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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
21 février 2015

Voltaire juge Charlie Hebdo dans son Traité sur la tolérance (Raphaël ADJOBI)

                                Voltaire juge Charlie Hebdo

                               Dans son Traité sur la tolérance

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            Le succès en librairie que connaît actuellement le Traité sur la tolérance de Voltaire est indiscutablement la résultante des événements qui ont marqué le début de l’année 2015 en France. Assurément, la grande majorité des Français avait vu dans l’attaque des locaux du journal satirique Charlie Hebdo la marque du fanatisme religieux contre ce qu’elle appelle la liberté d’expression. Mais, de même que nombreux parmi ceux qui sont descendus dans les rues le 11 janvier 2015 pour défendre cette liberté ont compris assez rapidement qu’ils ont été trompés ou manipulés, de même nombreux parmi les personnes qui ont acheté le Traité sur la tolérance de Voltaire croyant y trouver les arguments pour condamner les auteurs des assassinats au siège du journal satirique ont certainement vu leur attente déçue. 

            Pourtant, ce petit livre de Voltaire est tout à fait passionnant ; du moins dans ses premiers chapitres qui ne laissent pas perdre de vue le sujet qui a motivé sa rédaction : le supplice de Jean Calas, à soixante-huit ans, suite à l’arrêt du tribunal de Toulouse le condamnant pour parricide. Bien sûr, après l’exposé des faits démontrant un jugement inique visant à satisfaire le parti des catholiques contre celui des protestants, le philosophe se lance dans une critique sévère et très analytique du fanatisme religieux – notamment catholique – et de l’intolérance qui y est attachée. Cependant, c’est quand Voltaire démontre comment, avec le temps, les catholiques ont construit dans leur imaginaire un panthéon de martyrs que le livre rejoint notre actualité moderne à travers l’attentat du 7 janvier 2015 et la marche qui l’a suivi quatre jours plus tard. 

            N’est-il pas vrai que Charlie Hebdo a été porté aux nues, élevé au rang de martyr de la liberté d’expression pour ne pas dire de la foi laïque ? Mais il est triste de constater que pour parvenir à ce degré d’élévation, comme les catholiques dans le passé, Charlie Hebdo a joué de la provocation, de l’intolérance pour attirer sur lui la violence sanctifiante.

            Voltaire montre clairement, s’appuyant sur des faits historiques, que partout dans le monde, à toutes les époques, la cohabitation des croyances et des pratiques religieuses est une chose ordinaire. C’est, ajoute-t-il, lorsque les catholiques ont cru bon d’imposer leur foi et jeter bas les idoles des autres, c’est-à-dire lorsqu’ils ont commencé à ne pas tolérer ceux qu’ils jugeaient païens, qu’ils ont déclenché la violence contre eux. Le martyr de saint Polyeucte qu’il cite en est la parfaite illustration. « Il va dans le temple, où l’on rend aux dieux des actions de grâce pour la victoire de l’empereur Décius ; il y insulte les sacrificateurs, il renverse et brise les autels et les statues : quel est le pays au monde où l’on pardonnerait un pareil attentat ? » Et après bien d’autres exemples de ce type, Voltaire fait remarquer que « les martyrs furent (…) ceux qui s’élevèrent contre les faux dieux ». Certes, conclut-il, c’était « une chose très sage et très pieuse » pour les chrétiens de ne pas croire à ces faux dieux, cependant, « on est forcé d’avouer qu’eux-mêmes étaient intolérants » parce qu’ils se moquaient publiquement des croyances des autres. 

            Les caricaturistes de Charlie Hebdo ne firent pas autre chose que ce que firent les catholiques qui moquèrent les cultes qu’ils jugeaient païens. A moins qu’ils ne fussent victimes que de leur propre inculture, ces journalistes n’ignoraient pas que – contrairement aux catholiques qui se sont écartés des textes sacrés à propos des idoles – les musulmans attachent une importance capitale au fait de ne pas représenter Dieu et ses prophètes. L’architecture des mosquées et les objets de culte qu’ils ont laissés à travers le temps témoignent de leur attachement scrupuleux à ce principe. N’est-ce pas être intolérant que de moquer publiquement et effrontément leur religion en jetant bas ce qu’ils vénèrent ? 

            Ne voit-on pas aujourd’hui encore, dans de nombreuses contrées, se côtoyer catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, animistes et athées ? Qu’est-ce qui permet cette tolérance mutuelle sinon le bon sens qui commande le respect de la croyance de l’autre ? C’est quand on s’avise de se lever pour troubler l’autre dans ses pratiques sacrées que l’on suscite une réaction violente. Hier, nous levions des armées pour mener des croisades afin de punir les offenses faites au christianisme. Aujourd'hui, d'autres mènent des djihads pour punir les offenses faites à l'islam. Nous ne pouvons donc que rejoindre Voltaire pour dire que le grand principe universel qui fonde à la fois la liberté naturelle et humaine d’une part et le droit naturel et humain d’autre part, c’est « ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ». L’intolérance commence par l’affirmation de la bonté et de la justesse de ce que l’on croit et fait par rapport à ce que croit et fait l’autre. La trop grande considération de ce que l’on croit et que l’on finit par ériger en droit est de l’intolérance. Il faut donc prendre garde à la confusion du légal et du moral. Ce qui est légal pour l’Etat ne doit pas devenir ce qui est moral. L’instance du moral est dans le cœur ; et personne, pas même l'Etat, n’a le droit de dire que la morale n’existe pas, que la conscience n’existe pas, que le bon sens n’existe pas. 

            C’est le manquement à la tolérance et donc au respect de l’autre – ce principe élémentaire et universel – qui causa un si grand trouble en France en janvier 2015 et plongea les ergoteurs dans des débats stériles. Très vite, on montra la jeunesse du doigt et on entreprit d’introduire des notions nouvelles dans notre système d’enseignement ; comme si savoir chanter la Marseillaise ou connaître les institutions qui structurent notre système politique est susceptible de faire de nos enfants de bons citoyens. On a oublié de commencer par apprendre aux adultes à respecter les règles morales et à pratiquer l'exercice du bon sens afin de faire d’eux des modèles à suivre pour la jeunesse. 

            Ce fut un bonheur de voir, quelques semaines après les tueries du 7 janvier et la marche du 11 du même mois qui la consacra, beaucoup de personnes – dont de nombreux journalistes et artistes connus – dénoncer la supercherie qui a fait des caricaturistes des martyrs de la liberté d’expression. Les premiers à se désolidariser des dessinateurs français furent les journalistes anglais et américains qui, sans hésitation, refusèrent de se faire les relayeurs des provocations de leurs confrères se considérant les maîtres du monde après avoir été portés aux nues par la terre entière. En France même, certains journalistes et artistes trouvèrent le slogan « je suis Charlie » indécent, racoleur et dangereux. Les enseignants qui ont été pris pour cibles dans des textes ou des dessins les présentant dans des postures inconvenantes n’ont guère apprécié la totale liberté d’expression dont ils se sont faits les apôtres dans l’élan de la ferveur nationale. 

            Par ailleurs, tous ceux qui ont prêté foi à l’idée que Charlie Hebdo se moque de toutes les religions se sont rendu compte qu’ils ont soutenu un mensonge national. La guerre entre Israéliens et Palestiniens n’a jamais inspiré à Charlie Hebdo une caricature de Moïse et de la Torah. Concernant le culte des juifs, les caricaturistes de ce journal se sont toujours contentés de ridiculiser les religieux, mais jamais leur prophète et leur livre saint ; c’est quand il s’agit du christianisme et de l’islam qu’ils touchent à Jésus et à la Bible d’une part, à Mahomet et au Coran d’autre part. C’est dire combien ces journalistes français ont un sens du sacré bien orienté et la liberté d'expression bien sélective.

            Nous avons même surpris ces martyrs de la liberté d’expression et leurs partisans en flagrant délit d’intolérance lorsqu’ils se mirent à critiquer les journalistes britanniques et américains, les traitant de pudiques, de couards et de trop consensuels, parce qu’ils refusaient de propager leurs provocations chez eux. Voilà des défenseurs de la liberté d’expression qui sont incapables d’imaginer et d’accepter que d’autres puissent penser et agir différemment. Ces journalistes français-là sont indubitablement des êtres intolérants et dangereux pour la société. Ce sont des adeptes de la pensée unique, incapables de comprendre que la liberté d’expression poussée jusqu’à l’insulte n’a plus rien à voir avec la liberté sous quelque forme que ce soit. La liberté d’expression n’est nullement faite pour écraser l’autre ! 

            Il serait bon que chacun retienne que le bon sens et le respect de l’autre n’ont jamais provoqué de guerre civile, comme le dit si bien Voltaire. Par ailleurs, une autre récente actualité nous a permis de voir d’immenses foules de catholiques descendre dans les rues pour crier leur opposition aux lois favorables aux homosexuels. Les violences verbales et physiques ayant accompagné cette animosité soudaine n’ont pas manqué de rappeler à bien des esprits ce qu’il en a coûté à la France quand les catholiques disputaient les dogmes et régentaient la vie sociale. Ce sont bien des considérations religieuses qui ont rendu ces chrétiens violents, intolérants, et les ont poussés à livrer une ministre à la vindicte populaire et médiatique. Ces événements ont clairement montré que le fanatisme religieux n’est pas mort dans le cœur des Français et qu’il est toujours prêt à refaire surface. Ce n’est donc pas seulement dans le cœur des autres qu’il est encore vivant ! 

            Comme dit Voltaire, nous serons sages de ne jamais perdre de vue les deux sources essentielles de la guerre : la religion et la propriété. Disons donc que le peuple français qui n’est point ignorant des ravages de l'intolérance véhiculée par la religion aurait dû savoir que dans ce domaine il ne faut point se montrer chatouilleux si l’on veut être à l’abri d’une violence démesurée. Malheureusement, oublieux nous sommes et sots sont nos gouvernants incapables de nous prévenir du mal qui sommeille dans toutes les communautés confessionnelles, surtout lorsqu’elles prennent de l’importance.  

Raphaël ADJOBI

Titre : Traité sur la tolérance, 110 pages

Auteur : Voltaire

Editeur : Librio, janvier 2015

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19 février 2015

Sale temps pour les enfants d'Eburnie

           Sale temps pour les enfants d'Eburnie

 

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            Depuis que de la savane profonde

            La terreur s'est répandue sur Eburnie,

            S'exhale de nos terres un parfum de mort.

            Dans les champs, les récoltes sont tachées de sang.        

 

            Des plaines sèches, chaque jour,

            L'épouvante enfle, moutonne et vient

            Au sein de l'Ebrié déverser sa macabre moisson

            De corps d'enfants affreusement mutilés.

 

            Comme un souffle de l'harmattan,

            Les égorgeurs ont prospéré dans les bois du sud ;

            Et l'art de verser le sang a fait d'eux d'excellents maîtres.

            Les statues de leurs criminels enseignements font foi.

 

            Ce matin encore, on frappa à la porte. On ouvrit.

            Sur le seuil, un fossoyeur qui sourit.

            - Je ne suis pas encore prêt, dit l'enfant.

            - Il est déjà temps de partir, déclara l'ange moissonneur.

 

            Le garçon fit son rot en souvenir de son dernier repas ;

            L'intérêt de l'autre ne pouvait attendre.

            Les autels ont besoin de sang, on le crie.

            Il faut à la préférence ethnique cinq ans de garantie.

 

            Combien d'enfants encore faudra-t-il sacrifier ?

            Ici, un père veille son fils sans tête ni main.

            Là, une mère pleure une tête sans corps.

            Et nos sanglots interrogent le ciel et les palais muets.

 

            Parfois, du fond de nos cœurs, un espoir s'éveille ;

            Puis, de sa marche lente et pesante

            S'en va mourir dans l'Ebrié comme

            Accompagnant le voyage funèbre de nos tendres enfants.

 

            Raphaël ADJOBI

             (15 février 2015)   

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