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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
15 janvier 2013

Corps et âme (Franck Conroy)

                                          Corps et âme

                                            (Frank Conroy)

Corps et âme (F

            Surprenant et envoûtant grâce aux nombreux rebondissements, ce roman est de ceux que l'on peut hisser fièrement au nombre des meilleurs sans risquer la contestation. Frank Conroy a réussi ici une peinture sociale et humaine d'une très grande intensité. 

            Quotidiennement, quand sa mère partait travailler avec son taxi, c'est enfermé à clef dans leur appartement situé au sous-sol que Claude Rawlings passait les heures des longues journées de son enfance. En cherchant à découvrir le secret du vieux piano désaccordé placé dans un coin de sa chambre, il va se découvrir une passion extraordinaire qui ne le lâchera plus et qui le mènera à une succession de rencontres qui seront autant de portes sur le monde merveilleux de la musique.   

            Quand, à quinze ans, son talent de jeune musicien prodige l'introduit dans le monde des artistes de renommée et lui ouvre les portes de la haute société et des grandes manifestions  new-yorkaises, l'aventure ne se remplit pas seulement de notes musicales mais aussi d'aspiration à l'amour. Mais, à l'exception de Weisfeld, le marchand de musique de son quartier qui l'a découvert, « Nul ne savait que la musique avait sauvé Claude Rawlings. Que grâce à elle, il l'avait échappé belle ». Et que par conséquent, « Diplôme de Cadbury ou pas, sans musique il n'était rien ». Car Claude vient de nulle part ; enfant d'une femme pauvre qui refuse de lui révéler l'identité de son père, il semble n'être qu'un prodige aux pieds d'argile. Et si « les gens ne parlent pas de classe et de situation sociale comme ils le faisaient autrefois, cela ne signifie pas qu'ils les aient oubliées. »        

            Frank Conroy présente dans ce roman un personnage exempt de toute ambition débordante mais dont le talent permet d'évoluer dans le monde comme dans un conte merveilleux. Cette démarche lui permet de brosser des portraits absolument magnifiques des différents personnages auxquels le héros a affaire : Weisfeld son mentor, très attentif mais cachotier sur son passé, ses maîtres de musique fantasques et parfois théâtraux, Al, le grand Noir au grand cœur ; et surtout les femmes avec les secrets de leur vie amoureuse ou sexuelle dont les révélations seront comme la touche éblouissante d'un récit déjà très surprenant.

            Mais ce roman est avant tout une fantastique plongée dans le monde de la musique. Les termes techniques, très nombreux, ne gênent nullement sa compréhension ; bien au contraire, ils nous révèlent la complexité de la construction de l'oeuvre musicale et le génie du personnage principal. Le roman nous découvre aussi la difficile expansion du jazz « censé être de la musique sauvage », la naissance du be-bop avec le saxophoniste Charlie Parker, et un zeste des mésaventures des musiciens noirs du milieu du XXè siècle comme Miles Davis. Il apparaît d'ailleurs que plus on avance dans le roman, plus la musique classique cède de la place au jazz tout en gardant la splendeur de ses concerts publics.  En tout cas, Corps et âme est le roman de la musique fait pour mettre d'accord les techniciens de la musique et les amoureux des belles oeuvres littéraires bien construites.

Raphaël ADJOBI  

Auteur : Frank Conroy

Titre : Corps et âme, 683 pages

Editeur : Gallimard, Collection Folio 2010 (1er dépôt, 2004)

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2 janvier 2013

Petite histoire des colonies françaises (T.4 : La Françafrique) de Grégory Jarry et Otto T.

              Petite histoire des colonies françaises

                             (Grégory Jarry & Otto T.)          

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            Comme le livre, ce billet s'adresse à chaque Français en particulier. Aussi je vais reprendre à peu près les termes de son introduction pour m'adresser à vous. Comme tout Français normalement constitué, vous savez comme moi qu'en 1960 notre gouvernement a accordé l'indépendance à nos colonies d'Afrique. Et c'est sans doute avec un pincement au coeur que vous en parlez parfois ; mais au moins nous pouvons tous dire que maintenant les Africains sont maîtres de leur destin, et ce n'est pas de notre faute s'ils n'arrivent pas à se gouverner et s'ils crèvent de faim.

            Nous sommes d'accord pour dire que nous n'avons plus rien à voir avec les problèmes de ces Africains incapables de tirer profit des aspects positifs de la colonisation après l’indépendance que nous leur avons accordée. 

            Cependant, voilà que Grégory Jarry et Otto T., deux individus sortis de je ne sais où, auteurs de ce manuel d'histoire qui s'inspire de la bande dessinée sans en être totalement une, nous interpellent en ces termes : « Réfléchissons deux secondes. Croyez-vous que notre président de l'époque, le général de Gaulle, ait pu lâcher notre empire colonial comme ça pouf, parce qu'un vent de liberté soufflait sur le monde ? »  Et l'air désolé, ils se disent obligés de nous avouer comment, en 1958, de Gaulle a pu installer "une monarchie non héréditaire" (Pierre Mendès France) baptisée Ve République, permettant à partir des années 1960 de « confisquer le pouvoir aux peuples fraîchement émancipés. Et tout cela depuis le palais de l'Elysée, dans le plus grand secret, sans passer par l'Assemblée nationale, sans contrôle démocratique », grâce, au départ, au talent du fils d'une blanche créole guadeloupéenne : Jacques Foccart. Le colonialisme, il s’y connaît ; il est tombé dedans quand il était petit. 

            Cette démonstration faite, ils passent en revue - tantôt avec humour, tantôt avec une déconcertante brutalité - le pilotage de tous les conflits africains depuis l'Elysée avec les médias comme caisse de résonance ou de propagande. La guerre d'Algérie tout d'abord, ensuite les élections au Gabon avec  Léon M'ba et son successeur Omar Bongo, la mort de Barthélémy Boganda, le premier président centrafricain, et l'installation au pouvoir de Jean Bedel Bokassa, la guerre au Biafra, et le premier président du Togo, Sylvanus Olympio, qui donna du fil à retordre à la France. Le génocide rwandais, le Burkina avec la mort de Sankara et l'avènement au pouvoir de son bourreau Blaise Compaoré, ainsi que le Congo de Patrice Lumumba et de son bourreau Mobutu ne sont pas oubliés. Bref, toute une série d'intrigues africaines menées de main de maître par les locataires de l'Elysée qui perpétuent une tradition gaullienne. 

           On imagine aisément les morts innombrables que toute cette manipulation des événements africains a causés. Aussi ce livre se termine sur une note d'espoir pour les Africains. L'espoir qu'un jour, les grands manipulateurs et leur cellule élyséenne pourraient être « inculpés de corruption et de détournement de fonds, de soutien à des dictatures totalitaires, d'organisations de coup d'Etat ayant conduit à l'assassinat de présidents démocratiquement élus, de complicité de génocide, tout cela avec préméditation et abus de pouvoir. » 

            Franchement, tout Français normalement constitué doit-il être reconnaissant à ces deux auteurs de nous ouvrir les grilles opaques du "domaine réservé" du président de la république que sont les affaires étrangères et plus particulièrement les affaires africaines ? Ne commettent-ils pas là un crime de lèse-majesté en offrant à chaque citoyen le droit de savoir et de juger ce que le président fait dans son "domaine réservé" de notre république démocratique ? Pour nous convaincre de leur sérieux, ils nous démontrent à la fin du livre que leurs propos sont basés sur une riche bibliographie faite d'auteurs de grande renommée. Ou bien vous lisez ce livre pour être assuré de ne pas dire d'ânerie sur l'Afrique, ou bien vous ne le lisez pas et vous vous interdisez tout commentaire sur les événements africains. Dans les deux cas, vous évitez de paraître bête. A vous de choisir !    

Raphaël  ADJOBI  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

Titre : Petite histoire des colonies françaises (Tome 4 : La Françafrique)                                                                                          

Auteur : Grégory Jarry & Otto T.                                                                                                            

Editeur : Editions FLBLB, 2011, prix 13 euros

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