25 novembre 2011
Galadio (un roman de Didier Daeninckx)
Galadio
(un roman de Didier Daeninckx)
Même si ce roman est une fiction construite « à partir d'une très solide documentation » (l'éditeur), la figure de Galadio se dressera dans l'esprit de tout lecteur comme l'image d'une vérité historique lancée à la face du monde au même titre que le livre d'Anne Franck. C'est, de toute évidence, un livre qui dit des vérités poignantes inconnues dans la littérature française et qu'il faut absolument découvrir. Sans exagérer, on peut dire que l'ignorer, c'est fermer les yeux sur un pan de l'histoire des deux dernières guerres et par voie de conséquence un pan de l'histoire humaine du XXè siècle.
Pourtant, une fois le livre refermé, on pourrait ne retenir que l'expression de deux amours puissants. Le jeune Ulrich Ruben, né des amours d'une Allemande et d'un soldat africain de la première grande guerre, vit pauvrement avec sa mère qui travaille de nuit dans une usine de la petite ville de Duisbourg. Quelle peut être la vie d'un adolescent métis et d'une jeune mère allemande montrée du doigt pour avoir fréquenté « un gaulois noir » ? C'est ce que Didier Daeninckx propose aux lecteurs dans les premières pages de ce livre. Des pages tendres et émouvantes. Des pages dures comme les vérités de l'histoire pour tous ceux qui ont connu la guerre ou qui la redoutent sincèrement.
A vrai dire, le jeune Ulrich Ruben sait qu'il est aussi Galadio, ce nom venu du fond de l'Afrique que lui a confié en secret son père et qu'il porte en lui comme le signe de sa singularité ; secret qu'il dévoilera à Déborah, cette jeune fille juive qui saura partager sa peine quand il deviendra plus qu'un paria pour la société allemande aux heures terribles de l'éveil du nazisme. En effet, Galadio sera pris en chasse quand sera mis en place un programme spécial destiné à tous ceux qui rappellent à la mémoire du pouvoir allemand le passage des soldats africains sur son sol. Traqué par les nazis, il découvrira le sort réservé aux jeunes gens de son espèce avant d'être embarqué dans une aventure cinématographique insoupçonnée qui le conduira en Afrique. La découverte brutale de la terre qui a vu naître son père lui demandera beaucoup d'humilité et d'abnégation pour devenir ce qu’il n’a jamais imaginé être. Mais bientôt la deuxième guerre gronde ; et c'est de l'Afrique qu'il voit venir le vent de la déflagration mondiale.
A ce moment du livre, l'auteur met l'accent sur un passage de l'histoire de la France que la très grande majorité des Français ignore. Il s'agit de la guerre franco-française à laquelle se sont livrés sur le sol africain les partisans du maréchal Pétain et ceux de Charles de Gaulle. Et c'est là, en terre africaine mais française que Galadio, le jeune "Boche bronzé", va prendre le parti de l'armée de son père sans perdre l'espoir de retrouver sa mère et Déborah.
On peut croire que pendant longtemps, Galadio restera dans la mémoire de nombreux lecteurs. Il est certain que Didier Daeninckx vient d’ouvrir avec ce livre - qui est bien plus qu’un roman - une page de l'histoire qui n'attend que d'être lue pour retrouver dans les coeurs et les mémoires la considération qu'elle mérite.
Raphaël ADJOBI
°Recommandation : Pour s'informer sur la guerre franco-française en Afrique, il faut écouter sur "France Inter" l'émission La marche de l'histoire du mercredi 23 novembre 2011 à 13h30 :Radio Brazzaville, une voix de la France Libre.
Titre : Galadio, 154 pages
Auteur : Didier Daeninckx
Editeur : Gallimard, collection Folio.
13 novembre 2011
Le Négrier, roman d'une vie (Lino Novàs Calvo)
Le Négrier, roman d’une vie
(Lino Novàs Calvo)
Un roman riche d’enseignements. Très riche ! A travers la vie de Pedro Blanco, un jeune espagnol qui rêvait d’être marin mais qui va devenir négrier, c’est tout l’univers des jeunes européens des siècles de l’esclavage que le lecteur découvre. Une vie de marin avec l’Afrique comme espoir de richesse. Cependant, l’inégale longueur des trois parties du récit peut générer quelque lassitude si le lecteur ne se laisse pas aiguillonner par l’extraordinaire destin du personnage principal annoncé par le titre de l’ouvrage.
Quand à quatorze ans, forcé de fuir Màlaga en se jetant littéralement à la mer, Pedro se hisse à bord du premier navire du port, il comprend – en même temps que le lecteur – que sa vie ne sera plus celle d’un terrien. Pour tous, il était trop maigre pour être utile comme marin. Toutefois, il trouvera des yeux compatissants pour faire de lui un mousse ; et d’un navire à l’autre, il découvrira la violence, les vols et la prostitution qui étaient les dangers ordinaires des ports européens où s'exhalait un parfum de commerce négrier des corps et des lèvres de ceux qui revenaient d’Afrique, du Brésil et des Caraïbes. Il se prit donc à rêver d’aventures lointaines. D’ailleurs, son oncle Fernando ne lui promettait-il pas un destin de marin ?
Pedro va sillonner la Méditerranée et l’Atlantique et découvrir que dans les ports européens, de Bilbao à Liverpool en passant par Nantes, partout, de nombreux pêcheurs sont devenus des négriers. Puis il embarque pour le Nouveau Monde. Il découvre Terre Neuve et la difficile et laborieuse tentative de sédentarisation de groupuscules de marins et de pirates. Sa vie aventureuse et trépidante le conduit plus tard à Récife qui était alors le premier port négrier du Brésil. La découverte des premiers haras humains où les blancs s’unissent à des négresses pour obtenir des femmes métisses très recherchées dans les hautes sociétés coloniales va réveiller l’âme de pirate qui dormait en lui et il décide de devenir voleur d’esclaves et contrebandier. Mais sa tentative de former une bande échoue lamentablement et le voilà en fuite embarqué sur le « Cinturon de Venus » pour Ouidah, au royaume de Dahomey qui était alors le centre de la traite en Afrique occidentale.
Naviguant désormais entre le Nouveau monde et l’Afrique, Pedro va apprendre à connaître les fourberies des armateurs et des actionnaires, la concurrence impitoyable entre les négriers et leurs techniques pour s’arroger les marchés sur le continent noir. Il achète et vend des esclaves en Afrique, combat des pirates et des croiseurs abolitionnistes. A 27-28 ans, il était devenu un homme dur au cœur insondable et réunissant toutes les qualités d’un bon négrier.
A ce stade des aventures de Pedro Blanco, le lecteur ne manquera pas de noter l’extraordinaire encombrement de l’Atlantique par les navires négriers et l’intense activité commerciale aussi bien sur les côtes africaines que dans les îles. Les différentes îles des Caraïbes ressemblaient en effet à de véritables foires où se retrouvaient toutes les nationalités après leurs séjours dans les factoreries ou esclaveries africaines. De nombreux soldats qui avaient pris part aux guerres napoléoniennes étaient devenus négriers ou pirates. Sur ces terres d’exil, « les dogmes se dissolvaient comme par magie. On venait là comme à une salle de jeu, où un prince pouvait trinquer avec un brelandier ». Là, les négriers s’informaient des résultats des factoreries établies sur les côtes africaines. « A cette date, il y aura des nègres à tel ou tel endroit […], à cette autre date, la guerre préparées par les facteurs et les prêtres peut avoir éclatée ». Chacun savait où se présenter en prenant la mer. Aussi, dans les tavernes de la Havane, devant les efforts des abolitionnistes qui arraisonnaient les négriers, libéraient les esclaves et démontaient les bateaux, certains marins croyaient la fortune toujours possible : « Abolition ? dit un pilote négrier. Abolition. Bobard ! On continuera à charrier des nègres jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en mettre un sur l’île ».
Grisé par l’atmosphère des îles, Pedro n’abandonne pas l’idée de s’ouvrir la voie d’une fortune rapide. Il décide qu’il sera pirate et manoeuvrera à la recherche d’éventuels négriers à déposséder. Il rassemble les marins les plus discrédités de la Havane et constitue un équipage qui possédait de la bravoure et avait la soif de la richesse au fond de l’âme. Mais une nouvelle fois encore, il échoue lamentablement. Il décide alors de viser plus haut. Il sera roi ! Séduit par la fortune de trois négriers métis royalement installés sur les côtes et qui possédaient des barracons remplis de captifs et des harems, tout à coup, « la société des blancs lui était (devenue) odieuse », et il trouve qu’il « était mulâtre dans l’âme » et donc capable de réussir en Afrique. Il s’installe aux Gallinas, multiplie les esclaveries et les contacts avec les rois nègres de la région. Bientôt, le voilà craint et respecté ! Les armes distribuées produisaient des esclaves. Mais la concurrence était rude et les navires abolitionnistes de plus en plus présents sur les côtes d’Afrique…
L'intérêt du livre :
Ce qui retient l’attention dans ce livre, c’est tout d’abord la richesse des informations sur le monde marin au 19 è siècle : l’atmosphère des ports négriers européens, la vie sur les côtes africaines où ça et là naissaient des esclaveries pauvres gérées par des naufragés européens, des aventuriers qui rêvaient de devenir riches dans le commerce des esclaves, la guerre des abolitionnistes sur les mers. On apprécie également les nombreuses informations sur la naissance du Libéria et la Sierra Léone ainsi que l’implantation dans ce dernier territoire de prostituées anglaises. Cette foule d’informations jointe à la vie trépidante du héros finit parfois par donner le tournis. Mais quand on relève la tête, on en redemande ! La deuxième chose que le lecteur aura toujours à l’esprit et le confortera dans ses découvertes, c’est que ce livre est le récit de la vie d’un négrier qui a vraiment existé. C’est une « biographie romancée » qui n’a rien à voir avec la supercherie de William Snelgrave (Journal d'un négrier au XVIIIè siècle) qui se disait négrier mais dont on n’a jamais retrouvé les traces dans les archives maritimes ni nulle part d’ailleurs. Toutefois, quelques brefs passages du livre montrent que Lino Novàs Calvo a lu l'auteur anglais et n'est pas resté insensible à certaines de ces peintures de l'Afrique. Enfin, la troisième chose qui ne peut que réjouir le lecteur, c’est le fait que ce livre a été publié pour la première fois en 1933 à Cuba sous le titre Pedro Blanco, el Negrero ; ce qui prouve sa proximité temporelle avec les événements rapportés. C’est en effet en 1839 que Pedro Blanco quitte l’Afrique. Il avait alors 46 ans. Il mourra en 1854 à 61 ans. Ce qui veut dire qu’au moment de la rédaction du livre, de nombreux acteurs de la traite Atlantique vivaient encore et pouvaient juger de la véracité des faits qui y sont rapportés au moment de sa publication. Enfin, il convient de signaler les notes explicatives très instructives sur les événements historiques de cette première moitié du 19 è siècle ainsi que les grandes dates de l’histoire de cette traite négrière qui sont données à la fin de l’ouvrage. C’est donc assurément un livre qu’on n’oublie pas après l’avoir refermé.
Raphaël ADJOBI
Titre : Le Négrier, roman d’une vie, 316 pages
Auteur : Lino Novàs Calvo
Editeur : Autrement Littératures, 2011
06 novembre 2011
Notre paix sera la mort de l'Europe (Réflexion)
Notre paix sera la mort de l’Europe
Les nombreux livres sur la traite négrière atlantique que l’on trouve désormais en librairie depuis cinq ou six ans ainsi que l’histoire récente des nations africaines laissent apparaître une constante : la présence de la figure de l’Europe au centre des guerres entre les différents peuples du continent africain. Le schéma de cette relation ou de ce mariage houleux à trois est donc vieux de cinq siècles.
Certes, l’histoire des autres continents ne révèle pas moins de guerres ou un visage plus pacifique. Certaines guerres portent d’ailleurs leur durée comme nom : Guerre de Sept ans, Guerre de Cent ans. On note aussi que la très grande majorité des héros européens à la gloire desquels ont été élevées des statues sont des anciens soldats. En clair, ce que les peuples européens magnifient le plus dans leur mémoire ce sont les guerres qu’ils ont dû livrer les uns contre les autres. Cependant une chose est à remarquer : ces guerres sont presque toutes - sinon toutes - des guerres de voisinage avec parfois le soutien d’un autre voisin ou d’un vassal ; mais jamais elles n’ont eu pour instigateur un peuple lointain ayant pour objectif le dépouillement du vaincu et la domination du vainqueur.
Outre celles qui peuvent être classées comme des querelles familiales, les guerres européennes étaient donc des guerres d’expansion ou de reconquête territoriale. On cherchait ça et là à sécuriser les voies d’accès aux richesses (la route de la soie, des épices). Rome a étendu sa domination à l’est jusqu’au Moyen-Orient et à l’ouest jusqu’en Gaulle. Au 19è siècle, Napoléon s’est fait sienne cette même visée expansionniste avant d’être définitivement défait par les Anglais. Il faut dire que déjà, les peuples commençaient à se reconnaître dans des frontières nationales. Et c’est justement ce sentiment national qui va peu à peu construire la paix entre les peuples et faire apparaître le caractère injuste des guerres. C’était déjà le sentiment d’une entité nationale agressée qui souleva les Madrilènes contre Napoléon au 19è siècle ; et c’est ce même sentiment qui, au 20è siècle, mit fin à l’avancée du nazisme qui voulait renouer avec les guerres d’expansion romaine et napoléonienne.
Quant aux guerres africaines, telles qu’elles nous apparaissent dans les récits oraux qui nous sont parvenus, elles obéissaient au départ au même schéma que les guerres traditionnelles connues à travers la terre entière. Elles étaient aussi le fait de querelles familiales, de voisinage ou d’une volonté d’expansion pour asseoir sa puissance et jouir d’un plus grand prestige. Dominer le monde était et reste le rêve de tous les puissants.
C’est à partir du 16è siècle que l’Afrique ne va plus connaître ce schéma classique de la guerre. Désormais, un acteur étranger, l’Européen, tel un dieu au-dessus de la mêlée, va sillonner ce continent, piquer l’un, flatter l’autre, pour entretenir les litiges et faire naître des raisons de mener des guerres. Il est même étonnant de lire dans tous les livres traitant de l’esclavage des nègres à quel point les négriers européens vivaient dans la hantise de voir la paix s’établir entre les peuples africains. Ce court extrait de la lettre du représentant en Afrique de la Compagnie du Sénégal adressée à Paris lors des querelles de successions après la mort du roi de Cayor illustre bien cet état d’esprit général : « Et comme ces deux frères ne sont pas toujours unis pour agir par un même principe et selon leurs intérêts communs, il sera facile au Directeur particulier de Gorée de les entretenir de manière que quand l’un voudrait le mauvais et interdire le commerce (des esclaves), on soit sûr de le faire avec l’autre et même l’engager dans nos démêlés particuliers […]. Surtout, il faut empêcher que ces deux couronnes ne soient jamais sur une même tête. » (1) En d’autres termes, il faut éviter que les deux princes parviennent à s’entendre et vivent dans la paix ! Voilà la devise « diviser pour régner » érigée en principe politique. Et pour éviter la paix entre les nègres, comme le dit si bien Lino Novàs Calvo dans Le Négrier, Roman d’une vie (éditions Autrement Littérature), « l’important était de corrompre les chefs puis de leur fournir des armes – car les armes produiraient la guerre » et la guerre le commerce des esclaves. C’était aussi simple que cela !
En lisant ces lignes, le lecteur d’aujourd’hui se dit sans doute : « Quelle horreur ! Quelle attitude criminelle ! » Devant ces cris d’indignation, je me dis alors : posons-nous la question de savoir pourquoi l’Europe pérennise une pratique que la conscience humaine moderne nourrie d’humanisme considère comme une injustice, voire un crime. Quel est cet intérêt supérieur à la conscience humaine qui nous fait applaudir les opérations de nos soldats en terres étrangères comme dans les siècles passés ?
Quand nous sommes en paix et qu’aucun ennemi ne nous menace, quel intérêt peut nous inciter à prendre les armes contre l’autre ? Il me semble que seul cet instinct animal singulier dont l’homme est doué et dont il abuse et qui s’appelle la peur du manque ou le désir de toujours vouloir plus - que certains nomment complaisamment « la prévoyance » - peut expliquer cette course à l’appropriation des biens d’autrui. « Le rôle d’un président, dit Barack Obama, c’est de veiller à ce que son pays ne soit pas en manque des ressources qui lui sont nécessaires ». Par ces quelques mots, le président des Etats-Unis d’Amérique traduit la préoccupation de tous les occidentaux : la course aux ressources minières et énergétiques des pays non industrialisés. Que chacun comprenne une fois pour toutes que pour les occidentaux, les autres peuples sont là pour pourvoir aux besoins de la société de consommation !
Pendant deux ou trois décennies, tout le monde a cru que l’humanité tout entière était entrée dans une ère de fraternité irréversible et que par elle la justice s’établirait entre les nations. Or, aujourd’hui, les pompes aspirantes jetées sur les pays pauvres au 19è siècle menacent de se déconnecter des sources d’approvisionnement. L’Occident menace donc ruine, se dit-on, si ses besoins en matières premières et en énergies de toutes sortes ne sont pas garantis. Il devient par conséquent urgent de forcer l’Afrique qui en dispose en quantité considérable à les céder à ceux qui en ont besoin. Son développement à elle peut attendre.
Alors, pour y parvenir, on remet au goût du jour le caractère juste des guerres. Comme dans la fable du « Loup et l’Agneau » de La Fontaine, on invente tant bien que mal des arguments justificateurs : tel menace la sécurité de l’Europe ; tel autre est un dictateur qui maltraite son peuple ; celui-là n’est pas assez démocrate. Et voilà l’Europe repartie pour resserrer l’étau de sa domination de l’Afrique acquise au 19è siècle alors que les Africains croyaient qu’il se desserrerait progressivement et sûrement au nom de l’indépendance des peuples à s’assumer eux-mêmes. Hier, les guerres africaines menées à l’instigation des Européens produisaient des esclaves ; aujourd’hui, les guerres menées sur ce continent produisent des matières premières à vil prix.
Devant cette désillusion, que reste-t-il à l’Afrique comme moyen d’action pour la reconnaissance de son intégrité ? Comme l’appelait de ses vœux l’ancien président de l’Afrique du Sud, M. Thabo Mbeki, il faut que dans tous les pays africains, les peuples s’organisent dans des manifestations gigantesques pour crier leur indignation et leur refus du sort que leur réservent les puissants de ce monde. C’est la façon la plus claire de lancer à la face des peuples de la terre, en particulier ceux d’Europe, un vibrant appel au réveil de leur conscience face aux crimes commis en leur nom. Au regard des « mouvements des indignés » qui se multiplient dans les sociétés occidentales, on peut croire que les peuples de l’Occident sont prêts à comprendre l’Afrique si celle-ci lançait à son tour un grand cri d’indignation contre la prédation dont elle est victime. Mais pour cela, il faut absolument que l’Afrique elle-même se réveille. Cela suppose qu’elle retrouve une grande unité et une grande solidarité dans ses revendications à l’égard de l’Europe. Si l’Afrique continue à faire la morte, rien ne changera ; quand elle se réveillera, l’Europe tremblera.
1. Labat (R.P.), Nouvelle Relation de L’Afrique Occidentale, T. IV, p. 250 ; cité par Tidiane Diakité in « La traite des Noirs et ses acteurs africains », p. 102.
Raphaël ADJOBI
30 octobre 2011
La liberté perdue des médias français
La liberté perdue des médias français
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Les pages politiques de Raphaël
11 octobre 2011
L'expression du métissage dans la littérature africaine (Liss Kihindou)
L'expression du métissage
dans la littérature africaine
Comme la rencontre de deux éléments différents, celle de deux cultures s'expose aux mêmes lois : soit une fusion complète dont le résultat n'a rien à voir avec la nature de l'un ou l'autre élément, soit une lutte pour la suprématie. Dans ce dernier cas, au final, l'élément victorieux présente toujours un visage bien altéré par cette rivalité. C'est le visage grimaçant de ce mélange ou de ce "métissage" que Liss Kihindou explore dans la culture africaine et ses formes traditionnelles de transmission des connaissances, puis dans le fruit de l'union charnelle du Blanc et du Noir, et enfin dans l'acte d'écriture. Et tout cela à travers trois oeuvres de littérature d'expression française : L'Aventure Ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Le Lys et le Flambloyant (Henri Lopes) et Les Soleils des Indépendances (Ahmadou Kourouma).
Les trois œuvres qui ont servi de support à cette étude montrent clairement, selon l’auteur, que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique a été vécue comme « une occidentalisation » de cette dernière. Aussi se dégage-t-il, avant tout, de cette littérature l’impression d’une farouche opposition à « l’école » qui constitue l’institution clef de cette « occidentalisation ». Aux yeux surtout des tenants de l’enseignement coranique, véhicule d’une tradition ancestrale - culturelle et religieuse – c’est l’enseignement du savoir qui est vécu comme une dépossession. Par voie de conséquence, c’est l’extinction des connaissances et des valeurs religieuses de tout un peuple qui motive leurs imprécations contre l’école européenne.
La lecture de cette première partie des analyses de l’auteur fait prendre conscience de la raison profonde du désamour que la littérature africaine a laissé dans le coeur de bon nombre de personnes depuis les classes du lycée. « Il faut noter que, dit Liss Kihindou, s’agissant des valeurs de l’Afrique, sa religiosité est toujours mise en relief, et ce aussi bien dans le discours africain que le discours européen ». Et c’est justement ce que de nombreux lecteurs n'ont pas apprécié dans cette littérature africaine du milieu du XXè siècle. Jamais ils n'ont eu le sentiment d'être pris en compte par cette littérature dont les auteurs étaient essentiellement de tradition musulmane ! Les peuples africains musulmans ont toujours cru à tort que l’islam était inhérent à l’homme africain. Les peuples des forêts, chrétiens et catholiques, n’ont jamais attaché de manière aussi forte l’image de l’homme noir à sa pratique religieuse. D’ailleurs ceux-ci pratiquent souvent à la fois l’animisme et le christianisme sans jamais avoir le sentiment de damner leur âme. Alors que dans la vie quotidienne, chez tous les musulmans – du moins au regard des textes – « les différents comportements ne traduisent tous qu’une seule et même préoccupation : la recherche de l’attitude la meilleure » pour ne pas donner l’impression de renoncer à leur culture. Pour eux, la légitime préservation de cette marque identitaire devient une obsession au point où l’on peut se demander, pour paraphraser l’auteur, si le brassage des cultures doit absolument se traduire en termes de « victoire » ou de « défaite ». Devant cette obsession, il semble donc juste que certains peuples des forêts se sentent étrangers aux sentiments développés dans cette littérature.
Il est évident que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique noire a également entraîné un « métissage entre les populations » que l’on pourrait appeler le métissage du sang. Le chapitre consacré à l’étude de ce phénomène dans la littérature africaine est fait d’arguments bien choisis, d’analyses justes et fort précises. On devine aisément à travers ce travail que Le Lys et le Flamboyant d’Henri Lopes est porteur d’un message éminemment éloquent sur la condition du métis en Afrique noire que Blancs et Noirs devraient lire pour saisir au plus juste leur part de responsabilité dans le trouble existentiel des métis. Ceux-ci, nés à l’époque coloniale, ne pouvaient qu’être écartelés entre deux mondes. « Tous en général éprouvaient ce sentiment d’être plus africains qu’européens (mais) n’étaient pas insensibles aux avantages dont ils pourraient bénéficier s’ils étaient considérés comme Blancs ». Pouvons-nous nous permettre de dire aujourd’hui que ce sentiment du métis – qui a souvent manqué de l’affection paternelle parce que presque toujours abandonné – a évolué parce que le brassage des populations est devenu chose plus courante en ce début du XXIè siècle ? En tout cas, c’est un chapitre très intéressant et original qui donne envie de lire Le Lys et le Flambloyant.
Enfin, le dernier métissage objet de l’étude de cet ouvrage touche au visage de la langue française dans la littérature africaine. La difficulté à rendre compte des pensées et des images véhiculées par les langues locales est un des éléments que les auteurs d’Afrique noire n’ont pas manqué de relever ça et là. Liss Kihindou relève chez ces écrivains des subterfuges pour contourner la langue française académique afin d’être au plus près du mode de penser local. Certes, toute « langue, à elle seule, suffit à illustrer la culture qu’elle représente », remarque-t-elle. De ce fait, on comprend fort bien les récriminations des auteurs africains. Mais on est en droit de se demander si la difficulté qu’ils semblent présenter comme un crime contre les langues africaines n’est pas une difficulté universelle liée au fait de penser dans une langue et vouloir s’exprimer dans une autre. D’autre part, cette difficulté ne serait-elle pas aussi liée au passage de l’oralité à la transcription écrite que connaît l'Afrique ?
Ce petit livre est certes technique dans l’approche de son sujet. Mais sa lecture se révèle très plaisante et suscite des interrogations et surtout des réflexions sur les choix des cultures que les auteurs africains défendent contre « l’occidentalisation ». Nous savons que les musiques venues du Sahel, abondamment diffusées sur les ondes françaises et présentées comme l'exact reflet de la culture africaine ne sont pas du goût de tout le monde. Il serait donc bon de ne pas faire de la littérature africaine de culture musulmane le canon officiel de la littérature africaine pour éviter de dresser contre elle le ressentiment de nombreux lecteurs qui la considèrent à certains égards comme une littérature étrangère. Cette littérature ne rend compte, en effet, que d'un aspect du visage multiple de l'Afrique face à "l'occidentalisation".
Raphaël ADJOBI
Titre : L'expression du métissage dans la littérature africaine (88 pages)
Auteur : Liss Kihindou
Editeur : L'Harmattan, 2011
24 septembre 2011
Les Africains-Français à la recherche d'une plateforme de combat pour l'avenir
Les Africains-Français à la recherche
d’une plateforme de combat pour l’avenir
Le 10 septembre 2011 s’est tenue à Paris, rue Gobaut, l’avant-dernière réunion du « Mouvement des Africains-Français ». Prévue à 15 h, elle n’a débuté qu’à 16 h. La ponctualité serait donc à surveiller afin d’encourager la participation de ceux venant des provinces. Une cinquantaine de personnes avaient fait le déplacement ; ce qui est réjouissant.
La réunion a débuté par une introduction de la maîtresse des lieux : Calixthe Beyala, qui a mis sa notoriété au service du mouvement comme fer de lance. Elle reviendra quelque temps plus tard pour un brillant et provoquant exposé sur l’attitude des Africains en général face à l’évolution du monde.
Mais pourquoi donc les Africains sont-ils des ardents partisans de l’inertie ? Pourquoi rien ne les réveille en masse et ne les met en mouvement ? Rien que la peur ne peut expliquer cette attitude, clame Calixthe Beyala. L’Africain vit avec la peur au ventre ! Il n’y a plus d’hommes en Afrique, lance-t-elle. Un homme doit veiller sur sa femme et ses enfants et leur procurer de quoi manger, de quoi se vêtir. C’est pourquoi le "petit Blanc" prend les armes pour aller en Afrique chercher ce qui manque aux siens. Et c'est la même raison qui fait dire à Barak Obama que « le rôle d’un président, c’est de veiller à ce que son pays ne soit pas en manque des ressources qui lui sont nécessaires ».*
Pendant ce temps, que fait l’homme africain ? Vautré dans sa suffisance, il ne cesse de discourir sur les autres, le ton toujours sentencieux. Prompt à invoquer des prétextes fallacieux, à en inventer si nécessaire, pour ne pas se battre. A vrai dire, c’est la peur de prendre ses responsabilités qui le mine et l’empêche de jouer son rôle de protecteur et de pourvoyeur des besoins de sa famille. N’est-ce pas ainsi que nous sommes également, nous, Africains-Français ? Trop de prétextes nous empêchent de nous engager dans la défense de la cause noire.
Et comme le fera remarquer un intervenant avec beaucoup de justesse, les Africains-Français sont dans une situation délicate : nous profitons des fruits de la chasse du "petit Blanc" qui va bombarder les pays africains et nous pleurons en même temps nos parents qui en meurent. Plutôt que de nous plonger dans une bêtifiante inertie, cet état de fait devrait nous révolter et nous mener à l’action. Malheureusement, des millions d’Africains-Français n’ont jamais été capables de paralyser momentanément un secteur quelconque de notre pays afin de montrer leur désaccord ou leur opposition aux crimes commis en Afrique au nom d’idéaux trompeurs qui cachent des actes de prédation. On oublie que c’est à ce prix qu’aux Etats-Unis d’Amérique et en Afrique du Sud les lignes du respect et de la considération ont été repoussées par les Noirs.
Certes, dans l’immédiat, - avant décembre 2011 - le MAF a le souci de faire en sorte que presque tous les Afro-Français en âge de voter s’inscrivent sur les listes électorales pour participer aux élections de 2012. Et il compte bien faire du chiffre des adhésions une arme de négociation avec les partis politiques pour défendre ses valeurs vis-à-vis de l’Afrique. Mais, à plus long terme, le mouvement envisage la mise en place d’une plateforme de propositions en vue de la valorisation de l’Afro-Français. Au regard de ce qui est dit plus haut, cet objectif s’impose comme une absolue nécessité.
En effet, comme le disait si bien Calixthe Beyala, qu’attendons-nous pour favoriser par des actes concrets la naissance d’une élite Afro-Française capable de défendre nos intérêts et jouer un rôle prépondérant dans le paysage politique de notre pays ? Comment les Noirs peuvent-ils accéder au pouvoir en France s’ils ne constituent pas une force visible qui mérite respect et considération ? Il convient de travailler de concert pour que cet objectif soit un jour atteint. Déjà, le mouvement songe à la création d’une cellule enseignante pour se pencher sur la question de la formation des Afro-descendants dans notre système éducatif. On constate par ailleurs qu’il n’y a que les Africains qui n’ont pas une « Maison de la culture » en France ! Comment les valeurs que nous véhiculons et que nous défendons peuvent-elles être prises en compte ou respectées si personne ne les voit, si personne ne les connaît ? Là aussi, tout doit être mis en œuvre pour qu’une maison de la culture africaine voie rapidement le jour.
Enfin, dans le domaine de l’éducation publique – même si cela ne peut être un élément à inscrire au nombre des objectifs à atteindre – on peut retenir la pertinente intervention de notre ami nantais qui nous conseille de mener un combat contre l’exclusion liée à l’insidieuse question souvent posée aux Noirs par les Blancs : « De quel pays es-tu ? » Puisque la question n’est jamais posée aux Français blancs d’origine hongroise, polonaise, italienne, espagnole, … il serait juste que les Afro-Français refusent leur exclusion de la France en disant qu’ils sont originaires de la Côte d’Ivoire, du Congo, du Cameroun, du Mali… Être Africain-Français c’est déjà beaucoup et cela doit être la seule réponse à délivrer désormais. Sur ce chapitre, ceux qui ont l'habitude de lire mes commentaires ça et là savent que c’est un combat que je mène depuis de nombreuses années.
En moins de trois mois d’existence, le MAF apparaît comme le seul mouvement à totaliser en un temps record le plus grand nombre d’adhérents. Mais pour que sa présence sur l’échiquier politique de notre pays soit remarquée de façon durable, il lui faut asseoir une plateforme de projets suffisamment étoffés et réalisables (donc réalistes) qui offre à ses adhérents des raisons d’être fiers pour poursuivre le combat et se défendre contre les questions de leurs détracteurs. Cette plateforme pourra aussi s’avérer un outil précieux pour convaincre ceux qui hésitent encore à rejoindre notre mouvement.
*Propos attribué à Barak Obama lu dans le courrier d’un ami Internaute.
Raphaël ADJOBI
05 septembre 2011
France : Calixthe Beyala lance le "Mouvement des Africains-Français" contre la recolonisation de l'Afrique
France : Calixthe Beyala lance
le « Mouvement des Africains-Français »
contre la recolonisation de l’Afrique
Un événement qui a marqué l'été 2011 et qui est aussitôt devenu cher à mon coeur est la naissance du mouvement des Africains-Français (M.A.F). Un mouvement qui a clairement affiché sa vocation politique suscitant immédiatement des interrogations quant à son adéquation ou non avec les principes de la République Française qui ne reconnaît pas de traitement ethnique des problèmes des citoyens.
Que ceux qui se posent des questions commencent d'abord par balayer de leur esprit le complexe du regroupement ethnique. Partout dans le monde où les minorités constituent un élément important au sein de la population nationale, elles sont clairement identifiées par une dénomination particulière. Aussi parle-t-on d'Afro-américains, Sino-Américains, Latino-Américains, Afro-Brésiliens, Afro-Equatoriens, etc. Les médias français ne se privent d'ailleurs pas de reprendre allègrement ces formules ethniques dans le traitement des informations. Pourquoi serait-il donc une insulte à la République de parler d'Afro-Français ?
Ne l’oublions jamais : sous le couvert de la neutralité ou de l’égalité, la France a toujours distillé une sorte de négationnisme dans de nombreux domaines et cela a malheureusement souvent fonctionné. Nous avons connu sa politique du travailleur unisexe qui a fait tant de mal aux femmes jusqu’à ce que les travailleuses fassent un peu de bruit pour obtenir des traitements adaptés à leur féminité. Notons aussi que le combat des Français du Canada pour la reconnaissance de leur spécificité avait été applaudi et soutenu par la France à une époque pas très lointaine. Devant le négationnisme, il est donc bon que ceux qui se sentent bafoués dans leur spécificité ne plient pas l’échine.
D’autre part, ceux qui se posent des questions doivent absolument écarter l'idée que le M.A.F. vise la recherche de solutions à des problèmes d'ordre social. Qu'ils sachent que ce mouvement est la résultante du combat que Calixthe Beyala et de nombreux Français (surtout Afro-Français) ont mené avec les Africains pour dénoncer la recolonisation de l'Afrique avec l'intervention de l'armée française en Côte d'Ivoire qui a abouti au changement de président à la tête de ce pays. Puis la révélation de l’inversion des résultats des élections au Gabon pour installer Ali Bongo fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le combat du M.A.F. est donc un combat politique mû par une sensibilité pour la chose africaine. Ce mouvement trouve sa légitimité dans une tradition de solidarité avec les nations agressées que les Français partageaient avec d'autres populations occidentales jusque dans les années quatre-vingts. En ce temps-là, les étudiants et les intellectuels descendaient dans les rues des villes pour dénoncer les guerres et les injustices que la France ou d'autres nations puissantes infligeaient à des peuples lointains. Aussi, c'est en France que de nombreux Africains ont pour la première fois participé à une manifestation publique pour fustiger l'Apartheid et réclamer la libération de Nelson Mandela ou pour dénoncer les essais nucléaires à Muroroa. Le M.A.F renoue donc avec cette tradition aujourd'hui oubliée.
C’est par conséquent le visage informe de la démocratie française et plus particulièrement celui de sa politique étrangère à l’égard de leurs pays d’origine qui ont poussé les Afro-Français à créer - dans l’indignation – le M.A.F. En effet, la démocratie française est très loin d’être accomplie. C’est comme si sur le chemin de cette forme de gouvernement, notre pays s’est arrêté à mi-chemin permettant ainsi, avec le temps, l’installation d’une véritable oligarchie. Le fait que les représentants du peuple n’aient aucun pouvoir sur la politique étrangère du gouvernement l’autorise à user de la force militaire dans les pays étrangers en toute impunité. On finit même par croire que les malheurs que le gouvernement inflige aux populations africaines sont un spectacle qui nous réjouit puisqu’ils font augmenter la cote de popularité du président de la république. Tout laisse croire que plus la France lâche des bombes sur un pays africain, plus son président a des chances d’être réélu.
Mais les populations Afro-Françaises ne peuvent se permettre de rester inactives devant des pratiques qui leur rappellent un passé douloureux. Elles ne peuvent rester insensibles devant ce retour à la colonisation de l’Afrique avec son lot d’humiliations qu’ont vécues leurs parents et que certains ont connues eux-mêmes. Elles ne peuvent voir les images des chars de leur pays écraser arrogamment les populations des villes africaines sans réagir. Et comme en France les échéances électorales sont les seuls moments où nous, citoyens, pouvons intervenir sur l’action internationale du gouvernement en le sanctionnant ou en l’approuvant, les Afro-Français ont formé le M.A.F. afin de s’exprimer massivement dans ces occasions-là. Infléchir la politique internationale de la France par des négociations avant les échéances électorales est clairement l’objectif final.
Rêvons donc à la force de nos voix. Rêvons à la puissance de ce mouvement qui, s’il obtient l’adhésion de la grande majorité des Afro-Français, pourrait peser dans la balance électorale. Pour ce faire, il est nécessaire que le mouvement soit connu de tous et que chacun prenne ses dispositions pour figurer sur les listes électorales afin de respecter la consigne de vote qui sera donnée le moment venu. Le choix du candidat sur lequel porteront nos voix sera forcément fonction des négociations qui auront été faites avec lui et les engagements qu’il aura pris avec nous. Imaginez l’état d’esprit d’un des candidats sûr d’engranger deux à trois millions de voix qui d’ordinaire étaient anarchiquement éparpillées ! C’est en clair la force du chiffre des adhésions qui sera notre atout principal dans les négociations que nous aurons avec les différents candidats. Il importe donc que le plus grand nombre possible de Français qui ont quelques liens avec l’Afrique prennent une adhésion à la M.A.F. pour rendre éminemment visible la force que nous représentons dans le paysage de notre pays.
Cessons dès maintenant de nous disputer avant même d’avoir tenté quelque chose. Cessons cette habitude de répéter que « tout cela ne sert à rien » avant même d’avoir essayé. Sachez que votre adhésion à la M.A.F. permettra la constitution d’un capital d’électeurs que tous les candidats regarderont comme une force à ne pas négliger. Ensuite, votre inscription sur les listes électorales puis votre vote traduiront clairement votre volonté de faire changer la politique étrangère de notre pays vis-à-vis de l’Afrique. Ce changement, vous pouvez l’obtenir si vous croyez en vous ! Votre foi manifestée sera une force ! Ayez foi en vous et manifestez-vous ! Joignez l'action à votre indignation et vous rendrez tout changement possible !
Espoir déçu. Deux ans après le MAF a disparu du seuil du paysage politique français. Aucune activité, aucun site.
Raphaël ADJOBI
Contact : Calixthe Beyala, 9 rue Roger Gobaut
93500 Pantin (pour obtenir le bulletin d'adhésion
et le texte fondateur)
14 août 2011
Inassouvies, nos vies (Fatou Diome)
Inassouvies, nos vies
(Un roman de Fatou Diome)
La beauté de l’écriture et le projet novateur qui rappelle - à certains égards - le film « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock sont les deux éléments qui retiennent l’attention dès les premières pages du roman. De son appartement, Betty, jeune dame célibataire, prend beaucoup de plaisir à scruter les fenêtres de l’immeuble d’en face pour deviner la vie de ses occupants. Aux différents étages, elle découvre des rituels auxquels elle s’accroche comme à des fils d’Ariane conduisant au cœur de la vie de ses voisins.
On salive à l’annonce de ce projet adroitement accompagné de belles réflexions. Malheureusement, il tourne très vite à l’obsession d’aller au-delà de la devinette ou des fruits de l’imagination pour accéder à la réalité des faits et donc des vies. Dès lors, notre « loupe » - comme elle se surnomme – devient détective et sombre dans l’ordinaire. Et l’ordinaire, ce sont des vies inachevées, des passions et des désirs inassouvis. Certes, la vie de ces voisins n’est pas dénuée d’intérêt ; mais ces intrusions faites de savants calculs deviennent rapidement pesantes.
D’ailleurs, les pages les plus belles, les plus poétiques et les plus touchantes du livre sont celles nourries par l’observation à distance. Quand l’imagination effleure le réel sans vouloir se substituer à lui, le texte reste léger comme un parfum traversant le temps. Assurément la passion de Betty pour les récits de guerre des anciens combattants blancs de la maison de retraite prend trop de place. Que ces récits soient l’occasion de tirer quelques singulières conclusions, on ne peut qu’applaudir. Mais qu’une Afro-Française fasse de ce lieu commun de la littérature hexagonale une passion détonne et apparaît superflu.
D’autre part, le fait que l’auteur cherche absolument à aborder une multitude de sujets très éloignés les uns des autres et du projet initial crée chez le lecteur un sentiment de lassitude. Pourquoi vouloir absolument toucher à tout ? Que les vacances africaines de la « prof intello-écolo-bio » soit l’occasion de critiquer le tourisme « intelligent » ou « humanitaire », cela n’a rien d’étrange. Mais basculer dans une longue critique des dirigeants africains et du F.M.I. « affameur du peuple » donne clairement l’impression de vouloir régler des comptes inopportunément. Il en est de même des longues réflexions de l’épouse « sophistiquée » de l’avocat sur les joggers séducteurs qui dans les parcs publics semblent régler leurs foulées sur leurs désirs de conquêtes féminines.
L’essentiel à retenir de ce roman, c’est que Fatou Diome a le sens de la formule pour traduire certaines impressions tirées de la vie des autres. Il est très plaisant de lire le portrait de la femme « sophistiquée » : « Dans son milieu, afficher des rotondités corporelles était aussi obscène que parler d’argent. Sa ligne contournait les plaisirs de la table et suivait ses délires plastiques. […] Son corps était son Atlas et sa géopolitique se limitait à son tour de taille. » (p. 57) Même pour parler des actes simples, ses formules sont éclatantes : « Offrir des livres ou donner un conseil de lecture est un exercice périlleux (…) Et il est facile de se tromper, car chacun se prosterne à l’autel de sa propre sensibilité » (p. 33)
On apprécie certes les qualités stylistiques de l’œuvre. Malheureusement, mis à part les belles formules littéraires, au terme du roman, la curiosité du lecteur reste inassouvie.
Raphaël ADJOBI
Auteur : Fatou Diome
Titre : Inassouvies, nos vies (253 pages)
Editeur : J’ai lu (Juillet 2010)
26 juillet 2011
Côte d'Ivoire : le bilan de trois mois de protectorat
Côte d'Ivoire : le bilan
de trois mois de protectorat
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21 juillet 2011
"Votre paix sera la mort de ma nation", Lettres de guerre d'Hendrik Witbooi (1830-1905)
« Votre paix sera la mort de ma nation »
Lettres de guerre d’Hendrik Witbooi (1830 – 1905)
Capitaine du grand Namaqualand
Avez-vous connaissance d’un acteur noir de la vie politique africaine du 19e siècle qui aurait laissé des écrits témoignant de son action contre les envahisseurs européens ? Non ? Alors, le livre que je vous présente mérite le qualificatif de « plus beau monument de l’histoire africaine du 19e siècle ». Cependant, celui qui a suivi avec suffisamment d’attention les événements qui ont dominé l’actualité africaine durant les premiers mois de l’année 2011 risque de porter un jugement sévère sur les chefs africains quant à leur responsabilité dans le piétinement du continent noir.
« Votre paix sera la mort de ma nation » est la somme des lettres qu’un dirigeant de l’Afrique Australe - du Namaqualand (globalement la Namibie actuelle) - a échangée avec les colons européens et ses pairs africains quand les premiers ont entrepris de se partager le continent noir suite à la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885. Hendrik Witbooi – puisque c’est de lui qu’il s’agit – a connu tous les grands hommes de l’expansion européenne qui sont partis du Cap vers l’intérieur de l’Afrique comme Cécil Rhodes. Mais ses interlocuteurs immédiats étaient les colons allemands auxquels revenaient - selon sans doute les accords de Berlin - les terres du Namaqualand dont il était le chef le plus éminent. Il convient de signaler ici que si la Conférence de Berlin, qui avait pour vocation d’organiser le partage de l’Afrique au profit des puissances occidentales, avait prévu dans son texte des clauses portant sur le respect des droits et des libertés des indigènes, pour la première fois, il était stipulé la notion de « sphères d’influence » sur lesquelles les Occidentaux étaient autorisés à exercer leur tutelle. Cela paraît bien compliqué, n’est-ce pas ? Ces subtilités des textes, Witbooi n’a pas manqué de les dénoncer dans de nombreuses lettres aux Allemands et aux Britanniques. Il n’aura de cesse de faire remarquer à ses interlocuteurs blancs les incohérences de ces clauses en exprimant son incompréhension devant les traités de protection que les puissances étrangères proposent aux chefs africains tout en parlant de leur liberté.
Cependant, l’expression de sa première grande indignation est adressée à l’un de ses pairs et adversaires africains. L’une des lettres à son plus grand ennemi africain est à classer parmi les plus belles de cette correspondance. Devant la colonisation européenne faite de contrats de protection, Hendrik Witbooi prône l’unité des chefs africains au-delà des adversités pour s’opposer à l’envahisseur. Une longue lettre d’une stupéfiante modernité, aujourd’hui où l’on parle ouvertement de recolonisation de l’Afrique alors que certains chefs d’états s’allient avec les occidentaux contre d’autres Africains. Ce que Witbooi déplore, ce n’est point le manque de loyauté de son adversaire qui se joint à une puissance étrangère pour le combattre mais bien la perte de la souveraineté d’un chef africain qui accepte de se placer sous la protection et donc l'autorité des Européens qu’il fustige : « J’apprends, écrit-il au capitaine Maharero (chef du Hereroland), […] que vous vous êtes placé sous la protection allemande et que le Dr Göring détient par conséquent le pouvoir de vous dire quoi faire, et de trancher à sa guise dans vos affaires, particulièrement dans cette guerre entre nous, avec sa longue histoire. […] Et maintenant que vous vous êtes soumis à un autre puissant gouvernement, que reste-t-il de votre autonomie de capitaine ? […] Je ne vois pas comment vous pouvez continuer à le prétendre dès lors que vous avez placé quelqu’un au-dessus de vous et que vous vous êtes soumis à lui et à sa protection. Celui qui se tient au-dessus détient la suprématie ; celui qui est en dessous est subordonné, car il se tient sous le pouvoir d’un autre. Vous regretterez éternellement d'avoir abandonné votre terre et votre droit de régner entre les mains des hommes blancs. »
N’allez surtout pas croire que ces propos sont ceux d’un roublard. Non ! C’est celui d’un chef africain conscient du danger de la perte de la souveraineté de tous les chefs africains qui se placent sous l’autorité des Blancs. Lui voyait clairement que dans cette course à la possession des terres africaines où les Européens se livrent une farouche concurrence, ils sont aussi capables de parvenir à des accords de non-agression afin d'atteindre leur but contre les populations noires. Lui savait que les conférences de paix, les institutions de paix des Européens n'ont pour seul but que de prendre possession de tout ce qui appartient aux Africains. Son appel à ses ennemis africains d’hier est donc motivé par la sauvegarde de l’intégrité des nations africaines et de leur culture comme il le souligne dans de nombreuses lettres.
De toute évidence, Hendrik Witbooi voit dans les protectorats que les européens proposent aux chefs africains une expropriation de leurs terres, de leurs territoires. Aussi, dans son cas, il comptait sur les clauses relatives au respect des droits et des libertés des Africains pour faire respecter le fait que « nul ne devrait être contraint de livrer sa terre ou d’accepter la protection » des Européens. En d’autres termes, il essaie de faire entendre raison aux Blancs en portant le combat sur le plan juridique. Sa rencontre avec le commissaire impérial allemand en 1892 à Hoornskrans, sur ses terres, fut d’ailleurs l’occasion d’un grand débat dont le contenu est à verser dans les annales des réflexions sur la colonisation. Pour le représentant allemand, dans la guerre d’influence que se livrent les grandes puissances, si ce n’est pas l’Allemagne qui assujettit et domine les terres du Namaqualand ce seront d’autres. Il vaut donc mieux que ce soit l’Allemagne. Quelle règle implacable ! Quel raisonnement arbitraire à l’égard des peuples d’Afrique ! Il n’est donc pas étonnant que le fait de voir Hendrik Witbooi « refuser la souveraineté allemande » soit considéré par ce représentant allemand comme un crime abominable. Dans une lettre datée du 15 août 1894, celui-ci lui signifie clairement que « ce refus équivaut à une déclaration de guerre ». Voilà la justice selon le point de vue des Européens !
Durant toute cette période de l’expansion de l’Europe en Afrique, jusqu’à sa mort le 29 octobre 1905, Hendrik Witbooi a dû faire de nombreuses concessions mais sans jamais renoncer ni au combat diplomatique ni à la lutte armée pour l’indépendance des terres africaines. Sa correspondance nous fait découvrir un esprit plein de courtoisie, même dans l’adversité ; un homme désireux de maîtriser les formules protocolaires en usage chez les Européens afin de n’offenser personne par ignorance. C’est également un homme respectueux des règles traditionnelles de la guerre, lesquelles excluent la duperie de l’adversaire et l’humiliation des vaincus ; un homme plein de justice et d’équité qui refuse l’embargo dont usent les Européens pour affaiblir les armées africaines pour ensuite les anéantir. Aussi, peut-on lire dans une lettre adressée au Commissaire allemand le 24 juillet 1893 ces lignes magnifiques qui sembleront à certains d’un autre monde : « Et si vous avez l’intention de continuer à me combattre, je vous implore une nouvelle fois, cher ami, de m’envoyer deux caisses de cartouches Martini-Henry, de façon à ce que je puisse contre-attaquer. […] Donnez-moi des armes, comme il est de coutume entre grandes et nobles nations, afin que vous conquériez un ennemi armé : ainsi seulement votre grande nation pourra prétendre à une victoire honnête. » Oui, lui a le sens de l’honneur chevillé au cœur et croit naturellement qu’ « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». Mais pour les Européens cette idée n’est que littérature !
Terminons en soulignant que la compréhension de l’esprit de cette correspondance pleine de belles réflexions serait incomplète sans la lecture de l’excellente préface qui est un concentré de l’histoire des débuts de l’expansion et de la colonisation de l’Afrique australe à partir de l’établissement néerlandais du Cap de Bonne-Espérance. Préface qui nous montre la complexité des alliances et des forces en présence avant et pendant la période de la rédaction de cette correspondance, préface très instructive qui précise le parcours des lettres après la mort d’Hendrik Witbooi, le bilan des massacres de la résistance africaine et qui se termine par le point de vue de l’Allemagne du 21e siècle sur l’histoire de cette partie du monde.
Raphaël ADJOBI
Titre : « Votre paix sera la mort de ma nation » (174 pages)
Auteur : Hendrik Witbooi ; Préface de J.M. Coetzee
Editeur : Le passager clandestin, mars 2011 ;
traduit de l’anglais par Dominique Bellec.