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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël
5 février 2016

Les classes bi-langues dans l'enseignement français : de la poudre aux yeux

       Les classes bi-langues dans l'enseignement français :

                                     de la poudre aux yeux

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            Ce n'est point la reculade de la ministre de l'Education nationale sur sa réforme prévoyant la progressive disparition des classes bi-langues qui motive la course de ma plume mais bien l'agitation née de cette soudaine passion des Français pour l'enseignement des langues étrangères qu'ils portent désormais aux nues. On dit souvent que les moins instruits sont ceux qui font le plus de bruit quand il s'agit de parler de l'instruction des enfants ; et la chose est d'autant plus vraie pour les Français qu'ils n'ont jamais été reconnus doués pour les langues étrangères. Environnés de cinq pays – en comptant le Portugal – dont les langues sont tombées dans le domaine international, nous demeurons toujours plus mauvais que chacun de nos voisins. Peut-être – je dis bien peut-être – les Alsaciens seraient-ils les seuls à profiter avantageusement de l'allemand et à être très nombreux à le pratiquer couramment. L'histoire de cette région aux frontières très fluctuantes avec nos voisins Germains ne serait pas étrangère à cette singularité dans le paysage linguistique français.

            Un constat s'impose donc : là où le voisinage et les échanges naturels ont échoué, l'Education nationale s'acharne, depuis des décennies, à faire du Français commun un usager régulier et correct de l'anglais, de l'allemand, de l'espagnol, et dans une moindre mesure de l’italien et du portugais. Combien de milliards notre pays a-t-il investis dans l'enseignement de ces langues pour nous éviter de paraître ignorants ou bêtes lorsqu'un touriste étranger nous adresse la parole dans sa langue ? Honnêtement, quel changement avez-vous noté autour de vous depuis la fin de vos années d'apprentissage des langues étrangères ?

                                    Une querelle de clochers

            Que chacun considère que dans la ville où il réside un très grand nombre des habitants ont étudié l'anglais de la sixième à la terminale en raison de trois heures par semaine. Cela revient à dire que dans votre ville des millions et des milliards ont été dépensés pour que vous puissiez comprendre et vous faire comprendre d'un Anglais. N'est-ce pas cela ? Eh bien, n'importe quel enquêteur peut se promener dans les rues de votre ville pour constater le résultat de cet enseignement. Le manque de pratique faisant perdre rapidement les quelques notions apprises, sur - par exemple - une population de dix mille habitants ayant bénéficié de l'apprentissage de l'anglais pendant sept ans à raison de trois heures par semaine, vous trouverez à peine dix personnes capables de comprendre et se faire comprendre d'un touriste anglais égaré. Il est certain que dans n'importe quel domaine on jugerait un tel investissement inutile parce qu'absolument pas bénéfique au plus grand nombre. Il faut donc dans le domaine de l’enseignement des langues apprendre à proportionner les investissements aux bénéfices que l'on en tire ; surtout que nous sommes loin d'une question de santé publique. La plantation qui produit peu ne mérite pas que le paysan passe trop de temps à la soigner quand celui-ci connaît l'inutilité de ses efforts. Quel est le professeur de français qui serait fier d'enseigner sa matière dans quelque contrée perdue du monde avec la ferme conviction que ses élèves ne sauront jamais se servir du français ou ne pourront jamais en tirer quelque bénéfice ? Mais le plaisir, me direz-vous ! Le plaisir à ce prix-là, je me ferai violence pour manger des épinards plus souvent, répondrai-je. 

            Ne rêvons pas. Soyons raisonnables. La bataille autour des classes bi-langues n'est que de la poudre aux yeux qui n'a même pas la prétention de cacher la misère de la France en matière de maîtrise des langues étrangères. Toutes les envolées lyriques autour de la question ne sont que les effets de deux luttes d'intérêt. D'une part, les chefs d'établissement veulent par l'enseignement de deux langues au même niveau attirer un grand nombre d'élèves parce qu'ils savent que les parents ont, dans leur for intérieur, l'idée que c'est le moyen le plus sûr de faire entrer leur progéniture dans une bonne classe. Nier ce fait serait mentir. Depuis toujours, les parents savent que le choix de l'allemand et du latin évite à leur enfant les classes surchargées ou difficilement gérables par le comportement de certains élèves. Mon expérience personnelle me montre régulièrement que quelques parents d'enfants en difficulté scolaire choisissent le latin pour leur enfant avec l'assurance de le voir évoluer dans une structure privilégiée, avec les meilleurs. D'autre part, c'est l'Etat qui ferme délibérément les yeux sur cette prolifération des classes bi-langues parce qu'il n'est pas contre les quelques emplois nouveaux et aussi pour éviter un mécontentement de plus sur la question scolaire. Dans le social ou dans l'enseignement, l'Etat sait que la dépense est minime. Et au regard des chiffres du chômage, il vaut mieux quelques embauches ou quelques heures supplémentaires là où c'est possible ; qu'importe le maigre bénéfice que le pays en tirera. Des chômeurs en moins c'est la paix sociale qui est préservée.

            Ces deux luttes conjointes produiront inéluctablement le même résultat : un bénéfice maigre ou nul pour les enfants, les familles et la société. Mais, ce résultat-là, parce qu'il n'est pas immédiat, tout le monde refuse d'en parler parce qu'il faut vivre d'illusions parfois. La multiplication des classes bi-langues ne modifiera en rien le paysage linguistique ou social français dans six ou dix ans. Les familles qui jugeront la langue étrangère utile à la formation ou à l'emploi de leur enfant devront toujours ouvrir leur bourse pour des séjours d'immersion à l'étranger.

            En effet, apprendre deux langues au même niveau dans nos établissements ne fera jamais d'un enfant un bon praticien de ces langues. D'ailleurs, en parlant de « bi-langues » au lieu de bilingue, les promoteurs ont inconsciemment voulu que le son "an" rappelle à chacun notre bon vieux « franglais ». Oui, les collèges et lycées français ne forment tout au plus que de petits « franglais », de petits « franlemands », de petits « francastagnettes » et de petits « franpizzas ». Des parlers qui ne permettent ni une communication entre Français ni une communication avec le visiteur étranger. Par ailleurs, la reculade de la ministre de l'Education nationale ne fait que créer une injustice puisqu'elle est partielle. En acceptant en effet que certaines zones du pays poursuivent l'expérience des classes bi-langues, elle permet que s'installent dans l'enseignement d'évidentes inégalités. 

              Pendant ce temps, on oublie l'essentiel

            Franchement, ne sommes-nous pas ridicules de nous battre pour les langues étrangères alors que nos enfants sont trop nombreux à ne plus savoir lire ou comprendre la langue française ? Comment peut-on réussir à apprendre par l'écrit une langue étrangère à un enfant qui ne sait pas écrire correctement dans sa propre langue ? On oublie trop souvent que l'on apprend plus facilement une langue étrangère quand on maîtrise la sienne. Dans le cas contraire, seule l'immersion totale dans le pays de la langue choisie nous permettra de la maîtriser sans passer par la nôtre.

            Il serait bon que chacun relativise l'importance que prend parmi nous cette querelle autour des classes bi-langues. Il n'y rien à y gagner. Monsieur Jean d'Ormesson – de l’Académie française – qui s'est tout à coup découvert un talent de grand défenseur de l'enseignement de l'allemand ne fait rien d'autre qu'endosser son habit de défenseur de la réconciliation franco-allemande. En effet, si dans notre pays l'allemand a bénéficié de la politique de réconciliation à tout prix avec notre voisin, l'enseignement de cette langue ne décolle toujours pas hors de l'Alsace malgré les campagnes de promotion des chefs d’établissement. Dans beaucoup d'établissements, de nombreux professeurs d'allemand font cours devant moins de dix élèves. Les bons résultats dont ils se vantent ne sont donc nullement le reflet de leur talent mais un désaveu qui s'est transformé en privilège. Leurs collègues qui ont trente élèves, voire plus de trente-cinq – j’ai personnellement eu une quarantaine d’élèves en classe d’espagnol – et parviennent à quelques bons résultats sont les plus méritants à mes yeux.

            Compte tenu du maigre résultat de l'enseignement des langues étrangères dans notre pays, nous devons considérer leur pratique dans nos classes comme une initiation, une découverte ouvrant au monde comme la musique, les arts plastiques, et l'éducation sportive. Que chacun comprenne qu'il n'est pas question pour les professeurs de faire de nos enfants et petits-enfants des petits Anglais, de petits Allemands, de petits Espagnols, de petits Italiens... Comme pour la musique, les arts plastiques et l'éducation sportive, l'enseignement des langues étrangères doit permettre à celui qui les découvre de voir la possibilité qui s'offre à lui de choisir une voie et de la poursuivre s'il en a la volonté ou s'il se sent quelque talent pour le faire. On ne sort pas du collège ou du lycée musicien, peintre, dessinateur, bilingue ou trilingue. On en sort avec une passion pour l'une ou l'autre de ces activités qu'il convient de poursuivre pour en faire un usage pour le plaisir ou un usage professionnel. Il est donc tout à fait inutile de consacrer à ces enseignements de découverte plus de temps qu'il n'en faut. Il faut savoir raison garder et privilégier l'essentiel dont la négligence nous fait tant de mal.

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Mon livre - Les impliqués 2

 

Raphaël ADJOBI

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Commentaires
S
Merci, chère Liss, de confirmer mes dires touchant l'enseignement de l'allemand et la place que devrait prendre celui du français dans notre système d'instruction publique. Oui, multiplier l'apprentissage des langues étrangères, c'est multiplier les difficultés des élèves qui ont beaucoup de mal avec le français.
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L
Ton article est très intéressant et le débat tombe à pic, puisque nous sommes en plein dans la Réforme. Les constats que tu fais sont les mêmes dans tous les établissements, chez nous la prof d'allemand a un très petit effectif (moins de dix) tandis que ses collègues ont une trentaine d'élèves en espagnol. Une chose retient mon attention en particulier, une évidence qui devrait crever les yeux à tous : c'est qu'il n'est pas cohérent de s'investir dans l'apprentissage d'une langue étrangère lorsqu'on ne maîtrise déjà pas la sienne ! De toutes façons, ces élèves-là cumulent des difficultés d'un côté comme de l'autre...
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