Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

17 mars 2020

Tombeau d'Olivier (Alain Badiou)

                                             Tombeau d'Olivier 

                                          (Alain Badiou) 

Numérisation_20200316

        Ce livre nous dit le grand intérêt d’écrire, de laisser une trace de ce que l’on pense ; car l’écriture est assurément la meilleure façon de se faire comprendre et connaître, quand on sait que les autres ne prennent jamais le temps de nous regarder et de nous écouter. 

        Pourtant, je n’aurais jamais lu ce livre si on ne me l’avait pas offert. Ayant appris sur les ondes qu’Alain Badiou y parle de son fils – un jeune noir mort de façon étrange – j’avais immédiatement pensé qu’il profitait de sa notoriété pour l’encenser. Les premières pages du livre m’ont vite fait comprendre qu’il veut que chaque lecteur sache ceci : derrière la banalité de tous ces êtres que nous qualifions de « jeunes des banlieues » ou de « racailles », il y a « un roseau pensant ».

        Certes, nous ne pouvons pas tenir nos enfants en laisse et en faire ce que nous voulons. Mais, l’auteur nous montre que toute mère, tout père doit avoir l’intelligence de s’occuper de l’esprit de sa progéniture, c’est-à-dire lui offrir l’arme nécessaire à l’expression de son être. C’est ainsi que, comme lui, l’on peut découvrir que les jeunes qui sont terrorisés et traqués à longueur de journée savent mieux que quiconque comment la société s’y prend pour avoir le droit de les abattre sans jugement. Oui, ces jeunes savent que leurs corrupteurs viennent des milieux de l’argent. Ils savent que ceux-ci choisissent leurs victimes dans les banlieues pauvres. Ils savent très bien qu’une fois qu’ils auront des corrompus, la matraque et la loi du juge seront commandées par les politiciens en accord avec les milieux de l’argent. C’est ainsi qu’on les traque, on les traque… et à force d’être traqués, ils ont le sentiment d’être des rats. Alors ils se font rats et vivent comme des rats avec la certitude de finir comme des rats.

        Tombeau d’Olivier est l’expression des limites de l’amour des parents devant l’affrontement entre la couleur de la peau noire et « les maximes disparates de la doctrine dominante » qui font que toute exception à la règle apparaît comme pathologique, donc à éliminer. En d’autres termes, Tombeau d’Olivier est l’affirmation d’un père blanc de la difficulté d’être un Français noir. Le livre fait apparaître l’écriture comme la signature de chacun d’exister ou d’avoir existé. En effet, Tombeau d’Olivier est l’analyse que fait Alain Badiou des textes laissés par son fils.

Raphaël ADJOBI

Titre : Tombeau d’Olivier, 118 pages.

Auteur : Alain Badiou

Editeur : Fayard, 2020.

Posté par St_Ralph à 11:37 - Mémoires et biographies - Commentaires [2] - Permalien [#]

02 mars 2020

Olivier Merle démystifie "Le journal d'un négrier au XVIIIe siècle" de William Snelgrave

          Olivier Merle démystifie le best-seller qui a nourri

la pensée européenne sur la traite négrière jusqu'à nos jours

                       (Note inédite à Raphaël ADJOBI du 9 juin 2010)

Journal d'un négrier au XVIIIe siècle

     «Sur ce livre, mon opinion a évolué progressivement à chaque lecture. Ravi au début du témoignage de première main qu’il semblait être, j’ai eu de plus en plus l’impression (et ce dès la seconde lecture mais l’impression s’est amplifiée par la suite) que ce Snelgrave nous prenait un peu pour des imbéciles.

     Je vois maintenant ce livre sous un jour tout autre que le simple témoignage d’un capitaine négrier qui raconte son expérience. Ce livre est clairement un livre de propagande qui a pour but de riposter au mouvement abolitionniste qui commençait à se développer en Europe. Son propos est de donner les arguments habituels en faveur de la traite et de l’esclavage mais en prenant un soin considérable à convaincre et séduire son public.

Il y a d’abord l’organisation du livre en tout point remarquable.

     Dans le chapitre I, on donne d’abord une vision apocalyptique (le mot est très juste…) de la

Olivier Merle

situation en Afrique. La description de la barbarie africaine est propre à faire dresser les cheveux sur la tête du plus endurci des lecteurs européens, tant la sauvagerie sanglante y est décrite dans tous les détails (décapitations d’hommes par milliers, sacrifices, entassements des têtes pour en faire des pyramides, etc). En contrepoint de cette affreuse barbarie, le capitaine Snelgrave se comporte comme un saint Homme. Ses pensées et ses actes sont ni plus ni moins celles d’un prêtre. Et la mise en scène de son humanité et de son courage relève du grand art. Une anecdote parmi d’autres : voilà donc notre bon capitaine, parmi les nègres sanguinaires qui coupe la tête pour un oui ou pour un non, mais qui ordonne à l’un de ses hommes de détacher un enfant de 18 mois attaché à un poteau parce qu’il va être sacrifié le soir même (Snelgrave est indigné que l’on puisse tuer un enfant…). Le roi n’est pas content (on s’en doute) mais le capitaine rachète l’enfant et le ramène à bord du navire pour le sauver (on imagine la scène). Là, l’histoire devient vraiment merveilleuse. La mère de l’enfant est à bord parmi les captifs (quel hasard miraculeux !), elle se précipite pour reprendre son enfant dans les bras (quel liberté de mouvement pour une captive!) et elle se remet à l’allaiter sous les applaudissements (si, si) et les chants de joie de tous les autres captifs. C’est biblique, on voit le tableau : un Snelgrave debout et baigné de lumière, entouré des captifs noirs agenouillés qui le regardent avec admiration, et la mère donnant le sein à son enfant, au pied du capitaine, dans l’harmonie la plus parfaite. Snelgrave, c’est le Sauveur, une sorte de Christ fait capitaine négrier. Le pire, finalement n’est-il pas que notre amour des belles histoires nous fasse gober cette anecdote à la première lecture (à la seconde, on se reprend, heureusement).

     Voilà donc le chapitre I : un récit d’épouvante, l’Afrique c’est l’enfer, et le capitaine un saint homme au milieu de toute cette barbarie. Le lecteur est mûr pour passer au chapitre II. Après une telle description de l’Afrique, comment ne pas adhérer immédiatement à l’idée qu’il faut sauver ces pauvres Noirs de l’enfer et les emmener en Amérique ? Le chapittre II n’a pas besoin d’être long. Il est donc court.

     Pourquoi le livre ne s’interrompt-il pas à la fin du chapitre II ? Parce qu’il doit être lu par le plus grand nombre et qu’il faut attirer les lecteurs, le bon peuple européen, qu’il faut convaincre. Comment faire ? La meilleure façon est d’ajouter quelques bonnes histoires de pirates dont les Européens étaient friands à l’époque. Et on ne va pas y aller avec le dos de la cuillère. Voilà que ce capitaine Snelgrave a également été capturé par les pirates. Et pas par n’importe lesquels, mais par les plus connus de l’époque, ceux dont on parle dans les chaumières en Europe, à savoir Howell Davis (connu pour avoir pris Fort James sur le fleuve Gambie), le Français La Buse (une autre célébrité) et Cocklyn (connu pour sa férocité). Pour les besoins de l’aventure, on réunit ces trois-là ensemble dans le même épisode (le monde est petit et il faut quand même condenser le récit). Et on place ces aventures au chapitre III afin de s’assurer que le lecteur aura lu les arguments pro-esclavagistes avant de se détendre avec les histoires de pirates. Voilà donc un remarquable livre de propagande, parfaitement construit. 

     Notons qu’il est paru en 1734 et, fait extraordinaire, il a été traduit en français dès l’année suivante en 1735. Il devait y avoir un lobby puissant pour faire traduire et publier si vite ce livre dans la langue de l’ennemi héréditaire. Mais il faut dire que le français était la langue la plus lue en Europe à l’époque, d’où l’urgence d’une traduction. Il sera traduit en allemand en 1747 (décidément, un grand succès de librairie).

     Est-il crédible qu’un livre remarquablement pensé et composé, fourmillant d’anecdotes peu crédibles et allant toutes dans le même sens, ait véritablement été écrit par un capitaine négrier ?

     Qui est-il d’ailleurs, ce capitaine Snelgrave ? A vrai dire, personne ne le connaît et on ignore la date de sa naissance et celle de sa mort. Au point que Pierre Gibert (le préfacier de l’édition 2008 publiée chez Gallimard) écrit : Malgré toutes nos recherches, notamment auprès de la bibliothèque du musée de la Marine de Paris et auprès des services d’archives du musée de la Marine britannique de Greenwitch, nous n’avons pu trouver les dates de sa naissance et de sa mort ; nous faisons appel aux lecteurs au cas où ils pourraient nous informer.

Pour un témoin aussi important, ce serait bien en effet de s’assurer qu’il ait vraiment existé...» 

Olivier Merle

9 juin 2010 (http://www.raphaeladjobi.com/archives/2010/05/27/18027633.html )

 

What do you want to do ?
New mail
What do you want to do ?
New mail
What do you want to do ?
New mail
What do you want to do ?
New mail
What do you want to do ?
New mail

Posté par St_Ralph à 16:23 - Histoire - Commentaires [0] - Permalien [#]

22 février 2020

Où sont passés les pharaons blancs ? (Raphaël ADJOBI)

      Où sont passés les pharaons blancs ?

 

Egyptiens et Egyptiennes A

     Depuis quelques années, nous assistons à un spectacle étonnant : plus nous avançons dans le XXIe siècle et plus les égyptologues sont nombreux à contester les affirmations péremptoires nourries par le racisme de leurs prédécesseurs ; affirmations enseignées à travers le monde assurant – par les manuels scolaires, les films et les livres pour enfants - que les Egyptiens avaient construit les pyramides en réduisant des peuples étrangers en esclavage. Aujourd'hui, tous les chercheurs sérieux du monde sont d'accord pour dire que tout cela n'était que mensonge. La revue française Historia de février 2020 vient d’ailleurs d’écrire que s’il y a une certitude, c’est bien celle-ci : l’Egypte ancienne ne connaissait pas l’esclavage ; et comme partout dans l’Afrique ancienne, il n’existait pas en Egypte de mot pour désigner l’esclavage (p. 22). La traite et l’esclavage sont des pratiques qui remontent à l’Antiquité européenne (Histoire des Blancs – Nell Irving Painter, Max Milo 2019) introduits en Afrique par les Arabes au VIIe siècle pour atteindre l’Afrique occidentale au XIIIe siècle. Avant le XIVe siècle, l’Europe ignorait qu’il y avait des hommes au sud du Sahara (cf. Atlas Catalan). Ce qui veut clairement dire qu’avant cette date, en Europe, les esclaves étaient presque tous blancs : «Les esclaves noirs sont une minorité dans le monde avant la traite atlantique» (Catherine Coquery-Vidrovitch – Historia, fev. 2020, p. 20).

 

Numérisation_20200222 (3)

     Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est de voir tous les nouveaux égyptologues européens parler ouvertement de «pharaons noirs» ; expression reprise par Télérama dans sa publication du 11 janvier 2020 (voir image). Enfin, l’homme Blanc rapproche le mot « Pharaon » du mot « Noir » ! Mais en disant qu'il y a des «pharaons noirs» qui ont régné sur l'Egypte, Pierre Ancery (qui signe l’article) et le réalisateur du beau documentaire présenté par Arte cette semaine-là, laissent croire qu'il y avait aussi des pharaons blancs ! La question à laquelle ils doivent répondre est celle-ci : où sont les pharaons blancs ? Qu'ils nous montrent les pharaons blancs avec leur peuple blanc vivant en Egypte dans l'Antiquité. Qu'ils nous expliquent pourquoi des Blancs ont édifié des dieux noirs, comme le sphinx ?

Les Pharaons noirs

     Il faut dire que le documentaire Pyramide K2019, sorti en septembre 2019 et publié sur Internet depuis novembre 2019 a lancé un vrai défi à tous les prétendus Egyptologues blancs. Le réalisateur dit clairement que la demande de Cheik Anta Diop pour analyser scientifiquement les corps des pharaons n’a pas été satisfaite ; et cette analyse n’est toujours pas à l’ordre du jour parce que les Arabes, nouveaux occupant de l’Egypte, s’y opposent. Un jeune français, quelque peu globe-trotter, dont les vidéos ont été exploitées par le réalisateur de Pyramide K2019, bien que ne voulant pas remettre en doute la croyance en une Egypte blanche, assure à deux reprises - dans une vidéo qu’il nomme debriefing de K2019 – qu’en visitant le musée du Caire, on ne peut que croire en une Egypte ancienne nègre. Les propos de ce jeune homme m’ont surpris : comment peut-on accorder plus de crédit à ce que l’on raconte par rapport à ce l’on voit, à ce que l’on touche ? Comment peut-on mettre sur le même pied d’égalité le réel palpable et les racontars ? Il préfère demeurer dans les erreurs apprises que de se fier à la réalité qu'il voit et qu'il touche du doigt !

L'Egypte au XIe siècle

    D’autres documentaires récents sur l’Egypte, disponibles sur Internet, laissent clairement comprendre que les égyptologues occidentaux - tel l’Américain George Reisner - qui ont procédé à des fouilles étaient tous des pilleurs de sarcophages pétris du racisme de leur époque. Ces documentaires assurent enfin que si les pyramides de Koush (Soudan actuel) ont les sommets explosés à coups de dynamite, c’est parce que les pilleurs européens croyaient qu’elles étaient conçues comme celles d’Egypte : c’est-à-dire que les plus belles pièces tombales étaient placées à leur sommet. Or, les pyramides de Koush, plus nombreuses et souvent plus anciennes, ont les tombes royales dans les profondeurs de la terre. Ce qui oblige les Egyptologues de ce XXIe siècle à faire parfois des plongées dans des tombeaux inondés par la montée des eaux.

     Réjouissons-nous de l’émergence d’une nouvelles races d’Egyptologues et d’historiens qui travaillent sur le terrain sans oublier de regarder les populations africaines. Jusqu’ici, tous donnent raison à Cheick Anta Diop que très peu d’universitaires européens connaissent.

    Terminons par cette précision : c’est dans la première moitié du XIXe siècle que l’anthropologue et racialiste américain Samuel George Morton (1799 – 1851) assura pour la première fois que la grandeur de l’Egypte ancienne est liée à la supériorité blanche. C’est lui qui voyait des perruques aux cheveux laineux que porteraient les anciens Egyptiens au-dessus de leurs vrais cheveux raides et de couleur claire. Morton pour qui le volume crânien permettait de prévoir les capacités intellectuelles de chaque race ne pouvait croire que les Pharaons soient des Noirs. Alors dans sa lancée, « il déclare que la forme du crâne des anciens Egyptiens – du moins ceux qui sont bien habillés et enterrés en grande pompe – est la même que celle de l’homme blanc moderne » (Nell Irving Painter – Histoire des Blancs, éd. Max Milo, 2019). Lui et ses admirateurs, tels l’Ecossais Knox et le Français Gobineau, trouvaient tout à fait cohérent qu’une race supérieure de Blancs portent des perruques aux cheveux crépus pour régner sur un peuple de Noirs de génération en génération. N’oublions pas non plus que Morton, Knox, Gobineau, Grant, Roosevelt, Emerson et bien d’autres ont divisé les Blancs en plusieurs races et ont placé la race « nordique » - parfois appelée saxonne – au-dessus de toutes les autres. Pour ce qui est de la France, Gobineau et Lapouge affirmaient que deux races occupaient la France : les aristocrates qui seraient des Nordiques et Aryens à tête allongée (dolichocéphales) et les paysans des Alpins à tête ronde (brachycéphales) ; les premiers descendraient des Francs, une race supérieure, et les seconds des gaulois, une race de vaincus (par les Romains) et donc inférieure.

Raphaël ADJOBI

What do you want to do ?
New mail

Posté par St_Ralph à 16:16 - Histoire - Commentaires [0] - Permalien [#]

10 février 2020

Maboula Soumahoro et les immigrés européens : histoire d'un débat autour de l'identité française (Raphaël ADJOBI)

      Maboula Soumahoro et les immigrés européens

           Histoire d'un débat autour de l'identité française

Maboula Soumahoro et les Européens

          En novembre 2019, sur la chaîne de télévision nationale LCI, il a été donné au public français un spectacle édifiant quant à la place que de nombreux Français blancs assignent aux Français noirs dans leur conscience. En moins de deux minutes, deux envolées patriotiques de deux intervenants blancs dévoilèrent avec assurance la barrière que leur communauté avait dressée dans la société pour rendre toujours plus difficile l'épanouissement des Noirs sur le territoire français ; barrière toujours dénoncée par les Noirs mais dont l'existence était toujours niée par les officiels de la République et la grande majorité de la population blanche française. 

          Devant le discours critique de madame Maboula Soumahoro contre le racisme en France, Monsieur Francis Szpiner - fils d'immigrés polonais - sûr d'incarner la France qu'il n'a jamais imaginée que blanche s'écria à deux reprises : «Je n'aime pas que l'on insulte MON PAYS !» Oui, vous avez bien lu. Au regard de la réalité quotidienne, les Français noirs ont clairement conscience qu'ils sont pour leurs compatriotes blancs des étrangers, voire des immigrés qu’il faut rappeler à l'ordre, à qui il faut faire comprendre qu'il y a des limites à ne pas franchir. En ce mois de novembre 2019, cette vérité toujours niée venait d'être clamée et assumée sur la place publique ! Oui, en France, une personne blanche peut critiquer la République ; pas un Noir. Et ce jour-là, sur le plateau de la chaîne de télévision, nombreuses étaient les têtes - surtout masculines - qui avaient approuvé la franche indignation de Francis Szpiner ne supportant pas la critique de son pays par une Noire.

         A peine Madame Maboula eut elle le temps de dire qu'elle avait le droit de dire ce qu'elle voulait de son pays - parce que la France est aussi son pays - qu'Alain Finkielkraut prit la parole pour lui dispenser une leçon d'intégration qu'il jugeait opportune : «Où avez-vous fait vos études ? lui lança-t-il. Je suis un enfant de parents immigrés russes et juifs. Je suis reconnaissant à la France.... Je suis heureux d'habiter un pays qui a à m'offrir une culture aussi admirable. C'est une gratitude que d'autres peuvent exprimer avec moi». Au regard des visages illuminés qui accompagnaient ce discours, on peut dire que le public était de cet avis. Seules deux dames virent dans les deux discours une insulte à l'origine africaine de Madame Maboula Soumahoro.

          Cet événement public et médiatique mérite que l'on s'y arrête et l'analyse à l'aune de certains pans de l'histoire de France, parce que - répétons-le - il est l'expression publique d'une réalité quotidienne constamment niée. En effet, combien d'analyses écrites, de reportages sonores ou filmiques ont essayé de faire comprendre à tous - et surtout à nos gouvernants - que les jeunes Noirs et Maghrébins disent être rejetés par la population française blanche et par les responsables des institutions françaises parce qu'ils sont considérés comme des étrangers indésirables en cette terre de France ? Ce qui suppose bien entendu qu'ils sont différemment traités dans tous les domaines, et donc qu’il y a en France des injustices fondées sur la couleur de la peau. Et c'est exactement ce qu'Alain Finkielkraut et Francis Szpiner viennent de confirmer de façon très éclatante en novembre 2019 dans leurs propos rapportés plus haut. Quiconque nierait l'absence de lien entre le traitement infligé à certains individus et l'image que nous avons d'eux dans notre imaginaire collectif est un imbécile. Oui, la manière de voir l'autre influence notre comportement à son égard. Pour ces deux hommes blancs, cette femme noire est une éternelle étrangère parce que justement noire et donc ne pouvant avoir le droit de dire certaines choses sur la France. Pour Alain Finkielkraut, Maboula Soumahoro est une immigrée incapable de s'intégrer et par-dessus tout ingrate vis-à-vis de la France qui lui a permis de faire des études dans la belle langue française. Et pour Francis Szpiner, comme le fera remarquer une dame prenant conscience de la limite fixée à certains, «ici (en France), tout n'est pas dicible par tout le monde».

                         Comment en sommes-nous arrivés là ?

          En ce début du XXIe siècle, ce moment de télévision nous a clairement montré l'esprit de la grande majorité des Français blancs à l'égard de leurs compatriotes noirs : ceux-ci sont pour eux d'éternels immigrés sommés de dire leur reconnaissance à la France lorsqu'ils parviennent à franchir les multiples barrières dressées sur leurs parcours scolaires et sociaux comme autant de bains purificateurs vers la nationalité française qu'ils n'auront, en définitive, jamais pleine et entière.

          Devant ce triste constat, nous sommes en droit de nous poser cette question : comment en sommes-nous arrivés là ? Comment, malgré les discours clamant la cohésion sociale, comment après les prétendus programmes ou projets pour nous apprendre à mieux vivre ensemble, sommes-nous parvenus à la fin de la deuxième décennie de ce XXIe siècle avec une population blanche incapable de voir la population française noire comme partie intégrante de l'histoire de France ?

          La réponse à cette question est simple : cette population blanche a manqué d'instruction sur des pans entiers de l'histoire de France ! Elle est victime de la culture de l'ignorance pratiquée par l'enseignement français sous la houlette de nos hommes politiques et des concepteurs des manuels scolaires qu’ils influencent. En effet, nos élus et nos gouvernants n'ont jamais pris en compte la dignité de l'autre dans leurs multiples projets et programmes pour une plus grande cohésion sociale entre les Français. Dans la prise des décisions concernant les populations noires, ils n'ont jamais tenu compte du fait que pour respecter la différence de l'autre, il faut apprendre à le connaître. Ils semblent tous avoir oublié que c'est l'étrangeté, l'inconnu, l'ignorance, qui suscite la crainte ou la peur de l'autre et conduit à son rejet. Pourquoi ces Noirs et ces Maghrébins sont-ils d'éternels immigrés aux yeux des Français Blancs ? Pourquoi sont-ils sur le sol français alors qu'ils ne partagent pas la même blanchité que les autres et la même parenté continentale ? Le fait que la République a laissé s'installer dans l'esprit de la très grande majorité de la population blanche l'idée que les Noirs et les Maghrébins sont des immigrés au même titre que les descendants des Hongrois, des Russes, des Polonais, des Italiens, des Espagnols et des Portugais est la preuve irréfutable qu'elle a failli à son devoir : le devoir d'informer, de former sa population de manière continue dans les savoirs historiques qui ont construit la France plurielle d'aujourd'hui.

C'est tardivement, seulement depuis 2008 - suite à la loi dite Christiane Taubira de 2001 reconnaissant l'esclavage des Noirs dans les Amériques et l'océan indien comme crime contre l'humanité - que l’Education nationale a daigné introduire le passé esclavagiste de la France dans notre enseignement ; et cela sans même mettre l'accent sur le fait que depuis 1848, nul ne peut se permettre de dire que la France est un pays de Blancs ! Or l'enseignement de l'Histoire n'est utile et nécessaire que lorsqu'elle permet de comprendre le présent. Déjà, en 1802, la citoyenneté française des Noirs des colonies américaines acquise en 1794 avait été remise en question par Napoléon Bonaparte. C'est dire qu'il y a plus de deux siècles que les Noirs, bien qu'appartenant aux terres de la France, ont une histoire houleuse avec leur pays par le caprice de certains Blancs.

           On peut signaler aussi l'absence du passé colonial de la France dans notre enseignement. Jamais on n'a enseigné dans nos écoles, collèges, lycées et universités, qu'en participant aux côtés d'autres pays européens au partage des terres et des populations du continent noir, la France a fait - pendant près d'un siècle - de plusieurs millions d'Africains des sujets français. Oui, des territoires africains ont été des territoires français et leurs populations des Français ! Malheureusement, cette vérité de l'histoire n'a jamais été enseignée dans nos établissements. Cette carence de notre système pédagogique est donc à l'origine de l’ignorance de ces pans entiers de notre histoire ; une ignorance qui entretient à son tour de manière violente le rejet des Noirs aussi bien dans les discours politiques que dans l'espace public. Quelle honte pour la République de laisser les descendants d’immigrés européens dont les terres des aïeux n'ont jamais appartenu à la France, dont le sang des aïeux n'a jamais été exigé comme prix de leur fidélité à la mère patrie, déverser la haine que véhicule leurs clameurs patriotiques douteuses sur ceux dont les parents, les grands-parents et les arrière-grands-parents ont constitué la fondation de la France de la Ve République ! On peut dire que c'est l'ignorance de l'histoire de France avant les années 1960 qui conduit un immigré hongrois, russe, polonais, italien, portugais ou espagnol à se permettre de lancer à un Noir : «Pourquoi tu viens chez nous ? » ou «Je ne permets pas que l'on insulte mon pays ! ». A l'ignorance s'ajoute aussi une vérité sur laquelle l'attention de tous les citoyens doit être attirée : la prééminence de la couleur de la peau qui fonde la conviction de ces immigrés européens n'ayant aucun passé esclavagiste ou colonial avec la France ! Pour eux, la société française est blanche à l'image de leur propre blanchité. Cette caractéristique qui contribue à l'organisation de la société française laisse croire à n'importe quel immigré blanc de n'importe quelle époque qu'il est plus français que n'importe quel Noir !

           Force est de constater que l'enseignement de l'histoire de France tel qu'il est pratiqué conduit inéluctablement au rejet des Noirs et apparaît donc comme un outil de division plutôt que d'acceptation mutuelle des différentes composantes de la nation. Si l'histoire de France incluant les Noirs est absente dans notre enseignement, cela veut évidemment dire pour chaque enfant - qui sera un adulte demain - que les Noirs sont étrangers à l'histoire de France. Notre pays ne peut à la fois enseigner l'exclusion - par omission - à travers les manuels scolaires et chanter l'intégration. Nier cette incohérence c'est manquer de bon sens. En s’appuyant sur le fait que «le modèle républicain, fondé sur l’égalité formelle des citoyens, refuse toute distinction», écrit Nicole Lapierre, nos gouvernants demeurent aveugles sur la différence et donc «aveugles aux injustices fondées sur la couleur de la peau ou sur tout autre signe de différence visible». Elle ne manque pas de leur rappeler qu’ils ne doivent pas oublier qu’ «il ne peut y avoir d’intégration réussie que si la promesse d’égalité est tenue» (Faut-il se ressembler pour s’assembler ? Seuil 2020). En d’autre termes, comme le dit si bien Simone de Beauvoir, «c’est du point de vue des chances concrètes données aux individus que nous jugeons nos institutions» et non du point de vue de l’idée parfaite que nous en avons.

Raphaël ADJOBI

Posté par St_Ralph à 19:49 - Arts, culture et société - Commentaires [0] - Permalien [#]

06 février 2020

Faut-il se ressembler pour s'assembler ? (Nicole Lapierre)

      Faut-il se ressembler pour s’assembler ?

                                                  (Nicole Lapierre)

Numérisation_20200130

          Faut-il se ressembler pour s’assembler ? est une réflexion, en plusieurs étapes, que Nicole Lapierre a menée autour d’un fait qui a marqué son enfance. Quand elle n’avait que six ou sept ans, elle s’est brouillée avec sa meilleure amie. La mère de celle-ci lui avait alors lancé : «vous êtes toutes les deux juives, vous devez être amies, vous devez vous serrer les coudes». Avec ce livre, l’auteure voudrait dire à la mère de son amie qu’elle avait tort de lier si intimement identité et solidarité au point de faire de l’amitié un devoir. Très rapidement, elle nous fait comprendre comment, en se référant presque toujours aux liens biologiques au sein d’une famille, les groupes sociaux, les partis politiques et les populations d’un même pays, d’une même région ont, à travers les siècles, mis en place des mécanismes d’exclusion des populations minoritaires.

          Un livre à la fois agréable et passionnant dont la clarté des multiples chapitres ou thématiques qui le composent oblige le lecteur à former régulièrement son propre jugement. Un livre qui s’appuie sur le passé de l’Europe pour nous permettre de saisir - au-delà de l’implacable évidence de la formule «qui se ressemble s’assemble» - la permanence d’une pratique qui devrait rendre chacun vigilant et les gouvernants plus attentifs aux besoins de « ceux perçus comme étrangers ou différents, en raison de leur origine, de leur religion, de leur couleur de peau ou de leur apparence». Mais, comme nous le savons tous, et comme le dit si bien François Durpaire, «s’il n’y a pas une spécificité française du racisme, il y a une spécificité de sa négation». En effet, il n’est pas rare de voir nos gouvernants tantôt céder à la pratique de l’exclusion au nom de la laïcité - parce qu’obsédés par la différence - et tantôt récuser cette différence visible, toujours au nom de la laïcité. Nicole Lapierre constate – et nous sommes de son avis – que parce que «le modèle républicain, fondé sur l’égalité formelle des citoyens, refuse toute distinction», nos gouvernants demeurent aveugles sur la différence et donc «aveugles aux injustices fondées sur la couleur de la peau ou sur tout autre signe de différence visible». Ils ne doivent cependant pas oublier, rappelle-t-elle, qu’ «il ne peut y avoir d’intégration réussie que si la promesse d’égalité est tenue».

          Après avoir lu ce livre, on ne peut pas s’empêcher de réfléchir sur le fait que, quand on parle de la République, il serait bon de savoir d’où elle est partie, le chemin qu’elle a parcouru pour se permettre aujourd’hui de dire que c’est elle qu’on défend, que c’est en son nom qu’on agit. A ceux qui manient avec beaucoup de dextérité le curseur très aléatoire de la laïcité, nous adressons ces mots de Simone de Beauvoir qui rejoignent l’esprit du livre de Nicole Lapierre : «C’est du point de vue des chances concrètes données aux individus que nous jugeons nos institutions» et non du point de vue de l’idée parfaite que nous en avons.

Raphaël ADJOBI

Titre : Faut-il se ressembler pour s’assembler, 209 pages.

Auteur : Nicole Lapierre

Editeur : Seuil

Posté par St_Ralph à 13:38 - Littérature : essais - Commentaires [0] - Permalien [#]

02 février 2020

La traite négrière dans les manuels scolaires français (Raphaël ADJOBI)

 La traite négrière dans les manuels scolaires français 

       Rappel : en France, si «les programmes sont nationaux et définis par le ministère de l’Education nationale […], le contenu des manuels est déterminé par les éditeurs et la seule loi du marché. Le choix de la langue et du style, la sélection des sujets et des textes, l’organisation et la hiérarchisation des connaissances obéissent à des objectifs politiques, moraux, religieux, esthétiques, idéologiques, économiques explicites et implicites» (François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils - Fatima moins bien notée que Marianne, éditions, de L’Aube, 2016). A regarder les choses de plus près, un manuel scolaire est à la fois «un support de la conservation de ce qu’une société choisit de dire d’elle-même, la trace des choix scolaires d’une époque», avant même d’être un support de transmission de connaissances. Ce qui veut dire clairement que «les manuels scolaires ont un rôle dans la formation des normes et des opinions des élèves» (id.).

       Et concernant précisément l’enseignement de la traite négrière atlantique, il convient de voir ensemble comment ce sujet est traité dans nos manuels scolaires pour comprendre l’opinion que l’on entretient dans la conscience des élèves, les citoyens de demain.

       Mais il convient de rappeler aussi que c’est en 2008, suite à la loi Taubira de 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage des Noirs dans les Amériques et dans l’océan Indien comme crime contre l’humanité, que l’obligation d’enseigner ce sujet est inscrite au programme des classes de quatrième. Il y a donc seulement 12 ans que ce pan de l’histoire de France a fait son entrée dans les collèges, sans jamais avoir fait, au préalable, l’objet d’enseignement dans nos universités. En joignant cette carence pédagogique en amont à ce que nous avons dit en introduction quant aux règles qui président à l’élaboration des manuels scolaires, on n’est pas étonné de voir leur contenu se situant parfois très loin de la vérité des faits historiques. Parler alors de fabrique d’opinions ne serait pas exagérer. 

         Une gravure de propagande pour former une opinion générale

800px-Marchands_d'esclaves_de_Gorée-Jacques_Grasset_de_Saint-Sauveur_mg_8526

       Ainsi, une gravure de propagande contre les abolitionnistes au XVIIIe siècle est reprise dans presque tous les manuels scolaires sans même aucune considération pour le message absolument faux qu’elle véhicule. On peut y lire «Marchand d’esclaves de Gorée». Depuis douze ans, ni les éditeurs, ni les usagers n’y trouvent rien à redire. Or, l’île de Gorée n’a jamais été un marché aux esclaves mais un camp de concentration des captifs loin des leurs dans l’attente de leur embarquement vers les Amériques. C’est comme si on enseignait quelque part dans le monde qu’Auschwitz était un camp de vacances pour Juifs. A la vérité, il n’y a jamais eu de marché aux esclaves sur les côte du golfe de Guinée puisque tous les Africains déportés dans les Amériques étaient des personnes capturées comme du gibier ; donc des captifs et non des esclaves.

Falsification pédagogique

       Depuis deux ou trois ans, sans doute attentif aux nombreux voyages des Africains-Américains à l’île de Gorée devenu un lieu de mémoire, un éditeur décida d’enlever à cette image du XVIIIe siècle son titre originel qui témoigne sûrement de l’ignorance de son auteur pour le remplacer par un autre encore plus trompeur. On peut désormais lire dans certains manuels sous cette gravure : «Un marchand européen et un vendeur d’esclaves africain». En généralisant ainsi le titre, le crime devient parfait ; on laisse croire que partout en Afrique - précisément dans le golfe de Guinée - il y avait des marchés aux esclaves où les négriers européens allaient faire leurs courses. Et tout le monde adhère à ce qui est affirmé comme une indéniable vérité, puisqu’elle s’appuie sur une image du XVIIIe siècle !

Collier de la servitude

       Certains manuels scolaires poussent même l’audace jusqu’à ajouter à cette gravure des commentaires personnels n’ayant aucun lien avec l’histoire de l’esclavage. Ainsi, un éditeur se permet d’ajouter que que sur la même gravure «les esclaves portent le collier de la servitude». Vous ne trouverez nulle part chez les historiens anglais et américains que les Africains portaient un collier signalant leur état de servitude. 

       Sur l’une des deux images ci-dessous, il est encore fait mention du «collier de la servitude». Ce collier censé être porté depuis l’Afrique – image précédente – apparaît différent sur l’image ci-dessous. Les Européens marquaient-ils l’état de servitude de leur domestique par un collier ? Là, c’est aux Européens de répondre à cette question. Quant au collier de servitude de la première image, il n’a jamais existé. Aucun peuple du golfe de Guinée n’a jamais pratiqué l’esclavage ni identifié le captif par un collier. 

Annotation 2020-02-02 162345

                            La réalité sur le terrain africain

Capture Capcoast castel Ghana

       Solidement installés dans des forts qui constituent leurs bases militaires, Les Européens font la loi. Tout chef africain qui n’exécute pas leurs volontés devient leur victime en même temps que l’ensemble de son village, C’est dans ces forts – bien protégés des Africains et de la cupidité de leurs concurrents – que les Européens entassaient les captifs avant l’arrivée des navires négriers. Le fort de Gorée (au large de Dakar au Sénégal) n’est absolument pas un cas exceptionnel. Aucun historien n’a démontré l’existence de marchés aux esclaves sur les côtes de l’Afrique où opéraient les Européens.

Frot au Ghana

       A partir de ces forts militaires appelés comptoirs ou captiveries – parfois «esclaveries» - les émissaires de chaque royaume européen organisaient les captures d’êtres humains en s’appuyant sur les Africains qu’ils pouvaient terroriser ou corrompre. En effet, grâce aux produits venus d’Europe, ces émissaires obtenaient la collaboration de certains chefs africains et de groupes de trafiquants attirés par l’appât du gain. L’histoire nous enseigne que tout envahisseur ou occupant suscite des «collabos». C'est l'envahisseur nazi qui a produit la collaboration du régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain. 

    A tous ceux qui emploient encore l’expression «commerce triangulaire» sans tenir compte des informations historiques données ici, posons cette question : «si les patrons des grandes surfaces commerciales françaises allaient dans les campagnes se fournir en légumes, en viande et en lait armés de fusils et de canons, diriez-vous qu’ils achètent ces produits aux agriculteurs et aux éleveurs ?» Nous ne croyons absolument pas que vous diriez que les agriculteurs et les éleveurs leur vendent leurs produits. Nous ne croyons absolument pas que vous diriez que les produits vendus dans les magasins ont été acquis honnêtement par les patrons. Il est donc temps d'oublier l'expression "commerce triangulaire" parce que l'on ne peut pas parler de commerce quand on obtient ce que l'on veut par la contrainte.

Cour intérieure du Frot

       Cette technique sera la même qui sera utilisée par la France au XXe siècle pour obtenir la contribution de ses colonies aux deux guerres mondiales contre les Allemands : «la France recourt à la voie d’appel, notamment en Algérie avec l’aide active des chefs locaux qui perçoivent une prime par homme enrôlé. C’est en Afrique noire que la force a été le plus employée pour obtenir le nombre de "volontaires" requis […] Chaque cercle est tenu de fournir un certain nombre de recrues. La France va donc utiliser ses alliés, comme les chefs de villages pour recruter [...] Les chefs de villages n'ont d'autres choix que de respecter les décisions de l'administration» (Armelle Mabon – Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée – Archives nationales Paris, 1990 – Cdt Maloux, Le tirailleur sénégalais de la 9e division d’infanterie coloniale ; Moulaye Aïdara, Histoire oubliée des tirailleurs sénégalais, mémoire de DEA, mentionnés par Armelle Mabon).

Remarque : en France, dans les manuels scolaires et les livres d’histoire, quand il s’agit des Africains, on ne fait jamais la différence entre un captif (un prisonnier) et un esclave (celui dont on exploite la force physique par le travail). Aline Helg (Suissesse – Plus jamais esclave, 2016) et Markus Rediker (Américain – A bord du négrier, 2013) sont les deux historiens qui se sont clairement désolidarisés de cet amalgame délibéré pour laisser croire que les africains déportés étaient déjà des esclaves en Afrique.

Raphaël ADJOBI

Posté par St_Ralph à 16:52 - Histoire - Commentaires [3] - Permalien [#]

La traite négrière dans les manuels scolaires français

La traite négrière dans les manuels scolaires français 

       Rappel : en France, si «les programmes sont nationaux et définis par le ministère de l’Education nationale […], le contenu des manuels est déterminé par les éditeurs et la seule loi du marché. Le choix de la langue et du style, la sélection des sujets et des textes, l’organisation et la hiérarchisation des connaissances obéissent à des objectifs politiques, moraux, religieux, esthétiques, idéologiques, économiques explicites et implicites» (François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils - Fatima moins bien notée que Marianne, éditions, de L’Aube, 2016). A regarder les choses de plus près, un manuel scolaire est à la fois «un support de la conservation de ce qu’une société choisit de dire d’elle-même, la trace des choix scolaires d’une époque», avant même d’être un support de transmission de connaissances. Ce qui veut dire clairement que «les manuels scolaires ont un rôle dans la formation des normes et des opinions des élèves» (id.).

       Et concernant précisément l’enseignement de la traite négrière atlantique, il convient de voir ensemble comment ce sujet est traité dans nos manuels scolaires pour comprendre l’opinion que l’on entretient dans la conscience des élèves, les citoyens de demain.

       Mais il convient de rappeler aussi que c’est en 2008, suite à la loi Taubira de 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage des Noirs dans les Amériques et dans l’océan Indien comme crime contre l’humanité, que l’obligation d’enseigner ce sujet est inscrit au programme des classes de quatrième. Il y a donc seulement 12 ans que ce pan de l’histoire de France a fait son entrée dans les collèges, sans jamais avoir fait, au préalable, l’objet d’enseignement dans nos universités. En joignant cette carence pédagogique en amont à ce que nous avons dit en introduction quant aux règles qui président à l’élaboration des manuels scolaires, on n’est pas étonné de voir leur contenu se situant parfois très loin de la vérité des faits historiques. Parler alors de fabrique d’opinions ne serait pas exagérer. 

Une gravure de propagande pour former une opinion générale

       Ainsi, une gravure de propagande contre les abolitionnistes au XVIIIe siècle est reprise dans presque tous les manuels scolaires sans même aucune considération pour le message absolument faux qu’il véhicule. On peut y lire «Marchand d’esclaves de Gorée». Depuis douze ans, ni les éditeurs, ni les usagers n’y trouvent rien à redire. Or, l’île de Gorée n’a jamais été un marché aux esclaves mais un camp de concentration des captifs loin des leurs dans l’attente de leur embarquement vers les Amériques. C’est comme si on enseignait quelque part dans le monde qu’Auschwitz était un camp de vacances pour juifs. A la vérité, il n’y a jamais eu de marché aux esclaves sur les côte du golfe de Guinée puisque tous les Africains déportés dans les Amériques étaient des personnes capturées comme du gibier ; donc des captifs et non des esclaves.

       Depuis deux ou trois ans, sans doute attentif aux nombreux voyages des Africains-Américains à l’île de Gorée devenu un lieu de mémoire, un éditeur décida d’enlever à cette image du XVIIIe siècle son titre originel qui témoigne sûrement de l’ignorance de son auteur pour le remplacer par un autre encore plus trompeur. On peut désormais lire dans certains manuels sous cette gravure : «Un marchand européen et un vendeur d’esclaves africain». En généralisant ainsi le titre, le crime devient parfait ; on laisse croire que partout en Afrique - précisément dans le golfe de Guinée - il y avait des marchés aux esclaves où les négriers européens allaient faire leurs courses. Et tout le monde adhère à ce qui est affirmé comme une indéniable vérité, puisqu’elle s’appuie sur une image du XVIIIe siècle !

       Certains manuels scolaires poussent même l’audace jusqu’à ajouter à cette gravure des commentaires personnels n’ayant aucun lien avec l’histoire de l’esclavage. Ainsi, cet éditeur se permet d’ajouter que «les esclaves portent le collier de la servitude». Vous ne trouverez nulle part chez les historiens anglais et américains que les Africains portaient un collier signalant leur état de servitude. 

       Sur l’une des deux images ci-dessous, il est encore fait mention du «collier de la servitude». Ce collier censé être porté depuis l’Afrique – image précédente – apparaît différent sur l’image ci-dessous. Les européens marquaient-ils l’état de servitude de leur domestique par un collier ? Là, c’est aux Européens de répondre à cette question. Quant au collier de servitude de la première image, il n’a jamais existé. Aucun peuple du golfe de Guinée n’a jamais pratiqué l’esclavage pour identifier l’esclave par un collier. 

                            La réalité sur le terrain africain

       Solidement installés dans des forts qui constituent leurs bases militaires, Les Européens font la loi. Tout chef africain qui n’exécute pas leurs volontés devient leur victime en même temps que l’ensemble de son village, C’est dans ces forts – bien protégés des Africains et de la cupidité de leurs concurrents – que les Européens entassaient les captifs avant l’arrivée des navires négriers. Le fort de Gorée (au large de Dakar au Sénégal) n’est absolument pas un cas exceptionnel. Aucun historien n’a démontré l’existence de marchés aux esclaves sur les côtes de l’Afrique où opéraient les européens.

       A partir de ces forts militaires appelés comptoirs ou captiveries – parfois «esclaveries» - les émissaires de chaque royaume européen organisaient les captures d’êtres humains en s’appuyant sur les Africains qu’ils pouvaient terroriser ou corrompre. En effet, grâce aux produits venus d’Europe, ces émissaires obtenaient la collaboration de certains chefs africains et de groupes de trafiquants attirés par l’appât du gain. L’histoire nous enseigne que tout envahisseur ou occupant suscite des «collabos». En quatre cents ans de traite, un seul de ces forts a été pris par les Africains. 

       Cette technique sera la même qui sera utilisée par la France au XXe siècle pour obtenir la contribution de ses colonies aux deux guerres mondiales contre les allemands : «la France recourt à la voie d’appel, notamment en Algérie avec l’aide active des chefs locaux qui perçoivent une prime par homme enrôlé. C’est en Afrique noire que la force a été le plus employée pour obtenir le nombre de volontaires requis […] Chaque cercle est tenu de fournir un certain nombre de recrue» (Armelle Mabon – Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée – Archives nationales Paris, 1990 – Cdt Maloux, Le tirailleur sénégalais de la 9e division d’infanterie coloniale, cité par Armelle Mabon).

Remarque : en France, dans les manuels scolaires et les livres d’histoire, quand il s’agit des Africains, on ne fait jamais la différence entre un captif (un prisonnier) et un esclave (celui dont on exploite la force physique par le travail). Aline Helg (Suissesse – Plus jamais esclave, 2016) et Markus Rediker (Américain – A bord du négrier, 2013) sont les deux historiens qui se sont clairement désolidarisés de cet amalgame délibéré pour laisser croire que les africains déportés étaient déjà des esclaves en Afrique.

Raphaël ADJOBI

What do you want to do ?
New mail

Posté par St_Ralph à 15:07 - Histoire - Commentaires [0] - Permalien [#]

30 janvier 2020

Fatima moins bien notée que Marianne (François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils)

       Fatima moins bien notée que Marianne

             (François Durpaire & Béatrice Mabilon-Bonfils)

Fatima moins bien notée que Marianne

Voici le livre que tous les jeunes désireux de s’engager dans l’enseignement doivent lire pour savoir dans quel monde ils mettent les pieds. Ils y trouveront des analyses très instructives de l’école française de ce XXIe siècle qui, en niant la diversité des populations et donc en cultivant la cécité devant les discriminations, a fait de la laïcité un «argument de maintien de l’ordre plus que comme une composante de l’émancipation».

     A l’heure où des populations venues d’horizons différents constituent de manière visible une nation diverse, parler d’une France enracinée dans un peuple unique, c’est plus que de la mythologie ; c’est un fantasme. C’est agir comme à l’armée quand celui qui commande crie : “je ne veux voir qu’une tête ! Et dans le cas de l’Education nationale, il s’agit bien de la tête “gauloise” ; ce qui ne peut que «générer un sentiment d’injustice, voire de discrimination».

     Afin de montrer les multiples inégalités que l’Education nationale cultive dans notre système d’enseignement, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils ont fait appel à des spécialistes de divers domaines de recherche pour réaliser des enquêtes leur permettant de proposer des solutions claires et nettes. Cette contribution explique les graphiques très instructifs qui enrichissent ce livre. Ainsi, lorsque les auteurs clament que «c’est en apprenant ensemble que l’on apprendra à vivre ensemble», ils invitent nos autorités à une remise en question de la carte scolaire telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Mais surtout, ils insistent sur le fait que la laïcité n’est pas une garantie d’objectivité de l’enseignement dispensé parce que «historiquement, elle est idéologique, très engagée politiquement». 

     Il convient de retenir aussi qu’en France, si «les programmes sont nationaux et définis par le ministère de l’Education nationale […], le contenu des manuels est déterminé par les éditeurs et la seule loi du marché. Le choix de la langue et du style, la sélection des sujets et des textes, l’organisation et la hiérarchisation des connaissances obéissent à des objectifs politiques, moraux, religieux, esthétiques, idéologiques, économiques explicites et implicites». En d’autres termes, les enseignants qui en font leur bible plutôt qu’un simple outil doivent s’interroger sur la manière dont ils l’utilisent, se l’approprient, s’en inspirent, s’en désolidarisent parfois (p,64). En effet, à regarder les choses de plus près, un manuel scolaire n’est en définitive qu’à la fois «un support de la conservation de ce qu’une société choisit de dire d’elle-même, la trace des choix scolaires d’une époque», avant même d’être «un support de transmission de connaissances». Par conséquent, les enseignants – particulièrement les professeurs de lettres - ne doivent jamais oublier que les manuels scolaires «ont un rôle dans la formation des normes et des opinions des élèves». Leur coresponsabilité est donc indéniable ! 

Raphaël ADJOBI

Titre : Fatima moins bien notée que Marianne, 133 pages,

Auteurs : François Durpaire & Béatrice Mabilon-Bonfils.

Editeur : L’Aube, 2016.

Posté par St_Ralph à 20:52 - Littérature : essais - Commentaires [2] - Permalien [#]

12 janvier 2020

La repentance : la leçon d'Elizabeth Eckford à Hazel Bryan

                          La repentance :                      

       la leçon d'Elizabeth Eckford à Hazel Bryan

foto-flashes-da-histc3b3ria

Les faits historiques :

            Le 17 mai 1954, la Cour constitutionnelle des Etats-Unis déclare la ségrégation raciale anticonstitutionnelle dans les établissements scolaires publics. Le 4 septembre 1957, à Little Rock, dans l'état d'Arkansas, en voulant pousser la porte d'un lycée, neuf adolescents noirs ont dû affronter la haine raciale de la communauté blanche. Les policiers venus en grand nombre sur place n'ont rien fait pour les protéger alors qu'ils baissaient la tête sous la pluie d'insultes, de crachats et de menaces de mort. Elizabeth Eckford, 15 ans, était du groupe. Dans la foule des Blancs criant leur haine juste derrière elle, Hazel Bryan, une jeune fille de 17 ans, montrait plus de colère que tout le monde et lui criait sans discontinuer : «Rentre chez toi, en Afrique !» En larmes au milieu de la foule haineuse, Elizabeth réussit à s'installer sur un banc en attendant d'entrer dans l'enceinte du lycée. C'est alors qu'un homme blanc se met derrière elle comme pour la protéger de son corps, lui pose une main réconfortante sur l'épaule et lui murmure : «Ne pleure pas ; ils ne méritent pas tes larmes».  

            Quarante ans plus tard, le 20 septembre 1997, le photographe Will Counts qui avait immortalisé la scène de ces cris vociférés par la jeune fille blanche dans le dos de la jeune noire, réunit les deux femmes pour une scène de réconciliation. Une scène d'apparence belle pour le public américain abonné au «happy end». 

Elizabeth Eckford et Hazl Bryan 2

          A vrai dire, l'idée de la réconciliation est venue de l'historienne blanche Elizabeth Jacoway, originaire elle aussi de l'Arkansas, mais pas du même lycée. Elle voulait que les deux jeunes filles, devenues des dames quarante ans plus tard, se rencontrent afin, si possible, d'engager le dialogue et voir si elles pourraient se réconcilier. Ce qui signifierait que la Noire aurait pardonné à la Blanche. Clairement une façon d'effacer un peu un passé honteux qui pèse sur les Blancs du sud des Etats-Unis. La photo de 1997 est donc censée remplacer la photo humiliante de 1957 qui a fait le tour du monde. Suite à la nouvelle photo, les deux femmes entreprennent des conférences communes devant les élèves et les étudiants, des interventions communes sur les plateaux des chaînes de télévision. La Blanche est consciente qu'il a dû être difficile pour la Noire de subir des insultes quotidiennes durant cette année scolaire ; la Noire est conscience que la vie de la Blanche a dû ne pas être facile avec cette photo de sa haine manifeste qui a fait le tour du monde. Mais la vérité de l'histoire, c'est ce qui s'est passé en septembre 1957.

            Elizabeth Eckford est persuadée qu'en 1957, Hazel Bryan, qui n'était pas une élève du lycée de Little Rock, a passé son temps à agiter en sous-main les provocateurs. C'était une des meneuses de l'année insupportable qu'elle a vécue avec ses huit autres camarades. Mais chaque fois qu'elle demande à Hazel ce qu'il s'est passé, comment elle a vécu cette année-là, celle-ci est restée évasive ; et surtout, elle assure qu'elle ne se souvient de rien, comme si elle était frappée d'amnésie. Une façon de laisser croire que le choc de la photo a été trop fort pour elle ou qu'elle-même a été traumatisée par ses propres vociférations au point de les avoir oubliées ? En tout cas, elle avait même oublié ses propos ségrégationnistes et racistes prononcés devant les télévisions après l'événement de septembre 1957 qui avait fait d'elle une vedette locale ! Mais Elizabeth n'est pas dupe des silences de Hazel sur son passé ; surtout qu'elle apprend que chez elle, avec ses parents et ses amis, Hazel continue à avoir des propos parfois racistes. C'est ainsi qu'Elizabeth va s'éloigner d'Hazel. Les deux femmes vont se séparer définitivement et ne plus se parler.

La leçon de l'histoire :

            Le temps passant, la série de la belle photo de réconciliation est épuisée et l'immense poster affiché devant le lycée de Little Rock défraîchi. La question de la réédition du poster se pose alors en 2000. Hazel est tout à fait d'accord parce que ce poster représente sa mémoire réhabilitée. Ceux qui savaient les sentiments de Hazel loin d'être honnêtes s'attendaient à un refus d'Elizabeth. Non, elle ne va pas accepter cela une deuxième fois, se disaient-ils ! Eh bien, si ! 

            Elizabeth Eckford accepte la réédition et la vente du poster dans tout le pays ! Mais son accord est assujetti à une condition : elle demande qu'un petit texte soit apposé au bas de l'image. Un petit texte qu'elle voudrait non pas seulement un message pour elle et pour Hazel, mais pour l'humanité tout entière. Voici donc le message universel qu'elle demande au bas du poster : «Il ne peut y avoir de véritable réconciliation sans une reconnaissance sincère du passé douloureux que nous avons en commun»

            C'est dire qu'Elizabeth est prête à accorder son pardon à condition qu'Hazel Bryan reconnaisse sincèrement ce qu'il s'est passé à l'époque. On peut pardonner aux autres, mais à condition que la reconnaissance du passé douloureux soit sincère ! En clair, que Hazel Bryan ait présenté ou pas des excuses à Elizabeth Eckford, il lui restait la voie de la reconnaissance de la vérité, la voie de la reconnaissance de ce passé douloureux qui fait partie de leur histoire commune. En d'autres termes, il lui fallait avoir le courage de regarder la vérité en face. Voilà ce dont elle n'a pas été capable ! 

            Cette leçon nous fait clairement comprendre que toute personne ou tout peuple qui clame être opposé à la repentance montre sa volonté de demeurer dans le mensonge et s'octroyer la possibilité de continuer à agir selon ses seuls désirs. En effet, la repentance suppose à la fois la reconnaissance d'un acte condamnable, d'une faute, mais elle suppose aussi la profonde conviction de la nécessité d'un changement radical de comportement. Ce n'est pas parce que l'offenseur dit «pardon» qu'il doit se croire automatiquement pardonné. C'est suite à la reconnaissance du mal fait, suite à la reconnaissance de la vérité que l'offensé dit à l'offenseur : «je te pardonne». En d'autres termes, c'est à l'offensé qu'il appartient d'accorder ou non son pardon. Disons donc aux hommes et aux peuples à l'orgueil surdimensionné qui croient que l'on attend d'eux qu'ils prononcent le mot "pardon" qu'ils se trompent ! La vérité, c'est qu'ils sont incapables de regarder la vérité en face et qu'ils préfèrent demeurer dans le mensonge et la falsification des faits historiques ! 

Hazel Bryan indigne de toute considération :

            Dans un entretien accordé en décembre 1998 au journaliste Peter Lennon, pour le magazine The Guardian, Hazel Massery - née Bryan - révèle clairement - sans le vouloir, peut-être - que dans cette entreprise de réconciliation, elle était uniquement guidée par la réhabilitation de son image de fille blanche souillée par la photo de 1957 : «Je n'avais pas tout à fait 17 ans... Je n'étais pas sûre à cet âge de ce que je pensais... Je pense que la maternité fait ressortir la protection ou le soin d'une personne. J'ai ressenti un sentiment de profonds remords parce que j'avais fait du tort à un autre être humain à cause de la couleur de sa peau. Mais on est également à la recherche de secours et de pardon, bien sûr, plus pour soi-même que pour l'autre personne. J'ai donc téléphoné à Elizabeth Eckford». Oui, Madame Massery (née Bryan) voulait prendre soin d'elle-même. Elle voulait une image qui la réhabilite ; c'est tout ! La vérité, elle s'en moque. Eh bien, pour qu'elle réfléchisse - en même temps que tout le monde - au sens de la réconciliation, Elizabeth Eckford lui dit de manière définitive qu'«Il ne peut y avoir de véritable réconciliation sans une reconnaissance sincère du passé douloureux que nous avons en commun».

Raphaël ADJOBI

Posté par St_Ralph à 21:39 - Histoire - Commentaires [1] - Permalien [#]

07 janvier 2020

Les activistes africains sont-ils crédibles ?

           Les activistes africains sont-ils crédibles ?

Les panafricanistes

            C'est à la fin de l'année 2010 et dans le courant de 2011 - suite à la déportation du président ivoirien, Laurent Gbagbo, au tribunal international de La Haye - qu'est véritablement né ce que tout le monde appelle aujourd'hui l'activisme africain. A ce propos, en juillet 2013, j'avais écrit dans un article devenu aussitôt célèbre sur Internet que "jamais, dans l'histoire, un leader noir n'a bénéficié d'autant de soutiens de la diaspora africaine et d'autant de sympathie de la part des populations d'Afrique noire". Après avoir cité des leaders africains morts dans le silence ou l'indifférence, j'avais conclu mon constat en ces termes : "durant ses 27 années de prison, jamais Nelson Mandela n'a bénéficié d'une telle sympathie populaire". Une vérité que personne ne peut réfuter sur le continent. L'activisme africain est donc récent ; et sa voix est celle de la jeunesse.

            Afin de ne pas paraître manipulé par quelques figures politiques africaines, très vite, l'activisme des jeunes va se développer autour d'un thème commun aux nations africaines plutôt qu'autour de tel ou tel leader politique qui serait porté comme étendard. En effet, les jeunes se sont fixé comme objectif de combattre le Franc CFA qu'ils ont d'ailleurs réussi à rendre impopulaire en moins de quatre ans. On peut donc leur dire bravo d'avoir compris qu'il leur appartenait de réaliser en terre africaine le combat littéraire des blogueurs et des médias de la diaspora !

            Cependant, force est de constater que presqu'aussitôt ces jeunes activistes se sont rendu compte du poids de la réalité politique du terrain sur lequel ils mènent leur combat contre cette monnaie coloniale qui a gardé toutes ses caractéristiques ou tous ses pouvoirs de prédation de la vie économique d'une quinzaine de nations au sud du Sahara. Ils ont très vite compris que les hommes politiques en place sont autant d'adversaires que l'institution monétaire contestée et les dirigeants français qui la tiennent en main. Aussi, comme pris au piège de leur indépendance politique, ils se voient obligés d'invoquer des noms d'illustres dirigeants africains morts pour avoir tenté de s'affranchir de la domination politique et monétaire du Franc CFA. Et dans leur liste des hommes politiques ayant combattu cette monnaie imposée à l'Afrique francophone, l'absence d'un homme surprend et même choque l'entendement : Laurent Gbagbo n'est jamais cité ! Un vrai parricide, selon nous.

2012-03-29T174858Z_138478285_GM1E83U042G01_RTRMADP_3_MALI_0

            Mais, en prenant un peu de recul, tout s'éclaire. Cette absence de référence à Laurent Gbagbo, ce mutisme sur les discours du prisonnier de la CPI quant à l'indépendance des institutions politiques africaines ne peut s'expliquer que par le parcours politique de cette jeunesse africaine qui découvre l'activisme. En effet, il suffit de jeter un coup d'œil en arrière pour constater qu'entre 2000 et 2011, presque toute la jeunesse des pays africains était nourrie de la haine de la Côte d'Ivoire et de celui qui l'incarnait. Toutes les analyses, toutes les explications politiques et juridiques avancées par Laurent Gbagbo pour ouvrir les yeux à l'Afrique étaient vues par cette jeunesse comme dilatoires. Seuls les Togolais et les Camerounais constituaient avec les partisans ivoiriens de ce président le noyau qui réclamait le respect des institutions des peuples du continent. Même l'appel d'Akra du président Obama à des institutions fortes pour une Afrique forte leur a semblé une recommandation mal venue. En fait, la jeunesse africaine de ces vingt dernières années qui constitue les activistes d'aujourd'hui est de toute évidence honteuse de son passé naïf, de son passé anti-Gbagbo. Toute cette jeunesse des pays du Sahel qui a conspué Laurent Gbagbo durant des années le traitant de xénophobe, cette jeunesse qui s'est délectée de la soupe françafricaine que chacun de leur président leur servait avec grandes louchées, est aujourd'hui honteuse de son passé mais incapable de faire son mea culpa. Alors, elle détourne son regard de Laurent Gbagbo, cherchant à l'éviter. Aujourd'hui, la jeunesse africaine sait qu'on ne peut efficacement lutter contre le franc CFA que si les pays africains sont dirigés par des présidents qui ne sont pas choisis par la France ! C'est aussi simple que cela. Elle sait que le succès de ce combat dépend de la qualité des pouvoirs qui seront installés sur le terrain africain. Rien ne sert de vociférer contre la France si les gouvernants travaillent pour la France plutôt que pour les pays africains. Sans des hommes de vision et de convictions, tout effort sera vain !         

            Disons donc que les jeunes activistes africains ont tort d'omettre le nom de la dernière victime - encore vivante - du combat contre le pouvoir du Franc CFA tout en invoquant ceux qui ne sont plus de ce monde. Puisque tel est leur comportement criminel, je voudrais leur rappeler qu'à l'époque de Maya Angelou - comme elle le dit elle-même dans Tant que je serai noire - Patrice Lumumba, Kwamé N'Krumah et Sékou Touré qui formaient le triumvirat sacré auquel les Noirs américains vouaient un culte n'étaient pas tous morts. Des Américains et des Antillais ont côtoyé Kwamé N'krumah et Sékou Touré comme des pères et des aînés vivants constituant avec eux le front anti-impérialiste. Il n'est donc pas nécessaire que les pères ou les aînés meurent pour être hissés au rang de guides sacrés. Il faut savoir les reconnaître et les rejoindre quand ils sont encore vivants.   

            Je redis donc aux jeunes activistes africains, qui semblent affectionner le culte des morts, que la vigilance et la réaction franche et massive sont encore nécessaires malgré l'apparente fraternité universelle dont on nous berce et qu'il serait encore bon de faire leur ce précieux conseil : vous ne serez les dignes successeurs de vos aînés que si vous agissez pour "faire savoir au monde qu'on ne peut plus tuer des leaders noirs dans le secret". Si on les tue, si on les embastille ou les condamne injustement sans que vous réagissiez, vous êtes responsables du mal qui leur est fait ! Si vous vous déclarez grands admirateurs des figures illustres de la cause des Africains mais avez tendance à montrer de l'indifférence à l'égard des leaders actuels qui souffrent pour avoir poursuivi leur combat, alors dites-vous que vous n'êtes pas crédibles.

Raphaël ADJOBI

What do you want to do ?
New mail
What do you want to do ?
New mail

Posté par St_Ralph à 21:36 - Actualités Monde - Commentaires [0] - Permalien [#]