10 juin 2009
De la Françafrique à la Mafiafrique
De la Françafrique à la Mafiafrique
Voilà un petit livre qui me permet de découvrir François-Xavier Verschave que je n’avais jamais lu. Ce texte est la retransmission par Judith Cypel de son exposé-débat qui a eu lieu le 3 décembre 2003 à l’espace Renaudie d’Aubervilliers (Seine-Saint-denis).
Il est ici question de la naissance et du fonctionnement, depuis 1960, des relations franco-africaines connues désormais sous le vocable Françafrique puis de son évolution en système mafieux généralisé que le conférencier appelle Mafiafrique. Délibérément, François-Xavier Verschave parle plus du rôle de la France que de celui des gouvernants africains. Cependant, le lecteur comprend clairement que ce système fonctionne exactement de la même manière qu’aux temps de l’esclavage avec la criminalité financière en plus.
Cette analyse de la mise en place de la Françafrique est très intéressante ; surtout le rappel des figures illustres africaines qui voulaient la vraie indépendance promise officiellement. On retiendra aussi les techniques employées par la France pour la mettre en oeuvre : envoyer des soldats très efficaces déguisés en mercenaires pour que la France ne soit pas responsable de ce qui se passe ; affaiblir un pays pour qu’il vende moins cher son pétrole ou autre exploitation en finançant militairement l’opposition et le pouvoir en place,
comme en Angola ; organiser des coups d’état comme la réinstallation de Sassou Nguesso au pouvoir (p.29-32 ; lecture vivement recommandée) ; pratiquer la désinformation pour que le peuple français ne perçoive rien des fourberies politiques et financières. Edifiants !
Mais où va l’argent que toute cette politique de mainmise et de destruction apporte aux acteurs français de la Françafrique ? C’est à cette question que répond la deuxième partie de l’exposé. Eh bien, dit François-Xavier Verschave, cette situation permet aux « plus grandes banques françaises d’avoir la moitié de leurs comptes non déclarés dans les paradis fiscaux. » En d’autres termes, cet argent alimente des caisses illicites et permet aux gouvernants français de faire ce qu’ils veulent : financer leurs partis, faire des coups d’état…
A voir de près, cet exposé montre l’antagonisme existant dans le monde entre d’une part la construction de biens publics que tentent de réaliser les états et d’autre part la criminalité financière qui passe son temps à détruire cette construction par la sauvegarde des paradis fiscaux, ces « pays vassaux, serviteurs de finance parallèle ». Ceux-ci sont en effet un pan économique non négligeable des grandes banques qui par ce biais échappent aux fiscs nationaux , c’est à dire à la contribution ordinaire au fonctionnement des états.
En annonçant ce 3 décembre 2003 que, dans cinq ans, les paradis fiscaux constitueront un drame pour les conquêtes sociales (p.46-47), le public qui écoutait François-Xavier Verschave ce jour-là ne pensait pas entendre un discours prémonitoire. Mais la crise mondiale va lui donner raison en éclatant à la face du monde dans la deuxième moitié de 2008 et au début de 2009. C’est à dire, exactement cinq ans après ! Aujourd’hui, les paradis fiscaux qu’il pointait du doigt en 2003 sont au centre des débats des nations.
Afin de mieux saisir la complexité des réseaux françafricains, il me faudra lire d’autres ouvrages de l’auteur. Grâce à ce petit livre, la face immergée de l’iceberg que constitue ce système semble prendre une dimension plus grande encore puisqu’elle révèle la face financière qui rejoint un fonctionnement de la finance mondiale. Un peu étourdissant tout cela mais passionnant. Un petit livre à lire et à relire. Le détail de la photo est aussi à regarder.
Raphaël ADJOBI
Auteur : François-Xavier Verschave
Titre : De la Françafrique à la Mafiafrique (69 pages)
Edition : Editions Tribord
05 juin 2009
Mercenaires de la République française dans le conflit ivoirien
Mercenaires de la République française
dans le conflit ivoirien
Lentement mais sûrement, les langues se délient et les plumes se montrent de plus en plus allègres pour dénoncer les mensonges de la diplomatie française en Afrique. Le livre de Franck Hugo et de Philippe Lobjois vient d’asséner un coup de pioche supplémentaire à l’œuvre de démolition de cette diplomatie que malheureusement de pauvres africains considèrent encore comme une main salvatrice.
Cinq pages de ce volumineux livre ont suffi aux deux auteurs pour montrer clairement que, contrairement à ce que la France a fait croire à la terre entière au point de susciter des sanctions à l’ONU contre la Côte d’Ivoire, ce n’est point Laurent Gbagbo qui a engagé des mercenaires en 2002 pour défendre son pays. Un mercenaire témoigne que c’est bien la France qui a chargé Marqués, l’ancien bras droit de Bod Denard, de la mission d’intervenir avec la légion étrangère. Il s’est retrouvé en Côte d’Ivoire « avec une dizaine d’autres lascars, des légionnaires pour la plupart recrutés d’urgence. » Il ajoute, comme un fait nouveau, « Marqués a recruté une dizaine de sud-Africains. »
Ils avaient tous un mois à peine pour former une unité solide mais dépendant de l’armée de Côte d’Ivoire. « Vite, nous serons lâchés vers la zone assiégée pour stopper l’avancée de nos anciens copains. » Dans l’ouest, ajoute-t-il, après la prise de Danané par le MPCI, un nouveau mouvement rebelle apparaît : Le MPIGO, formé essentiellement de Yacoubas entraînés par des Yacoubas du Libéria armés par le président Charles Taylor. Dès lors, il n’était plus question d’aller vers le Nord.
En décembre 2002, quand le narrateur de cet épisode rentre en France, il constate que « la main droite (les politiques de la diplomatie française) feint de découvrir la présence de la main gauche » (les mercenaires au service de la France) sur le sol ivoirien. Un peu excédé par cette attitude de la France, le narrateur continue : « Encore une fois la même tactique depuis trente ans : Mercenaire en première ligne, service action en second et détachement de l’armée française en dernier. » Quand la France demande de manière « énergique » que les « méchants mercenaires » rentrent, poursuit-il, Gbagbo n’avait pas envie de les lâcher. « Il faudra toute la dextérité de la diplomatie française pour qu’il cède ». Alors la France promettra à Gbagbo « d’officialiser les soldats français sur place et transformer tout ça en opération Licorne ». Ce qui fut chose faite en janvier 2003.
Quinze jours plus tard, le 6 février 2003, à l’unanimité, les sénateurs français votent une loi interdisant le mercenariat en France. Longtemps, dit le narrateur, les mercenaires ont cru à une blague. Pour eux, la France se tirait une balle dans le pied ; mais ils se rassurent en se disant que la France moralisatrice n’a jamais été capable d’être morale. « On connaît la force des lois, dit un mercenaire, toujours votées jamais appliquées. » Amère, le narrateur poursuit en ces termes : « Faire croire que l’on faisait quelque chose, faire croire que l’on avait changé, que l’on ne gouvernait plus comme avant […] Autour de moi, tout le monde s’était gondolé de rire » à l’annonce de cette loi.
Je ne veux pas ici faire une analyse superflue de ce chapitre du livre. Ce témoignage est tout simplement à verser dans le dossier de dénonciation de la mauvaise foi de la France. Celui des deux auteurs qui raconte cette expérience en Côte d’Ivoire rappelle qu’en 2000, lors d’une conversation précédant son départ du pays, l’un des mercenaires avait dit à leurs anciennes recrues (les rebelles ivoiriens) qu’il appelle « nos anciens copains » : « Le pouvoir est à portée de main. Si j’étais vous, je monterais dans le Nord avec les ouattaristes, et je mettrais sur pied une vraie opposition armée » (p. 345)
Raphaël ADJOBI
Titre : Mercenaire de la République
(15 ans de guerres secrètes)
Auteur : Franck Hugo / Philippe Lobjois
Edition : Nouveau monde édition
Petite histoire de la légion étrangère : C’est le 10 mars 1831 que le roi des Français, Louis-Philippe 1er, annonce à la France entière la création d’une légion composée d’étrangers qui prend la dénomination de « Légion étrangère ». La loi stipule que « la légion étrangère ne pourra pas être employée sur le territoire continental du royaume. »
29 mai 2009
Les discriminations en France
Les discriminations en France
Vous avez sans doute entendu parler de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Son nom ne vous est pas inconnu ; mais la connaissez-vous vraiment ?
C’est parce qu’il a l’intention de faire connaître cette institution et « sortir les gens de la résignation, du fatalisme qui consiste à penser qu’il y a des discriminations mais que l’on ne peut rien faire » pour le combattre que Louis Schweitzer a écrit ce livre. Afin que les gens aient le réflexe de faire appel à la Halde, L’auteur qui en est le président depuis sa récente création en 2005, présente cette institution en insistant sur ses compétences et son organisation.
D’abord, il fait une distinction très nette entre les délits (traiter quelqu’un de salle nègre, de juif assassin, ou peindre une croix gammée sur une tombe) qui relèvent de la compétence de la justice et les discriminations (ne pas obtenir un poste ou un logement parce qu’on est noir ou handicapé physique) pour lesquelles les citoyens peuvent saisir la Halde. Même si, dans ce dernier cas, la Halde n’est pas un passage obligé pour les victimes d’une discrimination, les expériences relatées montrent qu’il vaut mieux passer par elle plutôt que de tenter une démarche solitaire devant les tribunaux.
Ensuite, l’auteur mentionne (p.48) l’article du code pénal qui donne la liste des dix-huit critères de discriminations pour lesquels un citoyen peut faire appel à la Halde pour une action en justice. Aucune hiérarchie n’est établie entre les discriminations pour l’âge, l’orientation sexuelle, l’origine, les mœurs, le sexe, l’appartenance à une ethnie, la nationalité, la race, le handicap, l’état de santé, la grossesse, le patronyme, l’opinion politique, les convictions religieuses, l’activité syndicale, la situation familiale ou les caractéristiques génétiques. Puis l’auteur explique et analyse chacun des critères et souligne les combats, les succès et les échecs de la Halde dans chacun de ces critères. Le relatif succès de la Halde est dû au fait qu’elle peut intervenir, à sa propre demande, devant toutes les juridictions administratives (prud’homme, tribunal administratif) et judiciaires où elle joue le rôle d’expert dans le domaine des discriminations.
Analyses et réflexions
Si la tâche de la Halde est louable, elle ne me semble pas un élément moteur dans la lutte contre le racisme ambiant. Tant que les injures et les quolibets dont vous êtes l’objet ne vous font pas perdre votre emploi ou ne vous empêche pas d’obtenir tel ou tel poste, il vous appartient de vous défendre seul. La Halde ne peut nullement vous aider parce que ces délits ne relèvent pas de sa compétence. C’est votre parole contre celle de l’autre. Un combat que vous pouvez d’avance considérer comme perdu puisqu’à la lecture de ce livre, il apparaît que même convaincus de discrimination dans un dossier présenté par la Halde, certains individus et certaines administrations publiques font appel du premier jugement qui les condamne. C’est dire qu’en France certaines personnes jugent en leur for intérieur qu’ils ont la liberté d’opérer des discriminations (souvent sur la base raciale) dans le choix de leurs collaborateurs ou employés ou encore dans l’attribution d’un service.
Force est de constater que si la France était en retard dans la lutte contre l’esclavage au 19 è siècle, elle est encore à la traîne dans le domaine de la lutte contre les discriminations puisque des institutions analogues à la Halde existent ailleurs depuis le 20è siècle : Etats-Unis en 1964 ; Québec en 1975 ; Grande Bretagne en 1976 ; Belgique en 1993. La France ayant toujours nié le racisme sur son sol et estimant que l’on exagérait son ampleur ne se décide à entreprendre cette lutte qu’au 21 è siècle !
D’autre part, en faisant de la discrimination raciale un élément quelconque perdu dans le flot des critères discriminatoires, on la banalise et on évite ainsi la recherche d’une politique spécifique pour rendre les minorités visibles sur les scènes administratives et politiques. Ailleurs dans le monde et surtout en Europe du Nord, les institutions semblables à la Halde sont souvent doublées de dispositions spécifiques (discrimination positive ou politique muticulturelle) en ce qui concerne la discrimination raciale.
Certes, la création de la Halde est la preuve même que la France reconnaît officiellement enfin l’existence du racisme sur son territoire. Mais quand Louis Schweitzeir – d’ailleurs conscient du retard pris par la France dans la lutte contre les discriminations - dit que le sentiment de discrimination est très fort en France parce que les interrelations (relations entre personnes d’origines différentes) sont plus nombreuses que dans les pays anglo-saxons où les gens se définissent en terme de communautés, c’est ne pas reconnaître l’échec de la politique française qui consiste à dire « parce que nous sommes égaux, il faut s’interdire toute solution spécifique au traitement du racisme ». Tant que la France continuera a penser cela, l’action de la Halde ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan des discriminations liées à la couleur ou à l’origine retardant ainsi le progrès du pays sur la voie de la diversité.
Raphaël ADJOBI
Auteur : Louis Schweitzeir
Titre : Les discriminations en France (184 pages)
Editeur : Robert Lafont
30 avril 2009
Enquête sur le racisme au Vatican : Et si Dieu n'aimait pas les Noirs ?
Enquête sur le racisme au Vatican
Et Si Dieu n’aimait pas les Noirs ?
Il vous est certainement déjà arrivé de saisir un beau fruit, d’admirer sa belle robe puis de mordre avec délectation dans sa chaire pulpeuse. Mais tout à coup, l’éloignant de vos lèvres pour mieux apprécier sa texture, vous crachez précipitamment et avec horreur la précieuse bouchée au moment même où vos yeux exorbités découvrent avec stupeur mille vers grouillant à l’intérieur de ce qui était quelques secondes auparavant un fruit adoré. Je me permets cette image pour faire comprendre combien j’ai été bouleversé, horrifié à la lecture du livre des journalistes Serge Bilé et Audifac Ignace. Sous les ors du Vatican, je découvre le racisme qui me fait repousser loin de moi cette institution.
Certes, ordinairement chacun s’imagine des choses pas très « catholiques » au sein de l’Eglise Romaine. Je suis de ceux qui ne lui « donneraient pas la communion sans confession » au regard de l’Histoire, même si je n’ai pas la pleine connaissance de tous ses méfaits. Cependant, j’étais loin de m’imaginer que cette église apparemment au-dessus de tout soupçon en matière de racisme depuis un demi siècle est infectée de ce racisme ordinaire que l’on rencontre dans les administrations civiles, dans les clubs de sports, dans les lieux de fêtes, dans la vie quotidienne avec ses voisins. Oui, ce racisme ordinaire et quotidien en France, en Italie ou ailleurs en Europe existe bel et bien à tous les étages au Vatican.
Vous découvrirez en effet en lisant ce livre combien les prêtres et les Evêques Européens, dans le saint lieu de l’Eglise Catholique, c’est à dire au Vatican, font subir à leurs pairs africains les mêmes humiliations dans les mêmes termes que le racisme dont font montre les Européens ordinaires à l’encontre des Noirs dans les bus, aux guichets lors de la recherche d’un emploi, dans une administration de demande de logement. Vous découvrirez que, semblables à n’importe quel étudiant africain sans bourse en Europe, des prêtres africains étudiant au Vatican mendient ou travaillent pour pouvoir poursuivre leurs études qu’ils ne terminent parfois pas. D’autres sont sans papiers et vivent dans la clandestinité parce que voulant terminer leurs études contre l’avis du Vatican. Vous découvrirez comment des religieuses africaines envoyées dans ce saint lieu pour palier la crise des vocations chez les Europénnes sont obligées de se prostituer avec des prêtres et des civiles italiens pour pouvoir vivre au quotidien. Qui aurait imaginé que, vivant dans le dénuement total, vendre ses charmes aux policiers italiens et autres civiles est une pratique ordinaire chez les religieuses africaines du Vatican ? Qui aurait imaginé que les religieuses africaines sont en fait des domestiques dans les couvents italiens ? Ce livre fait d’entretiens et de témoignages de religieuses et religieux noirs pourraient vous bouleverser autant que moi.
Outre les entretiens, Serge Bilé et Audifac Ignace remontent dans l’histoire pour expliquer pourquoi le racisme au sein de l’Eglise Catholique est une véritable institution qui l’empêche de réaliser - au niveau de la papauté – ce que les Etats-Unis ont fait en choisissant barack Obama comme président. Les derniers chapitres de ce livre nous apprennent beaucoup sur les relations du Vatican avec le monde noir depuis le début du christianisme. De brefs portraits très intéressants de certains Papes et leurs positions vis à vis des Noirs retiendront l’attention du lecteur. En clair, au vu de l’histoire, le Vatican n’a jamais su s’éloigner de façon radicale du racisme populaire italien qui, en toutes circonstances, tente de contrôler par des pressions cette institution catholique.
Ce livre est publié depuis janvier 2009 et je suis surpris que les témoignages qu'il contient n'ébranlent absolument pas la presse française. Le racisme est-il devenu chose si ordinaire que lorsqu'il touche le milieu religieux il laisse indifférent ? Des religieuses qui avouent être contraintes de se prostituer à cause des mauvais traitements qu'elles subissent au sein de leurs congrégations italiennes ne méritent-elles aucune attention ? Dans quel monde sommes-nous donc parvenus ?
Raphaël ADJOBI
Auteurs : Serge Bilé / Audifac Ignace
Titre : Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ?
(Enquête sur le racisme aujourd’hui au Vatican)
Editeur : Pascal Galodé
18 avril 2009
Afrique : l'expansion de la téléphonie mobile, un anneau d'or au doigt du lépreux
Afrique : l’expansion de la téléphonie mobile
un anneau d’or au doigt du lépreux
La floraison du téléphone mobile en Côte d’ivoire est un phénomène remarquable mais nullement surprenant. Elle est à la fois le signe d’un besoin réel de communiquer plus aisément mais aussi l’expression de la carence des pouvoirs publics face à ce besoin. La situation de la Côte d’Ivoire n’est sans doute pas différente de celle du Sénégal, du Mali, du Togo du Cameroun ou des deux Congo.
En une décennie, la Côte d’Ivoire est devenue un marché juteux pour les opérateurs français qui l’ont totalement inondée de toutes les innovations technologiques en matière de téléphone mobile. Aujourd’hui, il est rare de trouver une famille où aucun membre ne possède ce petit appareil. On pourrait se réjouir de cet engouement et conclure à un véritable saut dans l’ère moderne. Malheureusement, il convient de constater que cette extraordinaire expansion de la téléphonie mobile cache un taux d’équipement absolument faible en téléphones fixes. Et dans ce dernier domaine, les gouvernants ont fait preuve d’un manque d’appréciation inadmissible en matière de développement. Jamais, rien n’a été fait pour couvrir le pays de cet élément de communication qui est reconnu dans les pays avancés comme essentiel aux progrès économiques, administratifs, et même sociaux. En un mot, un formidable moteur de développement national.
En Côte d’Ivoire, et sans doute ailleurs dans les pays cités plus haut, le téléphone fixe demeure toujours un objet de luxe, non point parce que l’on n’en veut pas, mais parce qu’il est peu fiable et une source de conflits avec l’administration. Une installation avec des délais délibérément trop longs qu’il faut écourter en corrompant les administrateurs locaux ; une facturation aléatoire qui peut vous plonger du jour au lendemain dans un conflit sans fin avec l’opérateur national ; un service après vente inexistant. Force est de reconnaître que tout cela n’est guère engageant. Par ailleurs, jamais l’état n’a eu la ferme volonté de développer le réseau du téléphone fixe ; jamais d’incitation à l’acquisition de cet outil par une quelconque campagne qui en montre la nécessité vitale ; jamais la volonté de faciliter son accès à la population.
Alors bien sûr, l’avènement du téléphone mobile est vite apparu comme le moyen idéale de se libérer des problèmes administratifs et financiers avec l’état et lui tourner définitivement le dos. Désormais, les usagers savent ce qu’ils consomment. Très vite, ont fleuri sur tous les trottoirs des villes et des villages - même parfois les plus éloignés - des kiosques téléphoniques. De petits commerçants ont supplée la carence de l’état en montrant par cette couverture extraordinaire du pays le réel besoin des populations en matière de communication plus rapide et sûre. Personne ne peut donc nier que les Ivoiriens étaient dans le besoin ; un besoin que l’état ne satisfaisait pas parce qu’il ne le prenait pas en compte dans son programme de développement.
La conséquence d’un tel état de chose est inévitablement la fracture numérique avec les pays avancés. Le faible taux de connexion à Internet en Côte d’Ivoire est dû en premier lieu à l’absence d’un réseau téléphonique fixe conséquent. La légèreté des bourses et le véritable intérêt des usagers pour cet outil ne seront pris en compte dans ce faible taux de connexion que lorsque les moyens techniques préalables seront disponibles. D’autre part, on peut constater qu’une fois encore la Côte d’Ivoire – comme d’autres pays africains – brûle les étapes du progrès technique perdant ainsi le contrôle de son propre développement. Le téléphone mobile apparaissant ainsi comme l’anneau d’or au doigt du lépreux.
En attendant donc que l’état ivoirien – et sans doute les autres états africains – comprenne qu’il y a un véritable marché qu’il peut conquérir, ce sont les opérateurs étrangers de téléphonie mobile qui se frottent les mains le sourire aux lèvres.
Raphaël ADJOBI
14 avril 2009
La Pensée noire (les textes fondamentaux)
Les textes fondamentaux de la pensée noire
C’est avec plaisir que j’ai découvert le vingt-deuxième numéro Hors-série de l’hebdomadaire Le point qui vient de paraître. Dans ce dernier numéro, Le Point offre au public l’occasion de découvrir les textes fondamentaux de la littérature et de la pensée noires du 18 è siècle à nos jours.
Pour introduire ce dossier, la revue donne la parole à quelques éminents enseignants d’Université tels Souleymane Bachir Diagne (Université de Columbia, originaire du Sénégal), Romuald Fonkoua (Université de Strasbourg), Françoise vergès (Université de Londres) auteur du livre d’entretiens avec Aimé césaire (Nègre je suis, nègre je resterai / Albin Michel). Puis la revue donne des clés de lecture (présentation de la personnalité suivie d’un extrait d’œuvre) pour aborder une série d’auteurs, de Olaudah Equiano (1745-1797) et Toussaint Louverture à Derek Walcott et Edouard Glissant en passant par Louis Delgès, Frederick Douglass, Marcus Garvey, Richard Wright, Cheikh Anta Diop, James Balwin, Wole Soyinka, Léopold S. Senghor, Toni Morrison, Aimé Cessaire et bien d’autres. En tout une vingtaine d’écrivains ou penseurs noirs auxquels s’ajoutent les figures illustres des combats modernes dont les plus connus sont Frantz Fanon, Nelson mandela, Malcom X, et Martin Luther King. Figurent également dans cette dernière étude Kwamé Nkruma , l’Américain Louis Farrakhan (que je découvre), et le chantre du rastafarisme Bob Marley.
Ce numéro du Point sera un précieux auxiliaire pour tous ceux qui sont désireux de connaître les Noirs qui, par leurs écrits ou leurs combats théorisés ont contribué à forger une pensée autour de l’esclavage, de la colonisation et de la lutte pour la dignité de l’homme noir. 130 pages qui présentent de belles pistes de lecture. J’ai été pour ma part très heureux de découvrir des figures littéraires que j’ignorais totalement.
Raphaël ADJOBI
Le Point, Hors-série n° 22, Avril-Mai 2009.
Prix : 6,50 € / 5000 f cfa.
(Pour commander : Le Point, Libre réponse 29606.
75482 Paris Cedex 10)
03 avril 2009
Des nègres et des juges ou La scandaleuse affaire Spoutourne
Des nègres et des juges
ou
la scandaleuse affaire Spoutourne
C’est ici l’histoire de la scandaleuse affaire Spoutourne du nom de la plantation martiniquaise où se sont déroulés les événements dont le livre retrace le procès.
Les faits : La plantation Spoutourne appartenant à une veuve installée en métropole est gérée par le sieur Vermeil qui a tout autorité pour diriger le travail des esclaves. Aux dires de ceux-ci, l’homme serait devenu violents après son mariage et n’a cessé depuis lors de multiplier les sévices à leur encontre. Ce qu’il n’était point quand il fréquentait une négresse. Abusant de son pouvoir, il lui plaisait pour un oui pour un non de fouetter un esclave jusqu’au sang ou le mutiler, enfermer plusieurs d’entre eux dans une pièce minuscule où ils les laissait à la limite de la mort par asphyxie. Il abandonna un jeune Noir, qu’il venait de faire fouetter à mort, attaché nu sur une plage. Des crabes lui dévorèrent les parties intimes durant la nuit. Devant tant d’injustices et de mauvais traitements, une délégation de douze esclaves se rendit au bureau du nouveau juge de la Martinique à la suite de nouvelles violences. Puis ce fut tous les esclaves de la plantation – certains en sang - qui se présentèrent pour demander la fin des injustices et cruautés. Le juge convoqua le sieur Vermeil pour l’entendre et lui fit quelques reproches sur sa mauvaise gestion.
Analyse et réflexions : Contrairement à la révolte violente qui est la forme de revendication attendue par les colons, cette tentative faite par un atelier d’esclaves d’utiliser les institutions coloniales pour tenter d’obtenir une amélioration de leur sort était si originale à l’époque qu’elle apparut une véritable bizarrerie aux yeux des Blancs de l’île. D’autre part, un juge métropolitain qui accepte non seulement de recevoir les plaintes des esclaves mais encore de leur donner suite en convoquant le géreur de l’habitation Spoutourne puis en adressant des courriers aux diverses autorités compétentes, voilà qui perturbe l’habituel rapport des forces et exaspère les colons prêts à tout pour sauvegarder leurs intérêts et leur pouvoir dans les colonies.
Le livre de Caroline Oudin-Bastide tente d’analyser les documents publics et privés de ce procès inédit au centre duquel six des douze esclaves de la délégation du 8 février 1831 apparaîtront le plus souvent comme le prétexte de règlement de compte entre les colons et les administrateurs métropolitains affectés dans les îles. En clair, ce livre montre comment les colons ont oeuvré durant des années, des siècles, à faire en sorte que les lois de la République ne puissent jamais s’appliquer dans les Antilles françaises ; comment ils tentent toujours de convertir les nouveaux arrivants à leur ordre esclavagiste ; comment ils manœuvrent constamment pour discréditer et faire chasser tous les nouveaux arrivants chargés d’exercer un quelconque pouvoir qui rappellerait la métropole. La seule façon de leur plaire « consiste à leur donner gain de cause quand ils ont tort, lorsqu’ils ont des procès avec les gens de couleur. » Aussi, c’était bien souvent un Conseil privé de la Martinique, formé par les colons, qui jugeait les affaires à la place d’un vrai tribunal de juges venus de la métropole.
Aujourd’hui, au regard de certains événements récents, je me dis qu’il est tout à fait inadmissible qu’un peuple connaissant l’injustice pratiqué par ses aïeux soit aussi inconscient devant les injustices actuelles. D’autre part, il serait bon que les Noirs scrutent les pages de l’histoire qui dorment dans les archives et réveillent la mémoire de leurs ancêtres qui se sont dressés contre la barbarie de l’esclavage et du colonialisme et leurs tressent les lauriers usurpés par la longue liste des prétendus abolitionnistes blancs qui ont plié l’échine devant leur combat. Parmi eux, il faut compter Cyrille Charles Auguste Bissette qui, obligé de quitter l’île pour la métropole n’a pas manqué de suivre l’affaire en qualité de mandataires des hommes de couleurs de la Martinique, comme il se définissait lui-même.
Raphaël ADJOBI
Titre : Des nègres et des juges
La scandaleuse affaire Spoutourne
(1831-1834)
Auteur : Caroline Oudin-Bastide
Edition : Editions Complexe
(Collection : De source sûre)
28 mars 2009
L'audace contagieuse d'Obama
L’audace contagieuse d’Obama
Il est fort plaisant de constater que les dernières élections américaines qui avaient embrasé la terre entière commencent a porter des fruits dans les sociétés multiraciales. Disons-le net, l’audace d’Obama qui fut récompensée de la plus belle des manières a contaminé bien des esprits.
Tout porte à croire que le coin du monde où cette élection de l’homme aux multiples cultures aura le plus d’impact sera sans aucun doute l’Amérique latine. A force de regarder les maux du sous-développement de notre Afrique et nos guerres intestines attisées par les marionnettistes du Nord, nous avons totalement perdu de vue les souffrances de nos semblables noirs dans les Amériques.
Mais à regarder cette partie du monde de plus près, nous nous rendons compte que là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, des Noirs comme nous portent des boulets semblables aux nôtre et mènent par voie de conséquence le même combat pour la reconnaissance de leur dignité et surtout le droit d’exister dans une société mutiraciale. Il semble en effet que les Noirs vivant dans des sociétés multiraciales se sentent plus concernés que les Africains par l’audace d’Obama au point de se sentir quelque peu galvanisés.
Au Costa Rica, petit pays d’Amérique central de moins d’un demi million d’habitants, dont seulement 3 % de Noirs, l’ex-députée afrodescendante Epsy Campbell a confirmé depuis plusieurs semaines son intention d’être la candidate de son parti (PAC = Parti Action Citoyenne) aux élections présidentielles de 2010. Elle va donc affronter dans une élection interne le fondateur du parti Otton Solis. Quelques quatre mois avant l’investiture d’Obama, cette économiste de 45 ans et consultante internationale avait elle-même écarté l’idée d’être candidate aux élections présidentielles de son pays. Sans doute, Epsy Campbell est devenue plus confiante et se met à rêver que tout est possible ou qu’il faut tout simplement oser comme Obama.
Combien parmi nous savent qu’environ deux millions d’Irakiens ont des racines africaines ? Dans ce pays, jamais les Noirs n’ont eu droit à des postes de pouvoir important, ni politiquement, ni administrativement. C’est sur cette terre d’Europe musulmane, à Zubayr, une ville qui compte 800 noirs, située au sud de Basra, que vit Al Reckayis, un employé municipal. Le 31 janvier 2009, Al Reckayis avait décidé de se présenter aux élections provinciales. Nous ignorons le sort que lui ont réservé les urnes. Mais cette audace dans cet océan d’indifférence et de mépris pour les Noirs propre aux pays arabes mérite d’être soulignée. Notre homme avait reconnu lui-même que c’est l’audace d’Obama qui lui avait donné le courage de se présenter.
En janvier 2009, c’est d’abord par le mépris du silence que l’état et les médias français ont traité la grève guadeloupéenne durant deux semaines. « Quand les Noirs auront faim, ils reprendront le travail. » C’est ainsi que généralement l’état et les patrons Békés répondent aux manifestations sur les îles quand ce n’est pas par les armes comme ils l’ont fait en mai 1967. Mais cette fois, sachant que la France avait encensé l’Amérique qui venait de tourner une page sur la question raciale, le monde entier attendait de voir sa réaction. Les Antillais savaient que leurs îles sont proches des Etats-Unis et qu’ils partagent avec les Noirs de ce pays la soif de reconnaissance et de justice. Et puisque le monde entier regardait vers l’Amérique en ce mois de janvier 2009, ils étaient aussi regardés. Réprimer dans le sang une grève contre les restes de l’esclavages quelques jours après l’investiture d’Obama, la France n’a pas osé. Comme a son habitude, le remuant Sarkozy a d’abord refusé ce que les patrons békés acceptaient d’accorder aux grévistes pour ensuite se rendre compte qu’originaire de l’Europe de l’Est, il est ignorant d’un pan de l’histoire de la France qu’il lui faudra apprendre à gérer. La grève antillaise commencée le 20 janvier 2009, date de l’investiture du 44 è président des Etats-Unis, dura 44 jours. Tout un symbole.
Raphaël ADJOBI
(Les informations recueillies sur Epsy Campbell et Al Reckayis viennent du blog Noirs d’Amérique Latine)
Le dessin est de Wiaz, publié dans le Nouvel Observateur.
13 mars 2009
Les Antillais et nous
Les Antillais et nous
Le mouvement de grève guadeloupéen qui a ensuite gagné la Martinique et même – à l’autre bout du monde – l’île de la Réunion n’est rien d’autre que la révélation au grand jour des restes de l’esclavage et de la colonisation que la France entretient sans vergogne tout en les couvrant du manteau trompeur de « Départements d’Outre-mer ». Le monde découvre donc un autre visage de la France : un tiers-monde voulu et entretenu au sein de la République. C’est comme si, sous les ors d’une maison bourgeoise et la belle prestance des maîtres, on découvrait une domesticité noire croupissant dans l’indigence et vivant en marge des droits humains les plus élémentaires.
Il ne faut donc pas s’étonner que de tous les coins du monde, des journalistes – même ceux d’Al Jezira (pardon pour l’orthographe) – aient fait le déplacement aux Antilles pour voir l’orgueilleuse France enfin nue.
Comme il fallait s’y attendre, des hommes politiques - avec la complicité des journalistes qui relaient inlassablement leurs discours – tentent de discréditer la rébellion antillaise en présentant son leader comme un « incitateur à la violence raciale » parce qu’il a crié à la face du monde qu’il ne laissera pas une poignée de békés rétablir l’esclavage. Des blancs poussent l’audace même jusqu’à porter plainte contre lui alors qu’un peu plus tôt un béké avait juré qu’il ne laisserait pas le sang noir souiller le sang blanc sans que cela suscite des remous.
A lire certains blogs, je constate que la rébellion antillaise nous intéresse tous. Aussi, je voudrais ici vous indiquer quelques articles que j’ai beaucoup appréciés et qui montrent la dimension prise par l’événement dans le cœur des Noirs. Je vous conseille tout d’abord le cri du cœur du blogeur Ben. Je vous propose ensuite le regard de l’Haïtien Roody Edmé, donc un voisin des antillais.
Ci-dessous, je vous propose un bel article du journal le monde que m’a envoyé un ami depuis les Antilles. Il apprécie l’article mais y apporte une petite mise au point quant à l’interprétation que les métropolitains font ou pourraient faire des slogans des grévistes.
Bonne lecture !
Raphaël ADJOBI
Bonjour Masque,
La Guadeloupe est une terre lointaine pour ceux d'entre vous qui
vivent à l'étranger.
J'adresse, à tous ceux qui veulent un peu mieux comprendre la situation de crise,
un article du Journal Le Monde qui rend bien compte de la situation,
ce qui n'a pas toujours été le cas dans la presse française.
Une petite réserve. Pour le créolophone
qui vit en Guadeloupe et a donc vécu la révolte de la Guadeloupe, la
traduction proposée en fin d'article du refrain régulièrement entendu
au cours des manifestations "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a
pa yo" ("La Guadeloupe c'est à nous, la Guadeloupe c'est pas à vous") -
est une mauvaise traduction littérale donnant lieu à une mauvaise
interprétation.
"La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa yo" veut dire : La Guadeloupe
nous appartient (ou est nôtre), la Guadeloupe n'est pas la leur.
En créole, "yo" veut dire "eux" ou "ils".
Dans le contexte de cette phrase et de la révolte de Janvier - Février 2009,
dirigée par un collectif d'associations et de syndicats de travailleurs qui s'est
donné le nom de LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon) - Union contre les abus
outranciers, "yo" désigne TOUS les profiteurs. Desquels bien entendu, on ne
peut exclure l'ethno classe des "békés" descendants d'esclavagistes, certains
affairistes "métropolitains" et tous ceux qui se comportent en Guadeloupe comme
dans un "Far West".
Contrairement à ce que beaucoup ont tenté de faire croire, avoir conscience de
la persistance d'une fracture ethnique dans ces pays de la Caraïbe (entretenue par
certains groupes pour asseoir leur domination) et dénoncer cet état de fait, ne fait
pas de vous un raciste.
Salutations de Guadeloupe,
Voir l'article du monde en pièce jointe.
Les raisons du malaise en outre-mer
Le Monde.fr LEMONDE.FR | 27.02.09 | 19h34 • Mis à jour le 28.02.09 | 12h58
Les départements d'outre-mer (DOM) s'embrasent. Après la Guyane, qui protestait en novembre contre
le coût de l'essence, la Guadeloupe est bloquée depuis fin janvier par les grèves, tout comme la
Martinique, entrée dans la danse en février. Les DOM figurent parmi les territoires les plus pauvres de
l'Union européenne. Mais derrière les revendications économiques des manifestants apparaissent les
blessures d'un passé tumultueux. En théorie, les DOM sont des départements – presque – comme les
autres. Mais leur histoire douloureuse et les vestiges du colonialisme toujours présents dans leur société
sont mal connus en métropole.
[-] fermer "Un lourd héritage historique"
Le poids de l'esclavage
Les sociétés ultramarines restent profondément marquées par l'empreinte de l'esclavage, qui a permis
aux sociétés coloniales de prospérer sur la très lucrative culture de la canne à sucre. Au total, quatre
millions de personnes ont connu l'état de servitude dans les colonies françaises. L'esclavage a été aboli
deux fois : une première fois en 1794, avant d'être rétabli huit ans plus tard par Napoléon Bonaparte,
puis le 27 avril 1848, par la IIe République – définitivement cette fois-ci. Paris a toutefois fait le choix de
perpétuer les fondations du système esclavagiste, maintenant des relations commerciales "exclusives"
entre les colonies et la métropole et en décourageant l'autosuffisance alimentaire à travers le soutien à la
monoculture sucrière. Et pour pallier le besoin de main-d'œuvre au lendemain de l'abolition de
l'esclavage, la France a fait venir des travailleurs "contractuels" d'Inde ou d'Afrique, créant de nouvelles
formes de subordination.
Une émancipation inachevée
En 1946, les Antilles accèdent au rang de départements. Toutefois, l'"assimilation" politique engagée par
le biais de la départementalisation ne s'accompagna pas d'une véritable émancipation économique et
sociale. Ce qui fait dire à Aimé Césaire, en 1971, dans Le Monde, que "la départementalisation, [qui]
devait être l'égalité des droits, ne le fut pas. Le nouveau système est devenu encore plus colonialiste que
l'ancien. Peu à peu, il a sécrété ses privilégiés : ceux qui vivent de lui, les fonctionnaires, les grosses
sociétés, le 'lobby' antillais qui pèse sur le pouvoir". Dans la foulée de la publication des Damnés de la
terre, en 1961, par le psychiatre martiniquais Frantz Fanon, les revendications indépendantistes se font
vives dans les DOM. Celles-ci sont attisées par l'émancipation, en 1962, des Antilles britanniques
vives dans les DOM. Celles-ci sont attisées par l'émancipation, en 1962, des Antilles britanniques
voisines (Jamaïque et Trinité-et-Tobago). Le "mon Dieu, que vous êtes Français", lancé par Charles de
Gaulle à la foule martiniquaise, à Fort-de-France en 1964, n'y fait rien : les années 1960 et 1970 sont
marquées par l'instabilité sociale. En mai 1967, de violentes émeutes et leur répression policière
ensanglantent Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, faisant officiellement sept morts (aujourd'hui, on parle de
87 de morts), tandis qu'en mars 1971, de violentes échauffourées éclatent à Basse-Terre, après trois mois
de grève générale. La métropole éteint les braises, mais ne résout pas les problèmes de fond.
Coût de la vie
Difficile d'évaluer précisément l'écart de prix entre les territoires d'outre-mer et la métropole. Les études
à ce sujet font cruellement défaut, l'Insee ne disposant d'aucune statistique sur ce point. Tout juste saiton
que l'inflation a été plus forte dans les DOM qu'en métropole, atteignant notamment 2,4 % en 2007
en Martinique, contre 1,5 %, en France métropolitaine. L'Etat tient compte en tout cas de la "vie chère"
dans les DOM, puisque les fonctionnaires qui y sont mutés disposent d'une prime augmentant leur
salaire de 40 %.
La fiscalité particulière de ces territoires rend certains produits, notamment ceux importés de métropole,
particulièrement onéreux. Les DOM ne font pas partie du territoire fiscal de la France et sont considérés
comme des territoires d'exportation par la métropole et l'UE. Les produits importés sont ainsi soumis à
une taxe d'"octroi de mer" fixée par les conseils généraux, en fonction de la catégorie de produit. Pour
les produits cosmétiques, par exemple, cette taxe représente 30 % du montant TTC. L'octroi de mer est
censé protéger les entreprises locales en surtaxant tout ce qui vient d'ailleurs, mais il fait grimper
vertigineusement les prix des produits d'importations, déjà soumis à des frais d'embarquement, de
débarquement et de fret maritime.
Une production peu diversifiée
Durant des siècles, Paris a découragé la diversification économique de ses colonies, ne favorisant que la
culture de la canne à sucre. Aujourd'hui encore, l'agriculture constitue l'essentiel de l'activité économique
des DOM, comme le relevait le sénateur Roland de Luart dans son rapport de 2003 sur le projet de loi de
programme pour l'outre-mer. "Les productions sont très spécialisées, notamment la banane, le rhum et
le sucre, et tournées vers l'exportation." Avec le tourisme, l'autre principale source de revenus dans les
Antilles, l'économie antillaise repose sur des activités fortement soumises aux aléas climatiques et très
dépendantes des relations avec la métropole.
Par ailleurs, l'économie des DOM repose largement sur le secteur public, qui y emploie un nombre
d'agents très important. La proportion de la fonction publique au sein de la population active est ainsi de
37 % en Martinique et 40 % en Guyane, contre 26,3 % en métropole, selon les chiffres de l'Insee.
Autres fragilités : l'étroitesse des marchés locaux et les difficultés de financement des entreprises, les
banques étant réticentes à financer des entreprises situées dans des territoires où le risque est perçu
comme plus important. Le point positif des économies ultramarines reste toutefois le dynamisme de sa
population, et ce malgré un niveau de formation inférieur à celui constaté en métropole. Les DOM
population, et ce malgré un niveau de formation inférieur à celui constaté en métropole. Les DOM
compensent cette faiblesse par une population plus jeune en moyenne qu'en métropole. Le taux de
création d'entreprise est ainsi relativement élevé – de 18,2 % par exemple à la Réunion, pour une
moyenne nationale de 11,1 %.
Les aides de la métropole
Les mesures fiscales mises en place par l'Etat, censées accélérer le développement de l'économie locale,
ont en réalité surtout contribué à enrichir quelques grosses fortunes locales, creusant les inégalités. La
vingtaine de dispositifs fiscaux – qui représentent un coût de 3,3 milliards d'euros au budget 2009 –
n'ont guère fait la preuve de leur efficacité, quand ils ne produisent pas d'effets pervers. Ainsi le coût de
la défiscalisation en matière de logement n'a cessé de croître (230 millions d'euros en 2008, soit + 27 %
en deux ans), avec pour effet pervers de mettre en panne la construction de logements sociaux au profit
du logement libre et de renchérir les prix des terrains.
Au total, l'effort global de l'Etat en faveur de l'outre-mer se monte à 16,7 milliards d'euros en 2009. Près
de 4 milliards de plus sont programmés pour la période 2007-2013 dans le cadre de la "politique de
cohésion" de l'Union européenne. Avec un produit intérieur brut (PIB) inférieur à 75 % de la moyenne
européenne (67,3 % pour la Guadeloupe), les départements d'outre-mer peuvent bénéficier de mesures
dérogatoires. Mais pour de nombreux élus locaux, le maintien sous perfusion des économies
ultramarines est loin de répondre à l'urgence sociale de ces territoires.
Une situation sociale explosive
On comptait 22,7 % de chômeurs en Guadeloupe en 2007, 21,2 % en Martinique, 24,2 % à la Réunion,
contre 8,5 % pour l'ensemble de la France selon les données de l'Insee. Mais surtout, le chômage de
longue durée y est très prégnant. Ainsi, plus de la moitié des sans-emploi guadeloupéens le sont depuis
plus de trois ans. La proportion de RMistes est elle aussi alarmante (19,4 % par exemple en Guyane,
contre 3,4 % en métropole). Dans son rapport sur l'outre-mer, le sénateur Du Luart note ainsi que les
forts taux de chômage en outre-mer s'expliquent par le décalage entre une croissance économique plus
importante qu'en métropole et une évolution démographique encore plus forte – en un siècle, la
population ultramarine est passée de moins de 600 000 personnes à plus de 2,4 millions aujourd'hui.
Au-delà de ces statistiques, le mouvement de protestation qui secoue les Antilles signale surtout le rasle-
bol de la population face à une structure sociale héritée du colonialisme, basée sur la "pwofitasyon",
dans laquelle la richesse est concentrée entre les mains de quelques grandes familles de "békés". Pour
Christiane Taubira, députée divers-gauche de Guyane, la situation dans les DOM "frôle l'apartheid
social".
[-] fermer "La question du statut politique"
Depuis le début des manifestations en Guadeloupe, le collectif LKP évite d'évoquer la question du statut
de l'île et son maintien dans la République. Pourtant, malgré la révision constitutionnelle de 2003 – qui
avait notamment entériné la suppression des TOM (territoires d'outre-mer) au profit de "collectivités
territoriales" fixant elles-mêmes leurs règles de gouvernement –, la question du lien avec l'Etat reste
posée. Les quatre DOM – Martinique, Guyane, Guadeloupe et Réunion – sont gérés par un conseil
général et un conseil régional, dont les compétences sont identiques à celles des structures de la
métropole. Mais en raison de la faiblesse de leurs ressources propres, notamment fiscales, ces
collectivités présentent une dépendance accrue à l'égard de l'Etat.
En décembre 2003, la Guadeloupe a rejeté par référendum à près de 73 % la création d'une collectivité
unique se substituant à la région et au département. A l'époque, ce vote avait été interprété comme un
attachement au statut de DOM et à la France, et donc comme la fin de la tentation indépendantiste. La
Martinique avait elle aussi rejeté cette possibilité à une courte majorité (50,48 %). Depuis cette date, le
débat sur l'évolution du statut et la responsabilité locale a été enterré. Or, plusieurs analystes relèvent
que dans la crise actuelle, l'un des points-clés est le problème de la domiciliation de la décision politique.
Ainsi, le mouvement LKP exprime une quête identitaire qui ne peut se réduire aux revendications
sociales. Le slogan "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo" ("La Guadeloupe, c'est à nous ;
la Guadeloupe, c'est pas à vous"), qui rythme les cortèges depuis le début du conflit, marque cette
émergence identitaire. En annonçant, le 19 février, la convocation d'"Etats généraux de l'outre-mer",
Nicolas Sarkozy semble avoir entendu ce besoin de réétudier le lien entre la République et ses DOM.
Reste à savoir quelles propositions sortiront concrètement de ces Etats généraux.
27 février 2009
Le phénomène Alain Mabanckou
Le phénomène Alain Mabanckou
L’écrivain congolais (du petit Congo !) Alain Mabanckou a réussi depuis quelques années à se faire une place dans les actualités littéraires françaises. Un succès indéniable que je lui souhaite long et étendu à d’autres contrées que la France. La gloire en quelque sorte. Car comme il le dit lui-même, « le succès est une étoile filante, la gloire un soleil ». Mais n’est-ce pas déjà la gloire que d’aligner deux ou trois succès ?
Afin de ne pas paraître un ignorant devant le flot du succès qui emporte mes amis internautes, j’ai décidé de plonger dans le bain « Alain Mabanckou » pour avoir un jugement personnel du phénomène. J’ai plongé en aval dans Black bazar pour remonter le courant par Verre Cassé.
Black Bazar
C’est l’histoire d’un jeune « ambianceur » congolais (du petit Congo ! l’auteur y tient) qui passe son temps à regarder la face B des jeunes femmes. Un de ces « sapeurs » Congolais dont l’habillement se rapprochait plus de celui du clown Zavata que de celui du cadre dynamique. Une histoire de la « négraille » parisienne en quelque sorte, avec des portraits savoureux et quelques pages poétiques quand l’amour s’en mêle. L’atmosphère du livre rappelle un peu celui du film Black Mic-Mac avec Josiane Balasko et Isaac de Bankolé.
Ce livre est une sorte de sommes des préjugés culturels que véhiculent les Noirs aussi bien sur eux –mêmes que sur les blancs. Si dans son entretien qu’il a accordé à la revue Nouvel observateur l’auteur parle de racisme des Noirs, je veux pour ma part distinguer préjugés culturels qui ne supposent pas de mise en place de moyens d’exclusion et le racisme qui contient la notion de rejet « épidermique » de l’autre, qui suppose une barrière de couleur qu’on aimerait infranchissable. Les préjugés n’empêchent pas la fraternité, le racisme si.
Le niveau de langue – le langage familier mêlé au langage soutenu – adopté par le roman ne m’a pas séduit. Tout porte à croire que le destinataire du roman est cette même « négraille » qui en est l’objet. D’autre part, cette profusion d’allusions culturelles m’a parut bien assommante même si quelques unes m’ont arraché le rire. Si ces allusions culturelles semblent justifiées dans Verre Cassé compte tenu du statut du personnage principal, ici elles deviennent souvent pesantes. On se dit souvent : « que va-t-il encore nous sortir ? »
Autre chose que je n’ai absolument pas aimé, ni dans ce roman ni dans Verre Cassé, c’est la peinture discourtoise que l’auteur fait des dirigeants africains qu’il assimile à de grands enfants gâtés qui font la queue chez les prostituées, prennent des décisions à la sauvette, nomment et chassent leurs collaborateurs selon leurs humeurs très changeantes. Ce rabaissement des dirigeants africains présentés comme à la limite de la débilité et se vautrant dans la fange m’a semblé coller de trop près à l’imagerie africaine ou à l’imaginaire africain des Européens.
Verre Cassé
Verre Cassé est indiscutablement un chef d’œuvre. Les prix décernés à ce roman sont, à mes yeux, fort justifiés.
Le livre est organisé comme une suite de nouvelles. C’est l’histoire d’ « un vieux con des neiges d’antan » qui a un faible pour le vin rouge et qui est fait écrivain public pour recueillir les tranches de vie des personnages pittoresques qui fréquentent le bar Le Crédit a voyagé. Ses digressions assez nombreuses et de plus en plus longues nous permettent de découvrir sa propre vie.
Le discours d’un ivrogne est toujours très agréable à suivre. On en rit, on ne le prend jamais très au sérieux même si, selon l’opinion publique, la vérité est bien souvent au fond du verre. Il fait partie du délassement public. On n’en fait pas un objet d’étude. Je parie que les femmes seront nombreuses à ne pas aimer le roman à cause de cela. Mais les hommes adoreront ! Alain Mabanckou est ici plein d’imaginations et grand joueur avec les dictons et les formules toutes faites. L’association des langages familier et soutenu (« y a pas mieux que ce stratagème ») ainsi que l’usage de la « virgule » comme unique signe de ponctuation rendent le texte d’un abord rebutant. Mais plus on avance et plus on se rend compte que ces éléments, joints aux images hétéroclites auxquelles nous renvoient les nombreuses allusions, sont la marque de l’inconstance du discours d’un ivrogne qui ne sait pas toujours où commencent ses pensées et où elles se terminent. On finit par avoir le sentiment qu’on comprend Verre Cassé parce qu’on a bu un verre de trop comme lui. J’avoue que j’ai parfois soupçonné l’auteur d’avoir trop levé le coude pour écrire certaines pages. Un délice !
Et vous, savez-vous « pourquoi l’oiseau en cage chante-t-il ? »
Raphaël ADJOBI
Black Bazar : Edit. Du Seuil
Verre Cassé : édit. Points