11 octobre 2011
L'expression du métissage dans la littérature africaine (Liss Kihindou)
L'expression du métissage
dans la littérature africaine
Comme la rencontre de deux éléments différents, celle de deux cultures s'expose aux mêmes lois : soit une fusion complète dont le résultat n'a rien à voir avec la nature de l'un ou l'autre élément, soit une lutte pour la suprématie. Dans ce dernier cas, au final, l'élément victorieux présente toujours un visage bien altéré par cette rivalité. C'est le visage grimaçant de ce mélange ou de ce "métissage" que Liss Kihindou explore dans la culture africaine et ses formes traditionnelles de transmission des connaissances, puis dans le fruit de l'union charnelle du Blanc et du Noir, et enfin dans l'acte d'écriture. Et tout cela à travers trois oeuvres de littérature d'expression française : L'Aventure Ambiguë (Cheikh Hamidou Kane), Le Lys et le Flambloyant (Henri Lopes) et Les Soleils des Indépendances (Ahmadou Kourouma).
Les trois œuvres qui ont servi de support à cette étude montrent clairement, selon l’auteur, que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique a été vécue comme « une occidentalisation » de cette dernière. Aussi se dégage-t-il, avant tout, de cette littérature l’impression d’une farouche opposition à « l’école » qui constitue l’institution clef de cette « occidentalisation ». Aux yeux surtout des tenants de l’enseignement coranique, véhicule d’une tradition ancestrale - culturelle et religieuse – c’est l’enseignement du savoir qui est vécu comme une dépossession. Par voie de conséquence, c’est l’extinction des connaissances et des valeurs religieuses de tout un peuple qui motive leurs imprécations contre l’école européenne.
La lecture de cette première partie des analyses de l’auteur fait prendre conscience de la raison profonde du désamour que la littérature africaine a laissé dans le coeur de bon nombre de personnes depuis les classes du lycée. « Il faut noter que, dit Liss Kihindou, s’agissant des valeurs de l’Afrique, sa religiosité est toujours mise en relief, et ce aussi bien dans le discours africain que le discours européen ». Et c’est justement ce que de nombreux lecteurs n'ont pas apprécié dans cette littérature africaine du milieu du XXè siècle. Jamais ils n'ont eu le sentiment d'être pris en compte par cette littérature dont les auteurs étaient essentiellement de tradition musulmane ! Les peuples africains musulmans ont toujours cru à tort que l’islam était inhérent à l’homme africain. Les peuples des forêts, chrétiens et catholiques, n’ont jamais attaché de manière aussi forte l’image de l’homme noir à sa pratique religieuse. D’ailleurs ceux-ci pratiquent souvent à la fois l’animisme et le christianisme sans jamais avoir le sentiment de damner leur âme. Alors que dans la vie quotidienne, chez tous les musulmans – du moins au regard des textes – « les différents comportements ne traduisent tous qu’une seule et même préoccupation : la recherche de l’attitude la meilleure » pour ne pas donner l’impression de renoncer à leur culture. Pour eux, la légitime préservation de cette marque identitaire devient une obsession au point où l’on peut se demander, pour paraphraser l’auteur, si le brassage des cultures doit absolument se traduire en termes de « victoire » ou de « défaite ». Devant cette obsession, il semble donc juste que certains peuples des forêts se sentent étrangers aux sentiments développés dans cette littérature.
Il est évident que la rencontre de l’Europe et de l’Afrique noire a également entraîné un « métissage entre les populations » que l’on pourrait appeler le métissage du sang. Le chapitre consacré à l’étude de ce phénomène dans la littérature africaine est fait d’arguments bien choisis, d’analyses justes et fort précises. On devine aisément à travers ce travail que Le Lys et le Flamboyant d’Henri Lopes est porteur d’un message éminemment éloquent sur la condition du métis en Afrique noire que Blancs et Noirs devraient lire pour saisir au plus juste leur part de responsabilité dans le trouble existentiel des métis. Ceux-ci, nés à l’époque coloniale, ne pouvaient qu’être écartelés entre deux mondes. « Tous en général éprouvaient ce sentiment d’être plus africains qu’européens (mais) n’étaient pas insensibles aux avantages dont ils pourraient bénéficier s’ils étaient considérés comme Blancs ». Pouvons-nous nous permettre de dire aujourd’hui que ce sentiment du métis – qui a souvent manqué de l’affection paternelle parce que presque toujours abandonné – a évolué parce que le brassage des populations est devenu chose plus courante en ce début du XXIè siècle ? En tout cas, c’est un chapitre très intéressant et original qui donne envie de lire Le Lys et le Flambloyant.
Enfin, le dernier métissage objet de l’étude de cet ouvrage touche au visage de la langue française dans la littérature africaine. La difficulté à rendre compte des pensées et des images véhiculées par les langues locales est un des éléments que les auteurs d’Afrique noire n’ont pas manqué de relever ça et là. Liss Kihindou relève chez ces écrivains des subterfuges pour contourner la langue française académique afin d’être au plus près du mode de penser local. Certes, toute « langue, à elle seule, suffit à illustrer la culture qu’elle représente », remarque-t-elle. De ce fait, on comprend fort bien les récriminations des auteurs africains. Mais on est en droit de se demander si la difficulté qu’ils semblent présenter comme un crime contre les langues africaines n’est pas une difficulté universelle liée au fait de penser dans une langue et vouloir s’exprimer dans une autre. D’autre part, cette difficulté ne serait-elle pas aussi liée au passage de l’oralité à la transcription écrite que connaît l'Afrique ?
Ce petit livre est certes technique dans l’approche de son sujet. Mais sa lecture se révèle très plaisante et suscite des interrogations et surtout des réflexions sur les choix des cultures que les auteurs africains défendent contre « l’occidentalisation ». Nous savons que les musiques venues du Sahel, abondamment diffusées sur les ondes françaises et présentées comme l'exact reflet de la culture africaine ne sont pas du goût de tout le monde. Il serait donc bon de ne pas faire de la littérature africaine de culture musulmane le canon officiel de la littérature africaine pour éviter de dresser contre elle le ressentiment de nombreux lecteurs qui la considèrent à certains égards comme une littérature étrangère. Cette littérature ne rend compte, en effet, que d'un aspect du visage multiple de l'Afrique face à "l'occidentalisation".
Raphaël ADJOBI
Titre : L'expression du métissage dans la littérature africaine (88 pages)
Auteur : Liss Kihindou
Editeur : L'Harmattan, 2011
Commentaires
Si, chère Caro, mon désir de donner un peu plus d'allure à mon blog tient toujours. Je ne suis pas doué pour apporter un plus à mon blog mais je sais que cela est possible. Tu m'avais parlé d'une de tes amies...
Je vais te décevoir, Caro, je n'ai toujours pas de page FaceBook ! Je ne sais pas pourquoi, mais c'est un univers qui ne m'inspire pas du tout. Peut-être qu'un jour je céderai ; mais pour l'heure, je m'en tiens au blog.
J'espère que le travail de Liss séduira les enseigants africains.Merci !
Mon cher St-Ralph,
c'est Caro en effet qui, par un commentaire laissé aujourd'hui même chez moi m'a mis la puce à l'oreille. Mes ballades sur la blogosphère se sont raréfiées ces dernières semaines et, sans elle, je n'aurais sans doute découvert ce billet que plus tard. Je ne te cache pas que cela me fait plaisir que tu te sois penché sur ce petit livre et que tu aies pris le soin d'en faire la critique. J'apprécie surtout que tu fasses le pont avec d'autres sujets, d'autres domaines, si bien que ton billet élargit la vision, donne en quelque sorte au livre un aspect universel, en quelque sorte. Merci !
@ Caro,
j'en avais parlé sur FB, j'avais annoncé sa sortie sur mon mur, malheureusement tu n'es pas tombée sur l'information.
Et puis, qu'est-ce que j'apprends ? Tu ne veux pas me déplaire ? Il ne s'agit pas de me plaire ou pas, il s'agit de dire ce que tu as ressenti à la lecture du livre, et s'il y a des nouvelles que tu as moins appréciées que d'autres, tu as le droit de le dire, ce n'est pas pour autant que notre amitié se trouvera à l'agonie. J'espère que cela n'adviendra pas, et si par malheur cela se produit, ce ne sera sans doute pas pour une telle cause. Bien à toi !Ma chère Liss,
Tu te doutes bien que ton passage était attendu ! Je suis content que ma critique de ton livre ne te déplaise pas. Je me réjouis aussi de savoir que tu apprécies ma manière de m'appuyer sur mes lectures pour me lancer dans les réflexions qu'elles m'inspirent. Quand je procède de la sorte, j'aime laisser parler mon coeur afin d'être vrai. On peut ne pas être d'accord avec moi, mais l'important c'est que l'on saisisse ma profonde conviction.Je pense, cher Cuntator, que les langues se nourrisent les unes les autres dès lors que les populations entreprennent des échanges et cohabitent. Il fut une époque où la langue française a beaucoup influencé l'anglais ; aujourd'hui c'est l'anglais qui influence considérablement le français. Cela ne signifie nullement l'extinction de l'une ou de l'autre langue. C'est un enrichissement mutuel.
Cependant, en littérature, on ne peut se permettre d'employer tel ou tel terme étranger tout simplement parce qu'il est en vogue. De même que je n'aime pas le mélange sans raison des différents niveaux de langue, je vois d'un mauvais oeil l'intrusion abusive de termes étrangers dans la langue que je pratique.
Je crois sincèrement que la difficulté de nombreux écrivains africains du début du siècle tient surtout à une imparfaite connaissance de la langue française ou Européenne. La langue française académique que ces écrivains africains maîtrisaient à merveille n'était pas - à mon sens - suffisamment imprégnée de la culture française. Ils maîtrisaient la langue mais pas la culture française. Dès lors, il leur était difficile de trouver les équivalences, les concordances dans les pensées africaines.
Je sais qu'en disant cela, je vais m'attirer les foudres de beaucoup de gens. Mais je crois qu'il faut aller dans ce sens pour chercher les raisons des difficultés qu'ils ont signalées.
Curiosité
Tiens c'est drôle, je n'ai rien là dessus non plus sur FB mais peut-être qu'elle en a parlé sur son blog, j'irais voir, çà fait une éternité aussi que je n'y suis pas allée.
Je lis peu d'essais, mais j'en ai quelques uns quand même et celui là serait une belle curiosité parce qu'elle s'appuie sur de vieux livres que j'ai lu. Je vais me le procurer et essayer de le lire avant qu'elle ne propose une suite avec trois romans plus récents.
En attendant j'ai lu son recueil de nouvelles, mais je n'en ai pas parlé sur la carterie encore, j'hésitais parce qu'il y'a des nouvelles que j'ai plus aimé que d'autres, et çà m'aurait ennuyé de lui déplaire.
Ceci dit, merci de tes dernières visites, çà m'a fait plaisir de te lire, je n'ai pas encore répondu à tous mes coms mais tu sais la tortue fait tout lentement. Hi ! hi !
Je profite de mon dernier commentaire pour t'inciter fortement si tu veux toujours donner un petit coup de punch à ton blog à participer au concours qui permet de remporte une bannière pour son blog, tu peux participer à la fois en anglais et en français pour augmenter tes chances. Mais bon la condition c'est quand même d'avoir un profil facebook. Ou alors si tu as un mis qui peut remplir les conditions d'adhesions et poster pour toi, çà peut être intéressant. Enfin à condition bien sûr que ton désir de changement soit toujours là.
En attendant, je te fais des bises
CaroLINE