13 juin 2019
La note américaine (David Grann)
La note américaine
(David Grann)
Ce roman de David Grann fait écho au bel essai de Ta-Nehisi Coates, le procès de l'Amérique, qui est un effrayant exposé des multiples techniques mises en place à travers le temps pour permettre la prédation contre les Noirs aspirant à vivre comme les citoyens blancs. La note américaine est en effet, pour sa part, la peinture d'une cynique organisation blanche prédatrice d'une communauté autochtone des Amériques.
Déplacée de force par le gouvernement fédéral dans les années 1870 du Kansas vers une réserve rocailleuse d'Oklahoma, censée être de moindre valeur, voici que la tribu Osage apprend bientôt qu'elle repose sur le plus grand gisement pétrolifère des Etats-Unis. Comme des mouches attirées par le miel, cow-boys, chercheurs d'or, contrebandiers, hommes d'affaires et magnats du pétrole accourent de partout. Et dès le début des années 1900, la tribu Osage est devenue «le peuple le plus riche par individu au monde». Quel Blanc américain peut supporter cela ? Pour favoriser la prédation de la tribu, la loi attribua un tuteur à tous les Indiens que le ministère de l'Intérieur jugeait «incompétents». Et tous les Indiens non métissés étaient jugés «incompétents» ! Ainsi, contrairement aux autres Américains prospères, non seulement les Osages ne pouvaient pas dépenser leur argent comme ils l'entendaient mais ils devenaient la proie de la cupidité des Blancs.
Bientôt, malgré leur qualité de vie largement au-dessus de la moyenne des Américains, le taux de mortalité des Osages va devenir le plus élevé du pays ! Et comme le système judiciaire américain - tout comme ses services de police - était gangrené par la corruption, les Osages ne cessaient de se demander avec raison à chaque procès si le jury composé exclusivement de Blancs considérait ses morts comme des meurtres ou simplement comme de la maltraitance envers des animaux.
La note américaine est l'histoire vraie de la tribu Osage décimée par l'avidité des Blancs au début du XXe siècle ; elle est racontée ici sous la forme d'une enquête policière laissant intacts, les sentiments et les passions apparemment tendres. Une peinture sociale qui révèle non seulement la politique d'extermination des Indiens - «chaque bison mort est un Indien en moins» - puis leur assimilation forcée, mais aussi les préjugés qui pèsent sur eux et en font les éternels victimes des Blancs. Ce récit montre aussi, dans un pays où les médias blancs ont tendance à transformer les crimes des leurs en épopée romantique, la difficile mise en place de la police fédérale qui va devenir le FBI.
Après Ta-Nehisi Coates, David Grann nous prouve ici que la note des crimes des Blancs dans le Nouveau Monde est vraiment bien salée.
Raphaël ADJOBI
Titre : La note américaine, 377 pages
Auteur : David Grann
Editeur : Pocket, 2019
05 juin 2019
Bordeaux l'ingrate ne cache plus son passé négrier (Raphaël ADJOBI)
Bordeaux l'ingrate ne cache plus son passé négrier
Pendant plus d'un siècle et demi après l'abolition définitive de l'esclavage en 1848, la ville de Bordeaux est restée drapée dans son orgueilleuse suffisance qui lui faisait regarder son passé négrier comme une simple tractation commerciale. Depuis la naissance de la Ve République, les deux premiers maires de la ville - Jacques Chaban Delmas (40 ans de mandat) et Alain Jupé (près de 22 ans de mandat) - sont restés les dignes héritiers d'une France où la tradition voudrait que les enfants portent les sabots et les habits de leurs aïeux et s'obligent à faire usage, à table, de l'argenterie qu'ils leur ont laissée. Même quand la République déclara la traite et l'esclavage des Noirs un crime contre l'humanité, la ville ne se sentit pas concernée. L'altération de son jugement était confirmée par le déni constant de ses crimes par ses élus. Heureusement, nous voyons arriver une nouvelle génération de Français capables de regarder la vérité de l'histoire en face - si désagréable soit-elle.
En effet, «l'histoire est un juge impitoyable. Elle expose au grand jour nos erreurs les plus tragiques, nos imprudences et nos secrets les plus intimes ; elle jouit de son recul sur les événements avec l'arrogance d'un détective qui détiendrait la clef du mystère depuis le début» (David Grann, La note américaine). Avec l'histoire, le déni ne tient pas indéfiniment ; il finit par perdre de sa superbe et s'écrouler !
Depuis le début des années 2000, l'association "Mémoires et Partages" et son président Karfa Dialo désespéraient de voir un signe officiel évoquant la mémoire de toutes les victimes africaines qui ont fait la fortune de Bordeaux durant des siècles. Ce fut finalement Haïti qui ouvrit les yeux aux élus de la capitale girondine en leur forçant adroitement la main. A l'occasion du bicentenaire de sa fondation, la république de Haïti fit don d'un buste de Toussaint Louverture à la ville. Les élus trouvèrent-ils ce cadeau encombrant ? En tout cas, ils prirent soin de tenir le buste du célèbre révolutionnaire et abolitionniste loin de la rive gauche, loin du cœur historique de Bordeaux ; en 2005, ils l'installèrent dans un parc de la rive droite où les rares personnes qui viennent y faire leur jogging l'ignoraient superbement. Pour accroître l'indifférence du public, jusqu'à la fin de l'année 2018, aucune signalétique ne précisait ni l'identité ni l'œuvre accomplie par cette figure isolée dans ce coin de la cité.
Enfin, officiellement, depuis le 10 mai 2019, une statue représentant une esclave noire affranchie trône de manière très visible sur une place publique de Bordeaux ! Et pour que la symbolique soit totale, elle a été érigée en face de la Bourse maritime. Même si la décision d'installer ce monument en mémoire des victimes de l'esclavage a été prise sous le mandat de l'ancienne municipalité, nous nous réjouissons que ce soit un maire représentant la nouvelle génération de français qui ait eu l'honneur de l'inaugurer. Nous espérons que le nouveau maire, Monsieur Nicolas Florian, sera plus prompt à installer une signalétique explicative afin de répondre aux interrogations déjà très nombreuses des Bordelais et des touristes ou visiteurs.
A propos justement de l'importance des signalétiques explicatives, il convient d'évoquer ici une cérémonie émouvante qui a eu lieu le 28 mai 2019 dans une rue de la capitale girondine. Suite à la visite du "Bordeaux-nègre" organisée par le président de l'association "Mémoires et Partages", les élèves du collège Goya ont été sensibles à l'indignation de leur guide quant au fait que certaines rues de leur ville portent les noms d'anciens négriers sans que cette précision soit portée à la connaissance du public. Dans le secret et avec l'accord du principal de l'établissement, les élèves et leur enseignante ont réalisé - avec l'aide d'une artiste - une plaque explicative qui a été déposée à l'angle des rues des négriers Broca et Gradis. L'inauguration symbolique de cette plaque en présence du président de "Mémoires et Partages" fut absolument un moment historique : pour la première fois, la jeunesse française manifestait publiquement sa volonté de ne pas demeurer dans un récit national qu'elle ne comprend pas.
Les lieux de mémoire sont absolument nécessaires pour donner des repères historiques de notre passé aux générations présentes et futures. Quant aux rues et aux œuvres d'art, sans les débaptiser, des signalétiques s'avèrent absolument nécessaires pour bien montrer l'esprit de ceux qui nous ont précédés, l'esprit propre à certaines époques. Laissons l'histoire faire son travail : exposer au grand jour les erreurs les plus tragiques, les imprudences et les secrets intimes de tous nos aïeux. Ainsi instruits de notre passé, nous pourrons regarder l'avenir d'un cœur plus serein et plus fraternel.
Raphaël ADJOBI
21 mai 2019
L'Yonne Républicaine et la hiérarchisation de l'information ou l'éclatant mépris d'un journal bourguignon...
L'Yonne Républicaine (89)
et la hiérarchisation de l'information
ou l'éclatant mépris d'un journal bourguignon
pour les héritages africains de la France
Dans son édition du lundi 13 mai 2019, le quotidien bourguignon qui couvre le département de l'Yonne (89) a consacré sa page 12 aux événements des derniers jours de la semaine précédente. Cette page de L'Yonne Républicaine présente donc les événements qui ont marqué la ville de Joigny les 10 et 11 mai. Un simple regard sur cette page consacrée à cette cité permet d'apprécier le résultat du travail de réflexion de la rédaction de ce journal afin de parvenir à une hiérarchisation de l'importance des deux événements retenus.
Personne ne peut croire qu'à la direction des journaux, la hiérarchisation des articles - et donc des événements - se fait par tirage au sort, par hasard. Tout le monde sait que ce travail de hiérarchisation nécessite de la réflexion. Des personnes les plus cultivées aux personnes les moins instruites, tout le monde sait ce que veut dire hiérarchiser les informations, établir un ordre de grandeur ou d'importance. Pour rendre encore plus perceptible l'importance ou non de l'information aux yeux de leurs lecteurs, les journaux jouent souvent sur la grosseur ou la petitesse des caractères et des images illustratives. En effet, en réduisant les éléments d'un texte, on souligne leur peu d'importance ; en les grossissant pour accrocher davantage le regard du lecteur, on souligne leur importance. En un mot, on envoie un message qui se veut clair au lecteur.
Nous invitons donc le lecteur à regarder avec attention que c'est exactement le travail qui a été accompli par la rédaction de L'Yonne républicaine à la page 12 consacrée à Joigny dans son édition du lundi 13 mai 2019.
La commémoration de l'abolition de l'esclavage du vendredi 10 mai 2019 est une cérémonie nationale que la ville de Joigny et l'association La France noire (titulaire de l'agrément académique) avaient conjointement organisée dans les salons de l'hôtel de ville. A cette occasion, le maire, Monsieur Bernard Moraine, avait réuni autour de lui les autres élus du Jovinien : Madame Michelle CROUZET, députée, Monsieur Nicolas SORET, conseiller départemental et Président de la communauté de communes du jovinien, et Madame Françoise Roure, conseillère départementale. A tous ces élus de la localité se sont joints les adjoints du maire et des membres du conseil municipal, deux chefs d'établissements de Joigny et des enseignants. Le directeur du Crédit Mutuel de la ville a également fait le déplacement avec deux de ses conseillers. De toute évidence, cet effort d'une ville de dix mille habitants n'a pas suffi, au yeux du journal L'Yonne Républicaine, pour placer cet événement sur le même pied d'égalité que la fondation d'un collectif animalier à Joigny ! Quel mépris pour nos élus ! Et pour que la cérémonie nationale consacrée au devoir de mémoire ne fasse pas de l'ombre à la fondation du collectif animalier, le journal a dû prendre soin de grossir le titre, les caractères de l'article et l'image illustrative de l'information consacrée aux animaux.
Tout écrit, y compris son organisation et sa présentation, véhicule un message. Quel message cette page de l'Yonne républicaine veut-elle envoyer aux lecteurs ? Pour notre part, nous voyons ici, outre le mépris de nos élus, celui, très éclatant, de bon nombre de nos compatriotes blancs pour la mémoire des ancêtres des Français noirs ; l'héritage africain de la France (esclavage et colonisation) ne mérite apparemment pas la même considération que les malheureux chiens de la ville de Joigny.
Etait-il nécessaire de publier les deux articles le même jour ? Sûrement non ! Par contre, pour ce journal, il était sans doute absolument nécessaire de procéder à une hiérarchisation des deux sujets présentés ce jour-là afin d'envoyer un message fort aux habitants de Joigny. Libre donc à chaque lecteur de l'interpréter en attendant les explications savantes de L'Yonne républicaine.
Raphaël ADJOBI
17 mai 2019
A bord du négrier, une histoire atlantique de la traite (Marcus Rediker)
A bord du négrier
Une histoire atlantique de la traite
(Marcus Rediker)
Voici le livre dont la lecture change radicalement le regard de tous ceux qui ont une vision classique de la traite négrière enseignée dans les collèges et les lycées européens. A bord du négrier de Marcus Rediker permet une exacte connaissance des équipages des navires négriers qui partaient pour les côtes africaines avec pour objectif de remplir leurs cales de captifs à destination des Amériques. Tous les enseignants qui dissertent avec superbe de "commerce triangulaire" devraient lire ce livre afin de pouvoir parler avec justesse de ces fameux "commerçants" blancs dont la vie et le statut sont totalement absents des manuels scolaires et des livres d'histoire.
Peut-on appeler "commerçants" les prisonniers et les pensionnaires des orphelinats embarqués de gré ou de force pour accomplir une sale besogne qui soulèverait le cœur de tout être humain non altéré par une condition déjà misérable ? Peut-on appeler "commerçants" de pauvres paysans qui s'engagent à faire le voyage vers l'Afrique parce que trompés par la promesse d'une vie de harem avec des négresses aux seins nus ?
Il est bon que chacun retienne que dans le système négrier, les commerçants sont les armateurs, les commanditaires des expéditions ; et les capitaines leurs principaux bras armés prêts à tout pour le succès de l'entreprise. Une fois éloignés des côtes européennes, «les capitaines transformaient leur navire en enfer flottant et se servaient de la terreur pour contrôler tout le monde à bord, marins et captifs». Il est bon de retenir aussi que cette violence répondait à une logique institutionnelle. C'est une violence qui fonctionne en cascade, du haut vers le bas : le capitaine et ses officiers tyrannisent les marins, et les marins à leur tour torturent les captifs. C'est aussi simple que cela ! Les marins eux-mêmes souvent battus et maltraités se vengeaient de leur situation sur les êtres impuissants qui étaient en leur pouvoir et dont ils avaient la charge. Selon un capitaine anglais repenti, devenu abolitionniste, le navire négrier est «un enfer pour les esclaves blancs et les esclaves noirs». Et il ajoute : «il n'y a pas entre eux l'ombre d'une différence si l'on fait abstraction de leur couleur de peau». Des marins blancs esclaves au XVIIIe siècle ! Combien sommes-nous à savoir cela ? Retenez enfin que par cette violence en cascade institutionnalisée, une certaine idée de la race, littéralement fabriquée - Blancs dominants et Noirs dominés - s'instaurait déjà durant le voyage vers les Amériques. En d'autres termes, avant même les plantations du Nouveau Monde, «chaque navire contenait en son sein un processus de dépouillement culturel venant d'en haut [se heurtant immanquablement à] un contre-processus de création culturelle venant d'en bas» (p.385) fait de révoltes, de multiplications des suicides et du refus de s'alimenter qui étaient des réponses collectives et individuelles à l'incompréhensible captivité.
Un autre aspect très important de la violence exercée par l'équipage à l'encontre des captifs est la violence sexuelle. Ce sujet peu abordé par les abolitionnistes montre à quel point il était délicat en Europe. C'est pourtant de «sauvages blancs», de prédateurs sexuels et de violeurs en série que quelques rares Anglais comme le révérend John Newton - lui-même ancien négrier et auteur de l'hymne "Amazing Grace" - ont osé qualifier les marins. Nombreux sont ces Européens de basse condition qui s'engageaient dans les voyages négriers précisément parce que, avant tout, ils désiraient cet accès sans restriction aux corps des femmes africaines. C'est d'ailleurs le grand argument des armateurs et des capitaines pour recruter facilement de nouveaux marins. Car, d'une façon générale, compte tenu des dangers, ceux qui avaient déjà effectué un premier voyage ne se réengageaient que sous la contrainte. Le nom de certain bateau est tout à fait évocateur : Free love (Amour libre).
Sachez donc qu'après la perte de ses treize colonies des Amériques en 1783, les abolitionnistes anglais n'ont pas eu besoin de plaider la cause des Noirs que les Européens ne voyaient pas ; il leur a suffi de montrer du doigt le sort qui était réservé aux jeunes marins sur les navires négriers, et combien ils étaient nombreux à revenir boiteux, aveugles, borgnes, plein d'ulcères et fiévreux, pour convaincre le gouvernement anglais de combattre les autres royaumes afin de les obliger à arrêter la déportation des Africains vers les Amériques.
A bord du négrier est un livre magnifique, très riche, dont il est difficile de se séparer. Il vous permet de comprendre qu'une bonne connaissance de la traite négrière commence par une bonne connaissance de l'organisation du système négrier à partir de l'Europe. En effet, parler de commerce sans connaître le statut ou la condition des acheteurs, c'est se conduire comme un inconscient.
Raphaël ADJOBI
Titre : A bord du négrier, une histoire atlantique de la traite, 523 pages.
auteur : Marcus Rediker.
Editeur : Seuil, 2013 ; édition originale en 2007
18 avril 2019
Le chant des revenants (Jasmyn WARD)
Le chant des revenants
(Jesmyn Ward)
Le chant des revenants est certes un roman entraînant - le lecteur est toujours désireux de savoir comment les choses vont finir - mais peu enthousiasmant. Mêlant à la fois le discours intérieur et le discours oral, la lecture de ce roman requiert une grande attention pour bien distinguer et apprécier les faits passés et présents ainsi que leur étrangeté.
Le vieux River Red et sa femme Philomène ont deux enfants, Léonie et Given. Après la mort de ce dernier, qui a oublié qu'avec les Blancs «c'est pas ce que tu vois qui compte, (mais) ce qu'eux ils voient», plus rien ne se passe comme avant. Et pour compliquer davantage les choses, le cousin du meurtrier devient le père de leurs deux petits-enfants : Joseph et la petite Michaela. Vu sous cet angle, on s'attendrait à lire les difficultés pour une famille noire et une famille blanche à entretenir une relation harmonieuse sous le ciel des Etats-Unis d'Amérique. La réalité va largement au-delà de ces prévisibles difficultés.
Tout l'intérêt de ce livre est de nous replonger dans l'esprit du documentaire Le 13e (amendement), produit en 2016 pour dénoncer le mécanisme mis en place contre les populations noires «pour assurer un arrivage régulier de détenus afin de générer du profit pour les investisseurs» blancs. En effet, en partant du fantasme blanc selon lequel le Noir est dangereux, «juste après la guerre de Sécession (1861 - 1865), les Afro-Américains étaient déjà arrêtés en masse pour des délits mineurs et forcés de travailler pour reconstruire le pays» (Ava Duvernay, réalisatrice). Dans Le chant des revenants, il est précisément question d'une de ces immenses fermes pénitentiaires de coton. Et le vieux River a été un pensionnaire de Parcheman, comme l'est aujourd'hui son gendre blanc. Ce récit est clairement celui d'une Amérique des campagnes où l'éducation apparaît happée par la violence invisible des fermes pénitentiaires rythmant le quotidien des hommes et des femmes. Le chant des revenants est aussi le récit de ce passé et de ce présent chaotique nimbé des images et des soucis des morts qui semblent vouloir comprendre le sens de leur vie qu'ils n'ont pas eu le temps de connaître suffisamment ; une touche de survivance de croyances africaines qui confèrent à ce roman toute son étrangeté.
Raphaël ADJOBI
Titre : Le chant des revenants, 270 pages
Auteur : Jasmyn WARD
Editeur : Belfond, 2019
28 mars 2019
Louer une exposition sur l'esclavage ou l'histoire des Noirs de France
Louer une exposition
pour animer sa ville ou son établissement
L'association La France noire, créée en 2015 pour promouvoir la contribution des Noirs à l'Histoire de France, dispose aujourd'hui d'une belle exposition pédagogique en deux parties pouvant constituer une excellente animation pour les municipalités.
Pour en savoir davantage, prenez contact avec nous. Prenez aussi le temps de visiter notre site pour juger de la qualité de notre travail. Les trois thématiques qui le composent peuvent être retenues séparément : a) Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ; b) Les Noirs illustres et leur contribution à l'histoire de France ; l'invention du racisme et la négation des traces de l'homme noir dans l'histoire de l'humanité.
Contact : 06.82.22.17.74/lafrancenoire@orange.fr/ www.lafrancenoire.com
25 mars 2019
Toutankhamon le nègre ou le passé des Noirs et la fortune des Blancs
Toutankhamon le nègre
ou le passé des Noirs et la fortune des Blancs
L'exploitation abusive de la belle image du couvercle du sarcophage de Toutankhamon a fait de lui le pharaon le plus célèbre de notre temps. Ce parti pris qui laisse de côté tous les autres dirigeants de l'Egypte ancienne et de Koush (le Soudan actuel) auxquels leurs peuples ont dressé d'immenses sculptures et de somptueuses tombes en forme de pyramide n'est sûrement pas conforme à la renommée de l'homme dans l'histoire de ce royaume ancien. La qualité de conservation de la couverture de son sarcophage n'est nullement la preuve qu'il a été le meilleur de tous les pharaons ou le plus aimé.
Mais, au-delà de l'exploitation de l'image de ce pharaon, c'est l'idée que les Européens véhiculent depuis un siècle qui est écœurante. De même que les manuels scolaires et les livres d'histoire donnent l'impression que les châteaux d'Europe sont tombés du ciel, par miracle - parce qu'il n'est jamais fait mention des mains des paysans et des esclaves ou serfs qui les ont édifiés en maîtrisant de multiples techniques - de même ce pharaon semble ne pas avoir eu de peuple libre et donc pas de racine attachée à la terre d'Afrique. Oui, aujourd'hui, dans la conscience collective des Européens, l'Egypte semble ne pas faire partie du contient Africain. Et tout cela pour laisser croire qu'un tel homme ne peut être qu'un Blanc ! Soucieux de s'approprier le passé de ce royaume ancien, ils négligent son environnement géographique et humain. Tous les concepteurs des manuels scolaires et presque tous les historiens européens ont, pendant longtemps, travaillé à faire croire que les pharaons sont blancs et leurs peuples des esclaves noirs.
En procédant ainsi au blanchiment de l'Egypte ancienne, les Européens ont réussi à faire de Toutankhamon une rente financière. En excluant sa négritude que dévoile sa momie et en ne présentant que la belle image du sarcophage, ils l'ont rendu acceptable aux yeux de tous les Blancs qui peuvent s'identifier à lui et l'inclure à leur histoire. Des livres, des statuettes représentant l'image du sarcophage se vendent parce que les Blancs ne le voient pas comme un nègre ! Et pourtant, c'est un nègre ! Et c'est sur ce passé nègre que prospère aussi aujourd'hui la population arabe qui occupe ce coin d'Afrique depuis le VIIe siècle de notre ère ; une population au physique gras et bedonnant n'ayant rien à voir avec les Egyptiens aux traits fin comme les populations noires actuelles de l'Ethiopie, de la Somalie, du Soudan, du Niger ou du Kenya où vivent les Masaïs. Non, l'environnement de l'Egypte a rarement compté pour les chercheurs européens. C'est d'ailleurs cet esprit négationniste qu'avoue Laurent Bavay, directeur de l'Institut français d'archéologie orientale : «Aujourd'hui, nous ne sommes plus à la recherche de trésors [...] Nous cherchons à comprendre la civilisation égyptienne, sa culture, son économie ou son rapport à son environnement» (entretien publié sur le site de France inter le 24 mars 2019). En effet, l'approche analogique a toujours fait faire des progrès à la science. Mais concernant l'Egypte pharaonique, les Européens ont toujours exclu cette méthode de travail. Il ne fallait surtout pas chercher à établir un lien éventuel entre la culture des populations noires d'Afrique et l'espace appelé Egypte ancienne. Non, il ne fallait pas accorder de l'importance aux Noirs des environs en établissant un lien quelconque entre leurs cultures et celle de l'Egypte ancienne.
Assurément, les Européens ont commis deux erreurs dans leur approche de l'histoire de l'Afrique. D'une part, en l'absence de traces écrites parmi les Noirs, ils ont décrété que ceux-ci n'avaient pas d'histoire ; par conséquent, la seule histoire qui mérite d'être enseignée à leurs yeux est celle de la conquête et de leur "œuvre" coloniale. En d'autres termes, comme le disent si bien Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien (Histoire de l'Afrique ancienne VIIIe - XVIe siècle, documentation photographique) , les Blancs enseignent en réalité l'Histoire de l'Europe en Afrique et non l'histoire des Africains eux-mêmes. D'autre part, éblouis par l'Egypte ancienne, les Européens ont pris soin de l'isoler de ses racines africaines pour se complaire dans la contemplation de ses monuments et objets divers au lieu de l'étudier dans son milieu géographique et humain. Voici une conférence édifiante sur la falsification de l'histoire des Noirs et particulièrement de l'histoire de l'Egypte ancienne : https://www.youtube.com/watch?v=p6zv3NXRfLg&feature=share&fbclid=IwAR1fmz7X_2cmyaHIOwUv9AMyW5psjw_aJo8d1Pi_eM5tkXvLSs9XcroEv4o
Raphaël ADJOBI
15 mars 2019
Noire n'est pas mon métier (Ouvrage collectif sur une idée d'Aïssa Maïga)
Noire n'est pas mon métier
(Ouvrage collectif sur une idée d'Aïssa Maïga)
Dans la société française, il y a une réalité qui n'est jamais prise en considération par nos institutions et donc par nos autorités pour mener des actions pédagogiques et politiques contre le racisme : plus l'enfant noir grandit, plus il voit les barrières des classes sociales s'affirmer et de nouvelles frontières s'ériger (Eye Haïdara). Personne ne se soucie de ce fait ! Sans doute, le traitement ethnique à géométrie variable des maux dans notre république oblige. Et comme l'ignorance des héritages esclavagiste et colonial de la France s'est généralisée, les Noirs semblent être aux yeux des Blancs des immigrés auxquels ils peuvent sans aucun scrupule fermer les portes en cas de recherche d'un logement ou d'un emploi ; ainsi notre pays s'est installé dans ce que l'on appelle cyniquement le racisme ordinaire. Par le biais de multiples expériences, Noire n'est pas mon métier veut nous ouvrir les yeux sur l'impact de ce racisme ordinaire dans le monde artistique.
La lecture de certaines expériences de ce livre nous donne le sentiment que de nombreux compatriotes blancs qui occupent un poste de décision sont pétris, allaités, quotidiennement nourris aux préjugés au point que, selon eux, le corps d'une femme noire est voué à être érotisé. La figure d'une Noire les renvoie systématiquement à une batterie d'objets, d'animaux, de fonctions sociales déterminées (Maïmouna GUEYE). Quant aux enseignants, ils ne voient pas les jeunes filles noires opter pour une carrière d'avocate ou de médecin ; surtout pas la danse classique ou le théâtre. Ils les dissuadent immédiatement d'emprunter ces voies. Aujourd'hui, la coryphée (chef de chœur) métisse Letizia Galloni reste une exception dans le ballet de l'Opéra de Paris. «A son arrivée à la tête du ballet de l'Opéra de Paris en 2014, Benjamin Millepied avait fustigé l'absence de danseurs noirs, arabes ou asiatiques au sein de la troupe, et regretté les résistances empêchant de faire évoluer le recrutement» (Lucas Armati, Télérama). Quant au cinéma français, il produit plus de trois cent films chaque année et une multitude de séries télévisées ! «Et pourtant, il subsiste un vide retentissant en termes de représentation de la réalité sociale, démographique, ethnique française», constate Aïssa Maïga. Aussi elle s'interroge : «comment les réalisateurs et les réalisatrices observent-ils ce vide ? En ont-ils conscience ? Se sentent-ils en phase avec la société dans laquelle ils vivent ? »
On peut être reconnaissant à toutes ces femmes qui témoignent ici du sexisme, du racisme et des multiples clichés entretenus dans les milieux artistiques, freinant ainsi leur émergence sur la scène publique. Des témoignages précieux pour les futures générations de Noires qui voudront réaliser leur rêve de jeune fille. Elles sauront que le racisme n'est jamais perçu comme méchant par les Blancs puisque ce n'est jamais eux qui le subissent. Sans doute, pendant longtemps, elles entendront les plus imbéciles leur dire «c'était pour rire», ou «je ne suis pas raciste», ou encore «comment peux-tu penser que je suis raciste, je suis juif» (Nadège Beausson-Diagne). Mais au moins elles sauront à quoi s'attendre et auront préparé des armes pour avancer plus hardiment.
Raphaël ADJOBI / Faites un don à La France noire
Titre : Noire n'est pas mon métier, 118 pages
Auteur : Ouvrage collectif sur une idée d'Aïssa Maïga
Editeur : Editions du Seuil, mai 2018.
04 mars 2019
Les Noirs, la Liberté et le Panafricanisme (Une réflexion de Raphaël ADJOBI)
Les Noirs, la Liberté et le Panafricanisme
(Une réflexion de Raphaël ADJOBI)
Commençons par un trait d'humour : deux africains furent fait prisonniers. On enchaîna l'un à un pieu dans une cour et on enferma l'autre dans une petite cellule, derrière une grille. On profita de leur sommeil pour dessiner des chaînes fictives à la place des chaînes réelles qui retenaient le premier et on déverrouilla la grille de la cellule du second. Pendant deux jours, l'un et l'autre demeurèrent dans leur posture initiale attendant patiemment l'arrivée de leur geôlier pour les libérer.
En ce début du XXIe siècle, très nombreux sont les Africains noirs - surtout les gouvernants francophones - qui sont dans l'une ou l'autre des deux situations. L'Afrique francophone est en effet semblable à une immense salle d'attente où sont entassés des êtres qui n'ont rien à faire ensemble et qui passent leur temps à se regarder sans savoir quelle posture prendre en attendant de savoir ce que le Blanc compte faire d'eux. Pire, quand le maître blanc vient à clamer qu'ils sont libres, certains paniquent et lui crient : «Maître, mais qu'allons-nous faire de toute cette liberté ? » D'autres lui proposent même un nouveau contrat : «Gardez-nous sous votre joug jusqu'à ce que nous soyons prêts pour nous assumer librement ! »
La liberté, cette porte ouverte sur le vide et l'incertitude, est de toute évidence la grande hantise des Africains francophones. Ainsi, devant l'autonomie monétaire que préconisent ceux qui veulent sortir de l'emprise du Franc CFA, certains paniquent ! Partir de rien pour forger son propre avenir quand on jouit des miettes octroyées par une puissance étrangère leur paraît une entreprise extrêmement périlleuse. Alors, depuis quelques années, ils ont fait de ce chapitre de leur histoire un sujet de longs débats et de consultations auprès des autorités françaises détentrices de cette monnaie. Inutile de leur rappeler que «quiconque est digne de la liberté n'attend pas qu'on la lui donne ; il la prend» (Madeleine Pelletier, psychiatre, militante féministe). Car la dignité, ils ne savent pas ce que c'est ; elle n'entre nullement dans leurs considérations.
Plus de soixante ans après l'indépendance, des hommes politiques africains viennent en Europe chercher la caution française au moment de briguer la présidence de leur pays. Et, en cas d'échec de leur prétention, ils n'hésitent pas à faire appel à l'intervention militaire française pour les installer au pouvoir : Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire (2010), Jean Ping au Gabon (2016), Martin Fayulu en RDC (2018) ne nous contrediront pas. Force est de constater que le Noir francophone a rarement fait sien l'idéal de liberté prôné par Jean de La Fontaine dans la fable "Le loup et le chien". Dans ce célèbre récit, en réponse à son compère domestique qui vient de lui vanter brillamment les bienfaits de la servitude afin de l'exhorter à quitter une vie de liberté semée d'aléas, l'animal sauvage déclare fermement : « (Je) ne voudrais pas même à ce prix un trésor». Oui, la faim, le tâtonnement, la souffrance, sont des aléas attachés à la Liberté ! Mais il n'y a pas de vie pleine et entière sans liberté parce que c'est justement dans cet état que l'homme se réalise pleinement dans les contingences de la vie terrestre. Tous ceux qui n'auront pas connu cet état ou fait cette expérience ne devront jamais dire qu'ils ont vécu. Vivre dans une totale sécurité sans jamais mettre le pied hors du sillon que nous avons trouvé en entrant dans la vie, sans mettre le nez hors du logis qui nous est donné, sans entreprendre quelque projet hors du giron de l'héritage, vivre ainsi est synonyme d'une vie de servitude.
Au regard de l'analyse que nous venons de faire, chacun peut aisément comprendre pourquoi le Panafricanisme, qui a émergé sur la scène internationale avec le succès progressif de la solidarité des Noirs américains autour des droits civiques, n'a jamais connu aucune victoire significative en terre africaine. Sur les navires négriers et dans les Amériques, le panafricanisme est parti de la base, s'est forgé dans les souffrances des hommes pour s'exprimer en révoltes, insoumissions et revendications civiles. En Afrique, le panafricanisme est parti du sommet, des sphères intellectuelles, et peine à embraser les désirs des populations qui souffrent. Pour que triomphe le panafricanisme dans les rangs des Africains francophones, il faut nécessairement que les combattants qui acceptent les aléas liés à la Liberté soient plus nombreux que les amoureux de la jouissance dans la servitude. Car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les Africains noirs d'aujourd'hui semblent s'accommoder plus facilement de la servitude que leurs ancêtres qui ont connu le tourment de la captivité à bord des navires négriers. Ils mènent une vie pleine d'espoir mais vide de courage. Or sans le courage, l'espoir n'est rien.
Le panafricanisme à bord des bateaux négriers
Je partage avec Marcus Rediker - auteur de A bord du négrier - l'idée que «l'Afrique de l'Ouest est l'une des zones linguistiques les plus riches au monde». Croire qu'à bord de chaque navire négrier embarquaient des individus parlant des langues diverses vers le Nouveau monde est donc une vue tout à fait réaliste. cependant, comme le fait remarquer avec justesse Markus Rediker, alors que «chaque navire contenait en son sein un processus de dépouillement culturel venant d'en haut», ce mouvement se heurtait immanquablement à «un processus de création culturelle venant d'en bas». Les révoltes, la multiplication des suicides après chaque rébellion avortée ainsi que le refus de s'alimenter, toutes ces réponses collectives à l'incompréhensible captivité sont aux yeux de l'historien américain un mystère : «comment un groupe multiethnique de plusieurs centaines d'Africains a-t-il pu apprendre à agir collectivement» sur de nombreux navires négriers alors qu'ils ne bénéficiaient jamais de l'expérience des précédents captifs, se demande-t-il ? Comment cette solidarité multiethnique a-t-elle été possible alors que ces hommes savaient qu'à terre ils étaient dressés les uns contre les autres par les Blancs et que logiquement chacun devait regarder son voisin comme l'auteur de son infortune ?
Il convient de reconnaître que c'est véritablement là, sur les navires négriers, que les Noirs ont expérimenté le panafricanisme. Avant de constituer de petites communautés de fugitifs sur le continent américain, ils avaient appris, individuellement puis collectivement, à transcender les maux qui les déchiraient sur la terre d'Afrique pour constituer un corps uni contre l'adversité qui s'acharnait à les déshumaniser.
Alors qu'aujourd'hui les Africains francophones, satisfaits des miettes que leur jettent les Français, sont incapables d'entreprendre collectivement le moindre mouvement de boycott, les captifs africains avaient, sur les navires négriers, initié les combats qu'ils allaient mener inlassablement sur le continent américain durant des siècles pour accéder à la liberté totale et à l'obtention des droits civiques au même titre que les descendants de leurs bourreaux. Voici ce que Marcus Rediker dit de ce boycott : «La traite atlantique fut en de nombreux sens une grève de la faim de plus de quatre cents ans. Des balbutiements du commerce de corps humains au début du XVe siècle jusqu'à son terme à la fin du XIXe siècle, les Africains asservis refusaient régulièrement de manger la nourriture qui leur était offerte». Or, la principale mission de chaque capitaine était de parvenir à bon port avec des corps vivants et en bonne santé. «Refuser de se nourrir était par conséquent avant tout un acte de résistance, la source de quasiment tous les autres. Ensuite, ce refus s'avéra être une tactique de négociation relativement efficace : de mauvais traitements pouvaient à tout moment déclencher une grève de la faim. Enfin, ces grèves de la faim contribuaient à créer à bord une culture commune de la résistance, un "Nous" contre un "Eux". Elles envoyaient donc plusieurs messages en même temps : nous ne serons pas votre propriété ; nous ne serons pas votre force de travail ; nous ne vous laisserons pas nous dévorer vivants».
Prétendus panafricanistes d'aujourd'hui, où est votre culture commune de la résistance ? Et quels sont les messages à l'adresse de la France que véhicule cette culture commune ? Tant que la France ne verra pas apparaître concrètement une culture d'un "Nous" contre un "Eux", elle n'a aucune raison de modifier sa posture ou sa politique. C'est la leçon que vous ne devez jamais perdre de vue !
Raphaël ADJOBI
01 mars 2019
Femmes noires, osez le chic des cheveux crépus ! (Raphaël ADJOBI)
Femmes noires, osez le chic des cheveux crépus !
Femmes noires, ne craignez pas de vous mettre en valeur ! Pour triompher des pudeurs qui vous assaillent, osez le naturel et accédez au chic, c'est-à-dire «à la distinction élégante des personnes libres, désinvoltes et raffinées» (Michel Pastoureau, L'étoffe du diable, Seuil 1991). Inversez le code social qui constitue à vos yeux un handicap ou une infériorité et faites-en une promotion.
Ces propos ont peu de chance d'être lus par beaucoup de femmes noires françaises, européennes et africaines qui portent des perruques aux cheveux raides, pour la simple raison que les Noirs qui lisent sont peu nombreux. En France, rares sont ceux qui fréquentent les librairies, les bibliothèques ou achètent des livres une fois qu'ils ont quitté les bancs de l'école. Aussi, femmes et hommes noirs sont inaccessibles aux campagnes de sensibilisation. Ce texte n'est en définitive qu'une "bouteille à la mer" parmi tant d'autres jetées sans jamais avoir rencontré une main pour en faire sienne.
J'ignore s'il y a des hommes qui apprécient de voir des femmes noires emperruquées, et particulièrement leur compagne. En tout cas, ce déguisement capillaire est affreux parce qu'il produit toujours quelque chose d'étrange sur le visage de celle qui le porte. Si ces femmes attirent souvent le regard, ce n'est point le fait de leur beauté mais celui de leur étrangeté. On se demande toujours ce que peut penser une tête noire cachée sous des cheveux raides qui, de toute évidence, ne lui appartiennent pas. Aucune femme noire portant une perruque avec des cheveux de personnes blanches n'est belle ! Elle est tout simplement étrange, une bizarrerie dans le paysage des êtres naturels.
Dans son livre Elever des enfants noirs ou métis chez les Blancs, Annick DZOKANGA se demande avec raison comment ces femmes emperruquées vivent-elles leur identité noire ? Et elle ajoute : «Quelle portion de dignité, de fierté pourront-elles donner à leurs enfants, quand elles seront, à leur tour, en âge de procréer ? Comment, en tant que mères, seront-elles capables de transmettre le sens de l'amour-propre, du respect de soi à leurs enfants si elles n'ont pas réglé leurs propres complexes ? Pourront-elles coiffer sereinement et avec amour les cheveux crépus de leurs fillettes si elles n'ont pas, elles-mêmes, pacifié leurs relations avec leurs propres cheveux ?»
C'est à vous, "beautés emperruquées", que la question est posée : où en êtes-vous avec votre identité noire ? D'autre part, en matière de beauté capillaire, l'inspiration, l'inventivité et la créativité ne seraient-elles pas noires ? Les images qui accompagnent ce texte suffisent pour démontrer que si.
Raphaël ADJOBI