Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux ? (Frans De Waal)
Sommes-nous trop "bêtes"
pour comprendre l'intelligence des animaux ?
(Frans De Waal)
Lire ce livre en ayant constamment à l'esprit que les réflexions et les conclusions de l'auteur, visant la destruction des préjugés enracinés dans l'esprit de bon nombre de scientifiques à l'encontre des animaux, peuvent aussi servir à détruire ceux que perpétue l'homme blanc à l'égard du Noir lui confère une dimension sociologique extraordinaire. En effet, on découvre dans Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux toutes les réticences, toutes les conclusions hâtives et méprisantes, tous les dénigrements dont les penseurs et les philosophes des XVIIIe et XIXe siècles ont fait montre à l'égard des Noirs dans le comportement des hommes de science à l'égard de l'intelligence animale.
Nous savons tous que durant les siècles de la déportation des Africains dans les Amériques, l'homme blanc avait considéré que le Noir n'était pas doué d'intelligence et avait déclaré sa proximité avec les animaux certaine. Et lorsqu'il a daigné lui concéder cette capacité qu'il estimait le signe distinctif de l'humain, il a jugé cette intelligence inférieure à la sienne. Aujourd'hui encore, de nombreuses personnes blanches sont convaincues que certaines activités intellectuelles ne sont pas à la portée des Noirs. De même, dans les milieux scientifiques, nombreux sont ceux qui refusent aux animaux la cognition ("transformation mentale de sensations en compréhension de l'environnement et l'application adaptée à ce savoir"). En d'autres termes, les animaux ne sont pas doués d'intelligence ; ils sont incapables de traiter mentalement des informations.
Frans De Waal montre dans ce livre que chaque fois que les expériences viennent remettre en question leur croyance, des scientifiques minimisent les résultats et concluent invariablement que cette intelligence n'est pas à la hauteur de celle de l'humain. Et pourtant, dans bien des domaines, les singes ont montré leur supériorité dans le traitement de l'information pour résoudre des problèmes. Selon lui, l'ego humain est la principale entrave aux progrès de la science objective. De toute évidence, l'homme n'a pas l'esprit assez ouvert pour accepter que d'autres espèces aient une vie intérieure. Aussi il refuse de croire que les animaux réfléchissent avant d'agir, qu'ils savent ce que les autres savent, qu'ils ont des talents politiques pour dissimuler leurs intentions ou amener les amis de leurs rivaux à les suivre. Une foule d'expériences montrent des talents liés à l'intelligence et font de ce livre une mine de connaissances que l'on découvre avec plaisir et émerveillement.
Ce qui dérange les humains, dit l'auteur, c'est de savoir qu'ils sont de grands singes modifiés. Quelle erreur pour l'homme de continuer à croire qu'il a le monopole de l'intelligence et que les animaux n'agissent que par l'apprentissage ! Selon lui, la cognition pure que l'homme s'attribue est un fruit de l'imagination. Elle n'existe pas ! «La cognition suppose toujours une collecte d'information». L'apprentissage est donc une composante essentielle de la cognition. Chose que David Hume avait déjà comprise au XVIIIe siècle : «D'après la ressemblance des actions extérieures des animaux avec celles que nous accomplissons nous-mêmes [...] aucune vérité ne me paraît plus évidente que de dire que les bêtes sont douées de pensée et de raison tout comme les hommes» (p. 339).
L'homme - ou l'homme blanc - a donc tort, selon l'auteur, de se placer au centre du monde et de se croire la mesure de toute chose. «Il y a encore plus honteux que cette manie humaine de se frapper orgueilleusement la poitrine - autre comportement typique des primates - c'est la tendance à dénigrer l'autre», ajoute-t-il. Aussi remet-il très souvent en question certains tests des scientifiques qui leur permettent d'asseoir la suprématie humaine. En effet, de même que les colons n'usaient que de «la langue du contrôle et de la domination» avec les Noirs, c'est par la violence et en captivité que les hommes testent l'intelligence des animaux. «Le QI humain lui-même est controversé, signale-t-il, en particulier quand on compare des groupes culturels ou ethniques». Et il affirme clairement que si nous ne comprenons pas les autres, le problème ne vient pas simplement d'eux ; il vient aussi de nous, de nos méthodes d'approche. Pour lui, une chose est sûre : il faut être à la fois ingénieux et respectueux pour comprendre l'autre.
Raphaël ADJOBI
Titre : Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux ? 348 pages ; traduit de l'anglais (E.U) par Lise Chemla et Paul Chemla. « »
Auteur : Frans De Waal
Editeur : Les Liens qui libèrent, 2016 ; collection Babel Essai.