Lectures, analyses et réflexions de Raphaël

Vous trouverez ici des comptes rendus de lectures livresques concernant essentiellement l'histoire des Noirs d'Afrique et celle des Afrodescendants des Amériques et d'Europe. Les actualités de la diaspora africaine ne sont pas oubliées.

01 décembre 2022

Quand le buste de Nefertiti la Blanche pollue l'histoire de l'Egypte ancienne (Raphaël ADJOBI)

       Quand le buste de Nefertiti la Blanche pollue

                   l'histoire de l'Egypte ancienne

Nefertiti 2

          la supercherie de la Blanche Nefertiti dénoncée en 2009 est depuis couverte d’un long silence au point que ce buste est considéré comme l’exacte représentation de la femme de l’Égypte ancienne. Rappelons donc les faits afin que les jeunes générations ne suivent pas cette opinion commune sans se poser de question. En effet, quand on s’étonne des affirmations disant totalement le contraire de ce que l’on voit, la sagesse commande de suivre sa propre opinion ou de suspendre son jugement au lieu de suivre l’avis de la majorité :

https://www.facebook.com/100063722582543/videos/1151764652217375 

Nefertiti au Caire

          La seule et unique statue au monde représentant une Égyptienne des époques pharaoniques qui ne laisse aucun doute à personne sur sa blanchité (sa peau blanche) est indiscutablement le fameux buste de Nefertiti brandi en 1912 par l’égyptologue allemand Ludwig Borchardt. Buste visible au musée de Berlin et décliné en une multitude d’objets d’art, souvent vendus à prix d’or. Malheureusement, presque tout le monde ignore en ce XXIe siècle qu’au printemps 2009, l’historien et égyptologue suisse Henri Stierlin avait publié les résultats de ses recherches mettant en cause l’authenticité de ce buste de Nefertiti. Aujourd’hui, nulle part dans les musées et les salles d’exposition où des copies de ce buste sont installées, il n’est fait mention de cette contestation de son authenticité. Il faut dire que ce silence qui s’apparente à de la complicité rapporte beaucoup d’argent. Alors, personne ne veut cracher dans la soupe. 

Texture de cheveux

          Tant que ça rapporte gros, il faut faire comme si...

          Et pourtant, selon Henri Stierlin, la statue que son prétendu découvreur allemand dit tombée d’une hauteur d’un mètre (quelle précision !) mais n’ayant pour toute égratignure qu’une oreille ébréchée n’est rien d’autre qu’un faux, une réalisation personnelle de Ludwig Borchardt pour idéaliser la femme blanche. Le contexte de l’époque prônant ouvertement la suprématie blanche dans toute l’Europe où l’on assurait que tout ce qui est grand et beau est l’œuvre des Blancs s’y prêtait parfaitement. Par contre, la statue de l’époux de Nefertiti trouvée juste à côté de la sienne est défigurée ! Pas de chance !

Nefertiti et l'Egypte

          Le mercredi 28 décembre 2010, la chaîne de télévision France 3 a diffusé un documentaire faisant état des travaux de l’historien et égyptologue suisse. On y apprend qu’un contemporain de Ludwig Borchardt qui, le premier a vu la supercherie et a voulu la dénoncer, a été aussitôt nommé conservateur du musée qui a accueilli le fameux buste de Nefertiti. Une habile façon de le faire taire et étouffer la tromperie. En Égypte, assure Henri Stierlin et tous les autres intervenants du documentaire, les pierres et l’argile de l’Antiquité se trouvent en grande quantité sur les différentes ruines, jusqu’au centre du Caire. Avec ces matériaux, on peut fabriquer la statue que l’on veut accompagnée de l’attestation scientifique qu’elle est de l’époque pharaonique. Oui, si le matériau est d’époque pharaonique, la statue est de la même époque, même si on l’a fabriquée au XXe ou au XXIe siècle. Depuis le XIXe siècle, précise-t-on dans le documentaire, les nombreux faussaires n’ont jamais été inquiétés, puisque n’importe qui peut vous procurer un certificat d’authenticité justifiant le caractère antique de ce qu’il vous vend. Et un conservateur de musée d’ajouter : « tous les musées du monde possèdent de fausses sculptures antiques égyptiennes ». Édifiant n’est-ce pas ? Mais tant que ça rapporte, il faut fermer les yeux, en d’autres termes ne rien dire.

Le pharaon, le sauvage et la princesse

          On apprend aussi dans ce documentaire que l’Égypte avait timidement réclamé la restitution du buste de Nefertiti du musée de Berlin. Devant la fin de non-recevoir qui lui a été signifiée, le pays se contente depuis de la statue de l’époque pharaonique, incontestable et incontestée, de Nefertiti : l’originale au nez cassé. Malheureusement, celle-ci ne constitue pas une manne financière extraordinaire parce qu’elle n’a pas la même éclatante blanchité que celle de l’Allemand Ludwig Borchardt dans laquelle les Européens se reconnaissent. Est-ce pour cette raison qu’une Nefertiti blanche a été érigée sur une place publique en Égypte ? Risible mais vrai ! Que ne ferait-on pas dans ce pays pour gagner de l’argent auprès des touristes blancs ! Aujourd’hui, ce pays majoritairement peuplé d’Arabes « aux traits gras et bedonnants » (selon les Africains) érige sur les places publiques des statues qui leur ressemblent mais dans la posture des pharaons. Déjà, des générations de visiteurs croient que les pharaons, ces gouvernants de l’Égypte ancienne et de Koush, étaient des Arabes. Oui, pour beaucoup, l’antiquité égyptienne est orientale.  

Pharaons arabes

                  Difficile de s’affranchir de ses préjugés !

La couleur des Noirs

          Quand on visionne ou qu’on visite le musée égyptien de Berlin, il faut être absolument malhonnête pour ne pas constater immédiatement que la statue de Nefertiti de Ludwig Borchardt détonne dans cette galerie de portraits de l’ancienne Égypte. Mais tous les Européens des documentaires et des films préfèrent attribuer cela au fait que sa beauté est parfaite (!!). Personne n’ose relever sa couleur blanche trop évidente par rapport à toutes les autres statues du musée ! Mais il est certain que dans le for intérieur de tous les visiteurs européens, cette exception confirme la règle que l’Égypte ancienne n’est pas blanche. De même que de l’avis de nombreux voyageurs, celui qui visite le musée du Caire ne peut en aucune façon croire en une Égypte ancienne blanche ! Mais cet avis est tout à fait récent. Retenons tous cette vérité : avant 2021, aucune revue française n’a osé associer le nom pharaon et l’adjectif noir ! On se contentait de montrer ces gouvernants égyptiens et koushites sans oser parler de leur carnation puisque tous les Européens avaient accepté le fait qu’ils étaient blancs. C’était une évidence incontestable puisque les pseudo-scientifiques européens du milieu du XIXe siècle (période de l’invention du racisme) l’assuraient et les films européens à grands budgets le montraient depuis des décennies ! Heureusement, aujourd’hui il n’y a pas que les scientifiques qui disposent de documents pour donner un avis à suivre. Chaque citoyen est capable de regarder les objets et se poser des questions. Et cette nouvelle donne a sans doute contribué à une nouvelle façon de faire de la science, rendant obsolètes toutes les images de l’homme préhistorique toujours blanc, toutes les images des pharaons blancs régnant sur des peuples blancs constructeurs de pyramides dans le désert d’Afrique jusqu’au sud de l’actuel Soudan !

Les couleurs de l'Africain

          Oublions donc la science de ces préhistoriens et autres égyptologues du XIXe et du début du XXe siècle qui ont écrit l’histoire de l’humanité avec les vues racistes et sexistes de la société dans laquelle ils évoluaient. Aucune autre statue de l’ancienne Égypte représentant une femme indubitablement blanche (ou un homme blanc) n’est venue confirmer la Nefertiti européenne de Borchardt. Si aujourd’hui des revues françaises osent associer pharaon et noir, c’est parce que depuis une cinquantaine d’années, les préhistoriens et autres chercheurs ne se contentent plus de tirer des conclusions à partir des seuls éléments archéologiques qu’ils découvrent. Ils font désormais appel à l’ethnologie (l’étude des peuples). Une nouvelle méthode de recherche totalement différente de celles des deux derniers siècles est née : l’ETHNOARCHEOLOGIE ! 

Africains du Sahel et du Sahara

          L’ethnoarchéologie est une méthode scientifique qui prend en compte les peuples actuels pour mieux comprendre ceux du passé. Exemple, « L’étude des chasseurs-cueilleurs actuels peut [permettre de] mieux comprendre les modes de vie des populations du paléolithique », dit l’archéologue Sophie A. de Beaune. Effectivement, en 2018, des chercheurs ont fait appel à des chasseurs-cueilleurs Africains – précisément de Namibie – pour traduire ou expliquer des traces de pas dans la grotte de l’Aldène (Hérault), à leur grande satisfaction. Non seulement les Namibiens ont confirmé certaines de leurs hypothèses mais surtout ont révélé des comportements

Une figurine égyptienne 2022

insoupçonnés de celles et ceux qui ont laissé les traces il y a 8000 ans. Au XIXe et au XXe siècle, aucun Blanc n’aurait pensé faire appel à un « sauvage » africain pour l’aider à expliquer ce qu’il ne comprenait pas ! Et Sophie A. de Beaune d’ajouter : « [cette démarche] permet détendre le champ des possibles […]. Elle permet aussi d’écarter certaines hypothèses farfelues, jamais observées dans aucune population actuelle ou ayant existé » (Lady sapiens, 2020). En effet, parce qu’au XIXe et au début du XXe siècle ils ont négligé l’ethnologie, « les archéologues ont fait de l’Égypte ancienne un isolat, sans relation avec son environnement africain » (François-Xavier Fauvelle, Science et avenir, Hors-série juillet/août 2010). Si Nefertiti est blanche, son peuple blanc – aux usages si singuliers – qui aurait vécu durant des siècles ou des millénaires dans le désert d’Afrique devrait être reconnaissable sur ce continent. Malheureusement, on n’a jamais retrouvé sur terre un peuple blanc perpétuant quelques usages rappelant l’Égypte ancienne. Cette supercherie s’apparente à celle de l’affiche de propagande du XVIIIe clamant l’existence de marchés africains aux esclaves où les capitaines négriers allaient faire leurs courses ; image que les éditeurs français de manuels scolaires ont reprise sans discernement comme preuve d’une réalité africaine. Aujourd’hui, n’importe quel voyageur peut découvrir sur les côtes africaines les forts où les Européens tenaient captifs les Africains avant leur embarquement vers les Amériques mains et pieds dans les fers. Cette affiche de propagande du XVIIIe siècle comme Nefertiti la blanche de Ludwig Brochardt sont des exceptions qui confirment que la réalité est tout autre. 

Nefertiti

Raphaël ADJOBI

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29 octobre 2022

Black Far West ou la fin du mythe de la conquête de l'Ouest américain

              Black Far West ou la fin du mythe

            de la conquête de l'Ouest américain

Cow-boys

          Tous ceux qui ont vu l’intégralité du documentaire Black Far West, le samedi 15 octobre 2022 sur la chaîne Arte, ont pu entendre l’un des derniers intervenants – un Blanc – dire de manière claire et nette que « chaque génération doit réécrire son histoire. L’histoire ne change pas ; mais notre perception de l’histoire change. Ce que nous choisissons d’inclure ou d’exclure diffère de génération en génération ». Et un autre intervenant, un Noir, a ajouté : « Nous voulons tous la vérité ; mais peu de gens veulent entendre la vérité. Beaucoup de gens ne veulent entendre que ce qui les met à l’aise. Ainsi, mettent-ils de côté les choses qui les mettent mal à l’aise. On aime que les gens nous disent qu’on a raison. On n’aime pas que l’on nous dise qu’on a tort ».

Le cavalier solitaire

          Nous pourrions arrêter là l’analyse du documentaire et dire qu’il appartient à chacun d’interroger sa conscience par rapport à ce qu’il entend régulièrement raconter autour de lui ou dans les manuels scolaires concernant l’histoire de son pays. Oui, chacun peut continuer à vivre avec ce qu’il retient ou pas comme leçon du documentaire. Cependant notre but étant d’instruire la jeunesse qui n’est nullement responsable de ce que ses aïeux ont fait, nous tenons tout de même à ce qu’elle sache que la jouissance insolente ou la perpétuation sans vergogne de certains héritagesla rendrait complice du crime ou du mensongequi leur est attaché. Notre ferme intention est donc de préserver cette jeunesse d’un récit erroné qu’elle pourrait véhiculer sans scrupule pour nourrir plus tard des discours politiques méprisants clamant que certains parmi nous n’ont pas d’histoire. Oui, celui qui affirme que l’Autre n’a pas d’histoire n’a pas d’estime pour lui. Et pendant trop longtemps, c’est ce que les États-Unis d’Amériques – et d’autres pays aussi – ont raconté à leurs citoyens et au monde entier. 

          Il apparaît clairement dans Black Far West que les héros blancs popularisés par le cinéma et qui constituent la culture des parents des jeunes collégiens, lycéens, et étudiants d’aujourd’hui étaient en fait des Noirs qui se sont illustrés dans les Amériques. C’est donc toute une narration de plus d’un siècle, tout un imaginaire construit sur le mensonge qui s’écroule pour les plus de 50 ans. Ce documentaire est l’histoire de l’Amérique dans laquelle Blancs, Noirs et autochtones dit Amérindiens occupent pleinement leur place ; alors que jusque-là les Blancs (visages pâles) occupaient toutes la place face aux Amérindiens (peau rouge) considérés comme des sauvages, le mal dont il fallait triompher. Le chaînon oublié dans le récit de la conquête de l’Ouest américain était donc le Noir. Et c’est sur leur contribution à l’histoire des État-Unis d’Amérique que ce documentaire met l’accent. 

          Le mythe des héros blancs de la conquête de l’Ouest

Cow-boy James Bakeworth

          Quelle désillusion pour les adultes de plus de 40 ou 50 ans de découvrir que l’histoire de Davy Crockett qui a bercé leurs années télé en noir et blanc n’est rien d’autre que celle du métis Américain James Backworth (1798 – 1866) qui avait trouvé refuge chez les Amérindiens et combattu à leurs côtés avant de servir dans l’armée fédérale contre eux. Ses prouesses racontées dans son autobiographie parue en 1854 n’ont pas été jugées dignes d’entrer dans l’histoire. La vie de Davy Crockett, nourrie sans doute de celle de J. Beckworth, si. En effet, au début du cinéma jusqu’à la fin du XXe siècle, pour être un héros, il fallait être blanc. Quelle désillusion d’apprendre que le héros blanc du film Le Justicier du Far West, ressemblant beaucoup à Zoro, n’est en fait que le blanchiment de l’histoire du plus grand Sheriff (adjoint) du Far West américain qui est un Noir. Il avait un cheval blanc et se déguisait souvent en cow-boy (métier méprisé exercé majoritairement au départ par des Noirs) pour approcher les criminels qu’il voulait arrêter. Les prouesses de Bass Reeves – car c’est de lui qu’il s’agit – ont inspiré des films comme Le shérif est en prison (une parodie du Far West) ou encore The Lone Ranger (de Gore Verbinski) – le cavalier solitaire qui va inspirer bien de mythes jusqu’aux récits des bandes dessinées. Quelle désillusion de découvrir que le métier de cow-boy, idéalisé et popularisé par le cinéma, est né avec les esclaves noirs qui s’occupaient des troupeaux. On les appelait « garçon » (boy) pour ne pas avoir à les appeler par leur nom !

Cow-boy - Mary Fields

          Quant au récit de la fameuse conquête de l’Ouest qui a laissé croire au monde entier que les Européens ont dû déployer des prouesses pour venir à bout d’un univers sauvage, le documentaire dit clairement que c’est là encore un mythe monté de toutes pièces et popularisé par les films hollywoodiens. La réalité est que les Noirs – les Buffalo Soldiers (honorés par Bob Marley dans une de ses chansons) – ont servi de bras armé au gouvernement fédéral pour arracher aux Amérindiens leurs terres et les donner aux Blancs. A partir d’avril 1889, ceux-ci n’ont eu qu’à se ruer sur le butin pour devenir propriétaires ; et cela dans une mise en scène théâtrale ! Voilà donc pulvérisé le mythe de la conquête de l’Ouest par les Blancs ! 

          N’est-ce pas vrai que la vérité finit toujours par triompher ? Terminons donc avec cette réflexion de David Grann tirée de son livre La note américaine : « L’histoire est un juge impitoyable. Elle expose au grand jour nos erreurs les plus tragiques, nos imprudences et nos secrets les plus intimes ; elle jouit de son recul sur les événements avec l’arrogance d’un détective qui détiendrait la clef du mystère depuis le début ».

Raphaël ADJOBI

* Toutes les photos (sauf celle de Bass Reeves) sont de la revue Télérama

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20 octobre 2022

Les médias et la fabrique du mensonge (Réflexion de J. A)

             Les médias et la fabique du mensonge 

Julian Assange

          « Une des choses que j’ai découvertes, c’est que presque chaque guerre qui a débuté au cours des cinquante dernières années a été le résultat de mensonges médiatisés. Les médias auraient pu les arrêter, s’ils avaient fait suffisamment de recherches au lieu de relayer la propagande des gouvernements.

          Cela signifie fondamentalement que les populations n’aiment pas les guerres. Elles doivent donc être manipulées pour les accepter. Les populations n’acceptent pas aveuglément d’aller à la guerre ; cela revient à dire que si nous avions un bon environnement médiatique, nous aurions un environnement pacifique !

          L’ennemi numéro UN est l’ignorance ! C’est l’ennemi numéro UN de tout le monde. L’ennemi numéro UN de tout le monde c’est de ne pas comprendre ce qui se passe réellement. C’est quand vous commencez à comprendre que vous pouvez prendre de bonnes décisions. La question que l’on doit se poser est donc celle-ci : qui fait la promotion de l’ignorance ? Réponse : ce sont les organisations qui essaient de garder des secrets ! Et ces organisations déforment les informations réelles pour les rendre fausses ou non publiques. Dans cette catégorie, ce sont les mauvais médias qui agissent de la sorte.

          Mon avis c’est que les médias, en général, sont tellement mauvais qu’on doit se demander si le monde ne serait pas meilleur sans eux. Il y a de très bons journalistes ; et nous travaillons avec beaucoup d’entre eux. Il y a aussi de bonnes organisations médiatiques. Mais les médias sont majoritairement mauvais ! Ils déforment tellement la vérité du monde dans lequel nous vivons que le résultat que nous voyons est une continuité de guerres et de gouvernements corrompus ».

Julian Assange (Entretien sur vidéo).

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01 octobre 2022

De la nécessité de l'instruction pour tous (Raphaël ADJOBI)

        De la nécessité de l'instruction pour tous

                                                     (Raphaël ADJOBI) 

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          C’est aux familles et aux enseignants que nous nous adressons ; autant dire à tout le monde. Le grand œuvre commun de notre vie, c’est l’instruction de nos enfants et petits-enfants. Cette entreprise mérite toute note attention et tous nos soins. 

          Quand son cadre extérieur formé par les siens est assez riche, quand son cadre intérieur ou son sanctuaire que constitue l’école – ainsi que les représentations de son imaginaire nourries par ses lectures – l’est aussi, un jeune est assez fort pour ne pas être éloigné des règles sociales ou prématurément brisé par quelque vice. L’éducation domestique et l’instruction publique sont les deux mamelles de la construction de l’individu, tel que nous aimerions le voir s’épanouir sous nos yeux pour le bien de toute la société. 

          C’est parce que nombreuses étaient les familles qui n’avaient ni le temps, ni le savoir, ni les conditions nécessaires à l’instruction de leurs enfants que la République avait instauré les internats. Ces établissements étaient des lieux d’une socialisation propice à l’acquisition des connaissances que proposaient les enseignants. C’est dire qu’à la défaillance des familles que la République n’ignorait pas, celle-ci proposait une structure palliative ou de substitution. Malheureusement, dans ce siècle, en lieu et place d’une structure sociale tenant compte du temps, du savoir, et des conditions de vie qui manquent aux familles, on propose aux jeunes des animations qui ont pour seul objectif de les éloigner de l’oisiveté mère de tous les vices. En d’autres termes, la sécurité de la cité que pourrait menacer la jeunesse sans éducation et sans instruction est devenue le critère des investissements de l’État. Pour contenir cette jeunesse que l’on redoute, on fait appel à des travailleurs sociaux, à des associations et des bénévoles n’ayant aucune compétence pédagogique plutôt que d’investir dans les services de personnes qualifiées pour lui apporter des connaissances. Nos élus croient-ils pouvoir ainsi participer à l’instruction de cette jeunesse et la sortir des problèmes nés du manque de structures adéquates à ses besoins ? Non, ils savent très bien que leurs actions ne font qu’entretenir des problèmes et des illusions.

          En effet, la République a fait son choix : on n’investit pas pour des gens qu’on qualifie de racailles ! On n’investit pas pour des gens qui ne sont rien ! 

          Or, tout individu a besoin de se savoir important, qu’il est la prunelle des yeux de la République. La considération plutôt que le mépris invite tout individu à relever la tête et à aller de l’avant. Mais voilà : certains parmi nous savent que si les pauvres vont de l’avant, ils deviennent dangereux ; ils savent, au regard de l’histoire des femmes, qu’il faudra un jour consentir à partager le pouvoir s’ils commençaient par partager le savoir. Quant à nous, nous voudrions que les pauvres accèdent au savoir pour justement prendre le pouvoir : celui de se gouverner ! Une autre révolution est possible. 

Il faut remettre le français au centre de l'enseignement

(Extrait de l’Avant-propos de Il faut remettre le français au centre de l’enseignement, une autre révolution est possible – Les impliqués Éditeur, 2021 / 10 euros).

Pensez à offrir ce livre à un(e) ami(e) enseignant(e) ou aux jeunes parents comme cadeau de Noël.   

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30 août 2022

Le tour de France de Flora Tristan (Carole Reynaud-Paligot)

                   Le tour de France de Flora Tristan 

                                       (Carole Reynaud-Paligot)

Le tour de France de Flora Tristan - Carole Reynaud-Paligot

          Avec ce livre, Carole Reynaud-Paligot nous fait découvrir une figure méconnue de la lutte pour plus de justice et d’égalité en France au XIXe siècle. Le tour de France de Flora Tristan est le parcours d’une militante des droits des ouvrières et des ouvriers, à une époque où l’essor de l’industrie gonflait les villes d’une population de miséreux que menaient des patrons sans vergogne avec « un esprit étroit, mesquin, borné, méchant même ».

      C’est lors d’un séjour au Pérou, au pays de ses ancêtres, que la Franco-Péruvienne découvre l’acuité de l’injustice au point de vouer sa vie à chercher les moyens d’établir plus d’égalité entre les hommes, plus de justice pour le travail accompli. Là-bas, elle avait découvert l’esclavage des Noirs. A son retour en Europe, sans cesse, les ouvriers qu’elle rencontre et défend lui rappellent « les visages pleins de souffrances des esclaves des plantations de canne du Pérou ». Cette expérience jointe à la découverte de la condition des ouvriers londoniens dont le spectacle à ses yeux était « pire que l’esclavage » – une terre où un cheval bénéficiait d’un meilleur traitement qu’un humain – la détermine à faire de la défense des ouvriers un sacerdoce.

          Mais pour cette mission, Flora avait besoin de femmes et d’hommes de bonne volonté qui avaient le temps et l’argent pour l’aider. Pour les bourgeois qu’elle sollicitait, aider les pauvres n’était pas leur rôle mais celui de l’Église qui, selon eux, accomplissait bien sa tâche. Quant aux membres du clergé, ils donnaient clairement l’impression que si les pauvres venaient à disparaître, disparaîtrait par la même occasion l’échelle qui les conduit de la terre au Paradis ! C’est pourquoi « l’Église […] ne voulait que pratiquer la charité au lieu de contribuer à réformer la société ». En d’autres termes, environ un siècle après l’abolition du servage, l’avènement de l’industrie a réactivé les schémas sociaux du passé et les comportements qui vont avec. 

        Le tour de France de Flora Tristan est un récit agréable et palpitant grâce à la ferme volonté qui anime l’héroïne ainsi que les multiples situations auxquelles elle est confrontée et suscitent en elle de belles réflexions et propositions. En abordant les luttes ouvrières et la naissance des syndicats au XIXe siècle, ce livre montre aussi les institutions étatiques qui permettent de les contrôler. Ainsi, le conseil des prud’hommes créé par Napoléon Bonaparte en 1806 était majoritairement tenu par les patrons. Un leurre permettant aux pauvres de croire qu’ils étaient défendus alors qu’il était l’outil permettant aux ouvriers qui allaient s’y plaindre de ne plus trouver du travail. Ce livre est aussi une fenêtre sur la précaire condition féminine au XIXe siècle : la lutte pour le rétablissement du divorce, contre la tyrannie des parents, de l’Église et des institutions de l’État. Une lecture très édifiante pour tout le monde. 

Raphaël ADJOBI

Titre : Le tour de France de Flora Tristan, 95 pages

Auteur : Carole Reynaud-Paligot

Éditeur : Tautem, mai 2022.

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09 août 2022

Rouge impératrice (Léonora Miano)

            Rouge impératrice

                 (Léonora Miano)

Rouge impératrice (Léonora Miano)

            Avec Rouge impératrice, Léonora Miano démontre non seulement un excellent talent de narratrice mais aussi d’analyste politique digne de la plus grande attention. Au-delà du bel amour qui naît sous le signe de l’enlèvement mais grandit admirablement entre Boya, la femme rouge, et Ilunga, le chef de l’État du Katiopa – cette Afrique enfin fraîchement unifiée – c’est l’analyse d’une histoire politique entre les populations européennes et africaines que nous propose Léonora Miano. Cela suppose donc que le lecteur ne soit pas totalement ignorant de bon nombre d’aspects de la politique coloniale et néocoloniale de la France et des nombreux griefs que les Africains lui font.

            Même si Rouge impératrice est un récit fictif au regard des personnages et des événements qui structurent leur vie, l’actualité politique qu’il présente n’est pas un véritable saut dans l’imaginaire plongeant le lecteur dans une société africaine parfaite réglant ses comptes avec l’Europe, et particulièrement avec la France. Comme pour montrer que tout changement significatif de société est le fruit d’efforts exceptionnels continus, l’autrice nous confronte aux difficultés d’un État qui vient de réussir sa révolution en s’arrachant à ses « prédateurs historiques » : établissement de l’organe dirigeant et de ses rapports avec les régions et les États étrangers, règlement de la question des contrats signés avec l’ancien colonisateur, organisation d’une armée continentale avec l’abolition des frontières coloniales, constitution d’un conseil continental, règlement du problème de la présence d’une branche des anciens colonisateurs et de leurs descendants vivant en Katiopa – ces Sinistrés, appelés ainsi parce que « partout où ils s’étaient établis, la crainte de [leur] dissolution se [faisait] désormais obsessionnelle ». Bientôt, ce denier problème devient épineux pour beaucoup, obligeant le Mokonzi (le chef de l’État) à leur proposer une alternative : « Katiopa, tu l’aimes ou tu le quittes ! » 

            On comprend aisément que Léonora Miano voudrait dans ce livre obliger le lecteur français de ce XXIe siècle à réfléchir, à travers les nombreuses analyses politiques, aux propos et aux mesures politiques de leurs gouvernants en les plaçant dans la bouche et dans les actes des colonisés devenus des dominants. Par exemple, la politique d’assimilation ayant pour but de faire perdre à chaque groupe, voire à chaque individu, son identité particulière – cette sacro-sainte laïcité – est présentée ici comme un choix raisonnable et appréciable à faire par ceux qui hier la proposaient avec arrogance. En effet, bien vite, les Sinistrés connaissent la souffrance de faire partie de la nation tout en ressentant fortement le sentiment d’en être exclus. Et c’est le cas du jeune Amaury : « Il souffrait de la distance le séparant de la population locale, de n’avoir pu fréquenter les mêmes écoles, prendre part aux mêmes réjouissances, s’incliner devant le souvenir des mêmes héros ». 

            L’autrice sait, avec les dirigeants de Katiopa, que malgré l’unité du continent, « l’apaisement n’était pas acquis, qu’il ne le serait pas avant longtemps » (p.576). Aussi, n’exclut-elle pas les jalousies et les ambitions personnelles au sommet de l’État comme pour captiver l’attention du lecteur aimant les intrigues. Cependant, la place qu’elle accorde à l’analyse des problèmes à régler au sein des sociétés africaines d’aujourd’hui et de demain rend son récit encore plus passionnant parce qu’elle confère aux personnages principaux une dimension admirable et les rapproche de notre actualité. Ce sont des personnages capables de s’accorder sur la révision de la démocratie telle que les Africains l’ont apprise des Européens, en tenant compte des expériences des sociétés africaines traditionnelles ; des personnages soucieux de la place à accorder à la pratique des religions héritées des colonisateurs qui eux-mêmes les ont délaissées au point que « ceux d’entre eux qui s’y [réfèrent] encore [passent] pour des déficients mentaux » (p. 203) ; des personnages qui, comme leurs ancêtres, attachent de l’importance à l’écologie et préservent les forêts, privilégient les transports en commun, le vélo électrique loué et la marche à pied. Et tout cela en avançant dans la modernité. 

            Afin que les premières pages du livre ne paraissent pas rapidement ardues, nous conseillons vivement au lecteur de prendre tout de suite connaissance de quelques noms locaux en consultant le glossaire qui accompagne ce beau et passionnant récit. Après cela, nous sommes certains qu’il trouvera ici – surtout s’il est intéressé par la politique ou l’Afrique – matière à réflexion sur les rapports Europe/Afrique aujourd’hui et ce qu’ils pourraient être demain. Et personne ne doit perdre de vue que les civilisations naissent, croissent et meurent ; et aussi que, selon tous les géopoliticiens, nous vivons le crépuscule de la domination européenne qui par voie de conséquence se débat pour ne pas mourir. De ce point de vue, Rouge impératrice apparaît comme un roman d’anticipation, un texte s’appuyant sur l’actualité d’aujourd’hui pour donner l’aperçu d’un futur réaliste. 

Raphaël ADJOBI 

Titre : Rouge impératrice, 641 pages

Auteur : Léonora Miano

Éditeur : Grasset ; collection Pocket 2020.

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30 avril 2022

Nelson MANDELA répond aux Occidentaux : vos ennemis ne sont pas forcément mes ennemis...

Nelson MANDELA : vos ennemis ne sont pas forcément

     mes ennemis, et vos amis forcément les miens !

Nelson Mandela

 

Nelson Mandela : vos ennemis ne sont pas forcément mes ennemis, et vos amis forcément les miens !

Le 11 février 1990, au Cap, Nelson Mandela retrouvait sa liberté après 27 ans de détention. Le 21 juin 1990, au " Aaron Davis hall - city college of New York ", le journaliste Ken Adleman interpelle Nelson Mandela en ces termes : Ceux d'entre nous qui partageons votre combat pour les droits de l'homme contre l'apartheid, avons...

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29 avril 2022

Journée nationale de l'abolition de l'esclavage : une exposition sur le racisme le 10 mai à Joigny (89)

La "Journée nationale de l'abolition de l'esclavage"

        aborde le thème du racisme à Joigny

Après deux ans de silence et une longue période d’incertitude sous le masque, l’association « LA FRANCE NOIRE » et la mairie de Joigny (89) renouent avec la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai prochain en vertu du décret du 31 mars 2006.

Racisme

 

10 mai 2022 : journée nationale de l’abolition de l’esclavage - Une exposition sur le racisme à Joigny

En vertu du décret du 31 mars 2006 est célébrée chaque 10 mai la " Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition ". Depuis 2016, la ville de Joigny et l'association La France noire organisent une cérémonie autour de ce pan de notre histoire commune avec une exposition et un moment...

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19 septembre 2021

Moi, Tituba sorcière... (Maryse Condé)

                    Moi, Tituba sorcière…

                        (Un roman de Maryse Condé)

Tituba

          Voici un beau roman, écrit dans une langue agréable qui réjouira de nombreux lecteurs ; du moins ceux aimant toucher la réalité de l’histoire à travers la fiction qui s’en empare pour aller plus loin afin de donner des visages et de l’étoffe aux personnages oubliés. Les procès de sorcières, l’Europe en a perdu le compte. A toutes les époques, comme le montrait Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, la femme européenne a été la proie facile des hommes. Et quand le christianisme s’en est mêlé, on a touché le paroxysme de leur folie. C’est dans cet univers des dénonciations de tout ce qui est quelque peu différent ou singulier, dans cet univers de chasse générale aux sorcières qu’une jeune esclave née d’une captive africaine va sombrer pour ne plus en sortir.

          Née d’une mère violée par les « marins blancs » – eux-mêmes esclaves des négriers comme le démontra l’anglais Thomas Clarkson à la fin du XVIIIe siècle – et chassée par son propriétaire lorsque celui-ci se rendra compte qu’elle est enceinte, Tituba grandira dans la clandestinité à la Barbade. Avant de mourir, sa mère, paria dans cette îles des Amériques esclavagistes et jouissant par conséquent d’une singulière autonomie, lui a transmis l’art des soins par les plantes que les mauvaises langues ont popularisé sous le vocable « fétichisme » pour le rendre condamnable. Et pour son malheur, bientôt l’amour arrache la jeune adolescente à son indépendance pour la lancer dans des pérégrinations avec John Indien, un esclave qui a décidé de « jouer à la perfection son rôle de nègre » pour mener auprès de ses différents maîtres et maîtresses un train de vie qui le distingue des autres esclaves domestiques.

          Moi, Tituba sorcière... est d’abord un excellent récit de la condition des esclaves noirs de maison. Les viols, la jalousie, la haine, le mépris sont le lot constant des jeunes Africaines. Et comme elles sont chargées de l’éducation des enfants, elles finissent par reconnaître qu’elles élèvent des vipères qui, le moment venu, leur arracheront le nez, ou des corbeaux qui leur crèveront les yeux. Le livre est aussi un beau réquisitoire contre les procès en sorcellerie qui frappent les femmes comme la peste. Car, même si « la déveine, c’est la sœur jumelle du nègre », les multiples procès déchirent les familles blanches et contraignent les femmes de toute condition sociale à vivre dans la peur de leurs maris. En effet, comme le dit si bien l’épouse d’un pasteur, les procès en sorcellerie, on ne peut « comparer cela qu’à une maladie que l’on croit d’abord bénigne parce qu’elle affecte des parties du corps (social) sans importance… puis qui graduellement s’attaque à des membres et à des organes vitaux ». Tituba quant à elle apprendra à ses dépens que « Blancs ou Noirs, la vie sert trop les hommes ».

Raphaël ADJOBI

Titre : Moi, Tituba sorcière… 278 pages.

Auteur : Maryse Condé.

Éditeur : Mercure de France, 1986, collection Folio, 1998, 2020.

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08 septembre 2021

Montesquieu et l'esclavage (Une analyse de Raphaël ADJOBI)

                 Montesquieu et l’esclavage

                                             (Raphaël ADJOBI)

Montesquieu

          Les philosophes du XVIIIe siècle ont été nombreux à aborder le sujet de l’esclavage, mais rares sont ceux qui, comme Condorcet, ont clairement demandé son abolition par la France qui le pratiquait. Très souvent, pour éviter les foudres royales, ils se sont contentés de traiter le sujet sur un plan général. Malgré cela, Montesquieu qui passait aux yeux de certains de ses contemporains pour celui qui raconte sur les peuples étrangers des « anecdotes douteuses et historiettes fausses ou frivoles, dont quelques unes vont jusqu’au ridicule » (Destutt de Tracy) est considéré parmi nous comme l’un des premiers antiesclavagistes français. Laissant de côté le chapitre V du Livre XV de la Troisième partie de De l’esprit des lois propagé au XVIIIe siècle par les esclavagistes pour se donner bonne conscience, et présenté depuis le début du XXe siècle comme une défense des Noirs esclavagisés, nous voudrions ici, pour la première fois, montrer ce que Montesquieu pense et dit précisément de l’esclavage. Il consacre en effet de nombreux chapitres de son livre au « droit de l’esclavage », c’est-à-dire le droit de posséder des individus dits esclaves. Déjà, parler de droit dans ce domaine suppose que l’esclavage peut être justifié. Nous sommes de l’avis de Jean-Jacques Rousseau qui assure clairement que « ces mots esclave et droit, sont contradictoires ; ils s’excluent mutuellement » (Du contrat social, Première partie, ch. IV). Pas pour Montesquieu qui va le justifier, n’en déplaise à ceux qui l’ont élevé au rang d’antiesclavagiste.

Montesquieu et l'Esprit des lois

          Les premiers chapitres du Livre XV de la Troisième partie de De l’esprit des lois laissent pourtant augurer un esprit antiesclavagiste franc. Après des généralités sur l’institution de l’esclavage et sa pratique chez les Romains, il finit le chapitre II en ces termes : « L’esclavage est d’ailleurs aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel ». On se dit alors que les chapitres qui suivent démontreront cette affirmation puisque l’on ne peut être esclave que « par la loi du maître ». D’ailleurs, comme pour montrer ses bonnes dispositions à pourfendre les esclavagistes, il donne l’exemple de ceux qui s’appuient sur leur religion pour réduire les autres en esclavage : « … la religion donne à ceux qui la professent un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation. Ce fut cette manière de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans leurs crimes. C’est sur cette idée qu’ils fondèrent le droit de rendre tant de peuples esclaves ; car ces brigands, qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très dévots » (Ch. IV). Pour la première fois dans le Livre XV, la critique est précise et cinglante à l’égard d’une catégorie de la population européenne. Malheureusement, ce sera la dernière !

          Aux chapitres VII, VIII et IX, Montesquieu exprime clairement sa pensée, sans juger les autres. Il admet qu’il y a un « esclavage cruel que l’on voit parmi les hommes ». Mais il pense qu’ « il y a des pays où la chaleur énerve le corps, et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison ». A chacun de réfléchir pour savoir les pays auxquels notre penseur renvoyait ses contemporains. Dans quelles parties du monde se situent-ils ? Et il ajoute : « Aristote veut prouver qu’il y a des esclaves par nature […]. Je crois que s’il y en a de tels, ce sont ceux dont je viens de parler ». On ne peut être plus clair pour dire que dans les pays chauds il y a des gens qui naissent naturellement esclaves ou encore que pratiquer l’esclavage sous un climat chaud « choque moins la raison ». Et il conclut satisfait : « Il faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre » ! C’est précis et net ! Montesquieu est-il un antiesclavagiste ? Non ! Pour lui, dans les pays chauds où « les hommes (sont) paresseux, on les met dans l’esclavage » ; la servitude y est naturelle, selon lui. Rousseau et Condorcet, eux, diront qu’il n’y a pas de servitude naturelle.

          A vrai dire, la pensée de Montesquieu est ici claire sur l’esclavage des populations des pays chauds – pour ne pas dire des Noirs dans les Amériques – parce qu’il tenait à donner son avis sur un débat qui divisait les penseurs au XVIIIe siècle. Certains suggéraient d’arrêter la déportation et la mise en esclavage des Africains et proposaient de confier le travail des terres du Nouveau monde à des populations françaises. « On entend dire, tous les jours, qu’il serait bon que, parmi nous, il y eût des esclaves », fait-il remarquer au début du ch. IX. Lui se demande quels sont ceux qui vont « tirer au sort, pour savoir qui devrait former la partie de la nation (française) qui serait libre, et celle qui serait esclave » ? Voilà donc le débat franco-français au XVIIIe siècle qui a obligé Montesquieu à désigner de façon précise les populations de la terre dont la mise en esclavage « choque moins la raison » parce que « paresseuses » et que l’on ne peut rien en tirer sans le fouet. Formuler une condamnation de principe de l’esclavage pour mieux approuver ce fait de la société de son époque, c’est être absolument déraisonnable. Assurément, Mirabeau ne se trompait pas quand il disait de Montesquieu que ce « coryphée des aristocrates » n’aurait jamais employé son « esprit » que « pour justifier ce qui est ».

Raphaël ADJOBI

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