17 décembre 2009
Les autodafés et autres morts en spectacle
Les autodafés et autres morts en spectacle
Dans mon précédent billet, je crois que ce fut une erreur d'avoir noyé la réflexion faite sur la mort en spectacle dans le commentaire que j'ai donné du livre de Jean Teulé. J'ai donc décidé de publier à nouveau cette réflexion indépendamment du livre qui l'a inspirée afin de rendre son accès plus aisé aux internautes.
La mort en spectacle, une culture Européenne
En lisant les pages monstrueuses de Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces personnes qu'on menait, partout en Europe, au bûcher dans une ambiance de kermesse. Je m’imaginais tous ces autodafés souvent organisés devant le parvis des cathédrales où les foules s’amassaient, hommes, femmes et enfants pour admirer dans des cris de joie les flammes emporter dan le néant les âmes accusées de je ne sais quelle peccadille ou crime imaginaire.
Je comprends alors qu’une des profondes différences culturelles qui séparent radicalement l’Européen et l’Africain des siècles passés se situe là, dans le spectacle de la mise à mort. Sans le savoir, cette pratique que l’on découvre dans tous les siècles de l’histoire de l’Europe a dû surprendre les peuples Africains quand de manière brutale ils ont été mis en contact avec les hommes blancs.
En Afrique occidentale, en pays Akan, lorsque l’on sent sa vie menacée par un individu ou une colère collective, la première chose qui vient à l’esprit de celui qui se sent en danger est de courir se refugier auprès d’un vieil homme. Ce geste est reconnu par tous comme une demande de protection que tout agresseur se doit de respecter scrupuleusement. C’est un peu le drapeau blanc en cas de guerre pour les Européens ; à la seule différence que se refugier auprès d’un vieil homme annule immédiatement tous les droits de l’agresseur et place la victime sous l’autorité des sages. En Europe, aucun symbole protecteur n’existe dans la vie civile pour vous garantir une vie sauve en cas de lynchage, d’agression collective concertée. C’est ce qui a manqué à Alain de Monéys, le personnage principal du livre de Jean Teulé, à qui la présence du maire et celle du curé du village n’ont été d’aucun secours.
En réfléchissant bien, en nous plongeant dans le passé de l’Europe, on découvre que celle-ci a, face à la mort, une conception qui n’existe pas dans les cultures africaines : la dimension du spectacle dans la mise à mort. Dans la mort que l’on inflige à l’autre, l’Afrique connaissait la dimension sacrificielle ; quant à l’Europe, c’est la dimension spectacle qu’elle a toujours cultivée.
Au premier siècle de notre ère, Néron, soupçonné d'avoir incendié Rome, prit la décision de faire massacrer les chrétiens qu'il accusait à son tour d'être à l'origine de ce forfait qui menaçait son honneur et son pouvoir. Le peuple qui avait sans doute ses raisons d'en vouloir aux chrétiens avait alors applaudi cette décision. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était la mise en scène des supplices qui étaient devenus des spectacles publics où hommes et femmes flambaient comme des torches. Cette pratique spectaculaire de la mise à mort à donné partout - particulièrement dans les pays latins - naissance à l'édification d'arènes publiques immenses. Le jeu de la mise à mort fut donc pendant très longtemps un élément essentiel de la culture des pays Européens tournés vers la Méditerranée.
Nous retrouvons cette pratique de la mort spectacle pendant les quatre siècles d'esclavage des Noirs dans le nouveau monde. Les parties de chasse aux nègres, les lynchages concertés de noirs après le culte du dimanche, ces noirs que les familles blanches rôtissaient tout en prenant la pause pour la photo qui sera ensuite envoyée à des amis, tout cela n'était que la survivance logique d'une pratique européenne très ancienne. Mais dans ce nouveau monde, pour certains, réduire au cercle privé des plantations cette façon spectaculaire de donner la mort était insuffisante. Aussi, ont-ils parfois tenté d'instituer les grands spectacles des arènes du passé qui attiraient les foules.
Certes, les autodafés étaient apparemment rares dans le nouveau monde. Le supplice le plus commun était le châtiment corporel public destinée à terroriser les esclaves. Mais pour distraire le public blanc, il fallait bien sûr quelque chose de plus grand. Nous en avons un exemple précis tiré des archives de l’histoire de France dans Le crime de Napoléon (p.150-151) de Claude Ribbe. « Louis de Noailles va chercher à Cuba, au mois de mars 1803, quelque six cents dogues avec l'intention de ne les nourrir que d'indigènes. Le ministre le la Marine en est informé par une lettre de l'Amiral Latouche-Tréville du 9 mars. Les bêtes et leurs nouveaux maîtres défilent en triomphe au Cap. Renouant avec la tradition des sévices imposés aux premiers chrétiens, Rochambeau a fait construire un cirque à l'entrée du palais national où il réside. Un poteau est destiné aux suppliciés. Des gradins munis de confortables banquettes sont dressés pour les spectateurs "blancs". Pour inaugurer ce spectacle d'un nouveau genre, le général Boyer livre un de ses jeunes domestiques [...]. On lâche les chiens affamés. L'assistance applaudit. [...] Il ne restera que des os ensanglantés. Finalement, le public est horrifié. Mais le spectacle recommence tous les après-midi. »
N'allons pas plus loin dans cet historique de la mort en spectacle. On comprend aisément que la torture, la guillotine et la chaise électrique sont des inventions issues de la même culture. Terminons avec cette dernière image extraite du Nouvel Observateur du début du mois de décembre 2009. Il est certain qu'aucun journal africain ne peut se permettre de proposer un tel dessin humoristique à ses lecteurs. L'autodafé ne faisant pas partie de la culture africaine, le public n'y comprendrait rien. Par contre, le public français comprend très bien cet humour parce que l'image évoque un élément culturel de son passé ; il sait que les tableaux de peintres représentant cet élément font partie du patrimoine culturel national. La pratique de ce spectacle était si courante qu'aujourd'hui encore on dit à l'adresse de celui qui commet une faute grave qu' « il y a des gens qui ont été brûlés pour moins que ça ! »
Raphaël ADJOBI
12 décembre 2009
Mangez-le si vous voulez (Jean Teulé)
Mangez-le si vous voulez
Je ne me souviens pas du précédent livre dont l'histoire a autant troublé mes nuits. Je ne parle point de ces sujets qui ne quittent pas votre esprit quand vous gagnez votre lit et qui parfois vous tiennent longtemps éveillé. Je parle bien de cauchemar nocturne. Le genre de ceux que, enfant, l’on redoute en allant au lit après avoir écouté un mauvais conte.
Alain de Monéys, le nouveau premier adjoint de la mairie de Baussac (Dordogne), quitte un matin la demeure familiale de Bretanges pour se rendre à Hautefaye, à trois kilomètres de là. Appelé au front de Lorraine où la France mène la guerre contre la Prusse, le beau Alain de monéys tenait, avant son départ, à soulager ses concitoyens de leurs petits soucis et profiter de la foire de ce mardi 16 août 1870 pour saluer les uns et les autres.
Sur son chemin, quand il saluait les paysans se rendant à la foire, tout le monde le reconnaissait et l’appelait avec affection et déférence « Monsieur de Monéys ». Sa beauté qui charmait les dames était la marque extérieure de sa bonté et de son dévouement. A une époque où c’était par tirage au sort que l’on rejoignait les troupes au front et où les miséreux qui ont tiré un bon numéro les dispensant de la guerre le revendaient à des garçons plus aisés ayant tiré un mauvais, Alain de Monéys a tenu a gardé le sien alors que le conseil de révision l’avait rejeté pour « faiblesse de constitution ». Non, malgré sa claudication, il ne voulait pas envoyer le fils de quelqu’un d’autre risquer sa vie à sa place.
A l’entrée de Hautefaye, un malentendu sur l’honneur de la France va précipiter sa vie en enfer. Alain de Monéys va vivre en plein jour, le cauchemar que tout être humain redoute comme la folie soudaine. Tout à coup, plus personne ne le reconnaît. Il devient un objet que l’on fait rouler, un animal que l’on va ferrer, un Christ que l’on va clouer sur le bois, un gibier que … Mangez-le si vous voulez est un livre qui remue la conscience parce que basé sur les comptes rendus du procès d’un fait réel.
La mort en spectacle, une culture Européenne
En lisant ces pages monstrueuses qui m’obligeaient souvent à m’arrêter, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes ces personnes qu'on menait, partout en Europe, au bûcher dans une ambiance de kermesse. Je m’imaginais tous ces autodafés souvent organisés devant le parvis des cathédrales où les foules s’amassaient, hommes, femmes et enfants pour admirer dans des cris de joie les flammes emporter dan le néant les âmes accusées de je ne sais quelle peccadille ou crime imaginaire.
Je comprends alors qu’une des profondes différences culturelles qui séparent radicalement l’Européen et l’Africain des siècles passés se situe là, dans le spectacle de la mise à mort. Sans le savoir, cette pratique que l’on découvre dans tous les siècles de l’histoire de l’Europe a dû surprendre les peuples Africains quand de manière brutale ils ont été mis en contact avec les hommes blancs.
En Afrique occidentale, en pays Akan, lorsque l’on sent sa vie menacée par un individu ou une colère collective, la première chose qui vient à l’esprit de celui qui se sent en danger est de courir se refugier auprès d’un vieil homme. Ce geste est reconnu par tous comme une demande de protection que tout agresseur se doit de respecter scrupuleusement. C’est un peu le drapeau blanc en cas de guerre pour les Européens ; à la seule différence que se refugier auprès d’un vieil homme annule immédiatement tous les droits de l’agresseur et place la victime sous l’autorité des sages. En Europe, aucun symbole protecteur n’existe dans la vie civile pour vous garantir une vie sauve en cas de lynchage, d’agression collective concertée. C’est ce qui a manqué à Alain de Monéys à qui la présence du maire et celle du curé du village n’ont été d’aucun secours.
En réfléchissant bien, en nous plongeant dans le passé de l’Europe, on découvre que celle-ci a, face à la mort, une conception qui n’existe pas dans les cultures africaines : la dimension du spectacle dans la mise à mort. Dans la mort que l’on inflige a l’autre, l’Afrique connaissait la dimension sacrificielle ; quant à l’Europe, c’est la dimension spectacle qu’elle a toujours cultivée.
Au premier siècle de notre ère, Néron, soupçonné d'avoir incendié Rome, prit la décision de faire massacrer les chrétiens qu'il accusait à son tour d'être à l'origine de ce forfait qui menaçait son honneur et son pouvoir. Le peuple qui avait sans doute ses raisons d'en vouloir aux chrétiens avait alors applaudi cette décision. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était la mise en scène des supplices qui étaient devenus des spectacles publics où hommes et femmes flambaient comme des torches. Cette pratique spectaculaire de la mise à mort à donné partout - particulièrement dans les pays latins - naissance à l'édification d'arènes publiques immenses. Le jeu de la mise à mort fut donc pendant très longtemps un élément essentiel de la culture des pays Européens tournés vers la Méditerranée.
Nous retrouvons cette pratique de la mort spectacle pendant les quatre siècles d'esclavage des Noirs dans le nouveau monde. Les parties de chasse aux nègres, les lynchages concertés de noirs après le culte du dimanche, ces noirs que les familles blanches rôtissaient tout en prenant la pause pour la photo qui sera ensuite envoyée à des amis, tout cela n'était que la survivance logique d'une pratique européenne très ancienne. Mais dans ce nouveau monde, pour certains, réduire au cercle privé des plantations cette façon spectaculaire de donner la mort était insuffisante. Aussi, ont-ils parfois tenté d'instituer les grands spectacles des arènes du passé qui attiraient les foules.
Certes, les autodafés étaient apparemment rares dans le nouveau monde. Le supplice le plus commun était le châtiment corporel public destinée à terroriser les esclaves. Mais pour distraire le public blanc, il fallait bien sûr quelque chose de plus grand. Nous en avons un exemple précis tiré des archives de l’histoire de France dans Le crime de Napoléon (p.150-151) de Claude Ribbe. « Louis de Noailles va chercher à Cuba, au mois de mars 1803, quelque six cents dogues avec l'intention de ne les nourrir que d'indigènes. Le ministre le la Marine en est informé par une lettre de l'Amiral Latouche-Tréville du 9 mars. Les bêtes et leurs nouveaux maîtres défilent en triomphe au Cap. Renouant avec la tradition des sévices imposés aux premiers chrétiens, Rochambeau a fait construire un cirque à l'entrée du palais national où il réside. Un poteau est destiné aux suppliciés. Des gradins munis de confortables banquettes sont dressés pour les spectateurs "blancs". Pour inaugurer ce spectacle d'un nouveau genre, le général Boyer livre un de ses jeunes domestiques [...]. On lâche les chiens affamés. L'assistance applaudit. [...] Il ne restera que des os ensanglantés. Finalement, le public est horrifié. Mais le spectacle recommence tous les après-midi. »
N'allons pas plus loin dans cet historique de la mort en spectacle. On comprend aisément que la torture, la guillotine et la chaise électrique sont des inventions issues de la même culture. Terminons avec cette image extraite du Nouvel Observateur du début du mois de décembre 2009. Il est certain qu'aucun journal africain ne peut se permettre de proposer un tel dessin humoristique à ses lecteurs. L'autodafé ne faisant pas partie de la culture africaine, le public n'y comprendrait rien. Par contre, le public français comprend très bien cet humour parce que l'image évoque un élément culturel de son passé ; il sait que les tableaux de peintres représentant cet élément font partie du patrimoine culturel national. La pratique de ce spectacle était si courante qu'aujourd'hui encore on dit à l'adresse de celui qui commet une faute grave qu' « il y a des gens qui ont été brûlés pour moins que ça ! »
Raphaël ADJOBI
Titre : Mangez-le si vous voulez (129 pages)
Auteur : Jean Teulé
Editeur : édit. Julliard 2009.
26 novembre 2009
Les traites négrières d'Olivier Pétré-Grenouilleau : une analyse de Raphaël ADJOBI
Les traites négrières
d'Olivier Pétré-Grenouilleau
Une analyse de Raphaël ADJOBI
Voici un livre qui a fait fureur en son temps. Disons plutôt que son auteur a eu l’heure de sa gloire. Porté avec les honneurs sur les ondes françaises, l’homme et ses pensées ont fini par asseoir dans la conscience collective des doutes et affermi les convictions de ceux qui en avaient déjà sur l’esclavage des Noirs. J’ai voulu aller à la rencontre de ses pensées et m’en faire une idée exacte en me fiant à ses écrits plutôt qu’à ses brefs propos entendus et aux commentaires de ses contradicteurs. C’est à la fois déçu et écoeuré que je ressors de cette lecture.
Ce qui domine avant tout dès les premières pages de ce livre, c’est le ton présomptueux de l’auteur. Il nous annonce qu’il va faire œuvre originale en rompant avec les « on dit », les « je crois », « les rancoeurs et les tabous idéologiques accumulés, sans cesse reproduits par une sous-littérature n’ayant d’historique que les apparences » qui ont dépouillé l’histoire de la traite des Noirs de sa substance et « permis l’enracinement de mémoires souvent antagonistes ». Une œuvre de titan en perspective, pour asseoir une vérité définitive destinée à constituer une mémoire unique!
Parce que pour Olivier Pétré-Grenouilleau « toute bonne histoire (…) est forcément comparative », il se donne pour visée l’écriture d’une histoire globale des traites négrières, à travers le temps et l’espace, en cernant « les logiques à partir des pratiques » qui ont constitué leurs phases successives. En d’autres termes, il propose de faire connaître la logique qui a commandé toutes les traites négrières ayant marqué l’histoire de l’humanité.
Malgré le ton présomptueux, l’idée paraît séduisante. Malheureusement, très vite, on se rend compte que l’auteur a une idée fixe dans sa recherche sur les différentes traites. Ce qui lui importe, c’est de savoir « pourquoi (l’Afrique) répondit-elle si favorablement aux demandes extérieures » en esclaves. Chercher à nous faire « comprendre (…) comment certaines logiques africaines ont pu s’accommoder de logiques extérieures (…), comment l’Afrique noire est concrètement et volontairement entrée dans l’engrenage négrier » est le but qu’il s’est donc fixé. Mais, avant même d’aller plus loin, le lecteur remarque que les adverbes « favorablement » et « volontairement » trahissent un jugement personnel qui est posé comme le préalable et le moteur de ses recherches. Le but de son travail n’est donc pas innocent.
A ce moment de la lecture du livre, celui qui a quelques connaissances des traites négrières ou qui a lu La traite des Noirs et ses acteurs africains de Tidiane Diakité, L’Esclavage en Terre d’islam de Malek Chebel, ou Le génocide voilé de Tidiane N’diaye, se dit qu’il y a quelque chose qui a échappé à ces derniers auteurs. Mais voilà que Pétré-Grenouilleau déçoit en avançant sous la marque du « magister dixit » et non point avec les archives des différentes époques pour interpréter les événements.
Malgré tout, on attend avec impatience les éléments témoignant d’une logique sociale ou naturelle propre aux africains et qui les a rendus « favorables » à la traite des leurs pour les y lancer « volontairement ». On découvre que c’est en usant du conditionnel (p.102) qu’il avance les « deux éléments (qui) auraient donc été finalement à l’origine de la naissance plus ou moins simultanée de la traite négrière et du mode d’organisation des sociétés d’Afrique noire ». Pétré-Grenouilleau émet clairement donc l’hypothèse selon laquelle la traite négrière serait née en même temps (« simultanée ») que l’organisation en sociétés des africains. Il veut nous faire croire que dans la formation de toute forme de sociabilité, l’Africain a introduit l’esclavage dans ses relations avec ses voisins immédiats. La traite est donc innée chez les Noirs puisque l’esclavage est inhérent à leurs sociétés. Dès lors, l’auteur des Traites négrières peut se permettre d’émettre cette autre hypothèse selon laquelle la traite arabo-musulmane ne serait qu’une suite logique de l’esclavage traditionnel africain. Enfin, il conclut, satisfait, que l’« On comprend alors la rapidité de la réponse africaine au renforcement de la demande européenne en captifs, à partir de la seconde moitié du XVII è siècle. La matière première – le captif – était là, abondante, et parfois encombrante » ! Oui, vous avez bien lu. L’Afrique était encombrée d’esclaves ; et l’Europe s’est contenté de la débarrasser du trop plein.
A partir de ce moment de son livre, Pétré-Grenouilleau a le sentiment de détenir une vérité absolue. En théorisant sur les traites négrières en marge des archives, en situant sa thèse à l’origine de la formation des sociétés africaines que personne n’a connue, l’auteur emprunte une démarche pseudo scientifique pour aboutir à une affirmation qu’il voudrait une vérité générale et absolue. On peut dire qu’avec ce livre d’Olivier Pétré-Grenouilleau, on quitte la démarche de la recherche pour entrer dans le roman de la traite négrière. L’objet du livre apparaît alors clairement être la déculpabilisation de la conscience européenne vis à vis de la traite atlantique.
Nous savons que la preuve de la contribution active des Noirs eux-mêmes à la traite négrière arabo-musulmane et atlantique a été établie avec certitude par différents auteurs dont ceux cités plus haut. Nous savons comment, progressivement les Noirs sont devenus des ardents défenseurs de l’esclavage au point d’avoir été, avec les négriers du XIX è siècle, les derniers adversaires du mouvement abolitionniste européen. Mais ce qui est inadmissible dans la démarche d’Olivier Pétré-Grenouilleau, c’est non seulement l’affirmation du caractère inné de l’esclavage chez le Noir, mais également le mélange des époques qu’il fait dans son livre. Quand il parle de cette inclination des Noirs à la traite, on ne sait pas toujours s’il parle d’une inclination qui date de la traite atlantique, de la traite arabo-musulmane ou d’une pratique antérieure à ces deux époques. Vu que personne ne peut soutenir que la traite négrière pratiquée en Nubie aux temps des pharaons était un phénomène général en Afrique, il convient de qualifier ses affirmations de hasardeuses et gratuites.
En fait, aux yeux d’Olivier Pétré-Grenouilleau, toutes les archives d’Europe qui ont constitué la source des différentes publications sur la traite atlantique et qui relatent les manœuvres européennes pour contraindre les Africains à leur fournir des esclaves ne sont que mensonges. Toutes les oppositions locales à la traite atlantique que mentionnent les textes de l’époque ne sont pas, selon lui, dignes de foi. Ainsi, il s’arroge le droit, comme tout bon dictateur – mais dictateur d’idées – de décréter qu’il est le maître incontestable de l’histoire des traites négrières et par voie de conséquence de l’esclavage. Malheureusement, l’affirmation sur laquelle est bâti tout son travail n’a rien à voir avec une réalité historique ; et le fait qu’il n’a nullement cherché ailleurs d’autres logiques qui auraient pu servir de moteurs à l’adhésion des Africains à la traite des leurs trahit son souci de justifier le rôle des Européens dans la traite atlantique.
La violence et l’asservissement de l’autre sont certainement à l’origine de toutes les sociétés humaines, sans distinction de couleurs. C’est ce qui faisait dire au philosophe anglais Thomas Hobbes (17 è S.) que « l’homme est un loup pour l’homme » ; idée reprise à Plaute (255-184 av. J.C.) qui fut le premier à l’affirmer. Appliquer cette vérité communément admise à la seule Afrique pour justifier son attitude « favorable » et « sa volonté » d’implication dans la traite atlantique me semble indigne d’un universitaire. D’autre part, n’est-il pas admis aujourd’hui – à la suite de Jean-Jacques Rousseau – que le développement des sciences et des arts ont largement contribué à l’asservissement de l’autre pour en tirer le plus de profit possible ? Si l’esclavage que connaissaient toutes les sociétés humaines a atteint son point culminant avec la traite atlantique, c’est grâce au développement de la navigation, de l’architecture et le goût du luxe. L’auteur des Traites négrières semble reconnaître lui-même ce facteur quand il parle de « la révolutionnaire expansion mondiale de l’Europe » grâce d’une part aux banquiers qui fournissaient le capital et la technologie, et grâce d’autre part aux marins qui permirent l’établissement d’empires commerciaux en Afrique et en Asie et la colonisation de terres américaines. La traite négrière pratiquée en Nubie aux temps des pharaons et l’esclavage pratiqué en Europe - dans l’antiquité et à une époque plus moderne avec le servage - n’ont donc aucune commune mesure avec la traite Atlantique.
A vrai dire, la renommée soudaine et éclaire de Pétré-Grenouilleau tient moins à l’affirmation de l’implication des Noirs dans la traite négrière atlantique (d’autres l’ont également prouvé) qu’à la circonstance favorable qui s’était offerte à lui avec le débat suscité par la guyanaise Christiane Taubira à travers sa proposition de loi qui a abouti en 2001 à la reconnaissance de ce commerce et de l’esclavage qui en a résulté comme crimes contre l’humanité. On comprend pourquoi le succès médiatique qu’a connu alors l’auteur des Traites négrières n’a nullement entraîné le succès du livre en librairie.
Demain, un autre Olivier Pétré-Grenouilleau s’élèvera pour asseoir comme une vérité absolue que les africains ont « favorablement » accepté la colonisation de leurs terres et contribué « volontairement » à son pillage par les sociétés européennes sans nullement tenir compte des luttes d’influences qui se déroulent aujourd’hui en Afrique. Mais ne pourrait-on pas se demander si la France n’a pas une inclination naturelle à l’asservissement. Les serfs (forme élégante pour désigner les esclaves européens au Moyen Âge) dont le travail permettait à quelques individus de vivre dans l’oisiveté et passer le plus clair de leur temps à l’entretien de la blancheur de leur peau - quand ils ne chassaient pas ou ne guerroyaient pas pour agrandir leurs domaines – avaient-ils l’état de servitude inné ? Les Chinois et les Indiens avaient-ils l’esclavage inhérent à leur culture pour avoir été transportés dans les Caraïbes ? Il faudra sans doute un jour envisager un traité pour comprendre le moteur de cette inclination des Européens blancs des siècles passés à mettre tous ceux qu’ils rencontraient en esclavage.
Raphaël ADJOBI
Titre : Les traites négrières (558 pages)
Auteur : Olivier Pétré-Grenouilleau
Editeur : Gallimard (collection : Folio histoire), 2004
07 novembre 2009
Les murs de la honte
Les murs de la honte
En France, comme certainement ailleurs en Europe, des manifestations sont prévues pour fêter le 20 è anniversaire de la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989. Afin que cette commémoration ne soit pas un culte du Mur, France Inter associe aux manifestations l’ensemble des murs qui séparent les hommes à travers le monde. Je m’en réjouis très fort et voudrais ici en faire l’écho.
Je trouve juste en effet que l’Europe ne se contente pas de se réjouir d’avoir lavé cette honte tout en fermant les yeux sur d’autres murs auxquels elle pourrait trouver quelque vertu. Bravo donc aux journalistes de cette station de radio d’avoir une pensée pour tous ceux qui vivent –délibérément ou par la contrainte - derrière des murs en béton ou en fer.
Le mur de Berlin était un mur idéologique – symbole de la guerre froide entre l’Amérique et l’occident d’une part, et l’Union Soviétique et l’Europe de l’est d’autre part. Celui dressé entre les Etats-Unis et le Mexique ainsi que celui de Rio au Brésil sont des murs anti-pauvreté. Ceux élevés ça et là dans la ville de Bagdad séparant quartiers chiites et sunnites sont des murs de séparation confessionnelle ; celui érigé par Israël est d’ordre ethnique. N’oublions pas le mur idéologique et militaire de cantonnement élevé par les Américains à Bagdad pour se couper de la population irakienne. Tous sont des murs de la honte !
Entre tous ces murs, celui dressé par Israël revêt deux caractères singuliers. Il est à la fois un mur de séparation ethnique mais aussi un mur d’annexion des terres cisjordaniennes. Sa forme très sinueuse épousant celle des villages palestiniens sans tenir compte des terres que ceux-ci cultivent et qui se retrouvent ainsi derrière le mur du côté Israélien en est la preuve. Il est également un mur d’isolement des palestiniens qui ne peuvent communiquer entre eux de village en village, et un mur d’enfermement psychologique pour les Israéliens eux-mêmes. En effet, ce mur empêche ces derniers de s’intégrer à leur région. Les Israéliens sont ainsi clairement isolés de leur géographie naturelle et ne se voient plus qu’européens (ligue de football européen, Eurovision) ou Américains. Dans leur inconscient, leur pays n’existe pas dans un espace géographique naturel supposant un voisinage et des limites humaines exigeant des efforts de cohabitation.
Pour finir, osons cette réflexion tout en pensant au vulgarisateur de l’ethnologie qui vient de nous quitter : Claude Lévi-Strauss. L’égalité entre les hommes que l’on demande à travers la terre entière et dans l’enceinte des frontières des nations n’est nullement une demande de nivellement des états et des conditions des personnes, mais la mise en place de politiques qui permettent à chacun d’avoir la même chance de réussir sa vie. Oui, c’est cela la vraie égalité.
Raphaël ADJOBI
15 octobre 2009
La taxe carbone et nous
La taxe carbone et nous
Nous y sommes ! Nous l’avons cherché, nous allons l’avoir ! A force de vivre de manière irraisonnée, il nous faudra payer un tribut. Il se présentera sous la forme d’une taxe – une contribution, disent certains (c’est plus doux !) - pour lutter contre le changement climatique qui nécessite, selon les experts, « un changement organisationnel et comportemental de nos sociétés ». Il faut entendre par là un changement de comportement de l’humanité tout entière.
la France. La taxe carbone a été mise en place dans les années 1990 en Suède, en Finlande, et au Danemark. Elle devrait entrer en vigueur en France dès le 1er janvier 2010. Les autres pays de l’Union européenne suivront car celle-ci a besoin d’ « un outil pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » et des « ressources appropriées pour financer une politique climatique mondiale » (site maxisciences) ; c’est encourager les investissements dans les énergies renouvelables ou peu productrices de gaz à effet de serre. Mais tout cela restera certainement de belles paroles dans bon nombre de pays européens, notamment
Je ne veux point ici remettre en question le bien fondé de la nécessité d’un changement de comportement des particuliers et des entreprises industrielles et commerciales. Chacun, au regard de l’état des sociétés développées et des comportements individuels, sent le besoin de se tourner vers des énergies propres ou moins polluantes. Je voudrais tout simplement et franchement dire ici que le gouvernement s’y prend très mal pour nous faire accepter cette « contribution » qu’il juge nécessaire pour nous « inciter à modifier nos comportements les plus énergivores, responsables du réchauffement climatique ».
L’histoire de l’humanité nous enseigne des comportements qui semblent imposés par la nature et que la morale a fini, sous tous les cieux, par codifier en nous. Elle nous enseigne que les hommes travaillant la terre pour en tirer leur subsistance ont vite compris que la nature exigeait d’eux du repos pour pouvoir produire à nouveau et les satisfaire. Par contre, notre époque en a décidé autrement. Forçant la nature à produire nuit et jour et par toutes les saisons la nourriture qu’elle n’offrait qu’à un moment précis de l’année, les hommes ont fini par croire la dominer impunément. Les engrais qu’il enfouissait dans le sol à coups de pelleteuse ont fini par polluer les nappes phréatiques ; Les canalisations issues des usines et conduites dans les cours d’eau les ont rendus imbuvables, nécessitant une technologie industrielle pour les rendre potables.
L’avènement de l’industrie avec la transformation massive de produits uniformes destinés la consommation d’un grand nombre de personnes pour un bénéfice financier toujours plus grand, a fini par couvrir la terre entière de cheminée polluantes ; la concentration humaine dans des villes de plus en plus grandes avec des moyens de transports plus rapides, plus nombreux et polluants ont contribué à rendre l’air que nous respirons et celui qui , à ce qu’il paraît, protège la terre, impropre à la vie humaine.
Malheureusement, au moment où le besoin de changer de comportement s’impose, on nous incite à travailler plus pour gagner plus, c’est à dire à faire tourner davantage les usines, à faire fonctionner davantage toutes les machines grandes consommatrices d’énergie. Non content de cela, on voudrait même empêcher à la nature d’avoir le temps de reprendre son souffle. Aussi, on nous demande même de travailler le dimanche. On refuse à la nature un jour de repos pour se renouveler, un jour de repos pour que le gaz rejeté dans l’air toute la semaine ait le temps de se dissiper avant la reprise de nos activités. On prétend que rouler moins vite nous évite les pics de pollutions. Foutaises que cela !
Devant ce qui apparaît comme un paradoxe, certains soupçonnent l’état français de faire de la taxe carbone un moyen de faire des recettes fiscales pour combler ses dettes. Si donc demain, vous ne voyez pas se multiplier les pistes cyclables et les tramways, si vous voyez autant de camions sur les routes, si vous voyez que le travail du dimanche se généralise, obligeant plus de déplacements et maintenant des machines en tous genres en action, si les villes sont de plus en plus illuminées et plus longtemps, tant qu’il vous faudra continuer à laisser couler des litres d’eau froide avant d’avoir de l’eau chaude, sachez que votre « contribution » n’aura effectivement servi qu’à combler les dettes de l’état. Pour changer de comportement, il appartient à celui-ci de proposer des alternatives à nos habitudes actuelles. En attendant la mort par suffocation ou par détérioration de notre environnement, le rythme de la vie que nous nous imposons, lorsqu’il ne nous pousse pas au suicide, génère en nous tant de stress que nous passons le plus clair de notre temps à avaler des anti-dépresseurs qui ruinent notre santé. Mourir ou devenir fou par le travail en attendant la fin du monde semble la seule alternative qu’on nous propose pour l’instant.
Raphaël ADJOBI
17 septembre 2009
Le Gabon, l'Afrique francophone et la démocratie
Le Gabon, l’Afrique francophone
et la démocratie
Les récentes élections présidentielles et les affrontements qu’elles ont engendrés nous obligent à une sérieuse réflexion sur l’idée que nous nous faisons de la démocratie en Afrique et les moyens à mettre en œuvre pour la réussir.
Afin de faciliter la compréhension de la démarche que je vous propose, éliminons momentanément la pieuvre Françafrique et retrouvons le socle nu de la chose gabonaise et africaine. Dès lors, posons-nous ces quelques questions : le peuple gabonais, dans sa majorité, était-il désireux de tourner la page de la famille Bongo ? Les leaders de l’opposition au régime qui a toujours dirigé le pays désiraient-ils sincèrement un changement du mode de fonctionnement et de gouvernement de l’état ?
A la première question, on peut répondre sans hésiter par l’affirmative au regard des totaux des voix de l’opposition. A la deuxième, je suis bien obligé de répondre par la négative. Car, quoi ? Malgré des années d’opposition, les adversaires d’Omar Bongo n’ont-ils jamais pensé à la nécessité d’une coalition pour affronter celui que tout le monde savait qu’il serait l’héritier du père ? 17 candidats, drainant chacun ses partisans - et donc en rangs dispersés - à l’assaut d’un pouvoir qui semblait déjà détenu par Ali Bongo, voilà le spectacle qu’il nous ont offert. Signe que cette opposition n’était point sérieuse et donc absolument pas crédible. En privilégiant l’égoïsme et l’opportunisme, elle a démontré que le seul objectif qu’elle poursuivait était s’asseoir sur le trône du roi afin de jouir à son tour des honneurs et de tous les autres avantages attachés à cette fonction. S’il s’avère qu’ils ont été loyalement battus (malgré quelques tricheries), les opposants ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Mais dans cette entreprise électorale, un autre maillon incroyablement faible a été la commission nationale chargée de sa gestion. Qu’il y ait des fraudes dans une élection d’une telle importance n’est nullement un signe de sous-développement puisqu’elles sont courantes sous tous les cieux. Mais que la commission électorale ne soit pas capable de juger de l’ampleur de la fraude pour invalider le vote de telle ou telle circonscription ou pour déclarer l’invalidité des élections pour fraude généralisée est la preuve même d’une incapacité à assumer une charge dans une structure qui se veut démocratique. La commission électorale gabonaise a-t-elle joué la transparence ? A-t-elle pris toutes les dispositions pour que le doute ne soit pas jeté sur son action ? La clarté et la fermeté à ce moment crucial d’une élection sont absolument nécessaires. A ce sujet, je voudrais saluer ici l’intégrité de la commission électorale de la Côte d’ivoire lors des élections de 2000 au cours de laquelle son président a refusé de se plier aux injonctions du pouvoir du général candidat, l’obligeant à s’autoproclamer élu avant d’être chassé par la rue.
Ce qui manque en effet à la base des élections troubles africaines, c’est cette assise solide des institutions. Mais je reconnais qu’avant d’être l’œuvre du temps, cette solidité doit avant tout être l’œuvre de la ferme volonté de quelques individus capables de faire abstraction de leurs intérêts personnels pour se sacrifier sur l’autel des idées républicaines. C’est par la volonté des hommes que commence la force des institutions. L’habitude ou le temps ne fait que leur donner la respectabilité nécessaire à leur ancrage dans le paysage politique d’une nation.
Le poids de la relation avec la France
Mais voilà que dans le cas de l’Afrique francophone, un joug pèse lourdement sur les événements politiques et les font apparaître comme la chaleur d’une marmite qui tente vainement de se débarrasser de son couvercle pour laisser voir la réalité de son contenu. L’Afrique francophone est aussi malade de sa relation excessivement exclusive avec cette France dont les institutions interdisent à son peuple et à ses élus d’avoir un droit de regard sur ce que son président et ses hommes d’affaire font sous d’autres cieux. Ce qui autorise une manipulation sans borne de l’opinion publique via les médias.
Un fois n’est pas coutume. Alors qu’elle a fermé les yeux devant le pétrissage des institutions ivoiriennes dans le giron chiraquien sur les bords de la Seine, alors qu’elle est restée muette devant les images des urnes togolaises en fuite sur les épaules des militaires, la presse française cette fois n’a pas hésité à montrer du doigt la nébuleuse Françafrique qui a accentué l’opacité des élections gabonaises à travers les propos de ses multiples intervenants. Voilà qu’on ose enfin déclarer publiquement qu’un ministre français a été « proprement viré » par Omar Bongo, le président défunt. Voilà qu’elle juge que les saccages des biens français au Gabon sont le résultat du mécontentement populaire à l’encontre de l’attitude de la France qui est très loin d’être impartiale.
Profitons donc de l’occasion pour enfoncer le clou et apportons des éclaircissements à deux affirmations récurrentes dans les propos publics français. Ici, je requiers l’attention des lecteurs français.
L’Afrique francophone n’est pas un boulet pour la France mais un marché d’exploitation et d’exportation ! Le sous-sol de l’Afrique francophone n’est pas pauvre ; bien au contraire il permet aux voitures des français de rouler, à leurs avions de voler et à leurs usines de tourner ; sa population est grande consommatrice de produits français permettant de préserver des emplois ; son espace est un champ d’investissements pour les entreprises françaises privées comme publiques (ce n’est point dans les pays déjà développés que l’on investit !). La pauvreté de l’Afrique est donc une occasion de richesse pour la France. Il est connu que ce sont les pauvres qui entretiennent les maisons des riches ; sans eux, le désordre s’installerait dans la demeure. Qu’est-ce qu’un châtelain sans les pauvres serfs ?
Aussi, il est incorrect de dire que l’Afrique francophone n’est rien sans la France ; il convient plutôt de dire que la France n’est rien sans l’Afrique francophone. La chute de celui qui est plus proche du sol est moins douloureuse que celle de celui qui est juché sur un piédestal. Il y en a qui peuvent se contenter de rien et d’autres incapables de se contenter de peu. La France est ainsi dans l’incapacité de lâcher prise par peur de sa propre chute. Et pourtant un autre rapport entre elle et ses anciennes colonies est possible pour qu’il n’y ait pas à proprement parlé de chute pour ses affaires. Mais la peur est maîtresse de bien des maux infligés à ceux qui vous l’inspirent. Le commun des africains sait aujourd’hui que quand un pays Européen lâche un pays du tiers-monde, il s’entend avec ses amis au sein de l’Onu pour mettre le pays rebelle sous embargo afin de ruiner toutes ses chances de développement loin du giron néo-colonial. On tue en quelque sorte pour l’exemple, pour obliger les autre pays pauvres à se tenir tranquilles. Les cas de la Guinée de Sékou Touré et de Cuba de Fidel Castro ne s’effaceront jamais de nos mémoires.
La démocratie dans les pays francophones dépend donc dans sa forme – c’est à dire dans la structure de ses institutions et de leur maniement - des africains eux-mêmes. Mais elle ne peut atteindre son objet qui est le développement dans une gestion libre de l’économie que lorsque les relations avec la France seront défaites de l’opacité du joug françafricain. Malheureusement, les interférences entres les intérêts du joug françafricain et la vie politique de ces nations sont telles que l’entreprise démocratique s’avère une véritable épopée avec les soubresauts que nous connaissons.
Raphaël ADJOBI
01 septembre 2009
Case à Chine de Raphaël Confiant
(Raphaël Confiant)
La présidence d’Alberto Fujimori au Pérou (1990-200) m’avait beaucoup intrigué et suscité en moi des questions quant à l’histoire de la présence des asiatiques en Amérique latine. Plus tard, un passage de Chasseur de lions, un roman d’Olivier Rolin dont l’histoire se passe dans cette partie du monde, parlant de « voiliers en rade, par dizaines, chargés de guanos ou de coolies importés de Chine pour remplacer les esclaves sur les plantations » avait accentué ma curiosité. Curiosité que Case à Chine de Raphaël Confiant vient de satisfaire.
C’est en effet ici l’épopée de cette « immigration » de Chinois et d’Indiens, de leur installation et de leur créolisation dans les Antilles françaises après la dernière abolition de l’esclavage en 1848. Raphaël Confiant choisit (mais aussi pour accomplir une vieille mission) de raconter l’histoire de trois familles, en remontant quant à la sienne jusqu’aux parents du premier immigré de la Chine lointaine. Mais le récit navigue constamment entre le passé lointain et le passé plus récent.
Très vite, le lecteur comprend que le contact des asiatiques avec cette terre du nouveau monde s’est passé dans la violence et le mépris comme l’ont vécu précédemment les nègres devenus libres. Outre cela, les relations entre les différentes communautés sont une véritable foire aux préjugés avec heureusement, parfois, des situations délicieuses magnifiquement racontées. C’est avec un style chatoyant, grâce à une multitude de mots créoles nullement gênants pour la compréhension du texte, et un réalisme sans complaisance et équitable à l’égard des différentes communautés que l’auteur parvient à donner à ce roman un équilibre parfait. On y découvre en effet des peintures absolument belles des querelles, des rivalités, des complicités et des préjugés entre les différentes communautés et sous-communautés de la Martinique post-esclavagiste : les Noirs, les Noirs-Congo, les Blancs créoles, les Blancs-France, les Chinois-pays, les Chinois-Chine et les Indiens. Tout ce monde baignant dans un créole savoureux où dominent parfois les taquineries des nègres à l’adresse des Yeux-Fendus. Le livre contient également des portraits magnifiques. Vous adorerez celui de la chabine Justina et surtout celui de la négresse Fidéline, l’arrière grand-mère de l’auteur, et ses joutes verbales avec son « chinois fou dans le mitan de la tête » dont l’histoire est absolument passionnante. Les colères de Poupée-Porcelaine sont également mémorables.
Ce livre se révèle aussi une véritable mine d’informations sur la manière dont les différentes communautés ont pu mêler leur sang : les chinois plus souvent avec les mulâtres (quand ils ne font pas venir du sang neuf de Chine), les Blancs-France sans le sou avec les « négresses charitables ou désireuses d’avoir une progéniture aux cheveux plats ». Mais les plus belles pages des histoires d’amour dans cette Martinique où se créolisent progressivement Chinois et Indiens - les souffre-douleur désignés des négrillons - et que relate l’auteur sont celles qui se nouent laborieusement entre les Noirs, les Indiens et les Chinois.
Tous ces éléments font donc de Case à Chine un roman historique, réaliste et drôle. Mais au-delà de la beauté du texte et des situations parfois amusantes ou charmantes, le fond social fait de violences et de mépris reste constamment présent. Aussi, ceux qui s’étonnent du peu de progrès accompli par les Noirs antillais dans les différents arts devraient se mettre à l’esprit que l’esclavage n’octroyait qu’une journée par semaine de liberté contrôlée aux nègres et que la colonisation s’est appliquée à sa suite à freiner par tous les moyens leur accession aux sciences et aux arts. La simple création d’un lycée ou de tout autre établissement d’enseignement ne manquait jamais de soulever des protestations de la part des Blanc-pays (Blancs créoles ou Békés). Bien au contraire, c’est miracle que nous devrions dire, si de cet univers de mépris, de suspicion, de frustration des ambitions individuelles, quelques-uns sont parvenus à se hisser parmi l’élite française dans certains domaines.
Ce livre vient donc à sa manière confirmer que l’élément déterminant de l’histoire des Antilles que tout le monde s’applique à ignorer ou à négliger est bien la volonté immuable des Blancs-pays - depuis l’esclavage jusqu’à ces jours du XXIè siècle - de ruiner tout espoir de changement de la condition des descendants d’Afrique et d’Asie pour maintenir la leur : la servitude pour les uns, la domination pour les autres. Dans un tel contexte, hier comme aujourd’hui, il semble donc juste que ces Noirs qui « lassés de manger leur âme en salade et de subir crachats, insultes, méprisations, ricanements, claironnent qu’en terre créole, seule la folie est raisonnable, oui. »
Raphaël ADJOBI
Titre : Case à Chine (487 pages)
Auteur : Raphaël Confiant
Edition : Gallimard (collection Folio)
25 août 2009
Visiter Amsterdam et s'instruire (suite et fin)
Visiter Amsterdam et s’instruire (suite et fin)
La réaction de notre ami Ségou m’a fait comprendre que la suite de mes impressions que je n’osais livrer (peur d’être trop long) était bien nécessaire(pour descendre du vélo). La voici donc.
Un cosmopolitisme rassurant : On dit de Paris qu’elle est une ville cosmopolite. Mais quand celle-ci pèche par l’hétérogénéité des ethnies et des classes sociales de sa population, Amsterdam fait dans l’homogénéité. Mes longues marches à travers la ville ne m’ont pas mené à des quartiers plus chinois, plus indiens ou africains. Et dans les foules des promeneurs, le mélange ethnique est encore plus frappant qu’à Paris. La diversité aussi.
Dès mon retour, le comportement de quelques groupes de jeunes noirs m’ont rappelé que je suis dans une société différente. Alors je me suis rappelé les paroles de l’écrivain Raphaël Confiant disant que la stigmatisation génère des comportements particuliers. C’est vrai !
Le cosmopolitisme dans la restauration : Ici, les restaurants affichent sans complexe leur nationalité et l’on découvre ainsi des noms que l’on aura du mal à trouver ailleurs dans l’art de la table : péruvien, chilien, argentin, équatorien, laotien, malais etc… Aussi, les Hollandais sont obligés d’afficher « Restaurant hollandais ». Pas mal ! Une restauration plus diversifiée qu’ailleurs donc.
Le mélange des genres en architecture : L’immense Hôtel-restaurant en forme de pagode sur le port d’Amsterdam est une preuve absolue que les Hollandais - qui ont sillonné le monde - ne craignent pas le cosmopolitisme. Cette évocation de la Chine ou de la Malaisie sur ce célèbre port fait croire à un esprit différent qui se voit également dans l’association de l’ancien et du moderne partout. Finalement, tout cela apparaît très harmonieux. Il faut oser pour le croire !
Priorité aux commerces de proximités : La Hollande compte-t-elle beaucoup de super marchés ? A Amsterdam, je n’ai pas vu de super marchés avec d'immenses parkings pour voitures. Une multitude de petits commerces, si. A la différence des villes françaises, il semble qu’il n’y ait pas de quartiers commerçants et des quartiers non commerçants ou dortoirs. Ainsi pas besoin de prendre la voiture puisqu’on a tout à proximité. D’autre part, cette organisation de la cité permet au visiteur de voir partout vivre réellement la population. Cela lui permet aussi d’avoir à boire et à manger partout où il se trouve et à tout moment de la journée. Les autres villes d’Europe que je connais ne permettent pas toutes ces possibilités à la fois.
Le passé négrier : Le beau bateau sur le port - réplique de ceux qui voguaient sur les océans à l’époque de l’esclavage – rappelle à tous que ce peuple a écrit aussi une longue page de l’histoire de la navigation. Il permet de comprendre dans quelles conditions voyageaient non seulement l’équipage mais aussi les esclaves embarqués. A visiter absolument.
En privilégiant l’usage du vélo plutôt que celui de la voiture, en optant pour le cosmopolitisme social et le commerce de proximité, la Hollande montre que des voies pour le mieux-vivre existent. Il nous reste à oser.
Raphaël ADJOBI
23 août 2009
Visiter Amsterdam et s'instruire
Visiter Amsterdam et s’instruire
Les voyages ne forment pas que la jeunesse ; chacun le sait, sauf peut-être la jeunesse. Raison pour laquelle ils ont, dans les siècles passés, abondamment nourri la littérature. A vrai dire, aujourd’hui on ne voyage pas ; on est transporté d’un lieu à un autre. Et une fois à destination, on cherche à satisfaire ses yeux et à profiter des tables locales. Les impressions de voyages d’aujourd’hui se limitent donc souvent à une collection de « bizarreries ».
Pour ma part, mon récent séjour à Amsterdam m’a beaucoup appris et ne me permet plus de me contenter des habitudes. Je voudrais ici vous livrer mes impressions et mes analyses qui motivent cette conviction. Le futur voyageur pourra tirer profit de certains détails. Vos impressions et vos analyses personnelles seront aussi les bienvenues.
Arrivée et installation : Un premier contact avec le métro assez décevant parce que les noms des stations sont en petits caractères. Difficile de savoir où l’on se trouve. De ce point de vue, Paris est imbattable en efficacité. Préférez le tramway en toutes circonstances. Les distances entre les différents sites se font facilement à pied. Aussi, n’hésitez pas à choisir un hôtel qui vous semble loin du centre. L’immensité d’Amsterdam sur une carte n’est qu’un trompe-l’œil.
La ville ou le vélo est roi : C’est souvent ce que l’on entend dire d’Amsterdam. La réalité dépasse les paroles. Imaginez la ville de Paris vidée des trois quarts de ses voitures et dotez-la de parkings à deux niveaux pour les vélos et vous avez Amsterdam !
Donc peu de voitures en circulation. Tout le monde est à pied ou à vélo. Tout à été prévu pour que chacun puisse l’utiliser quotidiennement, même pour accompagner les enfants à l’école ou pour aller faire ses courses. Toutes les rues, les nationales, et mêmes les larges voies autoroutières reliant la ville aux banlieues sont doublées d’une piste cyclable et d’une voie piétonne ; et dans les deux sens s’il vous plaît ! Mais attention, les cyclistes vont vite ! Et le piéton n’a pas intérêt à « squatter » leurs voies.
Il semble que les suisses ont également une vieille et grande pratique du vélo. Mais le phénomène, sans doute moins frappant, n’a pas retenu mon attention lors de mon séjour dans les années 90. Alors qu’en France tout est fait pour la voiture, en Hollande tout est fait pour que son usage ne soit pas nécessairement quotidien. Une vraie culture du vélo alors qu’en France il n’est qu’un loisir.
Belle leçon pour les pays en développement : Que ceux qui croient que le vélo-taxi est la marque des pays sous-développés revoient leurs leçons d’écologie. La Hollande pratique le vélo-taxi, le bateau-taxi, le bateau-bus. La politique du tout pour la voiture qu’affectionnent de nombreux pays européens comme la France et l’Espagne (les deux pays que je connais) et que copient les pays africains et sud-américains rend très difficile - pour ne pas dire impossible - une vraie politique écologique en matière de pollution atmosphérique. D’autre part, le tout voiture génère un aménagement du territoire de plus en plus compliqué rendant les déplacements de moins en moins commodes hors les locomotions motorisées.
Être en retard peut parfois s’avérer un atout. Avant les années 80, le réseau routier espagnol était celui d’un pays sous-développé. En tenant compte des erreurs des pays plus avancées dans ce domaine, l’Espagne dispose aujourd’hui d’infrastructures routières nettement plus commodes que la France. En se montrant attentifs aux expériences étrangères, les pays africains peuvent donc bâtir un avenir plus commode et plus écologique.
Raphaël ADJOBI
Photo 1. Maison flottante. L’eau étant omniprésente, les maisons flottantes sont ici des habitations ordinaires.
Photo 2. Amsterdam est une ville qui ose le mélange des architectures : anciennes, modernes, de style étranger comme cette immense construction de style pagode rappelant l’Asie. On apprécie aussi le mélange des saveurs du monde en gastronomie.
08 août 2009
Un don (de Toni Morrison)
Un don
Un don est un roman qui demande une attention permanente et suscite régulièrement des questions quant à l’identité des personnages. En d’autres termes, on peut être souvent perdu. Il est donc conseillé de ne pas l’avoir entre les mains dans un moment où l’esprit est trop agité.
L’Histoire du roman se situe au XVII è siècle, aux débuts de la traite négrière atlantique. Ici, les événements précèdent les périodes rudes de l’asservissement des nègres peint dans Beloved auquel Un don reprend un peu le style à la fois poétique et brutal. C’est l’histoire de plusieurs vies brisées, non pas par la dureté des conditions du travail infligé aux esclaves (indigènes, noirs ou blancs), mais par la simple difficulté d’être et de s’adapter à cet univers chaotique qu’était le nouveau monde se remplissant d’aventuriers, misérables, condamnés et bannis venus d’Europe.
Jacob Vaark qui a hérité d’une terre mène une vie de fermier et de commerçant dans cette Amérique où tout semble possible. Il va peu à peu se construire un petit univers apparemment à l’abri des souffrances qui guettent ce monde esclavagiste qui lentement mais sûrement fabrique des chaînes aux pieds des humains. D’abord, il achète une esclave indigène de 14 ans, Lina. Mais elle sera plus une aide en attendant qu’il prenne femme. Puis il épousera Rebekka, une Européenne comme lui. Les deux femmes se jalouseront avant de devenir complices et inséparables. Enfin arrivent deux fillettes noires : Sorrow recueillie des eaux par des bûcherons et Florens, que Jacob obtient en paiement d’une dette. Parce que par prudence le fermier ne voulait pas de la main-d’œuvre masculine à la maison, il se contentait de louer les services de deux esclaves blancs d’une propriété voisine dont l’un rêve de racheter sa liberté sans cesse compromise. Pour achever son œuvre de bâtisseur d’un monde qui prospère, Jacob entreprit la construction d’une nouvelle demeure aux dimensions de ses rêves. Pour cela, il eut besoin du concours d’un ferronnier noir libre. Voilà donc le décor et les protagonistes. Mais tout cela se trouve dans le désordre dans le roman.
Il ne restait plus à Jacob Vaark et à Rebekka qu’un héritier pour espérer faire prospérer ce nid de bonheur. Mais la maladie et la mort permettra très vite une réflexion sur la viabilité d’une telle vie fondée sur un noyau à la Adam et Eve loin de tout clan, de toute famille, de toute tribu.
Un don n’est pas un livre d’action comme on l’entend au cinéma. C’est le récit du passé et la vie de chacune des domestiques noires de jacob Vaark qui lui donne toute sa dimension déchirante. Surtout Lina, l’indigène, et Sorrow nous renvoient aux conditions de l’arrachement à la terre des ancêtres ainsi qu’aux conditions du voyage en bateau. Mais si les souvenirs sont des images brèves parce qu’ils sont ceux de l’enfance, ils nous instruisent beaucoup sur la difficulté des esclaves à se reconstruire après le traumatisme de l’arrachement brutal à leur lieu de naissance et de vie ordinaire. Quant à la vie de Florens (la narratrice, quand le récit n’est pas à la 3è personne) ce sont ses rêves que l’ont suit et qui nous font espérer que quelque chose de nouveau peut naître de ces esclaves dans ce nouveau monde.
Un don est la peinture de l’innocence brisée. Parce qu’il est question de l’enfance meurtrie, donc de l’innocence, ce livre apparaît comme une somme d’images fugaces, incohérentes, anarchiques dans leur association. On peut noter par ailleurs que rarement, la littérature traitant de l’esclavage a fait la part belle à ceux qui, volontairement ou par inclination naturelle, ont choisi une autre voie que celle du brutal asservissement de l’homme avec la productivité pour seule finalité. En mêlant le passé et le présent, Un don laisse penser que le rêve était possible dans le nouveau monde. Mais un rêve qui devient vite une utopie parce que rattrapé par la réalité.
Raphaël ADJOBI
Titre : Un don (193 pages)
Auteur : Toni Morrison
Traduit de l’anglais par Anne Wicke
Editeur : Christian Bourgeois éditeur