29 juin 2007
Les victoires de Sarkozy
Les feux d’artifice et les bravos ont enfin laissé la place à la vie ordinaire. Nous voilà enfin sortis d’une longue période d’agitation qui nous a coûté beaucoup d’encre et de salive. Les présidentielles, les législatives, la formation du gouvernement puis son remaniement, tout est bel et bien fini. Cette fois, nous n’aurons même pas à garder le souvenir des pleurs des vaincus comme si pour ces derniers la défaite était prévue. Et dans le silence retrouvé, les socialistes se disent dans le secret de leur cœur que leur défaite a évité à la France le spectacle des querelles du couple présidentiel à l’Elysée. Ouf ! l’honneur est sauf. Et Ségolène Royale doit être soulagée d’avoir échoué si près du but pour ne pas avoir la lourde tâche d’appliquer un programme auquel elle n’a jamais cru. Elle peut donc dire merci à Sarkozy. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il suffit de jeter un regard en arrière pour voir l’état du champ de bataille et par la même occasion l’état de la France au terme des joutes politiques. Inutile de s’attarder sur la maison socialiste en ruine malgré quelques meubles précieux sauvés in extremis du sunami bleu avec en prime le scalp d’Alain Juppé qui n’avait déjà pas beaucoup de cheveux. A côté des ruines de la maison socialistes, on peut faire deux constats qui constituent les véritables victoires de Sarkozy : les cendres du Front National et la présence d’éléments des minorités au sein du gouvernement. Depuis près de trois décennies, les partis traditionnels négligeaient l’importance du Front National et de son idéologie sur la scène nationale. Même à droite, souvent on acceptait de cohabiter avec le Front National tout en refusant de s’afficher avec ses partisans. Profiter des voix du FN mais ne pas adhérer à sa politique. Ce qui est souvent ressenti comme du mépris par les amis de Jean-Marie Le Pen. Et pendant des décennies, le Front National ne cesse de marteler qu’il y a trop d’immigrés en France. Il fut même une époque où il faisait coïncider le nombre des chômeurs avec le nombre d’immigrés travaillant sur le territoire français au point de faire croire au petit peuple que le plein emploi et le bonheur social passent par une expulsion pure et simple des étrangers concernés. Et aux yeux de beaucoup de Français blancs, tous les Maghrébins et tous les Noirs étaient ces immigrés qui mangent le pain des Français. Petit à petit, le temps aidant, le Front National et son leader se sont installés dans le paysage politique comme un élément du folklore national, une spécificité française de la même façon que l’on parle du Parti Communiste aujourd’hui. Puis il y eut le tremblement de terre de 2005. Le Front National parvint au deuxième tour, contre toute attente. Un sursaut national hypocrite se produisit alors et lui barra la route. Tout le monde souffla avec soulagement. Mais à l’approche des élections de 2007, le spectre du Front National commença à hanter les esprits. A gauche, on se répétait : « plus jamais ça ! Votons utile. » Le vote utile, c’était tout ce que la gauche proposait aux Français. Car le programme était si flou que personne aujourd’hui n’est capable d’en citer un seul projet concret. Nicolas Sarkozy, lui, a compris que la France est diverse et a donc des besoins divers. Les soucis des minorités vivant dans les quartiers surpeuplés, ceux des partisans du FN, et ceux des riches qui croient fermement que l’Etat français les détrousse sans cesse ne sont pas les mêmes. Il va donc s’adresser à chaque groupe et lui proposer de s’occuper de ses soucis. Au nom de quoi, en effet, doit-on négliger les soucis des 15 à 18 % des Français qui estiment que l’on doit stopper l’immigration sauvage ? Pourquoi doit-on continuer à fermer les yeux devant ses bateaux qui échouent quotidiennement sur les plages de l’Europe avec leur cargaison de malheureux en guenilles ? Lui, Nicolas Sarkozy, affirme que c’est une situation détestable auquel il faut trouver une solution. Dès lors, ce sont les partisans du FN qui vont voter utile afin que leurs idées aient des chances d’être appliquées. Le résultat, nous le connaissons : en quittant la bannière FN pour voter utile, les partisans de Jean-Marie Le Pen ont réduit ce parti en un groupuscule d’illuminés sans intérêt. Et pour parachever sa victoire sur un parti que lui seul a été capable de mater, Nicolas Sarkozy va se montrer en vainqueur magnanime. Il ne va pas humilier celui qu’il a réduit à presque rien. Il va, dans un geste très républicain, le recevoir à l’Elysée au même titre que les autres leaders des partis du pays. Hier, cette rencontre aurait fait couler beaucoup d’encre et de salive. Aujourd’hui elle est passée presque inaperçue comme si tout le monde lui était reconnaissant d’avoir réussi là où tous les partis ont échoué. La deuxième victoire de Sarkozy s’était clairement dessinée lors des campagnes pour les élections présidentielles. Pour la première fois en France, un candidat à l’élection présidentielle a un projet clair et net pour les minorités : la discrimination positive pour les rendre plus visibles dans les structures sociales, économiques et politiques du pays. Avant lui, les hommes politiques refusaient la notion de « minorité » importée, selon eux, des pays anglo-saxons et qu’ils substituaient volontairement par le mot « communautarisme » pour faire peur. D’autre part, Nicolas Sarkozy est le premier homme politique français à avoir confié une partie de sa campagne aux minorités du pays. En métropole comme aux Antilles, on ne voyait pas que des blancs défendre ses idées. Après sa victoire, trois femmes issues des minorités entrent au gouvernement, non pas pour s’occuper des problèmes des minorités, mais pour servir la République selon leurs compétences. Et à ceux qui pensent que ces nominations sont de la poudre aux yeux, il convient de répondre que c’est déjà beaucoup que d’habituer les Français à voir la diversité nationale dans les rangs de nos dirigeants. Ainsi donc, en quelques mois, Nicolas Sarkozy a réalisé là ce que la gauche laissait espérer depuis des décennies aux minorités sans jamais oser l’accomplir. Quelle gifle ! Le parti Socialiste qui dit se battre pour les égalités, ce parti qui attire les voix des minorités en criant partout prendre leur défense ne leur a jamais rien proposé. Ce parti n’a jamais compris que la France n’est point monobloc et monochrome. La France n’est plus blanche depuis des siècles et il faudra l’accepter une fois pour toutes en faisant tomber les verrous institutionnels hérités de l’histoire (napoléonienne pour la plupart) qui rendent ses minorités invisibles. Et comme 25 à 30 % des adhérents de ce parti sont des militants de « la diversité », il se doit de relever le défi que vient de lui lancer le nouveau président. Sinon, les minorités françaises voteront de plus en plus à droite. Comme disent les Ivoiriens, « qui est fou ? » Les victoires de Sarkozy
Le Pen domestiqué
Les minorités Valorisées
Raphaël ADJOBI
15 juin 2007
Strange Fruit (Une analyse de Raphaël ADJOBI)
Strange fruit
(Un fruit étrange)
Les arbres du sud portent un fruit étrange.
Du sang sur les feuilles, du sang sur les racines,
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud.
Etrange fruit pendant aux peupliers.
Scène pastorale du vaillant Sud.
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum de magnolias, doux et frais.
Puis une odeur soudaine de chair brûlée.
Voici un fruit à picorer par les corbeaux
Que la pluie fait pousser, que le vent assèche.
Pourri par le soleil, il tombera de l’arbre.
Voilà une étrange et amère récolte !
Abel Meeropol
Strange Fruit est un poème qu’il faut lire en ayant à l’esprit un paysage rural semé de champs de coton qui laissent voir ça et là quelques arbres isolés ou quelques bosquets procurant un peu de fraîcheur. Il faut imaginer qu’au siècle dernier, dans les années 30, au plus fort des lynchages dans les campagnes américaines, quand un promeneur empruntait une route serpentant dans ce paysage de rêves, au détour d’un chemin, il n’était pas rare qu’il voie suspendu à un arbre un étrange fruit. Un fruit noir qui ensanglantait les feuilles et les racines de l’arbre qui le portait.
Ce fruit étrange dont il est question désigne les corps des victimes noires des lynchages que l’on pendait aux arbres quand elles n’étaient pas brûlées vives. Ces images, Abel Meeropol, un enseignant juif d’origine russe, les avaient découvertes par le biais des photographies que les familles blanches s’adressaient sans vergogne et sur lesquelles on les voyait rayonnantes à côtés de leur victime. Choqué par cette pratique, il écrivit et publia un poème (Bitter Fruit) sous le pseudonyme de Aka Lewis Allan. Il en fera par la suite une chanson et la proposera à la chanteuse noire américaine de jazz et de bleues, Billie Holiday. Celle-ci, déjà célèbre, chantera pour la première fois ce texte, devenu Strange Fruit, au Café Society, seul club antiségrégationniste de New York.
Dans une mise en scène sobre avec le public plongé dans le noir et un faisceau de lumière éclairant la silhouette de Billie Holiday, celle-ci chanta d’une voix déchirante accompagnée des seules notes d’un piano. A la fin de sa prestation, le public désorienté garda un silence de mort. Puis, un spectateur osa battre des mains entraînant peu à peu le reste du public dans un tonnerre d’applaudissements. Depuis, cette chanson compte parmi les réquisitoires artistiques les plus vibrants contre le lynchage couramment pratiqué dans le Sud et l’Ouest des Etats-Unis. Seize ans avant que Rosa Parks ne devienne célèbre en refusant de céder sa place dans un bus en Alabama, grâce à « sa voix déchirée et déchirante », Billie Holiday a permis à ce poème de faire prendre conscience du racisme et du pouvoir de l’art dans le combat pour les droits des noirs.
Voilà donc une œuvre que les écoliers noirs d’Afrique et d’ailleurs devraient étudier afin de ne jamais oublier ce qu’ont vécu ceux qui ont quitté brutalement la terre d’Afrique pour l’Amérique lointaine. Et il faut qu’ils sachent aussi que si l’on ne pend pas toujours des noirs, aujourd’hui on plastique leurs maisons, on les abat toujours au fusil, et on les frappe jusqu’à ce que mort s’ensuive à la batte de base-ball. Ainsi, entre 1980 et 1986, on a recensé cent vingt et un meurtres imputables à l’ultra droite américaine (source : Centre du renouveau démocratique, basé en Alabama). Les morts motivées par la haine raciale n’ont donc pas disparu du sol américain.
Raphaël ADJOBI
(Bibliographie : Article de Dirk Ingo Franke publié par Arte.tv. / Article de Jeannine Dath pour Théâtre Varia / Articles de Torpedo et Wikipedia / Photos : Wikipédia et Afrostyly)
Livres à retenir : 1) Without Sanctury, Le lynchage aux Etats-Unis en cent trente photographies. 2) Freedom, histoire photographique de la lutte des Noirs américains, édit. Phaiton, 2003. 3) L’empire du mal, dictionnaire iconoclaste des Etats-Unis ; auteur : Roger Martin, éditions Cherche-Midi, 2005.
° L'histoire d'une autre chanson célèvre sur l'esclavage : Amazing Grace
Strange Fruit
Southern trees bear strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.
Here is the fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.
Composed by Abel Meeropol (Aka Lewis Allan)
Originally sung : Billie Holiday
06 juin 2007
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
(Roman de Harper Lee)
Ce roman est à inscrire au nombre des plus belles narrations de la littérature du XXè siècle. Il y a des livres qui rencontrent indiscutablement l’unanimité des lecteurs. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est de ceux-là.
Ce qui fait le charme du livre, c’est avant tout le style de la narration : il est empreint d’une fraîcheur due au fait que tout est mené sous le point de vue d’une enfant d’à peine neuf ans mais qui est pleine d’humour. Cet humour tient d’ailleurs à la naïveté ou à l’innocence du regard de l’enfant qui ne peut que surprendre les adultes que nous sommes. Et cette naïveté ou innocence va admirablement servir le sujet de ce livre qui est tout simplement une évidente et affreuse injustice qui ne sera présentée que dans la deuxième partie du roman..
Le sujet du livre : Dans les années 30, dans une petite ville d’Alabama nommée Maycomb, le père de la petite Jean Louise est commis d’office pour défendre un jeune noir accusé du viol d’une jeune blanche de 19 ans. Atticus Finch, cet avocat intègre et rigoureux qui élève seul ses deux enfants, Jem et Scout (Jean Louise), va tenter d’accomplir sa tâche tout en essayant de préserver l’innocence de ses enfants confrontés aux préjugés et au mensonge des blancs.
Si donc ce livre est une véritable peinture du monde de l’arbitraire qu’était cette Amérique dans laquelle étaient perdus les noirs et contre laquelle ils mèneront leurs plus grandes luttes dans les années 60, il se veut également le témoignage d’une profonde humanité qu’un père veut laisser croître dans le cœur de ses enfants. En effet, cette relation entre Atticus Finch et ses enfants, ressemble beaucoup plus à une éducation à la Jean-Jacques Rousseau dans laquelle l’on laisse faire la nature ; ce qui aux yeux du commun des hommes ressemble plutôt à un manque d’éducation. C’est donc bien avec l’innocence de leur cœur que Jem et Scout découvrent l’injustice des hommes et non point avec les idées de leur père.
Titre : Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
Auteur : Harper Lee
Edition : Le livre de poche
Raphaël ADJOBI
03 juin 2007
Comment la France a perdu l'Afrique
Comment la France a perdu l’Afrique
(Antoine Glaser et Stephen Smith)
Ce livre est vivement conseillé à tous ceux qui veulent avoir une vision globale de la politique africaine de la France depuis le début du XX è siècle. C’est en réalité essentiellement l’historique des relations entre la France et l’Afrique sub-sahélienne. On ne peut qu’être conquis par la qualité des analyses d’Antoine Glaser et Stephen Smith qui peignent ici les liens trop étroits entre l’ancien colonisateur et ses anciens colonisés.
Si le commun des Français est loin d’avoir saisi l’importance des événements qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire en novembre 2004, les deux auteurs voudraient l’imprimer dans la tête de leurs lecteurs. Ils n’hésitent pas à comparer le massif encerclement de l’armée française devant l’Hôtel Ivoire à une véritable prise de la Bastille. Les événements de cette journée qui se sont poursuivis jusque tard dans la nuit avec le safari des hélicoptères français tirant sur les manifestants massés sur les deux ponts enjambant la lagune Ebrié ont véritablement sonné, à leurs yeux, la fin d’une ère française en Afrique. Jamais, nulle part en Afrique noire, la France n’a été autant bousculée, huée ! Et sans doute jamais depuis 1960, l’armée française n’a réprimé aussi sauvagement une manifestation dans ces anciennes colonies.
A ceux qui pensent que l’Afrique n’apporte rien à la France et qu’elle n’est pour celle-ci qu’un boulet, ils voudraient leur faire comprendre que c’est l’Afrique qui confère à la France sa notoriété dans le concert des grandes nations. Sans elle, le veto de la France à l’ONU n’aurait aucun sens ; et cela tout simplement parce que la France s’est toujours présentée devant les grandes nations du monde comme le parrain et le porte-parole des pays pauvres d’Afrique. D’autre part, l’Afrique est un marché de consommation pour la France. Enfin, la France s’est toujours octroyé le monopôle des investissements dans ces anciennes colonies ; en d’autres termes, c’est un marché où les investisseurs français ne souffrent pas la concurrence des autres pays développés. Et ce n’est pas rien d’avoir le monopôle des exploitations et des grands travaux dans tous les pays francophones d’Afrique. Enfin, ici et ailleurs dans les revues économiques, on souligne que malgré la crise qui sévit en Côte d’Ivoire, ce pays reste toujours la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest ; ce qui fait prendre conscience de la pauvreté des autres nations africaines.
Les lecteurs africains trouveront dans ce livre toutes les explications quant à la manière dont la France a été impliquée dans les différents coups d’état survenus en Afrique. Ils sauront également comment la France organise officiellement la désinformation pour rendre les dirigeants africains responsables de tout ce qui leur arrive. En clair, presque rien ne se fait en Afrique francophone sans la bénédiction de la France ou son bon vouloir.
Tous ces éléments et bien d’autres fournis avec force détails - dates et chiffres – font de cet ouvrage un précieux auxiliaire pour tous ceux que passionnent les aventures de la France sur la terre d’Afrique. D’autre part, les auteurs ne manquent pas de citer les sources des informations qu’ils donnent pour appuyer leurs analyses. Sources qui peuvent faire l’objet d’autres lectures.
Titre : Comment la France a perdu l’Afrique
Auteur : Antoine Glaser et Stephen Smith
Edition : Calman-Lévy
Raphaël ADJOBI
22 mai 2007
France : que faire du passé qui empoisonne le présent ?
France : que faire du passé
qui empoisonne le présent ?
Analyse inspirée d’une interview accordée par Toni Morrison a France inter le 10 novembre 2006 à 8 h 45. Elle fait aussi écho à la demande de repentance formulée par le CRAN. Demande reprise et défendue par le journaliste ivoirien Théophile Kouamouo dans un article publié sur Agoravox.
On peut noter que depuis environ trois ou quatre ans, face au peu de place qui leur est faite dans la société française, les Français d’origine antillaise et africaine donnent de la voix pour exprimer un certain nombre de revendications. Débats, colloques, blogs, textes de rappeurs, films, sont les canaux par lesquels ils expriment de plus en plus leur malaise et leur colère. La dimension prise par la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai 2007 du fait de la présence de deux présidents de la République ne doit pas nous faire oublier l’ampleur des frustrations que connaît cette minorité française. Ces français ont fini par croire que si la communauté blanche refuse de leur faire de la place, c’est parce qu’elle vit dans l’ignorance de leur histoire commune : l’esclavage puis la colonisation. Il serait par conséquent bon, estiment-ils, que celle-ci soit reconnue et occupe autant de place que les autres événements qui ont marqué et façonné la France, et aussi qu’ils soient mieux représentés dans les paysages administratif et politique.
A contre courant de ce mouvement, contre toute attente, ce sont des députés du peuple français et des hommes politiques qui se sont levés, le 25 février 2005, pour réclamer qu’il soit introduit dans l’enseignement du pays la reconnaissance des bienfaits de la colonisation.
Cette demande officielle des élus de la République ne doit nullement être interprétée comme une provocation. Elle est tout simplement à la fois la conséquence de l’ignorance de leur propre histoire et aussi une volonté délibérée de nier certaines vérités de l’histoire afin de perpétuer l’intolérance à l’égard des afro français. Disons-le net : A force de parler à la place des minorités, et souvent même sans les regarder, la classe politique française a fini par agrandir le fossé qui la sépare de ceux dont elle voudrait faire le bonheur. Ce que l’on attend de la communauté blanche française désormais, c’est qu’elle se taise enfin et qu’elle se mette un instant à l’écoute des autres communautés. Qu’elle cesse de leur inventer des maux auxquelles elle invente ensuite des solutions ! Ces solutions sont toujours mauvaises parce que les maux sont imaginaires.
Mais arrivons à la question essentielle : Faut-il qu’un ancien pays colonisateur comme la France reconnaisse officiellement ses crimes du passé ? Lisez bien que je ne pose pas la question de savoir si un ancien pays colonisateur doit faire acte de repentance de son passé. Que l’on comprenne une fois pour toutes que la question posée ne vise que la recherche et la reconnaissance de la vérité. C’est tout ! Vous comprendrez plus loin pourquoi.
Je vois déjà certains compatriotes blancs lever les bras au ciel criant qu’il faut faire table rase du passé et voir l’avenir. Ils oublient que les drames, les conflits et les inégalités qui sévissent dans notre société ont leur source dans une histoire tronquée, falsifiée - quand elle n’est pas occultée - qui permet à certains de justifier la prépondérance de la communauté blanche sur le reste des citoyens français. Il est donc bon que les uns et les autres connaissent le vrai visage du passé afin de mieux avancer vers nos idéaux communs : la liberté, l’égalité et la fraternité.
Quel est l’intérêt de cette recherche de la vérité du passé, de la vérité de l’histoire ? En quoi cette vérité historique est-elle nécessaire ? Sous tous les cieux, et plus autour de nous qu’ailleurs, il n’est pas rare de voir des familles exiger de connaître la vérité sur la perte d’un des leurs. Au-delà de la sanction qui relève du devoir de la justice, elles exigent des criminels qu’ils disent exactement ce qu’ils ont fait à leur fils, à leur fille ou à leur parent ; elles veulent « savoir » pour faire devoir de mémoire, c’est à dire pour ranger définitivement le vécu dans le passé, dans « leur histoire » afin de tourner la page. Et dans leur démarche, on voit chaque jour des élus, des hommes politiques leur apporter leur soutien jugeant ce devoir de mémoire absolument nécessaire à la construction ou reconstruction de ceux qui survivent aux morts.
D’autre part, nous notons que les enfants nés sous X devenus adultes sont nombreux à ressentir cruellement le besoin de connaître la vérité sur leur naissance et par la même occasion la place qu’ils occupent dans la chaîne humaine. Inutile de vous parler des nombreuses commémorations et les nombreux voyages sur des lieux de crimes ou de tortures en guise de devoir de mémoire générés par la dernière guerre mondiale.
Nous voyons donc qu’il est communément admis que pour dépasser un traumatisme, il est nécessaire de dépasser la honte, le sentiment de vaine culpabilité, le sentiment du vide intérieur, de l’être de nulle part, il est nécessaire de vaincre les blessures sans cesse ressassées qui en découlent pour aller de l’avant. Pour guérir de tout traumatisme, tout individu a besoin de parler ou d’entendre la vérité ou d’avoir un élément qui puisse lui signifier ce qu’il a été ou d’où il vient. Et il en est de même des individus comme des peuples. Dans le concert des nations, un seul pays a osé ce devoir de mémoire : c’est l’Afrique du sud. Mais personne en France ne demande un traitement de notre passé à la manière de l’Afrique du sud. Il suffit, il me semble, que la vraie histoire des Afro Français soit portée à la connaissance du peuple français par les canaux traditionnels de la formation et de l’information que sont l’enseignement et les médias. Je ne veux point énumérer ici les éléments de cette histoire qui méritent d’être connus. Les ouvrages qui les contiennent existent dans les bibliothèques et les archives administratives de France. Il manque tout simplement la volonté politique de les faire sortir au grand jour pour qu’ils participent à l’instruction et à l’information des individus.
La prise en compte du passé de la minorité afro française est donc un impératif puisque sa négation est synonyme d’oubli d’une longue page de l’histoire du peuple français tout entier.
Je crois sincèrement que c’est seulement lorsque le Français blanc aura intégré dans sa conscience la vérité relative à l’histoire des Afro Français comme étant également la sienne qu’il sera en mesure d’esquisser le geste du pardon sans qu’on le lui demande. Il en sentira le besoin au nom de la seule fraternité. Tout récemment – au début de ce mois de mai 2007 - la Reine d’Angleterre a demandé publiquement pardon, au nom des Anglais blancs, aux noirs et aux indiens pour tous les crimes commis dans le nouveau monde. Si dans ce pays, cet acte a été possible, c’est parce que le chemin parcouru pour l’équité avec les minorités dans les institutions, dans l’administration et dans les entreprises est largement en avance par rapport à la France. Vivant encore dans la honte, la France se sent obligée d’inventer des subterfuges qui ne permettent pas à un français blanc de demander pardon à un Français noir quand il le blesse et vice versa. Voilà pourquoi il importe que l’étape essentielle de la connaissance de la vérité et de son enseignement qui seule peut décrisper le présent soit d’abord franchie. La vérité librement acceptée changera énormément le regard des uns sur les autres et contribuera à la marche vers l’égalité dans tous les domaines. Et par voie de conséquence, les progrès de l’égalité favoriseront à leur tour la liberté et la fraternité entre les citoyens.
Mais s’il est vrai que la prise en compte de la vérité de l’histoire de la minorité afro française appartient aux autorités politiques, je suis de l’avis de Toni Morrison ( Américaine, auteur de Beloved) pour dire qu’il n’appartient pas au colonisateur d’écrire l’histoire des colonisés. Car tout le monde sait que les histoires de chasse glorifient toujours le chasseur. C’est pourquoi, je loue, pour ma part, les talents du Béninois Dieudonné Gnammangou, du Français (Guadeloupéen) Claude Ribbe, et de l’Américain Runoko Rashidi qui se sont lancés dans l’entreprise de reconstitution de l’histoire des noirs.
Raphaël ADJOBI
16 mai 2007
Sarkozy, Bolloré et Gbagbo
Sarkozy, Bolloré et Gbagbo
Sarkozy vient d’être officiellement installé à l’Elysée. Chirac est parti sans avoir triomphé de Laurent Gbagbo. Nombreux sont les Ivoiriens qui attendaient cette petite victoire du dernier sur le premier. Mais la voie est-elle pour autant suffisamment dégagée pour que le président ivoirien et ses compatriotes aient le temps de mener à bien la paix qu’ils ont initiée ?
D’abord, la récente rencontre entre Nicolas Sarkozy et le président gabonais Omar Bongo lors d’un séjour privé à Paris m’avait enlevé l’espoir de voir progressivement la françafrique perdre un peu de sa superbe avec le départ de Chirac. En effet, j’ai vu dans cette rencontre entre les deux hommes le passage du témoin pour la poursuite du système français d’exploitation de ses anciennes colonies aujourd’hui très décrié sur le continent africain. Ensuite, c’est l’escapade à Malte de Nicolas Sarkozy au lendemain de son élection qui m’a plongé dans une profonde inquiétude qui devient peu à peu une véritable peur du lendemain pour la Côte d’Ivoire. Et pourquoi donc ? me direz-vous.
Tout d’abord parce que si la collusion entre Nicolas Sarkozy et le monde des finances est connue, la découverte de son amitié avec le milliardaire Bolloré me renvoie à la Côte d’Ivoire et la crise qui la secoue depuis cinq ans. En effet Bolloré est le milliardaire français dont le tiers de la fortune est réalisé en Côte d’Ivoire (in la revue Challenges n° 237 du 16 décembre 2004 au 5 janvier 2005, p. 29). Inutile de rappeler que désormais tout le monde, en Europe et en Afrique, est d’avis que la revendication essentielle des loyalistes ivoiriens est l’indépendance économique de leur pays. Une question se pose donc. Comment Sarkozy s’y prendra-t-il pour ne pas décevoir son ami ? Tout porte à croire, qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir de Président des français pour défendre les intérêts de ses compatriotes en aidant la venue au pouvoir en Côte d’Ivoire des hommes qui leur sont favorables.
D’autre part, n’oublions pas que Sarkozy est le parrain de mariage de Alassane Ouattara et qu’il ne cache pas son amitié pour ce dernier. C’était bien pour Ouattara - par l’intermédiaire de Soro Guillaume - que Chirac a voulu dépouiller Gbagbo de ses fonctions essentielles en vue de le faire chuter. Et aujourd’hui Soro se croit bien placé pour mener ce dessein à bien. Il le confiait au journal Le Monde dans son édition du 19 mars 2007 en des termes très explicites en parlant de Laurent Gbagbo au moment même où celui-ci venait de lui proposer le poste de Premier Ministre : Je vais « le feinter, le dribbler ».
Les éléments d’un scénario explosif semblent donc réunis. Le sentiment national sera-t-il assez fort chez Soro pour qu’il poursuive l’entreprise de paix commencée avec Laurent Gbagbo ou cédera-t-il à l’appel de ses amis qui ont fait sa fortune et lui ont permis de vivre jusque là comme un prince alors qu’il n’avait jamais exercé de fonction rémunérée ? En tout cas, des nuages bien sombres s’amassent sur la Côte d’Ivoire.
Raphaël ADJOBI
04 mai 2007
L'Afrique dans le débat des présidentiables
L’Afrique et les présidentiables
Dans le débat des présidentiables, l’Afrique a été limitée par Sarkozy au Darfour et à la nécessité de juguler le flux des miséreux Africains vers la France qui ne peut pas supporter toute la misère du monde. Très brièvement Ségolène Royale a évoqué les souffrances matérielles qui poussent les jeunes à partir contre la volonté de leurs parents. Mais pas un mot du rôle que l’un ou l’autre pourrait jouer par le biais de la politique de la France dans le développement de l’Afrique. Pas un mot non plus de la responsabilité de la France dans ce qui se passe dans les pays francophones, hier ses anciennes colonies, aujourd’hui un marché juteux pour ses entreprises.
Décidément, la politique étrangère de la France demeurera à jamais la chasse gardée de l’Elysée et des sociétés françaises. Il n’est point nécessaire que le peuple sache ce que la France y fait. Son armée peut tuer, égorger, violer, et ses entreprises piller, voler, polluer dans le silence et l’ignorance totale du peuple français.
Les minorités françaises non plus n’ont guère retenu leur attention. C’est par le biais du mot délinquant qu’ils ont pensé à eux. Et ceux-ci à leurs yeux ne méritent que plus de sévérité et de discipline pour justifier les allocations qui leur sont octroyées. Aucun projet spécifique pouvant permettre à la jeunesse des banlieues de se reconnaître dans les desseins de la République n’a été évoqué. Elle n’a même pas eu droit aux fausses promesses pour donner ses voix.
Mon Dieu ! Qu’en ce bas monde certains sont si peu de chose aux yeux de la France !
Raphaël ADJOBI
28 avril 2007
Sarko ou Ségo, qui choisir ?
Sarko ou Ségo, qui choisir ?
Le fait qui rend ce deuxième tour des élections présidentielles françaises intéressantes réside essentiellement dans la nouveauté et la jeunesse des candidats. Ils nous font oublier la vieille France où nous retrouvons à chaque élection présidentielle les vieux leaders des partis. D’autre part, le taux de participation record au premier tour qui risque de ne pas se reproduire au second tour suscite des craintes, voire des peurs.
Mais l’intérêt doit maintenant céder le pas au choix définitif. Et devant ce choix, je me demande sincèrement sur lequel des deux candidats se reporteront la majorité des votes des minorités françaises et particulièrement ceux des Afro français.
En politique intérieure, le passé africain de Ségolène Royal n’est nullement un atout avantageux pour elle. Les noirs et les autres minorités savent qu’elle ne leur apportera rien de nouveau. Ses propos sur la diversité des citoyens français restent vagues et ne sont point accompagnés de propositions concrètes pouvant retenir notre attention. Elle est restée et reste sourde aux propositions du CRAN (Conseil Représentatifs des Associations Noires) notamment sur 1) la création d’un corps des inspecteurs des discriminations ; 2) l’attribution préférentielle des marchés publics aux entreprises dirigées par des minorités ou embauchant plus de 50 % de personnels issus des minorités ; 3) la mise en place d’internats de réussite éducative ; 4) le versement d’une prime d’éloignement aux ressortissants des DOM travaillant en métropole, à l’instar de celle versée aux métropolitains travaillant dans les DOM.
Par contre, si Nicolas Sarkozy n’a pas donné de réponses à ces différentes propositions, il a pour les minorités françaises un projet clair et net connu de tous : la discrimination positive ! Ce n’est certes pas une proposition qui aura l’effet d’un miracle, mais elle aura l’avantage d’être essayée. Cette mesure permettra à la France de rejoindre enfin les Etats-Unis, l’Angleterre et le Brésil qui vient récemment de choisir cette solution contre les discriminations. Avant Sarkozy, aucun parti politique, aucun homme politique n’a pris de résolution franche en vue de rendre visible les minorités françaises dans les administrations et dans les appareils politiques. Déjà, son comité de soutien ou de campagne est pourvu d’un grand nombre de jeunes issus des minorités noire et arabe. Aux Antilles, il n’a pas dépêché des blancs métropolitains pour diriger sa campagne ; il a confié cette tâche à ceux qui sont originaires de ces régions.
Malheureusement pour Nicolas Sarkozy, certaines de ses idées et ses méthodes brutales font peur. Son déterminisme biologique inquiète. Il pense, comme nombreux de ses amis à droite et à l’extrême droite, que l’on naît génétiquement bon ou mauvais ; que certaines personnes naissent avec des gènes qui les portent à mal agir. << Il pense que nous naissons bons ou mauvais et que quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par nature. >> (Michel Onfray, in Nouvel Observateur du 26 avril au 2 mai). Nous avons tous été émus par les propos droitistes sur les mauvais gènes des jeunes des banlieues ou des enfants violents des classes maternelles ; ce qui faisait penser au besoin de stérilisation de certaines familles d’immigrés afin d’épurer la population française. Pour lui donc, l’attitude négative des jeunes vis à vis de l’état n’a aune relation avec leur misère sociale : le chômage massif et la pauvreté des familles, la discrimination… Pour lui, certains sont nés bons et excellents, d’autres méchant et mauvais. Rien ne sert de chercher à aller contre cela. Il suffit de maintenir les choses en place par la force et la brutalité si nécessaire.
En politique extérieure, Nicolas Sarkozy ne fera absolument rien de nouveau pour l’Afrique. Il reprendra purement et simplement en main le système d’exploitation Françafrique qui rend opaques les relations entre les gouvernants africains et l’Elysée tuant ainsi les espoirs d’indépendance économique des jeunes Africains. Lors d’un récent séjour privé en France, le Président Bongo avait reçu la visite de Sarkozy afin de s’assurer de la pérennité du système dont il est l’un des maillons forts. La Côte d’Ivoire pourrait ainsi revoir les rebelles et Alassane Ouattara, l’ami de Sarkozy, regonflés à bloc pour éloigner les espoirs d’une paix civile dans ce pays. Pour Sarkozy, comme pour George Bush, le monde doit être gouverné par les systèmes financiers. Et ce système doit s’appuyer sur quelques individus à travers le monde.
Avec Ségolène Royal, certains dirigeants africains, sûrs jusque là du soutien sans faille de Paris, – parce qu’ils font ce que celui-ci leur demande – commenceront à trembler. En effet, Si les socialistes n’ont pas démantelé le système Françafrique sous François Mitterrand, ils nous ont permis d’en saisir le caractère financier occulte. A l’époque, le système a beaucoup vacillé avec l’affaire ELF ; et on peut espérer que Ségolène Royal le laissera mourir de sa propre mort. Les régimes africains pourraient ainsi évoluer vers plus de transparence et plus de responsabilité.
J’ose donc espérer que les minorités françaises, et surtout les Afro français, sauront aller au-delà des gesticulations tentatrices pour sauver les principes humains qui s’opposent au mépris de l’homme.
Raphaël ADJOBI
21 avril 2007
Parlons des devises des Nations
Des devises des nations
C’est parce qu’ils vivent dans un univers où les droits de l’homme ne sont pas respectés que des hommes se dressent pour rappeler ce qui doit être. C’est parce qu’ils vivent sur une terre où la liberté, l’égalité, et la fraternité n’existent pas que les Français se sont fixé cet idéal à atteindre. Il en est de même des Ivoiriens qui se sont fixé comme objectif l’Union, la Discipline et le Travail, parce que leur terre ne connaît ni l’unité des ethnies, ni la discipline et le travail en commun.
Parler donc de pays des droits de l’homme signifie tout simplement parler du pays où l’on fait peu cas du droit de l’individu au point où l’on s’oblige à travailler pour rectifier son comportement. Les devises des nations ne sont donc que l’expression de leur carence, la reconnaissance d’une faiblesse profonde en quelque domaine. Par conséquent, il est bon que les nations choisissent des devises qui appellent des actes concrets - et non point des idées abstraites - afin d’avoir plus de chance de s’en approcher.
Que la France se dise en toute circonstance : l’égalité est mère de la liberté et de la fraternité. Il reste donc bien entendu que tant qu’elle continuera à étouffer ses minorités afin de les rendre invisibles dans les paysages politique et administratif, elle ne pourra établir la liberté pour chacun de ses citoyens et la fraternité pour tous.
Raphaël ADJOBI ( Réflexions du 2/07/06/ et du 5/01/07)
12 avril 2007
Pourquoi Hitler admirait Napoléon
Pourquoi Hitler admirait Napoléon
L’amour des Français pour Napoléon est bien connu. Différents sondages le place parmi les personnalités historiques qu’ils préfèrent. Depuis plus d’un siècle, les historiens de la République et les hommes politiques n’ont de cesse de le glorifier contribuant ainsi à le populariser.
Mais depuis quatre ou cinq ans, la belle machine de propagande semble manquer d’entrain. Tout le monde sait que pour la grandeur de la France – et aussi pour sa gloire personnelle – Napoléon s’était lancé avec violence dans la conquête de l’Europe. Mais aujourd’hui, plusieurs pays européens - notamment l’Espagne qui a souffert des massacres napoléoniens - se permettent de le rappeler aux français. Ainsi, de temps à autre, certains Allemands ne se privent pas de signaler à la France que Napoléon est un dictateur au même titre que Hitler. Aux français qui leur reprochent de célébrer la grandeur historique de leur dictateur, les groupuscules allemands nostalgiques du Führer répondent qu’ils ont Hitler et les Français Napoléon. Quelle injure ! Et les Espagnols n’oublient pas que leur guerre d’indépendance fut livrée contre Napoléon qui voulait installer son grand frère sur le trône d’Espagne. Chez eux, la toile de Goya, Tres de Mayo, qui relate la boucherie napoléonienne à Madrid est aussi célèbre que Guernica de Picasso.
Voilà donc Napoléon de plus en plus controversé au moment où l’Europe recherche plus de cohésion et des idéaux à partager.
Cependant, il me semble que ce n’est point le rapprochement de l’expansionnisme et la volonté de puissance de Napoléon de ceux de Hitler qui met le plus mal à l’aise historiens et hommes politiques français. S’il est vrai que les autres Européens se permettent sans ménagement de dire aux Français que leur idole est un dictateur sanguinaire comme tout autre, il me semble que le plus beau coup porté au petit homme vient surtout d’un courageux fils de la France. En effet, avec la publication de son livre Le Crime de Napoléon, Claude Ribble a révélé à la face de la France ce que tous les historiens et hommes politiques de l’hexagone ont caché au peuple depuis toujours. Désormais, le commun des français commence à se poser des questions. Grâce à Claude Ribble, les Français commencent à se demander si les Allemands n’ont pas raison de leur dire qu’ils doivent aussi avoir honte de leur dictateur.
Napoléon le bourreau des noirs inspire Hitler
En effet, avant Hitler, Napoléon a commis l’impardonnable. Franchement, que resterait-il aujourd’hui de la renommée de Hitler et de l’histoire même de la seconde guerre mondiale si celle-ci s’était limitée à des tueries sur les différents fronts ? Je crois sincèrement que très vite les romans et les manuels d’histoire en auraient fait le tour, et l’opinion publique les aurait déjà classées comme un objet du passé qui ne doit pas interférer dans le présent. Mais si cette guerre et son acteur principal restent très vivants aujourd’hui encore dans la mémoire collective, c’est parce que des hommes, des femmes et des enfants ont été convoyés dans des lieux précis pour être gazés, pour connaître en masse une mort certaine. Cette guerre reste un événement affreux dans l’histoire de l’Humanité parce que des hommes, des femmes et des enfants ont été victimes d’un « programme » établi par les autorités supérieures d’une armée d’état. Et c’est véritablement le fait essentiel qui reste collé à Hitler comme un crime impardonnable.
Dès lors, on peut dire que, si Hitler était un fervent admirateur de Napoléon, ce n’était point pour son expédition en Egypte ni pour le code civil français dont il aurait été l’inspirateur, ni pour le charme des couleurs vives de l’uniforme de son armée. Son admiration pour Napoléon tient à son génie d’avoir inventé les chambres à gaz en Haïti et en Guadeloupe. Cette planification de la mort infligée aux noirs, et rapportée dans de nombreux récits des contemporains du petit dictateur, a séduit Hitler. Celui-ci tenait là, dans cette invention simple et radicale, la clef finale de son combat contre des gens qu’il n’aimait pas mais qui ne portaient pas des armes pour lui offrir le plaisir de les défaire. Napoléon Bonaparte est donc de ce point de vue le père spirituel de Hitler. D’ailleurs, en 1940, le Führer est venu méditer longuement sur la tombe de son idole à Paris, aux invalides. Il a même poussé le zèle jusqu’à y faire inhumer, la même année, le fils de Napoléon, François Bonaparte (connu sous le nom de Napoléon II, « l’aiglon ») comme cadeau à la France.
Mais combien de Français, combien d’Africains savent-ils cela ? Depuis toujours, les historiens français nous ont fait croire que c’est la volonté de puissance et les conquêtes de Napoléon qui ont séduit Hitler. Il m’a fallu lire le livre de Claude Ribbe pour comprendre que cette admiration reposait sur l’invention d’une méthode diabolique ignorée jusqu’alors : confiner des hommes, des femmes et des enfants dans un espace et les asphyxier. Comme dirait Christophe Colomb, « c’est simple, mais il fallait y penser. »