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Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

13 août 2015

Amour, Colère et Folie (Marie Vieux-Chauvet)

                                    Amour, Colère et Folie

                                        (Marie Vieux-Chauvet)

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            Ce livre est assurément le cri de l'âme haïtienne qui, traversant ses entrailles marquées par toutes les dictatures – particulièrement celle de François Duvalier (1957 - 1971) – et les humiliations successives dues aux antagonismes raciaux hérités de l’esclavage, nous parvient par la plume douloureusement troublante de Marie Vieux-Chauvet (1916 - 1973). C'est un livre en trois parties parcourant les trois thèmes qui en constituent le titre. Nous sommes ici loin de l’image d’Epinal de la première république noire du monde qui berce notre imaginaire.

                                               Premier livre : AMOUR          

            Amour nous permet de découvrir toutes les facettes de la société haïtienne du milieu du XXe siècle. La complexité de cette société apparaît d'abord dans la vie amoureuse ou sentimentale des trois sœurs Gramont – huit ans de différence entre chacune d'elles – sous le toit desquelles se déroulent les événements.

             Félicia vient d'épouser Jean Luze, un jeune français mystérieusement arrivé sur l'île et travaillant pour une firme américaine. Mais voilà que sa jeune sœur Annette, vingt-trois ans, s'est mise dans l'idée de le séduire à tout prix. Quant à Claire, l'aînée, trente-neuf ans, parce qu'elle n'a jamais été mariée personne ne la soupçonne d'aimer un homme. Par ailleurs, Claire est noire alors que ses deux sœurs sont des « mulâtresses-blanches ». Et dans cette société haïtienne de cette époque où la couleur de la peau détermine le rang, elle est à la fois la domestique et la maîtresse de la maison familiale héritée de leurs parents défunts, accomplissant les travaux les plus fastidieux et gérant le train-train quotidien de la fratrie. Evoluant dans la totale indifférence de ses sœurs, Claire prépare savamment sa vengeance. Car, dans le secret de son cœur, elle aime passionnément Jean Luze. 

Parallèlement à ce récit des passions qui agitent le cœur des sœurs Gramont, Amour – en fait le journal intime de Claire – est  surtout la peinture sociale d’Haïti telle qu’elle n’a jamais été portée à la connaissance du monde. Une société qui, après l'occupation américaine et la politique de désoccupation continue à « vivre en plein XXe siècle ce qu'à connu la France de Louis XVI » ; une société où l'on se poudre et gémit de voir son teint brunir, où l'on s'habille comme les femmes des salons des siècles passés ; une société où « les classifications sociales (sont) basées sur la couleur de la peau »,  où les familles déchues et celles qui prospèrent sur leurs cendres se livrent « une guerre froide de ressentiments, de rancunes et de haines ». Amour un est témoignage déchirant sur les humiliations et les souffrances que le monde blanc inflige chaque jour au Noir par les préjugés qu'il a construits, la peinture d'une société où le Noir a le sentiment d'être dans un esclavage à domicile. 

                                               Deuxième livre : COLERE 

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            Colère est le récit captivant d'une injustice, de la dépossession que vivent le vieux Claude Normil et sa famille qui voient leur espace vital – limité à leur maison avec son jardin – se réduire quotidiennement par la volonté des nouvelles autorités. C'est le tableau d'une société où les méprisés d'hier parvenus au pouvoir se montrent impitoyables, voire inhumains, poussant les mendiants tenaillés par la faim à « moucharder, à pactiser avec le diable ». C'est connu, « les faibles ne se sentent forts que la main sur une arme ; les êtres inférieurs aussi ». Mais c'est au moment où la famille va tenter désespérément d'arrêter la machine infernale que l'insoutenable apparaît sous la forme d'une proposition sordide.          

            Assurément, il faut être au fait de certaines pratiques particulièrement malhonnêtes des autorités des Etats, les avoir accomplies ou subies, pour les exprimer avec cette séduisante justesse. On lit Colère la gorge nouée, le cœur plein de mépris et de haine pour les bourreaux usurpateurs. C'est un récit qui ne se raconte pas, il se vit. Sa compréhension ne passe pas par l'esprit mais par les sens.

                                               Troisième livre : FOLIE

            Barricadé chez lui comme au fond d'un trou sans air, René, un métis, est plongé dans une profonde terreur parce que visiblement sa maison est environnée d'une milice qui a pris possession de la ville, semant partout la désolation et persécutant les poètes dont le crime est de « parler français et écrire des vers ». Une milice qui a tout l'air d'une société de diables « ni noirs, ni blancs, ni jaunes. Incolores ! Comme le crime ». Dans son abri viennent se refugier tour à tour André, Jacques et Simon – un Français blanc – tous des poètes quelque peu ivrognes, « sous-alimentés et méconnus » comme lui. De quoi ces mal-aimés sont-ils coupables ? « Si Jésus a été mis à mort, c'est qu'il disait quelque chose de plus [...] Qu'avons-nous dit ou fait de plus que les autres ? » se demande René. Comment sortir de cet enfer ? En face, par un orifice de la porte, il voit la maison de Cécile dont il est amoureux. Il lui semble qu'elle tente désespérément de lui venir en aide. 

            Folie est un récit énigmatique, démentiel et angoissant qui finit par être drôle.  Une histoire de fous ! se dit-on en le lisant. En effet, la hantise de la persécution que vit René et qu'il arrive à partager avec ses acolytes oscille constamment entre la démence et la vérité, entre la divagation et la réalité déjà soulignée dans Amour. 

            Folie est un récit qui semble suggérer une réflexion sur la place du poète dans la société. Ne serait-ce pas aussi une réflexion sur la place du métis, coincé entre le Blanc et le Noir, dans ces sociétés caribéennes où il est accusé de profiter des miettes du premier et paraît ainsi privilégié ?    

L'unité des trois livres : Amour, Colère et Folie est donc un ensemble de trois récits qui fonctionnent totalement ou partiellement – pour  les deux derniers – comme un huis-clos subissant le poids du monde extérieur. Un monde extérieur fait d'humiliations et de brutalités. En effet, si le premier livre accorde beaucoup de place au récit amoureux, il est surtout la critique du colonialisme et de sa main manipulatrice qui produit les nègres-colons ; ceux-ci « choisis en raison même de ce qu’ils représentent » – des gens sans valeur – et qui se font les « représentants de la haine et de la violence » qu’aucun honnête homme ne peut tolérer. Dès lors, ces humiliations et ces brutalités, que l’on retrouve dans les deux derniers livres, n’apparaissent que comme les conséquences de ce constat affligeant.

   ° Publié par Gallimard en 68 et jamais distribué - dictature des Duvalier oblige - ce livre a logtemps circulé sous le manteau en photocopies. Vous lirez avec intérêt la note introductive.  

Raphaël ADJOBI  / La reprise intégrale de ce texte est interdite.

Titre : Amour, Colère et Folie, 499 pages

Auteur : Marie Vieux-Chauvet (1916 - 1973)

Editeur : Zulma, 2015

     °Postface de Dany Laferrière (de l'académie française)  

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28 juillet 2015

La mulâtresse Solitude (André Schwarz-Bart)

                                     La mulâtresse Solitude

                                          (André Schwarz-Bart)

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            S’il y a une histoire chère au cœur des Antillais au point d’avoir pris parmi eux la forme d’une légende qui se transmet de génération en génération, c’est bien celle de la mulâtresse Solitude. Engagée en 1802, dans le sillage de Louis Delgrès, dans la lutte contre le rétablissement de l’esclavage décidé par Napoléon, la jeune esclave s’est installée dans l’imaginaire de la postérité comme le symbole de la femme insoumise et combattante.

            Née des viols auxquels se livraient les Blancs sur les navires négriers entre l’Afrique et le Nouveau Monde, Rosalie – qui deviendra Solitude – mènera partout, sous le pouvoir de tous les maîtres blancs, la vie d’une paria. Ephémère maîtresse de maison après avoir été arrachée à sa mère, la jeune fille évoluera dans le monde comme une somnambule, impropre à tout et donc inutile aux hommes blancs. C’est enfin parmi les esclaves marrons que vont se révéler ses talents de meneuse et de révolutionnaire, jusqu’à son supplice en 1802 alors qu'elle venait d'échapper au suicide collectif préparé et réalisé par Louis Delgrès pour signifier son refus du retour à l’esclavage.       

            Tout le charme de l’histoire brève et tragique de la mulâtresse Solitude réside dans la délicate et poétique narration menée par André Schwarz-Bart. En d’autres termes, ce qui importe ici, c’est moins la légende que la manière de la dire. L’auteur a choisi de se laisser imprégner de la culture noire, plus précisément de la manière propre aux sociétés africaines de raconter ce qui dépasse l’entendement humain. Ainsi, le lecteur semble constamment voguer dans un monde de rêves, de mystique et de mystères. L’héroïne apparaît donc comme un être surréel, insondable avec un esprit à la fois calculateur et d’une imprévisible détermination. En effet, rarement le lecteur devine ce que sait Solitude et ce qu’elle veut. Sans cesse on s’étonne de la voir échapper aux hommes, au rythme dur et dangereux de la vie d’esclave.

            C’est donc un récit captivant et quelque peu énigmatique que nous propose André Schwarz-Bart pour revisiter la légende de la mulâtresse Solitude. Et le style qu’il a choisi perpétue admirablement cette légende.

Raphaël ADJOBI

Titre : La mulâtresse Solitude, 156 pages.

Auteur : André Schwarz-Bart

Editeur : Editions du Seuil, 1972.

23 juillet 2015

Americanah (Chimamanda Ngozi ADICHIE)

                                             Americanah

                                   (Chimamanda Ngozi ADICHIE)

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            Ce roman séduit d’emblée par la limpidité du style mais aussi par l’immédiate immersion dans le monde des blogueurs à l’affût du sujet pouvant les mettre en valeur ou leur conférer un peu de notoriété. Joli clin d’œil à la modernité, Americanah est précisément la vie amoureuse d’une jeune blogueuse nigériane et l’agréable compilation de ses réflexions sur les comportements et les déboires de la diaspora africaine aux Etats-Unis.  

            Devenue quelque peu célèbre grâce au blog qu’elle tient, Ifemelu est parvenue à un moment de sa vie où la question du retour dans son pays natal se pose de manière sérieuse. C’est aussi, pour elle, l’occasion de passer en revue sa vie d’étudiante au Nigéria et ses aventures amoureuses aux Etats-Unis, sans jamais perdre de vue son amour de jeunesse – Obinze – qu’elle appréhende de retrouver. D’un certain point de vue, l’aventure d’Ifemelu apparaît comme un parcours initiatique au terme duquel, enrichie par les étapes successives, elle peut enfin regarder la vie à deux plus sereinement. Mais en réalité, un lourd passé l’empêche d’envisager les choses sous cet angle.

Malgré la place importante qu’occupe l’amour dans ce récit, on peut dire que le charme et le succès du livre tiennent plus à la richesse des portraits, aux nombreuses réflexions et aux préjugés sur les races. En effet, dans une agréable narration, Chimamanda Ngozi Adiche nous promène dans une Amérique où les Noirs sont classés dans la même catégorie que les Blancs pauvres et où la diaspora africaine tente par de multiples manières de « se frayer un chemin dans un monde inconnu ». Ici, il est question « d’extensions chinoises » de cheveux, de blanchiment de la peau, d’Africains qui donnent l’impression d’être riches alors qu’ils n’ont rien en banque, de femmes africaines pour lesquelles « les hommes n’existent uniquement que comme source de biens matériels ». Il est aussi souvent question de racisme et de préjugés analysés sous toutes les coutures, parce qu’Ifemelu est blogueuse et que ces thèmes constituent le fil conducteur de ses publications très appréciées. Excellent subterfuge qui permet à l’auteur d’asséner de franches vérités sur le racisme des Américains blancs pour qui « la race n’a jamais véritablement existé parce qu’elle n’a jamais été une barrière » dans leur vie et qui pourtant considèrent toute observation critique à leur égard comme du racisme anti-Blanc.

Chimamanda Ngozi ADICHIE

            Ce livre qui se présente à première vue comme un beau roman d’amour est en réalité un condensé de réflexions sur les raisons de l’exil des Africains, le rôle de la diaspora dans le développement de l’Afrique, les antagonismes raciaux aux Etats-Unis… Un roman très riche avec beaucoup de digressions qui laissent croire que Chimamanda Ngozi Adichie est une grande bavarde. Toutefois, les éclatantes réflexions et l’histoire d’amour adroitement menée rendent ce roman plaisant et jamais ennuyeux.

Raphaël ADJOBI 

Titre : Americanah, 523 pages

Auteur : Chimamanda Ngozi Adichie

Editeur : Gallimard, 2014, pour la traduction française.

11 juillet 2015

Nina Simone (un roman de Gilles Leroy)

                                            Nina Simone

                                (Un roman de Gilles Leroy)

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            Nina Simone est sans conteste un génie ; un génie du piano très vite reconnu et adulé par la communauté blanche dans une Amérique où le Ku Klux Klan régnait impunément dans certains états, posant des bombes et fauchant les Noirs dans les églises et les lycées. De même que Pierre Corneille écrivait « Je sais ce que je vaux et crois ce qu'on m'en dit », la petite Eunice Kathleen Waymon, celle qui dira plus tard avoir inventé la musique classique noire, savait à 17 ans ce qu'elle valait.

            Oui, Nina Simone est un génie de la musique classique, un génie du piano qui a commencé cet instrument à trois ans et la théorie musicale dès l'âge de six ans avec une oreille absolue. Malheureusement - sans doute parce qu'il n'y avait pas de place pour une fille noire dans un monde fait pour les Blancs - Eunice Kathleen Waymon ne sera pas la grande concertiste classique qu'elle a toujours rêvé être pour combler ses parents qui ont versé des larmes en la découvrant au piano, à deux ans et demi, jouant l'air préféré de sa mère. 

            A défaut d'être une concertiste classique, pour ne pas avoir à s'inquiéter du lendemain, elle va donner « des cours de solfège ou de chant à des gosses sans talent », chanter dans « cinq clubs à la fois ». Peu à peu, entraînée par le succès et l'argent qui vous mettent à l'abri du besoin, elle abandonne son rêve d'enfant et de jeune fille. Le génie a cessé de côtoyer les nuées pour plonger dans la fange. Et dans cette fange ou cette vie d'artiste, Nina Simone n'ira que de solitude en solitude parmi les hommes que « le bon Dieu n'a pas été foutu de créer parfaits ».

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            C'est cette solitude et cet échec vécus par Nina Simone comme une profonde meurtrissure qui rythment le récit que nous propose Gilles Leroy. Sous sa plume, c'est un portrait à la fois émouvant et attachant que nous découvrons. En le lisant, on comprend aisément pourquoi dans le panthéon des artistes mondialement connus, Nina Simone est l'une des rares dames que l'on cite et vénère sans en connaître l'œuvre ; on comprend pourquoi, comme Maria Callas dont elle se sent proche, sa réputation devance largement sa musique dans l'esprit du public à travers le monde.

            Gilles Leroy a réussi ici un portrait à la fois dynamique – Nina Simone devient souvent narratrice de son propre passé – émouvant et attachant grâce à des pages tantôt poétiques tantôt cinglantes de vérités historiques sur le racisme aux Etats-Unis. A travers le récit de la vie de cette artiste exceptionnelle, c'est aussi la peinture sans concession du monde trépidant et trouble du show business que nous livre l'auteur.  

° Remerciement : Merci à ma fille, Bérénice, qui m’a offert ce roman pour mon anniversaire me permettant de découvrir une grande dame de la musique et la vie d’un génie ayant vécu parmi ses semblables comme un albatros tombé du ciel.

Raphaël ADJOBI

Titre : Nina Simone, 276 pages

Auteur : Gilles Leroy

Editeur, Mercure de France, 2013, Collection Folio.

26 juin 2015

De l'exercice de l'autorité dans le couple (Réflexion)

        De l'exercice de l'autorité dans le couple  

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            Pendant longtemps, en France – comme sans doute dans de nombreux pays européens – les enfants ont été éduqués dans la peur de Dieu. On les menaçait sans cesse de la colère et de la punition du maître de l’univers lorsqu'ils commettaient quelque faute ou se montraient désobéissants. Peu à peu, cette pernicieuse façon d'éduquer a construit dans l'esprit des populations le visage d'un Dieu renfrogné, prêt à punir ; un Dieu-sanction.

            Malheureusement, nous retrouvons cette mauvaise habitude de diaboliser l'autorité de l'autre dans la vie quotidienne des couples. Il n'est pas rare en effet de voir les mères faire jouer aux hommes le rôle du Dieu-sanction. Quand l'enfant se montre récalcitrant ou accomplit une mauvaise action, plutôt que d'exercer son droit et son pouvoir de lui imposer l'obéissance afin de le conduire dans le droit chemin, la mère le menace de la colère et de la punition du père. Et, consciemment ou non, les hommes apprennent à endosser, avec le temps, l’effrayante livrée du punisseur. 

            Ainsi, de même que beaucoup de personnes ont grandi dans l'horreur de l'église qui les terrorisait avec la main vengeresse de Dieu, de même les enfants grandissent en chérissant leur mère et en redoutant leur père au point d'en avoir peur parfois. En effet, par le rappel constant de la colère et de la punition du père, par la permanente agitation du masque affreux du père, la femme se construit peu à peu, dans l'esprit et le cœur de l'enfant, l'image rassurante du refuge, de l'abri salutaire. Et, consciemment ou non, dans l'esprit et le cœur de l'enfant, la mère en vient à se confondre avec l'image de l'amour alors que le père apparaît comme un repoussoir.

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            Nous ne prenons pas suffisamment garde à nos mauvaises pratiques qui souvent ruinent notre vie. Nous ne prenons pas le temps de revoir les leçons de la sagesse qui nous dit que toute relation exclusive est une exclusion de soi-même et des autres. Les mères qui se glorifient de jouir de la préférence de leurs enfants sont donc criminelles parce que, sans le savoir, elles excluent les pères de la part agréable de la famille.

            Ne nous étonnons donc pas de voir certains pères s'appliquer à rivaliser d'amour avec leur compagne auprès de leurs enfants pour échapper au danger de l’exclusion. Dès lors, en toute circonstance, l'autorité est remplacée par les caresses. Chacun des parents évite de fâcher l'enfant pour ne pas encourir sa disgrâce. La moindre parole qui rappelle l'exercice de l'autorité est aussitôt regrettée. On court aussitôt vers lui, on se perd en excuses, on l'embrasse, on le couvre de présents pour se faire pardonner. Et c'est bien par ce moyen qu'on en fait sûrement un tyran au domicile et dans la société d'un établissement scolaire.

            Pour construire un homme, il faut savoir placer l’amour au cœur de l’autorité et non pas l’isoler pour en faire un usage exclusif. Il faut que dans les exigences et les rappels à l’ordre plus ou moins fermes, l’enfant apprenne à découvrir, avec le temps, l’amour qui les a motivés. Je ne vous propose pour exemple que les plus belles larmes de sa vie qu’un ami a versées un jour après la visite de son fils dont l’éducation lui avait coûté de grandes peines et beaucoup de conflits. Celui-ci l’a vivement remercié pour lui avoir épargné cette absence de règles, de savoir-vivre et d’effort que font montre bon nombre de ses collègues de travail. Quel plus beau compliment pour un père que le fils a longtemps considéré comme un bourreau !

            Il convient donc d'avouer que c'est la méconnaissance ou le non respect de la fusion de l’autorité et de l’amour qui est à l’origine des plus grands maux de l’éducation. Et parmi tous, le plus abominable qu’il nous est donné de voir – après le comportement tyrannique – est ce que nous nommons communément la « relation fusionnelle » entre l’enfant et l’un de ses parents.

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            En effet, la relation fusionnelle - ce fruit de l’inclination à la culture exclusive de l’amour - a toujours produit, tôt ou tard, un effet destructeur dans la vie de l’enfant ou du parent concerné quand ce n’est pas dans la vie des deux à la fois. Trop souvent, elle rend difficile, voir impossible, la vie conjugale de l’un ou de l’autre. Se sollicitant sans cesse, privilégiant constamment la place qu’ils occupent réciproquement dans le cœur de l’autre, tous deux négligent immanquablement la place du partenaire de leur vie. La relation fusionnelle fait du parent et de l’enfant deux amants dans les bras et sous les yeux desquels il n’y a guère de place pour une autre relation intense.

            Il est donc bon de veiller à ce que l’autorité soit équitablement partagée au sein de la famille afin de préserver son équilibre. Chacun des parents se doit d’assurer son droit et son devoir d’imposer l’obéissance à ses enfants quand le manquement est constaté devant lui plutôt que de remettre le rappel à l’ordre ou la sanction à l’autorité de son conjoint ou de sa conjointe. Il n’est jamais bon pour la construction de l’enfant et pour l’équilibre du couple de faire de l’un le refuge et de l’autre l’épouvantail.

° dernière image : famille ivoirienne (homme musulman, femme chétienne), in le journal français La croix.   

Raphaël ADJOBI

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18 juin 2015

L'Afrique noire et les Libanais

                        L'Afrique noire et les Libanais

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            Dans les années 60 et 70 à Abidjan, dans la communauté des Blancs que côtoyaient les Noirs, il y avait un groupe assez singulier qui retenait l'attention de tous : les Libanais et les Syriens. Des Blancs dont les manières étaient moins policées que celles des Français. Gros ou grassouillets pour la plupart et parlant fort comme les Noirs, ils étaient à la fois hautains et méprisants mais prêts à faire la courbette auprès de n'importe quel petit chef de service pour obtenir ce qu'ils voulaient pour la bonne marche de leurs affaires.   

            Vivant généralement loin des Français, ils prospéraient sur le terrain des Ivoiriens, c'est-à-dire dans le commerce populaire : magasins d'étoffes, épiceries, quincailleries... Aussi, leur univers ne se limitait pas, contrairement à celui des Français, aux grandes villes comme Abidjan, Bouaké et Yamoussoukro. Pour les Ivoiriens, c'étaient des Blancs qui n'étaient pas des Blancs ; même s'ils délaissaient parfois les camionnettes et roulaient dans de belles voitures comme les autres Blancs. Et dans ce domaine particulier, ils se distinguaient par leur goût pour les Honda et les Toyota alors que les Français roulaient en Renault et Peugeot.

            Force est de constater que les Ivoiriens ne se trompaient pas : les Libanais et les Syriens ne sont pas des Européens mais des Orientaux, des Arabes. Chrétiens ou musulmans, ce sont des peuples aux mœurs très éloignées de celles des Européens, s'agissant surtout de la manière dont ils considèrent la femme. Alors qu'en Europe et en Afrique des combats sont menés pour hisser celle-ci sur le même piédestal que l'homme sur le plan des droits civiques et de la considération publique, ces peuples véhiculent encore des habitudes d'un autre âge dans un monde hyper modernisé. Ces dernières années, l'indignation provoquée par le comportement des Libanais à l'égard des femmes noires a atteint un degré qui mérite qu'on s'y arrête. 

                           Derrière les murs des maisons libanaises,

                            la maltraitance des domestiques noires 

            Depuis que la communauté libanaise a commencé à s'étoffer dans leur pays, la manière particulière de gérer son personnel féminin n'a cessé d'intriguer les Ivoiriens. S'il n'était pas rare de voir les jeunes femmes noires promener des bébés libanais, il était presqu'impossible de les voir seules en ville ou chez elles. En d'autres termes, travailler chez un Libanais veut dire être à sa disposition dès les premières heures du jour jusque tard dans la nuit. Ces jeunes femmes n'ont donc jamais la possibilité de mener une vie familiale loin des murs du foyer libanais. Il faut accompagner le maître et la maîtresse dans tous leurs déplacements pour s'occuper de leur progéniture. Il faut les suivre à la plage et parfois même faire le voyage avec eux au Liban. Ce qui laisse imaginer la vie de prisonnières qu'elles doivent mener loin de leur pays d'origine.

            Cependant, c'est depuis ces deux ou trois dernières années que, grâce aux réseaux sociaux, les yeux des Ivoiriens comme ceux de tous les Noirs d'Afrique ont commencé à pénétrer dans ces foyers libanais où évoluent quotidiennement les jeunes femmes noires qui leur servent de domestiques. C'est donc depuis peu que les Libanais suscitent l'indignation générale chez les Africains parce que le phénomène d'emprisonnement et de maltraitance qu'ils infligent aux femmes noires n'est plus un secret pour personne. Cette indignation est d'autant plus grande que les auteurs de ces violences jouissent d'une totale impunité dans leur pays et ne suscitent aucune réaction officielle dans les états africains. 

            En effet, les témoignages et les images de violence à l'encontre des femmes noires qui circulent sur les réseaux sociaux sont indignes d'un peuple quelque peu civilisé avec un gouvernement et des tribunaux comme le Liban. Comment peut-on accepter qu'un homme frappe une femme et la dénude publiquement sans soulever l'indignation dans son pays ? Comment des êtres humains peuvent-ils enchaîner une femme, la dénuder et s'amuser à lui brûler le sexe avec un briquet sans provoquer une condamnation officielle ? Comment accepter qu'un homme vive impuni après avoir jeté une jeune femme par la fenêtre du troisième ou quatrième étage d'un immeuble ? Comment peut-on supporter que des hommes maltraitent des femmes au point de les rendre folles au sens propre ? Comment peut-on accepter qu’une fois cet objectif atteint ils les renvoient vivre errantes et dénudées dans leur pays d’origine ?

            Tous ceux qui ont vu ces images ont crié « trop, c'est trop ! » Il est donc temps qu'une action énergique soit menée ; une action retentissante qui interpelle ce peuple aux mœurs singulières se situant à la marge de l'humanité. A force de vivre dans un pays qui n'a jamais connu autre chose que la guerre, les Libanais auraient-ils tous perdu la raison ? Non, il ne faut pas leur chercher des excuses. Il est temps que les Africains s'organisent pour mener partout dans leurs pays des actions en réponse à ces personnes odieuses qui bafouent allègrement la dignité des femmes noires. Il est temps qu'ils exigent de leurs gouvernants des actions diplomatiques auprès des autorités libanaises – s’il en existe dans un pays constamment en ruine – pour que soient sanctionnées ces pratiques barbares et pour qu'elles cessent définitivement. S'il faut menacer leurs intérêts partout en Afrique pour les obliger à retrouver une conduite plus humaine, les Noirs ne doivent pas hésiter à le faire. 

           ° Image illustrative : lynchage d'une jeune femme en Inde 

Raphaël ADJOBI   

8 juin 2015

Le racisme anti-Blanc, le nouveau fantasme des Français blancs

                                 Le racisme anti-Blanc,

                 le nouveau fantasme des Français blancs

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            Après avoir – durant ces quinze dernières années – prospéré sur le lit de la négation des méfaits de la traite atlantique et de l’esclavage des Noirs – négation ayant abouti à la proclamation nationale des bienfaits du colonialisme – voici que des Français blancs enfourchent un nouveau cheval de bataille : le racisme anti-Blanc.

            En effet, selon cette catégorie de citoyens, il y aurait trop de « racisme anti-Blanc » en France, que les Blancs souffriraient quotidiennement de l'animosité, voire du rejet des Noirs. Aujourd’hui, le résultat de leur propagande sur les ondes est incontestable : il n’est plus rare d’entendre un Français blanc affirmer, parlant d’un collègue ou d’un voisin noir, qu’il est raciste, qu’il n’aime pas les Blancs. Il se raconte même dans de nombreux cercles que Christiane Taubira - la Garde des sceaux et ministre de la Justice - est raciste, qu’elle n’aime pas les Blancs.

            Cette nouvelle conception du racisme tendant à imposer une nouvelle vision de la société française mérite une analyse sérieuse afin d'éviter un débat stérile préjudiciable à tous. Sans entrer dans des conjectures inutiles, nous pensons que l'analyse de ce phénomène doit se limiter à cette démarche simple : avant même de considérer la réalité des faits sur le terrain, il convient de voir si, aujourd'hui, le Noir peut être raciste comme le Blanc. 

                                   Un Noir peut-il être raciste ?

            Avant toute chose, nous pouvons assurer que le fait qu’un Blanc ou un Noir affirme qu’il n’aime pas telle ou telle personne ayant une couleur de peau différente de la sienne n'a jamais été considéré, et ne doit pas être considéré comme une marque de racisme. On peut aimer ou ne pas aimer qui l'on veut. Cela, nous l'admettons tous, Noirs et Blancs. C’est seulement lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs » et un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs » que nous sommes tentés de croire qu'ils sont tous deux racistes ? Et pourtant ce n’est pas le cas ; car la différence est très grande entre les deux pensées, les deux esprits qui produisent le même discours. Vous écarquillez certainement les yeux d'étonnement ? Pour vous éviter de lever les bras au ciel en criant au scandale, recourons à la définition éclairante d'un dictionnaire afin de mieux analyser et bien saisir cette différence.

            Le Petit Robert dit du racisme qu’il est la « théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres ». C’est, ajoute-t-il, « un ensemble de réactions qui, consciemment ou non, s’accordent avec cette théorie ».   

            Nous référant à cette définition et à ce que nous enseigne l’Histoire, nous pouvons affirmer que lorsqu’un Blanc dit « je n’aime pas les Noirs », il puise – consciemment ou non – dans la pensée française et européenne des références culturelles, historiques et symboliques qui soutiennent son sentiment ; sentiment que les Noirs à qui il s’adresse lisent très bien. Son affirmation n’est donc pas gratuite parce qu’elle n’est pas vide de sens. Ayant enseigné l’espagnol pendant une vingtaine d’années dans un collège, je peux assurer ici que tous les ans – sans exception – lors de la leçon sur les couleurs, l'énonciation du mot « negro » a immanquablement généré des rires et des œillades complices entre certains de mes élèves blancs. C’est la preuve irréfutable qu’il y a des mots, des expressions, des gestes qui ont – à l'égard des Noirs – un sens défavorable et méprisant dans la conscience collective des Blancs.  « Ce n’est qu’un nègre, une guenon, un macaque, il est sale, jetez-lui une banane, qu’il aille grimper à son arbre… » ! Ce sont là des mots et des expressions qui, dans l’imaginaire des Blancs et dans celui des Noirs, coïncident avec la construction minutieuse établissant la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir.

Par contre, les Noirs n’ont jamais théorisé sur le racisme, sur la supériorité de la couleur de leur peau au point d’avoir construit des mécanismes et des comportements établissant et perpétuant cette supériorité. Dès lors, lorsqu’un Noir dit « je n’aime pas les Blancs », il ne fait tout au plus qu’exprimer un « racisme » primaire, c’est-à-dire, un racisme non élaboré, un racisme qui n’a aucun sens puisqu’il ne repose sur aucune référence culturelle, historique ou symbolique pouvant permettre au Blanc auquel il s’adresse de lire la réalité de son sentiment. Et ce qui n’a pas de sens, parce que vide, ne peut pas être du racisme ! Le prétendu racisme du Noir n'est donc tout simplement que du ressentiment plus ou moins violent pouvant aller jusqu'à la haine. C'est d'ailleurs ce ressentiment que les jeunes noirs et arabes expriment dans les formules « j'ai la haine » et « j'ai la rage ». 

             Voilà donc clairement démontrée la vacuité du racisme dans l’esprit du Noir ! Celui-ci est exempt de toute construction théorique véhiculant des images avilissantes pour le Blanc, mais plein de ressentiment pour l’injuste traitement dont il est l’objet. Le Blanc qui en douterait est appelé à prouver l’existence d’une construction raciste des Noirs à l’égard des Blancs avec un chapelet de formules avilissantes qui en découleraient. 

            Le racisme anti-blanc n’existe donc pas ! C’est une invention de l’esprit qui n’a aucun sens parce qu’elle n’a pas de contenu. Elle est vide ! Elle est vide de toutes les références dont nous avons parlé plus haut. Celui qui n’a jamais vécu dans une société comme un élément d’une minorité écrasée par une majorité de couleur de peau appelée « race » n’a pas le droit d’affirmer qu’il est victime de la discrimination raciale de ses concitoyens. Car le racisme est un phénomène de groupe, de majorité phénotype (couleur de peau) ou de pouvoir politique fort assurant la suprématie d'une couleur et qui use de critères, de comportements et d’un langage particulier pour signifier à l’autre son infériorité*. C’est dire que les mots et les usages racistes ou discriminants tendent à établir une ligne de démarcation consciemment admise par le groupe majoritaire ou fort qui tente de l’imposer au groupe minoritaire ou faible. 

            Comment le Français blanc peut-il dire qu’il est victime du racisme des Noirs quand il n’a jamais été refusé – ou jamais eu le sentiment de l’avoir été – dans un établissement scolaire, un magasin, un restaurant, un hôtel, une boîte de nuit à cause de la couleur de sa peau ? En effet, le jour où, sur cette terre de France, des hommes et des femmes auront le sentiment clair et persistant qu’ils ont perdu leur emploi ou qu’ils n’ont pas été embauchés parce que le patron leur a signifié que leur présence ferait fuir ses clients, qu’ils n’ont pas été admis dans un hôpital ou une administration, que le logement annoncé libre au téléphone dix minutes plus tôt ne l'est plus parce qu’ils ont la peau blanche, alors nous commencerons à parler de racisme anti-Blanc. Pour l’heure, aucun Français blanc ne peut affirmer avoir été victime d’une de ces injustices à cause de la couleur de sa peau. 

            Le racisme anti-blanc est donc non seulement une invention de l’esprit mais surtout un véritable fantasme que quelques personnes agitent pour se faire peur et pour cacher par la même occasion la réalité sociale et politique qui n’est absolument pas favorable à leurs compatriotes noirs. C'est en réalité une peur imaginaire inventée pour prévenir tout éventuel projet de discrimination positive pour les Noirs. Il est évident que l'on ne peut accorder des faveurs ou faire de la place à celui qui fait déjà peur.  

                                    Les Noirs poussés à l'autocensure

Malheureusement, outre le fait que ce comportement freine la mise en place de mesures permettant une meilleure insertion des Noirs dans le tissu social et politique français, il a réussi à pousser bon nombre d'entre eux à se regarder d’un œil suspicieux. Oui, depuis quelque temps, nous avons remarqué qu’avant de s’engager dans quelque action, les Noirs ont tendance à s’étudier, à s’assurer que rien de ce qu’ils diront ou feront ne sera interprété par la majorité blanche comme un communautarisme anti-Blanc. Pris au piège de l’autocensure, ils refusent de participer à la commémoration publique de l’abolition de l’esclavage ; ils s’abstiennent de toute revendication liée aux multiples injustices dont ils sont victimes, pour ne pas être taxés de communautarisme. En un mot, tout regroupement de Noirs français leur est devenu insupportable. 

On constate aussi que dans l'art romanesque, les Noirs préfèrent les fictions n’ayant aucun rapport avec l’Histoire parce qu’ils ont peur d’être accusés par leurs compatriotes blancs de ne s’intéresser qu’à l’esclavage et au colonialisme. Ils ne veulent pas qu’on les accuse de ne remuer que le passé nauséabond de la France. Ils ont peur qu'on les accuse de ne pas aimer les Blancs, d'être traités de « racistes anti-Blanc ». 

            A force de s’étudier afin d’avoir un comportement qui plaît à la majorité blanche, les Noirs de France ont abandonné l’écriture de leur histoire, l’écriture du passé nègre de la France. Ce sont finalement leurs compatriotes blancs qui s’appliquent à ressusciter dans des romans ou des essais les figures célèbres de l’histoire de France ou des récits qui rendent compte de la dureté et de l'inhumanité de la traite négrière et de l’esclavage. Mis à part Claude Ribbe, Raphaël Confiant, Serge Bilé, Louis-Georges Tin et quelques autres, ce sont les Français blancs qui sont devenus les plus grands pourfendeurs du racisme dans leur pays, les plus grands propagateurs de la contribution des Noirs à la grandeur de l’Histoire de France. Odile Tobner s’est intéressée au racisme ambiant en France (Du racisme français, 2007) et les travaux de Marylène Patou-Mathis (Le Sauvage et le Préhistorique…, 2011) ont éclairé la construction scientifique du racisme en Europe. Et c'est Pascal Blanchard (La France noire) qui assure sur les ondes la promotion de la dénonciation de cette injustice. En 2009, avant Lilian Thuram, Benoît Hopquin (Ces Noirs qui ont fait la France) a brossé les portraits des Noirs illustres de France depuis le chevalier de Saint-Georges (XVIIIe siècle) jusqu’à Aimé Césaire (XXe siècle). Olivier Merle (Noir négoce, 2010) et Philippe Vidal (Les montagnes bleues, 2014) ont sans doute produit les plus beaux romans sur l’esclavage en ce début du XXIe siècle. Quant à Didier Daeninckx, deux de ses romans sur l’histoire des Noirs (Cannibale, Galadio) sont aujourd’hui des classiques qui font le bonheur des collégiens et des lycéens. A sa manière, Sophie Chérer (La vraie couleur de la vanille, 2012) a redonné vie à l'esclave Edmond Albius comme André Schwartz-Bart l’a fait pour La mulâtresse Solitude (1972). Nelly Schmidt (La France a-t-elle aboli l’esclavage, 2009) et Jacques Dumont (L’amère patrie, 2010) nous ont peint le parcours du combattant des « nouveaux libres » de la France. Quant à Caroline Oudin-Bastide (Des juges et des nègres, 2008) et Mohamed Aïssaoui (L'affaire de l'esclave Furcy, 2010), ils se sont plongés dans les affaires judiciaires pour mieux montrer à quel point la justice était un vain mot pour les esclaves et les colonisés… 

            Pourquoi le fait que les Noirs exhument le passé peu honorable de la France ou critiquent sa politique coloniale, comme leurs compatriotes blancs, doit-il être regardé comme un crime contre leur pays ou un racisme anti-Blanc ? Pourquoi souligner le génie ou l'héroïsme de leurs ancêtres serait-il un affront à la grandeur de la France ? Pourquoi doivent-ils s'interdire de se joindre au combat contre le racisme dont ils sont l’objet ? Pourquoi seuls les Blancs semblent-ils autorisés à mener ce combat ? Pourquoi la critique du racisme dans la bouche d'un Noir est-elle automatiquement comprise comme une attaque des Blancs ? C'est malheureusement le triste spectacle auquel on assiste dans les débats politiques et sociaux sur les chaînes de télévision.  

            Et pourtant, comme nous l'avons démontré – et cela sera vrai jusqu'à ce que le contraire soit prouvé – un Noir ne peut pas être raciste à l’égard d’un Blanc, parce qu’il ne possède pas les outils pour l’être. Exprimer son ressentiment face à celui qui vous méprise ne peut absolument pas être pris pour du racisme car le ressentiment fonctionne exactement comme l'amour de soi : une protection qui signifie que l'on refuse de mourir, de disparaître.

            Les Noirs de France doivent donc résolument cesser de se laisser impressionner par ceux qui agitent le « racisme anti-Blanc » à tout vent contre leurs revendications d’une plus grande égalité et d’une meilleure fraternité.  

            Retenons aussi que le Blanc n’est devenu raciste qu’après la construction des théories établissant une hiérarchie des humains sur la base de leur couleur ; théories racistes popularisées par l’enseignement et l’éducation. Avant cette époque, on ne disait point « les Blancs », « les Noirs », « les Jaunes »... mais les Ethiopiens, les Egyptiens, les Nubiens, les Maures, les Chinois... Avant cette époque, le Blanc était comme le Noir : il avait des préjugés fluctuant avec le temps mais n’était pas raciste.

*« Le racisme, en effet, n’est pas seulement affaire de sentiments, de morale, mais aussi et surtout de pouvoir. Celui de vous empêcher de vous loger ou d’obtenir un emploi, celui de faire en sorte que vous ne soyez ni vu ni entendu, celui de parler à votre place, celui de vous soumettre à des contrôles d’identité intempestifs, etc. [...] C'est une arme de destruction sociale et psychologique »(Léonora Miano – Afropea, éd. Grasset, 2020).

Raphaël ADJOBI

30 mai 2015

Le sparadrap, un signe extérieur de sous-développement en Afrique noire

 Le sparadrap, un signe extérieur de sous-développement

                                        en Afrique noire

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            L'usage du sparadrap – ce ruban adhésif servant à panser les plaies et dont l'universalité n'est plus à démontrer – a toujours suscité en moi des interrogations, du simple fait que je suis Noir. Mais c’est seulement en avril 2015 que, dans un débat public, j’ai eu l’occasion de démontrer que son usage sur les peaux noires était un signe de sous-développement. Ce jour-là, tout le monde est tombé d’accord avec moi pour dire que c'est dans les choses les plus élémentaires que l'on voit l'incapacité des Africains à s'assumer pour s'imposer au monde.

            En effet, nous savons tous qu'en fabriquant cette bande adhésive pour recouvrir les plaies, les industriels européens ont pensé à la rendre quelque peu invisible sur les peaux blanches, donc moins disgracieuse. Ce qui veut dire que la couleur chair – mais « chair blanche » – du sparadrap est un choix esthétique mûrement pensé.  

            Figurez-vous qu'aujourd'hui encore, au XXIe siècle, après plus d'une soixantaine d'années d'indépendance des Etas africains – indépendance certes tronquée, parce que les dés étaient pipés – le sparadrap vendu en Afrique noire dans les pharmacies et autres places publiques est de couleur chair blanche. C'est-à-dire que le sparadrap produit par les Européens pour les peaux blanches d'Europe et du reste du monde blanc est celui-là que les peuples noirs d'Afrique et d'ailleurs continuent d'utiliser comme pansement. 

            La question que je me suis toujours posée est celle-ci : pourquoi aucun gouvernant d'Afrique noire n'a-t-il jamais pensé à commander pour son pays des sparadraps « chair noire » ou « marron » pour ses populations ? Il est très surprenant de constater que jamais les gouvernants africains n'ont pensé peser dans la balance commerciale en faisant valoir leur besoin particulier. Je ne parle pas d'investissements techniques lourds pour la production du sparadrap, mais tout simplement de commande auprès d’une industrie pour un besoin spécifique !

            Nous voyons bien par cet exemple que le sous-développement ne se mesure pas uniquement à la pauvreté liée aux besoins matériels. Il est avant tout une inadéquation entre les besoins et la force de la pensée. C'est quand l'esprit se limite à considérer la satisfaction des besoins comme une façon de combler un vide - et uniquement cela - et non pas également comme une conquête de la liberté et de la dignité que l'on reconnaît l'état de sous-développement. C’est cette manière de voir les choses qui conduit certains à parler d'aliénation et de besoin d’indépendance mentale. En d’autres termes, si un industriel d’Afrique noire – désireux de conquérir le marché africain – se mettait à fabriquer des sparadraps couleur chair blanche pour les populations noires, il serait considéré comme mentalement prisonnier d'un schéma culturel.

Permettons-nous donc de dire qu’il n’est pas sage de rechercher ardemment l’indépendance du ventre si la tête demeure aliénée. Peut-être qu’en commençant par la liberté de l’esprit on atteindrait plus facilement et plus judicieusement celle du corps, et les changements que pourraient opérer les réalisations techniques seraient plus adaptés aux réalités humaines et sociales de chaque peuple.              

Raphaël ADJOBI  

28 avril 2015

La Morsure du Soleil (Un recueil de poèmes de Liss Kihindou)

                                La Morsure du Soleil

                 (Un recueil de poèmes de Liss Kihindou)  

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            Les poèmes réunis ici par Liss Kihindou sont ceux de ses jeunes années (1995-1999) quand « l'obsession de la rime » agitait son esprit. Presque vingt ans déjà, s'exclame la jeune poétesse, en jetant un regard en arrière ! Entre les « Hommages » aux âmes chères à son cœur et les temps où elle goûtait « Le privilège d'être enfant de Dieu » – sentiment qu’elle estime le plus beau – Liss Kihindou nous offre les « Souvenirs des temps où le monde est tout en fleurs » et ceux où elle avait senti le besoin de « Dire les mots (pour) exorciser les maux ». Un parcours qui va donc de la terre d'où l’homme a été tiré au ciel où il voudrait s’élever.   

            Certes, malgré les brefs rappels des contextes qui les ont vu naître, quelques textes très ancrés dans la société ou l'actualité congolaise pourraient laisser certains lecteurs dubitatifs. Mais tout le monde reconnaîtra que les larmes, les rires, ainsi que les aspirations de l'âme – qui ont scandé la jeunesse de cette enfant qui connaît la qualité de la morsure du soleil – crépitent ici comme des étincelles que l'on suit les yeux émerveillés. « Tu n'es plus que cendre » (p.23) retient l'attention par son rythme et l'universalisation d'une douleur nationale. « La preuve » (p. 34) interpelle le cœur de l'amoureux. « Nuit ambiguë », deuxième version (p.50) inquiète et apaise à la fois. Retenons cette étincelle-ci, admirablement drôle (p. 52) :

 

Un train sans freins 

Insouciante je vais

Mes pieds trottinent, piétinent

Aux locataires de la route

Ils se heurtent et trébuchent

Pour arriver

Mes pieds trottinent, courent

Heureux d'avoir fait la moitié du parcours

Quand du sac qui les surmonte

Sourd un bruit

Le signal ?

Mes pieds ralentissent, écoutent

Et retentit le signal.

 

Mes pieds trottinent, courent

Inquiets de n'avoir pas fini le parcours

Ils s'effraient du gargouillement

Signal d'un train sans frein

Le train qui happe les distances

Le train qui roule et dont les roues

Contre la voie intestinale

Provoquent ce sifflement :

Sss... sortir... sss... sortir

La voie intestinale, un long tunnel

Possédé par la hantise

De la délivrance

La voie qui débouche en plein air

Par une bouche

Une bouche ridée

Une bouche rétrécie

Ne s'ouvrant que pour vomir

Mes pieds tremblent

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Le train s'est ébranlé

La bouche va s'ouvrir

La ralentir est impossible

Impossible...

(Novembre 1995)

 

 

Les mots ont ce pouvoir magique de rendre merveilleuses les choses les plus banales ! Cette subtile peinture du malaise ou du mal-être que provoque un besoin naturel pressant me ravit le cœur !

            Est-il besoin de rappeler qu'on ne lit pas un recueil de poèmes comme on lit un roman ? En poésie, chaque texte est un tableau qui appelle une halte, un temps d'appropriation, un moment de vie des sens. C’est sans doute parce que chaque texte suscite une réaction particulière que chacun éprouve le besoin d’analyser subtilement, intérieurement. On ne peut donc apprécier un recueil de poèmes qu'en prenant son temps, comme dans une galerie de peintures ! De l'impatience naît l'ennui ou le dégoût de l'art. Prenez donc le temps avec La Morsure du Soleil.

Raphaël ADJOBI

Titre : La Morsure du Soleil (poèmes), 78 pages

Auteur : Liss Kihindou

Editeur : L'Harmattan-Congo, 2014 

1 mars 2015

Ta main blanche sur mon épaule ou la prière du nègre Banania (poème)

                  Ta main blanche sur mon épaule

                         (ou la prière du nègre Banania)

 

MARCOUSSIS 2003

   

                        Pose ta main blanche sur mon épaule

                        Et de ma mémoire efface Aimé Césaire

                        Pour qu’à jamais je ne songe

                        Au Discours sur le colonialisme.

 

                        Pose ta main blanche sur mon épaule

                        Et de ma face noire fais un masque blanc

                        Pour que, fier, je puisse braver Fanon !

 

                        A ton ombre tutélaire, je veux marcher.

                        Offre-moi ton bras séculier pour que brille

                        Dans mes yeux la flamme insolente

                        Capable d’écarter de mon chemin la foule nègre.  

 

                        Pose ta main blanche sur mon épaule

                        Et fais de moi un nègre de maison

                        Contre les nègres marrons de ce nouveau siècle !

 

                        Demain, contre ta face je m’inclinerai

                        Les bras chargés des chaînes d’antan

                        Liant les cortèges des chants plaintifs

                        De ceux que j’aurai pour toi arrachés à la terre d’Afrique.

 

                        Pose ta main blanche sur mon épaule

                        Et scelle indéfiniment le pacte

                        Cher à mon cœur de nègre de maison.

 

                                  Raphaël ADJOBI

                                (Le 28 février 2015)

 

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