut, il y a quand même une grande marge. Le feu des origines apparaît donc comme une histoire de l’humanité qui semble un éternel combat.

Raphaël ADJOBI

Titre  : Le feu des origines, 292 pages.

Auteur  : Emmanuel Dongala

Editeur : Actes Sud, 2018 (Première publication, 1987, Albin Michel).

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Posté par St_Ralph à 17:48 - Littérature : romans - Commentaires [6] - Permalien [#]